À 10 semaines du Super Bowl LII, épisode 41 de notre rétrospective exceptionnelle, le Super Bowl XLI.
Indianapolis Colts (AFC) vs. Chicago Bears (NFC) – 4 février 2007
Le soleil californien. La douceur de Tampa. Le confort du Silverdome et du Superdome. Si depuis plus de 50 ans le Super Bowl fuit le nord et ses hivers hostiles, c’est pour échapper au risque d’une finale prise en otage par une météo capricieuse. Couché de soleil dans le désert de l’Arizona, ciel maculé de bleu de Pasadena, la moiteur d’Ocean Drive, les voutes rassurantes de Minneapolis et Atlanta. Ni brouillard, ni pluie, ni neige, ni vent. Des conditions parfaites. Depuis 50 ans, le Super Bowl touche du bois. Le 4 février 2007, à Miami, la chaleur est au rendez-vous. 20 degrés. Seulement, elle a un invité surprise avec elle : une pluie battante. Ininterrompue. Pour la première fois de son histoire, le Big Game devra déjouer les éléments. La chance vient de tourner.
Quand le futur rejoint le passé
36 ans. Après près de 4 décennies d’absence, les Colts renouent avec le Super Bowl. La plus longue attente de l’histoire pour une franchise. Depuis leur sacre du Blunder Bowl en janvier 1971, les Poulains ont changé d’écuries. Adieu les rives de la Baie de Chesapeake, bonjour le Midwest. Le 29 mars 1984, aux petites heures, après 12 années de médiocrité sur le terrain et des mois de tractations vaines pour remplacer un Memorial Stadium dépassé, Robert Irsay annonce le départ des Colts de Baltimore. Longtemps à la lutte avec Phoenix, c’est Indianapolis qui décroche le gros lot. Là-bas, les équidés découvrent un Hoosier Stadium flambant neuf, prêt à les accueillir à bras ouverts. Tombé sous le charme de Baltimore, la légende et figure éternelle de la franchise, Johnny Unitas, se sent trahie et rompt tout lien avec les Colts. Délaissés, orphelins, les fans aussi ont du mal à avaler la pilule.
Marshall Faulk, Eric Dickerson. Si les stars du jeu au sol se succèdent, les playoffs se font rares. En 91, les Poulains échappent d’un doigt à la parfaite saison imparfaite. 1-15. La risée de la ligue. Si l’arrivée du Comeback Player of the Year John Harbaugh en 1995 redonne un coup de fouet aux canassons, la franchise d’Indy se cherche encore une identité. Orpheline d’un illustre passé resté dans le Maryland, il lui faut se bâtir un présent et un futur. La première pierre est posée en 1998. À 37 ans, devenu plus jeune propriétaire de la ligue après la mort de son père un an plus tôt, Jim Irsay embauche Bill Polian pour prendre en charge le sportif et Jim Mora pour prendre les rênes du terrain. Avec le 1er choix général, le trio sélectionne la star des Volunteers de Tennessee et fils d’Archie la légende des Saints, Peyton Manning. Un an plus tard, c’est au tour d’Edgerrin James de rejoindre un Marvin Harrison drafté au premier tour, lui aussi, en 1996. Lentement, après des premières années cahoteuses, les Colts poursuivent leur méticuleuse entreprise de construction. Pierre par pierre, intelligemment, ils entourent leur génial quarterback d’un casting 5 étoiles. Après une campagne 2001 à oublier, le processus en prend un coup. Mora est remercié et Tony Dungy, sacré des années plus tôt sous les couleurs des Steelers, enfile sa casquette de coach.
L’effet est immédiat. Dès 2002, Indianapolis retrouve les playoffs. Un an plus tard, Manning est sacré MVP et échoue aux portes du Super Bowl face à des Patriots en route vers la gloire. Joueur Offensif de l’Année et de nouveau couronné MVP, Peyton bute encore sur les Pats en 2004 avant de se ramasser sur les Steelers un an plus tard. Depuis 3 ans, l’AFC Sud n’est qu’une formalité et les séries, un détour obligatoire. À l’aube de la saison 2006, les Colts voient les choses en grand. Le titre n’est plus seulement un objectif, c’est une obligation. Architecte de l’une des meilleures défenses de l’histoire à Tampa avec les Bucs de Jon Gruden, Tony Dungy hisse son équipe au rang de favorite toute désignée. Deuxième défense la plus imperméable en points de la ligue, les Colts le sont aussi au nombre des yards. Doublette de pass rushers infernale draftée coup sur coup en 2002 et 2003, Dwight Freeney et Robert Mathis signent 16 sacks et une poignée de turnovers. Machine à plaquer et opportuniste dans les airs, Cato June anime un groupe de linebackers sans stars et pire que faiblard contre le jeu au sol. 173 yards par rencontre, on ne fait pas pire de toute la ligue. Heureusement, le secondary serre les boulons et ne laisse pas passer grand chose dans les nuages.
7e saison, 7e Pro Bowl. 4397 yards, 31 touchdowns, 9 interceptions, Peyton Manning illumine la voûte de celui que l’on appelle désormais RCA Dome. Acrobate de génie, Marvin Harrison attrape 95 passes pour 1366 yards et 12 touchdowns, pendant que l’autre prodige, Reggie Wayne, capte 86 ballons pour 1310 yards et 9 touchdowns. Duo d’enfer pour un jeu aérien endiablé. À eux deux, les tight ends Ben Utecht et Dallas Clark ajoutent près de 750 yards et marquent 4 fois. Moteur de l’attaque au sol depuis 1999, Edgerrin James s’en est allé cueillir les billets verts dans le désert de l’Arizona. Drafté au 1er tour quelques mois plus tôt, l’ancien Tigre de LSU Joseph Addai cavale 1081 yards, ajoute 325 unités dans les airs et croise 8 fois la ligne sans jamais démarrer la moindre rencontre. Titulaire, Dominic Rhodes empile près de 900 yards cumulés dans la foulée des Pro Bowlers Jeff Saturday et Tarik Glenn sur la ligne.
Faiseur de miracle des Super Bowls XXXVI et XXXVIII, Adam Vinatieri quitte la Nouvelle-Angleterre pour remplacer la machine Mike Vanderjagt, partie à Dallas, et apporter toute sa science des coups de pied clutchs. Portés par leur attaque tout feu tout flamme, les Colts sont imprenables pendant 9 semaines et se permettent le luxe d’aller désarçonner Tom Brady dans son antre de Foxboro. Malgré un début d’hiver plus délicat où ils sont incapables de l’emporter loin de leur douillet RCA Dome, ils conservent leur trône dans l’AFC Sud et s’assurent une place en séries sans trop trembler. 12-4. Les Chiefs châtiés au premier tour, les Poulains s’en vont plumer les Ravens à Baltimore avant de sonner les Patriots dans une fabuleuse finale de conférence. Pour la première fois de son histoire, Indianapolis découvrira le Super Bowl. Pour les Colts, des retrouvailles inespérées.
Du côté de Chicago aussi on commençait à trouver le temps long. Depuis le règne de Mike Ditka et de sa défense de cinglés de la fin des 80’s, les Bears hibernent. Après avoir décroché 6 titres de division entre 1984 et 90, les Ours s’endorment. Il faut attendre le tournant du siècle pour les voir enfin sortir de leur interminable léthargie, sous l’impulsion de rookies qui instiguent un souffle nouveau dans une franchise en manque de leaders. Brian Urlacher, Rookie Défensif de l’Année en 2000, Anthony Thomas, Rookie Offensif de l’Année un an plus tard, les Bears retrouvent la tête d’une NFC Centrale qui vit sa dernière saison, reprennent goût aux playoffs et renouent avec leurs ambitions d’antan. Arrivé en 2004 sur les rives du lac Michigan, Lovie Smith va donner vie à ces rêves. Architecte de la Tampa 2 aux côtés de Tony Dungy chez les Bucs, coordinateur défensif de Rams finalistes en 2001, le tacticien traîne derrière lui une solide réputation de stratège défensif. À Chicago, dans l’ombre de la mythique défense de 1985, il ne peut que réussir.
Après une première campagne ratée en 2004, Smith est couronné Coach de l’Année un an plus tard, Brian Urlacher meilleur défenseur et les Bears grimpent sur le trône de la NFC Nord. Mais leur saison s’arrête brutalement dès le premier tour. Retour à la case départ. En 2006, frustrés par des années d’échecs, les Ours attaquent la saison comme des enragés. Les Packers humiliés d’entrée dans leur Lambeau Field (26-0), les Lions écrabouillés à Chicago (34-7), les Vikings maîtrisés sous leur dôme (19-16), en trois semaines, les Bears tuent tout suspense dans la NFC Nord et envoient un message à tout le reste de la ligue. Septembre, octobre, ils ne connaîtront par le moindre revers, sous l’impulsion d’une défense à faire couler une larmichette sur la joue des plus nostalgiques des fans de Windy City. 3e au nombre de points encaissés, 5e au nombre de yards accordés, la défense ne concédera jamais plus de 100 yards au sol. Le phénomène athlétique Adewale Ogunleye, Alex Brown et ses boucles d’oreille, le Pro Bowler Tommie Harris et le rookie Mark Anderson. À eux quatre, ils raflent 29,5 sacks et animent un pass rush rugueux qui amasse 40 sacks. Derrière eux, les linebackers Lance Briggs et Brian Urlacher iront finir leurs saisons à Hawaï, pendant qu’au fond du terrain, Ricky Manning et Charles Tillman volent chacun 5 ballons dans les airs.
En semaine 6, la défense sauve les miches d’une attaque en panne d’idées. En primetime, un lundi soir, dans le sable de l’Arizona, face à leurs anciens rivaux de Chicago jusqu’en 59, les protégés de Lovie Smith sont menés 21-0 à la pause. Le 3e quart-temps touche à sa fin quand l’escouade défensive sonne enfin la révolte. Combo sack-fumble-touchdown sur Matt Leinart, un ballon arraché des mains d’Edgerrin James par Urlacher et remonté jusque dans la peinture par Peanut Tillman, puis un retour de punt de 83 yards du jeune rookie Devin Hester, en trois temps, la défense et les équipes spéciales font basculer le match. Peu épargné par les blessures depuis sa sélection dès le premier tour en 2003, Rex Grossmann est enfin en pleine possession de ses moyens et vit sa première saison complète. 3193 yards, 23 touchdowns, 20 interceptions et 5 fumbles, le passeur entretien une relation tumultueuse avec les turnovers. Lors des 7 dernières semaines, il perdra le ballon pas moins de 18 fois. Ingrédient parfait pour faire dérailler une saison si bien engagée. Heureusement, il n’en sera rien. Merci la défense. Et merci Lovie Smith. Critiqué dans les médias, envoyé sur le banc par les fans, il conserve la confiance absolue de son coach.
Sur les ailes, pas vraiment de stars, mais de l’expérience et de la fougue. Ancienne Panthère malheureuse du Super Bowl XXXVIII, Muhsin Muhammad conquit 863 yards et 5 touchdowns à coup de tracés précis pendant que le filiforme Bernard Berrian ajoute 775 yards et 7 touchdowns tout en vitesse et en agilité. Au sein d’un trio offensif équilibré, le massif tight end Desmond Clark engloutit 626 yards et croise 6 fois la ligne. Escouade offensive parfaitement balancée, les Bears exploitent toute la puissance d’un duo de coureurs taillé dans la roche. Thomas Jones et Cedric Benson, deux joueurs sélectionnés dans le top 7 de la draft. En 2000 par les Cardinals pour le premier, en 4e position en 2005 pour le second. À eux deux, ils se partagent plus de 1850 yards et 12 touchdowns au sol. Malgré la blessure de Tommie Harris qui ébranle une défense soudainement nettement plus perméable et bien aidés par 6 touchdowns records de Devin Hester sur équipes spéciales, les Bears se fraient un chemin jusqu’en séries, battent les Seahawks au bout du suspense en prolongations et s’offrent le titre de la NFC en dominant les Saints d’un Drew Brees fraîchement débarqué du sud de la Californie. Chicago ira à Miami, Rex Grossman ira au Super Bowl !
Devin Hester, you are RI-DI-CULOUS !
Chicago. Indianapolis. L’Interstate 65. 293 kilomètres. Jamais deux villes aussi proches géographiquement ne s’étaient affrontées lors d’un Super Bowl. Et si on partageait les frais et jouait le match à Fort Wayne, au nord de l’Indiana, blague Tony Dungy après la finale de l’AFC ? Non, plutôt que les contrées enneigées et glaciales du Midwest, les deux formations iront passer les premiers jours de février dans la douceur de Miami. Pour un Ours, se rendre dans le sud de la Floride va se révéler un peu plus délicat que prévu. Arrêté pour possession sans permis de 6 armes à feux et deux fusils d’assaut, le bien nommé Tank Johnson doit demander une autorisation de quitter l’Illinois auprès d’un juge. Une autorisation qui lui sera délivrée le 23 janvier.
De la Macédoine au Chili, en passant par la Thaïlande et le Belize, le match sera diffusé dans plus de 200 pays. Sous une pluie battante à laquelle le Super Bowl n’était pas habitué, les Bears gagnent le toss et choisissent de recevoir. Quand on compte dans ses rangs l’un des retourneurs les plus électrisants de la ligue, c’est l’occasion de marquer un grand coup d’entrée de jeu. Dans un Dolphin Stadium offert aux éléments, les flash crépitent par milliers.
« Toute la saison, les Colts ont eu un mal fou en couverture de retours, » prévient Jim Nantz au micro de CBS.
Paroles prémonitoires. Devin Hester récupère le ballon sur ses 8 yards, à deux pas de la ligne de touche. Bien planqué derrière un mur de 4 bloqueurs, il s’en va en diagonale vers la droite avant de brusquement cuter vers l’intérieur, mystifier un défenseur, s’engouffrer dans une brèche, battre Vinatieri et s’envoler vers le bonheur. 92 yards plus loin, rattrapé par une tentative de plaquage désespérée, il s’étale la face la première dans la peinture bleue. 14 secondes. Le touchdown le plus rapide de l’histoire du Super Bowl. Lors des 5 derniers, aucun touchdown n’avait été inscrit pendant les 15 premières minutes. Sous le déluge de Miami, il ne fallait pas arriver en retard. De tout le reste du match, les Colts ne frapperont pas une fois le ballon dans les mains de Devin Hester. Chaque fois qu’ils l’apercevront dans le fond du terrain, ils opteront pour un squib quick. Un dégagement intermédiaire et bas nettement moins dangereux.
« Devin Hester est un véritable danger, » prévenait Dungy dans la semaine. « C’est le genre de gars qui peut faire basculer un match. »
Finement observé. Passes ratées, faux départs à répétition, pour leur première série offensive, les Poulains ne sont pas au point. Et si Joseph Addai parvient à faire avancer les siens, Peyton Manning est nettement moins inspiré. Le quarterback feinte è gauche pour mieux dégainer une longue passe sur la droite en direction de Marvin Harrison. Chris Harris surgit dans les airs et fait gonfler un peu plus le momentum de Bears dégoulinants d’énergie. Incapables de capitaliser, les joueurs de l’Illinois font du surplace et laissent passer une opportunité en or d’assommer les Colts. Sonnés après un début de match cauchemardesque, les joueurs de l’Indiana reprennent leur marche en avant en douceur. Jeu au sol, lancers courts et rapides. Lentement, ils avancent, se donnent de l’air, se hissent jusqu’au milieu du terrain, puis lâchent l’artillerie lourde. Manning navigue dans sa poche, avance, repère Reggie Wayne, totalement oublié par une couverture hasardeuse des Ours et balance une spirale parfaite malgré un lineman défensif enlacé autour de sa taille. Danieal Manning, safety sensé le couvrir, absorbé par le leurre du tight end Ben Utecht, Reggie comble les 15 derniers yards sans la moindre opposition. Blown coverage. 53 yards. Touchdown. Le holder Hunter Smith rate un ballon glissant sur la conversion et tue le PAT dans l’œuf. 7-6. La réponse du champion. Tony Dungy n’a jamais vraiment tremblé.
« Personne n’a vraiment été surpris, personne n’était inquiet, » confiera le coach au LA Times après la rencontre. « Ce ne sont que 7 points. Peyton a su faire preuve de patience, mais plus que tout, c’est l’équipe toute entière qui a su se battre d’un seul homme jusqu’au bout. »
Sur le coup d’envoi bondissant d’Adam Vinatieri, les Bears frôlent le drame quand le tight end Gabe Reid échappe le cuir sous l’impact de Robert Mathis. Tyjuan Hagler récupère le ballon et met les Poulains en situation idéale. Le match vient-il de basculer ? Le temps de quelques secondes seulement. Peyton Manning et Joseph Addai ratent leur échange sur l’action suivante, Mark Anderson plonge sur le cuir et sauve la peau des plantigrades. Cut à gauche, cut à droite, Thomas Jones s’engouffre dans la mêlée à mille à l’heure, dompte les défenseurs et s’envole à toute vitesse pour n’être repris par Antoine Bethea qu’à quelques pas de la endzone, 53 yards plus loin. Un yard, no gain. Les Bears optent pour la voie des air et Rex Grossman envoie Muhsin Muhammad dans la peinture sur un tracé d’école. 14-6. Malgré le tampon de Bob Sanders qui fait sauter le ballon des mains de Cedric Benson, les deux équipes se neutralisent et les punts s’enchaînent. Un, deux, trois. Même à 53 yards des perches, les Poulains préfèrent opter pour un punt plutôt qu’un coup de pied longue distance aléatoires dans des conditions épouvantables.
Portés par un Joseph Addai plus inspiré au sol que Peyton ne l’est dans les airs, les Colts mettent Adam Vinatieri à portée des poteaux et réduisent l’écart de 29 yards. Un rapide stop en défense et Manning attaque par une passe de 22 yards dans les gants de Marvin Harrison. Puis 17 dans ceux de Dallas Clark. Dominic Rhodes enchaîne au sol et, une poignée d’action plus tard, croise la ligne. Les protégés de Tony Dungy basculent en tête. 16-14. Omniprésente aux quatre coins du terrain, la défense de l’Indiana verrouille toutes les issues et neutralise des Ours sans solution. Après un nouveau dégagement de Chicago et dans des conditions toujours plus humides, les deux équipes troquent les punts pour les fumbles. Le ballon a peine arraché des mains de Bryan Fletcher par Charles Tillman, Rex Grossman échappe le snap et rend immédiatement le cuir avec 78 secondes à jouer. Frustré comme jamais par une pluie qui pourrit le jeu et une attaque incapable de s’ajuster, Thomas Jones rejoint le banc en hurlant de rage. En deux temps, Dominic Rhodes rapproche les siens de 18 yards, mais sur la dernière action de la première mi-temps, de 36 yards, Vinatieri envoie son coup de pied du mauvais côté des poteaux jaunes. D’un souffle. Le kicker crache sa frustration, Nathan Vasher pousse un grand soupir de soulagement. Les Colts rentrent se sécher et se réchauffer devant, mais la tête basse et les regards insatisfaits.
De second rôle à héros
Déterminés à prendre le contrôle du jeu, les Colts délaissent la voie des airs. Plutôt courir dans la face de Brian Urlacher que lancer dans un ciel transformé en chutes du Niagara. Une bonne grosse dose de jeu au sol, des passes courtes et rapides, la stratégie est simple. Avec un ballon rendu glissant par la pluie, pas question d’arroser de loin. Joseph Addai dans les airs, Joseph Addai sur le gazon détrempé. En force souvent, en finesse parfois, dans la foulée d’une remarquable ligne offensive, le coureur emboutit 44 yards à lui tout seul et met Adam Vinatieri sur orbite. De 24 yards, le botteur règle la mire et accroit l’écart au terme d’un drive qui aura fait disparaître 7 minutes 30 du chrono. 19-14. À défaut d’être sexy, la tactique est efficace et donne des idées aux Bears. 14 yards de Thomas Jones, 9 dans les gants ruisselants de Muhsin Muhammad, le temps de deux actions Chicago trouve un semblant de cadence. Deux pas en avant, puis deux pas en arrière. Renvoyé 11 yards dans la direction opposée par Anthony McFarland, Rex Grossman foire le snap sur l’action suivante. Le quarterback sauve les meubles en plongeant sur le cuir après un bon vieux cafouillage, mais les Ours devront punter. La frustration monte. Les regards se tendent.
Dans un style enlevé, en deux courses, un facemask et des blocs d’école distillés par sa ligne, Dominic Rhodes cavale 59 yards et propulse les Colts aux portes de la peinture. Une passe ratée, deux passes ratées, le coureur arrache 8 yards au sol pour se rapprocher à 2 petites unités de la ligne, mais les Poulains renoncent à tenter le diable et optent pour les 3 points. Deux longs drives, mais juste 6 points. Si les Colts ne parviennent pas à tuer le match, ils ont clairement fait main basse sur la ligne de mêlée. Là où les coureurs de l’Indiana empilent les yards, ceux de l’Illinois se mangent des murs. Coup d’envoi court pour fuir les jambes de feu de Devin Hester, faute personnelle de Robert Mathis, les Bears récupèrent le ballon sur les 40 d’Indy. Thomas Jones déniche quelques failles, harassé par un pass rush sans opposition, Rex Grossman manque tout ce qu’il tente et Robbie Gould resserre l’écart de loin. 22-17. À l’entame du dernier quart-temps, la pluie continue de s’abattre sur un Dolphin Stadium captivé par un match qui refuse de livrer son verdict. Les Colts ont beau avancer, la défense de Windy City fait front et les force à punter.
« Sois patient. Sois patient, » glisse Rex à Thomas Jones sur la touche pendant que le coureur s’essuie tranquillement le visage avec la serviette de son quarterback. À force d’amadouer les défenses à coup de courses stériles en plein milieu et de jeu court par vraiment productif, des failles s’ouvrent en profondeur. Jones tâte le terrain au sol et Rex Grossman dégaine vers Muhsin Muhammad pour un gain aérien de 22 yards. Enhardi, le lanceur récidive. Hut ! Pump fake, le lanceur dégaine une passe mollassonne, haute et terriblement lente qui retombe dans les mains de Kelvin Hayden. Le cornerback s’arrache des mains de Muhammad, exécute quelques pas de danse pour rester dans le terrain, slalom entre les blocs et plonge dans une endzone transformée en piscine, 56 yards plus loin. Dallas Clark, Peyton Manning, c’est l’explosion de joie sur le banc d’Indy. 29-17. Entré en jeu à cause de la blessure de Nick Harper, Hayden n’avait jamais intercepté la moindre passe dans la NFL. Timing idéal pour une première.
« Kelvin Hayden qui entre en jeu et réalise une action incroyable, ça résume parfaitement notre équipe, » se réjouira Tony Dungy. « Le remplaçant a juste à prendre la relève. Nous ne changeons rien. Nous ne faisons rien différemment. Je suis vraiment fier des nos gars, car c’est comme ça que nous avons joué toute l’année. »
L’écart enfin creusé, les Colts ferment les écoutilles et verrouillent le match. Une course, deux passes courtes et Rex Grossman reprend le large. Le quarterback balance une bombe vers un Bernard Berrian pris en tenaille. Bob Sanders est le plus rapide et intercepte le ballon. Gueules d’enterrement sur le banc des Bears. De l’autre côté du terrain, c’est déjà la fiesta. Joseph Addai et Dominic Rhodes tuent le chrono, la défense épuise une attaque de Chicago sans idées qui voit le match lui échapper un peu plus sur chaque action. Avec l’énergie du désespoir, Grossman gave Desmond Clark de ballons avec succès avant d’enchaîner les décisions foireuses. Passe ratée, 2 yards en avant, un en arrière. 4e essai et le match en ligne, Clark se fait démonter par Matt Giordano et laisse filer le ballon. Turnover on downs. Une fois, deux fois, trois fois… Rhodes porte le ballon 8 fois dans un drive aux allures de mise à mort. Le dernier timeout des Bears grillé, le running back court une dernière fois sur un quatrième essai infructueux, mais qui fait s’envoler quelques précieuses secondes.
Rex Grossman distribue quelques passes vers des receveurs résignés et face à une défense plus vraiment concernée. Desmond Clark fait gonfler sa fiche statistique et grignote les derniers yards du match. En douce, Peyton Manning orchestre la Gatorade shower de Tony Dungy, premier coach afro-américain à remporter un Super Bowl. Partira-t-il au sommet, avec le sentiment du devoir accompli ? Le tacticien à d’autres choses en tête pour le moment.
« Nous avons un titre à fêter d’abord, » répond-il au LA Times. « Une parade nous attend à Indianapolis. Nous allons probablement aller à la Maison Blanche. C’est à ça que je pense pour le moment. Tout le reste se fera en temps voulu. Pour le moment, nous avons quelques chose à célébrer. »
36 ans plus tard, les Colts renouent avec le Graal. Après des années de domination en saison régulière jamais couronnées de succès en séries, la franchise la plus victorieuse des années 2000 est enfin récompensée. Parti dans le désert quelques mois plus tôt, Edgerrin James, star des Poulain du tournant du siècle, reçoit une bague de champion de Jim Irsay. Car après tout, à sa manière, le coureur aura participé à l’ascension de cette équipe. Pour Peyton Manning, c’est la récompense de 9 années de frustration.
« Nous avons travaillé dur durant les saisons précédentes aussi, et ça a été difficile, non seulement de perdre en playoffs, mais aussi de voir les équipes qui nous avaient battus brandir le trophée, » confit le quarterback au LA Times. « Ces trois dernières années, les équipes qui nous ont battus ont gagné le Super Bowl à chaque fois. C’est le genre de pilule difficile à avaler. Tu réalises à quel point tu veux gagner à ton tour. »
Après des années de misère dans les années 80 et au début des 90’s, l’AFC flambe. 4 Super Bowls consécutifs. Des 7 derniers titres, 6 sont allés dans les mains de la Conférence Américaine. Plus pour longtemps.