Benfica Lisbonne. Buffalo Bills. En apparence, rien en commun. Deux sport diamétralement opposés, deux continents séparés par un océan, deux univers à part. D’un côté la neige, les ailes de poulet et le ballon ovale ; de l’autre le soleil, la morue et la fièvre du ballon rond. Leur seul point commun : la spirale de la défaite.
Si le club lisboète ne connaît pas de disette en Lusitanie, ses épopées européennes semblent (presque) inévitablement devoir s’achever de la même manière : les pleurs, la désillusion, la frustration. Un sentiment que les Bills des années 1990 ne connaissent que trop bien. À leur grand dam. 1990, 1991, 1992, 1993. Quatre Super Bowls consécutifs, quatre revers, quatre claques. Et toujours pas la moindre bague au palmarès. Plus fort encore que les Vikings des 70’s et leur trois Super Bowls perdus en quatre ans. Une génération maudite. Ils y ont cru pourtant.
L’USFL éclate, les Bills s’éclatent
Le chemin menant jusqu’aux sommets était pourtant semé d’embuches. Après des années à végéter dans le fin fond de la ligue et des saisons 84 et 85 à envoyer aux oubliettes (4-12), les Bills s’engagent dans la voix de la repentance. L’opération rachat est lancée. Et elle va très largement profiter de l’éclatement de l’USFL, l’ancienne ligue concurrente de la NFL. Arrivé dans le nord de l’État de New York en provenance des Chicago Blitz en 1986, le Messie Marv Levy ne va pas tarder à faire des miracles. Profitant de leurs mauvais résultats pour rebâtir une équipe jeune et compétitive via la draft, les Bills s’offrent également le luxe d’attraper dans leurs filets l’ancienne star des Houston Gamblers et de toute l’USFL, Jim Kelly. Un juste retour des choses pour un joueur que les Bills avaient sélectionné avec le 14e choix général en 1983, mais qui avait préféré filer dans la ligue rivale, peu convaincu par le projet de Ralph Wilson. Pas du tout même.
« Je ne peux pas cacher ce genre de choses… J’ai pleuré, » confia-t-il en riant plus tard. « Je n’ai pas pleuré à proprement parler. J’avais juste des larmes. Je me disais, « Ça doit être une blague. » »
Non Jim, ça n’en était pas une. Pas très enthousiaste (doux euphémisme) en 1983, Kelly atterrit finalement à Buffalo 3 ans plus tard, alors que l’USFL explose en mille morceaux. Snobée trois ans plus tôt, la franchise de l’État de New York avait tout de même conservé ses droits sur le joueur. Levy/Kelly, la doublette magique. Dès leur troisième saison, les deux hommes s’emparent du trône de l’AFC Est. Emmenés par le meilleur coach de l’année, les Bills échouent aux portes du Super Bowl. Mais ça n’est que partie remise.
Si les résultats viennent lentement, Marv Levy, passé par Montréal et Kansas City, met sur pied une équipe redoutable. Patiemment, méticuleusement. Bien aidé en cela par le GM Bill Polian et son nez creux. Drafté un an plus tôt, Andre Reed commence à développer avec Jim Kelly une relation létale. Chaque saison, le receveur semble un peu plus aimanté par la peinture de la endzone. Et que dire du coureur Thurman Thomas, drafté en 88, et dont l’appétit vorace en yards comme en touchdowns ne semble jamais rassasié. Une ligne offensive cinq étoiles d’un côté, une défense portée par l’ancien premier choix général et mutliple Pro Bowler (11) et All-Pro (9), Bruce Smith, de l’autre, les Bills ne sont plus à prendre à la légère. Prêts à encorner tout ce qui bouge. La chasse est ouverte et cette fois, ce sont les Bisons qui endossent le rôle de chasseurs.
So close, so far
Surnommés les « Bickering Bills » (Bills Chamailleurs) en 1989 à cause des luttes intestines qui empoisonnent le vestiaire tout au long de la saison, les hommes de Marv Levy abordent la dernière décennie du 20e siècle plus revanchards que jamais. Se racheter de la défaite en finale de conférence et redorer le blason après une saison mouvementée, les ingrédients parfaits pour souder toute une équipe. Changement dans les têtes, et sur le terrain. Les hommes de Buffalo adoptent une attaque no huddle, imprimant un rythme soutenu et une stratégie qui impose souvent à Jim Kelly d’évoluer en shotgun. Une formule inhabituelle pour l’époque. Une formule payante.
13 succès, 3 petits revers, quelques volées mémorables (dont un 42-0 à Cleveland et un 45-14 face aux Phoenix Cardinals) et des playoffs aux allures de conte de fée. Dans un duel de légende(s) enneigé entre Jim Kelly et Dan Marino, les Bills passent le premier obstacle (44-34) avant d’atomiser les L.A. Raiders en finale de l’AFC (51-3). Harassé par la défense de Marv Levy, Jay Schroeder livre une performance Jake Delhommesque (5 interceptions). Direction Tampa. Entre la franchise de Buffalo et le trophée Vince Lombardi, se dressent des Giants privés de Phil Simms et qui devront s’en remettre à Jeff Hostetler. Rien d’insurmontable. Le Graal leur tend les bras. À eux de le saisir.
Et pourtant. En vieux sorcier, Bill Parcells a parfaitement préparé son coup. Usant et abusant de jeux au sol, les Géants privent les Bills de ballons et bouclent la rencontre avec 40 minutes et 33 secondes de possession. Un record pour le Big Game. En seconde mi-temps, ce sont 22 minutes que les Giants vont dévorer. Les hommes de Marv Levy sont sevrés de ballons. Dans un match accroché, les Bills accusent un tout petit point de retard avec un peu plus de deux minutes à disputer. Jim Kelly remonte tant bien que mal le terrain, et avec 8 secondes à l’horloge, Scott Norwood à le botté de la victoire au bout du pied. Mais sa tentative de 48 yards file sur la droite des poteaux. « Wide Right » comme dirait Al Michaels. Les Giants exultent. Les Bills pleurent. Ils viennent de perdre le Super Bowl le plus serré de l’histoire. Un mauvais présage.
Comme un air de déjà-vu
Pas abattus pour autant, les hommes de Marv Levy repartent à l’assaut. En tête de la cavalerie, un Thurman Thomas intenable, honoré des titres de MVP et Joueur offensif de l’année. 13-3 et une attaque qui tourne à 27 points de moyenne. Le premier tour face aux Chiefs, qui les avaient battus en saison régulière, n’est qu’une formalité. Un succès étriqué 10-7 face aux Broncos en finale de conférence dans une rencontre aux allures de joute défensive, et les revoilà au Super Bowl. Et patatra. Sur les deux première actions du match, ils doivent se passer des services d’un Thurman Thomas qui ne trouve plus son casque. Ça démarre mal. Incapables de marquer en première période, ils accusent un retard de 17 points face aux Redskins à la pause. L’attaque se réveil dans le second acte, mais il est déjà trop tard. 24-37.
La saison suivante, ils rendent leur titre de division aux Dolphins, mais sont encore une fois au rendez-vous des playoffs. Privés de Jim Kelly pour le wild card game, c’est sa doublure, Frank Reich, qui endosse le costume de héros dans une remontée épique face aux Houston Oilers. Menés 35-3 en début de seconde mi-temps, ils vont enchaîner les touchdowns pour reprendre l’avantage 38-35. Les Texans recollent in extremis pour envoyer les deux équipes en prolongations. Steve Christie converti le coup de pied de la gagne. 41-38. Les Bills viennent de réaliser le plus gros comeback de l’histoire de la NFL. The Comeback. Deux victoires plus tard face aux Steelers et Dolphins et les revoilà au Big Game pour une troisième année de suite. Et… Repatatra. Un non match. Les hommes de Marv Levy perdent 9 fois le ballon et s’inclinent sur un cinglant 17-52 face aux Cowboys de Troy Aikman, Emmitt Smith et Michael Irvin. Une addition qui aurait pu être plus salée encore sans un retour supersonique de Don Beebe sur Leon Lett après un fumble de Jim Kelly. Le défenseur des Cowboys, certain d’avoir fait le plus dur, tend le bras de joie une dizaine de yards avant la endzone. Mais c’est sans compter sur un Bebee revenu de nulle part, qui prive Dallas d’un touchdown et du record de points inscrits lors d’un Super Bowl. Mais ça ne change rien au résultat final. Pour la troisième année consécutive, les Bills doivent regarder une autre équipe brandir le trophée Vince Lombardi. Un record. Le genre de record dont on se passe volontiers. Et le pire est encore à venir.
Comme un amoureux éperdu s’accrochant à son ex, les hommes de Marv Levy se hissent de nouveau jusqu’au Super Bowl. Pas (encore) abattus, ils bouclent la saison 1993 avec 12 succès au compteur, se débarrassent des L.A. Raiders et des Chiefs et voilà que c’est de nouveau l’armada offensive des Cowboys qui se dresse devant eux. Pour la première fois de l’histoire, une équipe atteint le Big Game quatre fois de suite. Pour la première fois de l’histoire, le Super Bowl propose la même affiche deux années consécutives. Et l’issue sera la même qu’en janvier 93. Pourtant, au Georgia Dome d’Atlanta, les Bills virent en tête à la pause et l’espoir pointe le bout de son nez. Enfin. Mais un ballon échappé par Thurman Thomas et retourné jusque dans l’en-but et un Emmitt Smith en forme « MVPique » mettent fin au rêve des hommes de Marv Levy. La franchise de Buffalo reste muette. 13-30. Quatre années. Quatre Super Bowls. Quatre défaites. Leur chance est passée. Ils l’on ratée. Et en beauté.
Ghostbusters
Il n’y aura pas de cinquième chance. Les Bills bouclent la saison 1994 avec un bilan négatif (7-9) et plongent à la 4e place de l’AFC Est. Pas de playoffs. La fin d’un cycle. Le début d’un autre : celui de la défaite. La saison suivante, ils redressent la tête et retrouvent la postseason. Ils passent même le premier obstacle en se défaisant de Miami. Il ne le savent pas encore, mais ce succès en playoffs sera le dernier de la franchise. Jusqu’à nouvel ordre. Une semaine plus tard, les Steelers leur infligent un lourd 40-21. Les Bills ont dit adieu au parfum de la victoire.
Depuis cette période faste, auréolée de défaites crève-cœur, les Buffalo Bills entretiennent savamment un implacable culte de la lose qui aurait de quoi rendre jaloux les Detroit Lions. 21 ans après leur dernière apparition au Super Bowl, les Bills n’ont disputé que cinq rencontres de playoffs, pour une seule petite victoire. Depuis 15 ans, leur saison s’arrête en décembre. La pire série en cours dans la ligue. Plus qu’une génération, c’est toute une franchise qui est maudite, qui n’a su se remettre de quatre gifles magistrales. Peut-être serait-il temps de trouver le digne successeur de Jim Kelly? Et le bon.