L’histoire de Mohamed Sanu commence en Afrique, tout comme celle de Tamba Hali que nous vous avions contée en debut de saison. Néanmoins, contrairement au linebacker des Chiefs, le receveur des Falcons aura, lui, effectué le chemin en sens inverse, naissant en Amérique avant d’aller rejoindre la terre de ses ancêtres alors qu’il n’était encore qu’un enfant. Oui, l’histoire de Mohamed Sanu est intimement liée à celle de sa mère, Aminata Korama, celle là même dont le nom est tatoué sur la poitrine du #12 d’Atlanta.
Freetown Sanu
Née en Sierra-Leone, Aminata se doit de quitter son pays en 1975, miné par une guerre civile sous-jacente. Elle rejoint le pays de tous les possibles avec son mari, Samuel Sanu, footballeur ayant atteint le niveau international avec l’équipe de Sierra Leone, ce qui fera également de ce sport l’un des premiers aimés et pratiqués par Mohamed.
Quatorze ans après, le couple se sépare et Aminata se retrouve à élever seule ses six enfants, dont son petit dernier, Mohamed, né le 22 août 1989 à Sayreville (New Jersey). Trop orgueilleuse pour s’y résoudre, Aminata refuse de bénéficier des aides sociales et préfère alterner les multiples jobs en tant qu’infirmière. Mais, en 1992, Aminata ramène ses enfants, dont Mohamed, en Sierra Leone où la famille restera trois ans.
Revenus aux Etats-Unis tout en laissant les deux plus grands garçons à Freetown, les Sanu reviennent s’installer vers South Brunswick dans le New Jersey mais Aminata se doit de refaire le trajet vers son continent d’origine, alors que Mohamed n’a que 12 ans, car elle doit aller s’occuper de ses parents malades. Cette fois-ci, Mohamed ne suit pas sa mère et va vivre quelque temps avec son père, installé à… Atlanta, son premier lien avec la ville du Deep South. Ne pouvant pas vraiment rester avec lui, Sanu repart dans le New Jersey pour vivre avec son frère Samir, sous la supervision de leur grande soeur, Haja, de 13 ans l’aînée de Mohamed. Le mari de celle-ci, Saeku Jabbie, remplace tant qu’il le peut ce père peu présent et deviendra même son père adoptif lorsque Haja et lui décident de l’adopter de façon légale. Plus encore que de lui apporter une reconnaissance administrative, Saeku lui donne des conseils de vie et une influence paternelle, le poussant à rester éloigné des jeunes turbulents des quartiers alentours ou encore de se concentrer sur ses études. Mohamed se permet même de l’appeler « papa » de temps en temps.
« J’adore le contact, j’adore travailler dur, j’adore ce lien qu’on construit avec ses coéquipiers, ses frères » Mohamed Sanu à propos de son amour pour le football
Leur mère, de son côté, continue son ascension dans les strates de la société sierra-léonaise. Après avoir ouvert une chaine de magasins de beauté, qui lui ouvre pas mal de portes à Calaba Town, dans la banlieue est de Freetown, Aminata se permet de se présenter pour un siège au Parlement en 2012, afin d’aider son Parti « All People » dans leur but avoué d’atteindre les 30% de femmes sur les 112 sièges que compte celui-ci. Malgré cette vie trépidante et florissante de femme d’affaires, Aminata Komora passe seulement sept mois de l’année en Sierra Leone car, à l’automne, elle ne manquerait la saison de football pour rien au monde.
Car si le football tel qu’on le connait en Europe a été le premier sport pratiqué par Mohamed, c’est à un autre type de football que jouent ses amis. Adorant le côté physique de ce sport et l’esprit de camaraderie qui en ressort, Mohamed se lance à fond dans cette nouvelle passion. Doté d’un physique déjà extraordinaire pour son âge, son coach décide de le changer de position. En effet, alors qu’il est le quarterback star de son équipe de Pop Warner, Mohamed se retrouve propulsé du jour au lendemain au poste de receveur. Questionné par le frère de Mohamed, Samir, sur la raison de ce changement, le coach lui indique que Mohamed « possède une adresse extraordinaire mais qu’il lance la balle trop fort et que, donc, aucun de ses coéquipiers n’arrive à l’attraper ».
Néanmoins, c’est bien au poste de quarterback que Mohamed va poursuivre sa carrière au lycée sous le maillot des South Brunswick Vikings, une carrière qui lui vaudra d’avoir son maillot #2 retiré en 2012.
A la tête de cette équipe, utilisant le système « triple option offense », c’est 30 années de disettes de postseason que Sanu efface en 2007 en emmenant les Vikings en playoffs à la fin de la saison grâce à des exploits athlétiques, comme une passe de touchdown de 70 yards que ne renierait pas Aaron Rodgers.
Pour le Sanu, faites le 12
Néanmoins, en étant né le 22 août 1989, Mohamed manque le « cut » de seulement 5 petits jours pour pouvoir jouer sa saison senior sous les couleurs de son lycée. Si l’option d’aller s’inscrire dans une « prep school » existe, afin de préparer au mieux son entrée dans le monde universitaire, Sanu décide de passer plutôt toute la saison dans les rangs des Vikings à jouer les adversaires des titulaires. Bluffé par cette décision de s’entrainer et d’aider ses coéquipiers tout en sachant qu’il n’allait pas pouvoir jouer un seul match, son coach Rick Mantz se demande encore « comment il a pu gérer tout cela, en restant malgré tout le premier arrivé, celui qui se donnait le plus à l’entrainement et le dernier parti». Sans jouer, Sanu a une influence majeure sur son équipe qui termine la saison avec 9 victoires en 11 matches.
Seul point positif de cet obstacle dans la trajectoire de Mohamed: rester à South Brunwick lui permet d’obtenir son diplôme plus tôt et d’ainsi pouvoir s’engager avec une université dès janvier 2009 et de pouvoir participer aux entrainements de printemps. Quelle université? Rutgers, bien sûr, à quelques pas de là.
Si son poste de quarterback est incontesté du côté de South Brunwick, c’est en étant un peu circonspect sur la meilleure position de son prospect que Greg Schiano voit arriver Mohamed Sanu dans les rangs des Scarlet Knights. Le quarterback Tom Savage dit du jeune Sanu qu’ « il possède le bras de lancer le plus fort de l’équipe », tandis que Schiano le place en position de safety, là où il peut jouer de sa taille d’1m88 et de ses 95 kilos. Son coach de lycée va même plus loin dans la dithyrambe multi-fonctions en affirmant que Mohamed aurait très bien pu être un punter dans un gros programme universitaire s’il l’avait voulu.
« C’est important d’apprécier ce que l’on a et de ne pas être trop pédant ou arrogant envers les autres. On peut se dire « Ouais, je suis bon mais il faut que je m’améliore encore » » Mohamed Sanu
Alors, s’il passe bien les 12 premiers entrainements dans le backfield, c’est néanmoins au poste de receveur que Schiano décide de le replacer car son équipe a des besoins à cette position. Ultra-versatile, Mohamed s’y adapte sans souci et attrape 10 ballons dès son premier match. Mieux encore, il devient le premier true freshman à être titulaire pendant les 10 années de regne de Schiano à Rutgers. Conquis, le coach affirme d’ailleurs: « Je pense que sa meilleure position, c’est là où il décide de jouer ». Résultat de cette première année: Sanu capte 51 passes pour 639 yards, court pour 346 yards lorsqu’il est positionné dans le Wildcat et retourne les punts ainsi que les coups d’envoi. Il devient dans la foulée le premier joueur de Rutgers depuis 16 saisons à obtenir un touchdown à la passe, à la course et en réception. Et, à la fin de sa saison sophomore, c’est sur la liste des prétendants au Paul Hornung Award qu’apparaît le nom de Mohamed Sanu, un trophée récompensant le joueur le plus complet du football universitaire.
Sa 3e saison est, elle, celle de l’explosion. Mohamed dépasse la barre des 100 receptions (115), battant ainsi le record Big-East de Larry Fitzgerald, et celle des 1200 yards (1206). Sa côte étant alors au plus haut, c’est confiant d’être sélectionné dans un des 4 premiers tours de la draft qu’il s’y présente en 2012. Et malgré un temps assez décevant au 40-yard dash, les scouts sont impressionnés par son physique et son éthique. C’est donc tout excite que tout le clan Sanu s’apprête à suivre Roger Goodell annoncer la prochaine destination de Mohamed à la télé.
Sanu sonné
Premier tour. 27e choix. C’est aux Cincinnati Bengals de choisir leur joueur. Quelqu’un appelle Mohamed sur son téléphone. C’est un représentant des Bengals lui annonçant qu’ils vont le choisir. Explosions de joie de l’assemblée et tweet enflammé de son agent s’ensuivent. La calme revient juste afin de profiter du moment où Roger Goodell monte sur le podium pour prononcer les mots magiques: « With the 27th pick of the 2012 NFL draft, the Cincinnati Bengals select…Kevin Zeitler ». Douche froide, incompréhension, le clan Sanu est sonné, victime d’une blague potache au moment le plus important de la vie de Mohamed. « Il existe des rageux qui feraient n’importe quoi. Quelquefois, les gens sont juste des malades » affirme encore aujourd’hui Aminata Korama.
Signe du destin ou pas, ce sont pourtant bien les Cincinnati Bengals qui vont faire de Mohamed un joueur NFL en le sélectionnant au 3e tour et en 83e position.
Dans l’Ohio, Mohamed Sanu arrive dans une équipe où le leadership à son poste est pratiquement indiscutable puisqu’AJ Green ravage les cornerbacks adverses hebdomadairement. Il essaie donc de se specialiser sur un poste de 2e receveur et, surtout, de cible favorite d’Andy Dalton sur les lancers de third-down. Jay Gruden, son coordinateur offensif, fait d’ailleurs ses eloges en disant que « personne n’est meilleur que Mo pour lire une zone. Il a été quarterback, il a été safety, il connait les trous dans les défenses, les zones où il faut se placer et il a un avantage de physique et de taille ». Mais la mayonnaise ne prend pas vraiment et de ces quatre saisons ne découlent finalement que la déception d’éliminations prematurées en playoffs, là où en 3 matches Mohamed n’a pu accumuler que 61 yards sous le maillot tigré.
Alors, quand Atlanta, à la recherche d’un 2e receveur pour épauler Julio Jones, arrive avec un contrat de 5 ans pour 32,5 millions de dollars, l’occasion est trop belle pour Mohamed de rejoindre un quarterback au talent encore supérieur à celui de Dalton en Matt Ryan et un coordinateur offensif de génie, Kyle Shanahan.
Si ses chiffres de la saison sont néanmoins quasiment les mêmes que ceux des années précédentes, Mohamed Sanu a certainement apporté sa pierre à l’edifice qui voit les Falcons s’avancer face aux Packers d’Aaron Rodgers et de Ha-Ha Clinton Dix en finale de la Conference NFC ce dimanche. Et face à une équipe aussi imprévisible que Green Bay, il serait étonnant que Shanahan ne tente pas au moins une fois de profiter de l’avantage qu’apporte la versatilité de Sanu. L’accession au Super Bowl vaut bien le coup d’essayer et les adversaires ne devraient jamais oublier que la meilleure position de Sanu, c’est celle où il decide de jouer…