Il y a quelques semaines, des journalistes de Pittsburgh ont demandé à Keenan Lewis ce qu’il pensait de sa place dans le classement des cornerbacks, réalisé par Pro Football Focus. Le garçon l’avait très mal pris. Il ne cesse depuis de jouer à un excellent niveau, et a abandonné sa 40e place pour se retrouver 27e.
Contre les Ravens dimanche dernier, Lewis a encore frappé fort. Son coéquipier Ike Taylor s’est chargé de contrôler le rapide Torrey Smith, et Lewis s’est retrouvé avec Anquan Boldin ou Jacoby Jones à couvrir.
Keenan Lewis a du défendre 12 passes. Il a effectivement laissé filer 8 réceptions, mais pour un tout petit total de 62 yards, dont seulement 9 gagnés après le catch. Rapidité d’intervention, couverture ultra serrée, et grande agilité pour dévier les passes, Lewis a été énorme. Analyse en trois temps.
Crédit texte et images : Pro Football Focus.
Ravens @ Steelers – 2ème quart-temps, 6:48 à jouer – Fermer la porte au moindre gain
Autoriser un receveur à capter le ballon ne résulte pas forcément en un mauvais jeu. Sur cette séquence offensive, Lewis a vu trois passes arriver dans sa direction en quatre jeux, et si à chaque fois le receveur a pu faire le catch, le total des gains est resté bloqué 3 petits yards.
Les Ravens doivent passer une 3e et 13 yards. Ils décident de jouer le coup avec un « bubble screen » sur le vif Jacoby Jones. C’est d’ailleurs une bonne idée car dans cette situation, de nombreux defensive backs ont tendance à reculer et à se donner un peu de champ pour stopper le jeu avant le first down. Mais Keenan Lewis ne joue pas comme ça.
Il s’aligne à 4 yards du receveur en couverture homme à homme. Jacoby Jones fait quelques pas en avant puis brise son tracé pour se tourner vers son quarterback et recevoir la passe écran, avec Anquan Boldin venu depuis le slot en motion pour lui offrir un block et donner à Jones de l’espace.
Keenan Lewis est si rapide à réagir sur cette action qu’il esquive la protection de Boldin et se retrouve à un souffle de son receveur au moment où le ballon arrive. Il peut ainsi le frapper instantanément et le mettre au sol 3 yards derrière la ligne de scrimmage. Jones est un receveur dangereux dans l’espace, et Boldin est un joueur assez physique pour faire des dégâts au block, mais le timing de l’intervention de Keenan Lewis est si parfait, qu’il peut à lui seul mettre à l’amende les deux Ravens, et forcer Baltimore à punter.
Ravens @ Steelers – 3ème quart-temps, 13:41 à jouer – Soutien terrestre
On sous-estime parfois le rôle des cornerbacks dans le soutien contre la course, mais cela peut avoir un impact immense sur l’issue d’un match, et plus particulièrement dans l’AFC North, où Ravens et Steelers adorent les cornerbacks solides et très physiques, capables de descendre un running back.
Ici, les Ravens n’ont besoin que de quelques centimètres pour passer la 3e tentative. Ils alignent alors une formation blindée pour permettre à Ray Rice de courir en force au milieu, avec deux tight ends, et le fullback Vonta Leach. Keenan Lewis n’a alors aucun receveur à couvrir de son côté. Il prend tout de même le soin de ne pas se coller à la ligne, au cas où un tight end viendrait à s’échapper sur un play action.
Une fois son diagnostic correctement réalisé, Lewis vient sur l’extérieur de la ligne pour contenir la course. A priori, il ne doit pas être impliqué car le schéma des Ravens désigne une course vers le milieu de la ligne. Mais les running backs en NFL, et surtout Ray Rice, sont capables de jaillir d’un côté à tout moment et ainsi partir au bout en un clin d’œil. Lewis doit alors faire preuve d’une grande discipline pour tenir son assignation, et ne pas se reposer sur ses coéquipiers dans la tranchée.
Et il fait bien, car Rice cherche finalement à partir sur la gauche de la ligne. Il percute le dos de son tackle, Michael Oher, qui est traîné par le defensive lineman Brett Keisel. Rice garde son équilibre et plante un 360° pour s’ouvrir une porte à gauche, en contournant Oher et son tight end.
Keenan Lewis est alors dans l’obligation de réussir son un contre un face à Rice, car personne d’autre chez les Steelers n’est en mesure d’empêcher le first down. Lewis réalise alors un tackle parfait, tout droit sorti des manuels de foot US, pour scotcher Ray Rice et forcer, une nouvelle fois, les Ravens à dégager au pied.
Un cornerback NFL n’est pas simplement voué à réussir de somptueuses interceptions ou à être décisif dans l’endzone. Parfois, se contenter de tenir son assignation avec discipline a un impact tout aussi grand sur le travail de la défense dans son intégralité. Sur ce jeu, il aurait été facile pour Lewis de se laisser emporter par l’élan, de se coller au tas près de la ligne et de tenter le tackle plus loin sur Rice. Personne n’aurait trop critiqué le choix du cornerback. Mais il a préféré rester en alerte de son côté, en faisant confiance à ses coéquipiers dans l’axe, et a réussi à rendre le ballon à son attaque. C’est moins spectaculaire qu’un duel aérien gagné, mais c’est tout aussi efficace.
Ravens @ Steelers – 3ème quart-temps, 7:06 à jouer – Couverture homme à homme
Contrer la course, ou empêcher les gains longs sur des passes courtes, c’est très bien. Mais il faut bien l’admettre, un cornerback est avant tout jugé sur sa capacité à couvrir un receveur sur la profondeur du terrain. C’est dans ce domaine que se forgent les légendes du poste. Contre Batimore, Keenan Lewis a excellé dans cette partie du jeu, alors qu’il a été relativement abandonné sur une île, sans grande aide de son safety, qui avait surtout à charge de contenir de l’autre côté du terrain Torrey Smith.
Lewis est en pressing homme à homme sur Boldin, en position de cornerback droit. Il parvient à mettre ses mains sur le receveur dès le snap, ce qui présente un double avantage : cela ralentit un peu Boldin dans son décollage, et cela l’empêche par la suite de vraiment créer une séparation avec son défenseur.
Regardez bien l’image ci-dessus. La position de Lewis sur cette couverture est tout simplement parfaite. Plus les deux joueurs avancent, plus le QB tarde ne serait-ce que de quelques secondes à lancer, moins la fenêtre de passe est grande. Keenan Lewis a pris la position préférentielle dans ce duel, et le seul moyen pour Boldin de s’en sortir serait d’ajuster sa course sur une passe un peu courte de Flacco. Puisqu’il est le seul à regarder le ballon à cet instant précis, il pourrait alors stopper sa course et revenir un poil en arrière pour tenter le catch. Mais le schéma de son tracé l’oblige à se faire squeezer sur le ligne. Ce qui sépare ici les très bons cornerbacks des meilleurs, c’est la capacité à localiser le ballon dans le processus de couverture.
Bien souvent dans cette position, les corners NFL gâchent leur bon travail en ne se tournant pas vers le ballon. Ils s’exposent alors de deux façons différentes : d’abord au piège d’une passe vers l’épaule extérieure du receveur, dans leur dos, ensuite à une interférence de passe lorsque le receveur tente de s’ajuster, et que le corner ne capte pas le mouvement de son vis-à-vis, et lui rentre dedans sans même le faire exprès. Se tourner pour trouver le ballon, c’est ce qui permet au corner de ne pas se faire avoir sur une couverture qui ne dépend que de lui. Keenan Lewis fait très exactement ce qu’il faut dans le bon timing, et dispose d’assez de temps pour étendre son bras intérieur et dévier la passe. Le pauvre Anquan Boldin n’a pas la moindre chance de réussir sa réception. Il est tout simplement battu dans le duel par Lewis.
C’est une action de très haut niveau de la part de Lewis. Même si la vitesse de Boldin ne présente pas un test insurmontable pour le corner, ce dernier réalise encore une fois un travail parfait tel que le décrit le manuel du cornerback NFL, et empêche une passe longue alors qu’il est tout seul et ne dispose d’aucune aide de la part du safety.
On est d’accord, Keenan Lewis n’est pas encore un Darrelle Revis en puissance. Mais son niveau de jeu depuis plusieurs semaines l’a propulsé parmi les meilleurs en activité, et s’il continue de la sorte, il peut prétendre à beaucoup plus. Devenir une pièce maitresse de la défense de Pittsburgh, et pourquoi dépasser son illustre coéquipier de l’autre côté de la défense, Ike Taylor.