[Super Bowl LVII] Andy Reid, le triomphe du bon gars

Andy Reid compte déjà parmi les légendes de la NFL. Une victoire contre les Eagles dimanche, parferait plus encore une carrière faite de bonté, de doutes et de persévérance.

À 64 ans bien révolus, il mériterait déjà une bonne retraite, sans faussement menacer la pérennité d’un système par répartition. Mais Andy Reid n’en a pas fini avec le jeu, avec l’histoire. Celle d’une ligue qui l’a si longtemps décrié, la sienne qu’il n’a désormais plus qu’à parachever.

Une histoire longue de quatre décennies, comprenant huit postes d’entraîneur, du porte-à-porte et la vente de hot dogs pour assurer la survie d’un programme universitaire, l’arbitrage de matches de baseball pour assurer celle de son compte en banque, des chemins tortueux jusqu’au pinacle du football.

Il a toujours été facile de le distinguer, aujourd’hui parmi ses pairs dont peu sont son égal, hier au milieu de ses petits, tous petits, camarades de jeu. Un géant que l’Amérique a pour la première fois découvert un soir de décembre 1971, à la mi-temps d’un match entre les Los Angeles Rams et Washington.

Le jeune garçon de 13 ans n’a rien d’un adolescent prépubère, si bien qu’on lui enfile le maillot d’un joueur, Les Josephson, le seul à taille, pour ne pas faire tache au milieu de ses congénères. Mais Andy Reid est déjà remarquable. Big Red est de ces personnages plus larges que la vie elle-même, aux antipodes de la rudesse prétendument impérative au succès, comme le football américain n’en fait que trop peu.

Andy Reid est un bon gars. Le genre à faire 100 kilomètres aller-retour tous les jours, en plein camp d’entraînement, pour rendre visite à son coordinateur défensif Jim Johnson, alors atteint d’un cancer, jusqu’à ce que la maladie finisse par l’emporter. Le genre modeste et proche des siens, à veiller sur son fils aîné, Garrett, en lui offrant un poste dans le staff des Eagles pour l’éloigner de la drogue.

Rencontre d’âmes blessées

Sa disparition suite à une overdose, en août 2012, pendant le camp d’entraînement, aura sans doute précipité la fin de l’histoire de son père à Philadelphie, débutée en 1999. Andy Reid marqué par le deuil et les Eagles en quête de renouveau, son contrat n’est pas prolongé au terme de la plus mauvaise saison d’une carrière d’entraîneur principal, jusqu’ici, presque parfaite. Quatorze années, neuf qualifications en playoffs, six titres de divisions, cinq finales de conférence et une apparition au Super Bowl.

Mais des défaites prégnantes, qui marquent au fer rouge, et une perception de moins en moins gracieuse à mesure qu’elles s’amoncellent. De perdant magnifique, il devient éternel loser. De précepteur bienveillant, il devient leader laxiste. De figure affable, il devient symbole de niaiserie.

Jusqu’à la rencontre avec les Kansas City Chiefs, une franchise à l’image encore plus écornée que la sienne, meurtrie dans sa chair par le pire bilan de son histoire (2-14) et par sa propre tragédie. Quelques semaines avant le terme de la saison, Jovan Belcher – dont il sera révélé plus tard qu’il était atteint d’encéphalopathie traumatique chronique – tue sa compagne avant de se donner lui-même la mort, sur le parking des Chiefs, sous les yeux de son entraîneur et de son general manager.

Andy Reid et les Chiefs, la réunion de deux âmes blessées faites l’une pour l’autre à ce moment de leur trajet respectif. Car, s’il est le chantre de la bonhomie, Reid est aussi celui de la gagne. Il l’a toujours été. Le conjuguer à l’échec était omettre que les rares défaites étaient si douloureuses précisément parce qu’elles étaient précédées de tant de victoires.

Il peut offrir une seconde chance à Michael Vick à sa sortie de prison, quand personne d’autre ne l’en juge méritant, mais n’hésite pas à couper les mauvaises herbes de sa culture. Marcus Peters, meilleur intercepteur de la ligue dès sa saison rookie en 2015, unanimement reconnu comme l’une des références à son poste, l’a appris à ses dépens après trois petites années passées sous ses ordres.

Polisseur de diamants…

Andy Reid est aussi et surtout un enseignant du jeu accompli, développeur de jeunes talents. Sous sa tutelle, lorsqu’il était assistant chez les Packers, Brett Favre est passé de machine à lancer des interceptions à machine à gagner (et à lancer des interceptions). Son tout premier choix de draft à Philadelphie, Donovan McNabb, d’espoir immature à meilleur quarterback de l’histoire de la franchise. Pendant son mandat à la tête des Eagles, 19 de ses joueurs ont accumulé 44 sélections au Pro Bowl, plus qu’aucune autre équipe sur la même période. Aucun de ces joueurs n’avait connu la moindre sélection avant d’être entraîné par Reid.

Il est finalement aisé de comprendre que son hymen avec Patrick Mahomes, lanceur le plus doué  ̶d̶e̶p̶u̶i̶s̶ ̶D̶a̶n̶ ̶M̶a̶r̶i̶n̶o̶  de tous les temps, résulte en achèvements historiques. L’union d’un entraîneur sachant octroyer tous les avantages qui soient et d’un joueur si talentueux qu’il n’en a même pas besoin. Depuis qu’il l’a instauré quarterback titulaire en 2018, les Chiefs n’ont pas manqué une seule finale de conférence, toutes jouées dans le Missouri, remporté leur premier Super Bowl en 50 ans et disputeront leur troisième en quatre ans, ce dimanche.

Le génie offensif qu’il est n’attendait qu’un quarterback générationnel pour devenir entraîneur de légende. L’élusif trophée Lombardi conquis en 2019 a clos tous les sots débats et fini de l’asseoir à sa juste place, parmi les mythes de son sport. Bazardée l’étiquette de perdant, de mauvais gestionnaire de l’horloge. Seules valent désormais les discussions de sa place au panthéon.

…Et pionnier offensif

Mais avant la destination finale à Canton, Andy Reid continue d’empiler les records. Il deviendra, la saison prochaine, le quatrième entraîneur le plus victorieux de l’histoire de la NFL. Il est devenu, pendant ces phases finales, le deuxième entraîneur le plus victorieux en playoffs (21), derrière Bill Belichick (31). Et que dire de cette saison 2022 ? Celle qui l’a vu se séparer de l’un des tous meilleurs receveurs de la ligue, contraint de grandement modifier son escouade défensive et composer avec la blessure de son joueur star au pire moment de l’année. Quatorze victoires, la meilleure attaque de la ligue, le meilleur bilan de l’AFC… Celle-là est peut-être bien la plus impressionnante de toutes.

Dans un sport vieux d’un siècle et demi, il n’est plus de révolution possible, seulement des innovations. Andy Reid n’a rien inventé, mais il ne cesse d’évoluer. De ses débuts sous Mike Holmgren, apôtre de la sacro-sainte West Coast offense, au façonnement d’un quarterback biberonné à l’Air raid offense, en passant par la consultation inspirée de Chris Ault, créateur de la Pistol offense… Il maîtrise toutes les nuances offensives du jeu. Si bien qu’il n’existe pas de style patenté Andy Reid. Sinon celui de vous coller une tapée de points dans la poire.

Là est le propre de l’innovation sportive : s’appuyer sur les découvertes passées, les modifier à sa guise et se montrer plus intelligent que l’adversaire. Le secret de la longévité de Reid aussi, sa faculté de se réinventer sans se dénaturer. Les années passant, la crinière rousse est devenue crâne chauve et la moustache dorée, argentée, mais Andy Reid est resté le même, envers les critiques et contre les moqueries.

Andy Reid Bowl

Le destin faisant parfois bien les choses, le Super Bowl de dimanche, le quatrième de sa carrière, encapsule formidablement son éminence footballistique. Dans sa 24e saison en tant qu’entraîneur principal, Andy Reid fera face à Nick Sirianni, en passe de boucler sa seconde. Le plus grand écart d’expérience pour une finale du championnat. Preuve s’il en est de son intemporalité.

Il y a 10 ans, en arrivant à Kansas City, Andy Reid a renouvelé le staff en place, dans lequel se trouvait Nick Sirianni. Belle ironie que d’affronter, pour le titre ultime, un entraîneur qu’il n’a pas daigné conserver une décennie plus tôt, aujourd’hui aux commandes de l’équipe qui n’a pas daigné conserver Reid lui-même. Une équipe qu’il a relevée des abîmes post-Reggie White, et qui a connu avec lui, la période la plus faste de son histoire, nonobstant l’absence de bague.

Si Andy Reid est l’un des plus grands, c’est aussi pour la trace qu’il laissera derrière lui, quand le temps viendra, et l’un des arbres les plus prolifiques de l’ère moderne. John Harbaugh, Ron Rivera, Sean McDermott, Todd Bowles, Doug Pederson… Tous ont quelque chose de Reid en eux.

Nous devrions tous avoir quelque chose de Reid en nous. L’humble excellence, la mansuétude, l’humour, l’autodérision, la rondeur, la sagacité… Ou à défaut, sa recette de mac-and-cheese. Une nouvelle victoire dimanche et Andy Reid bouclerait l’arc narratif, démontrant finalement que les meilleurs ne partent pas seulement les premiers, mais peuvent et savent finir premiers.

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