Londonien de souche. Nigérian de sang. Américain d’adoption. Troyen par devoir. Lié pour l’éternité à Miss Univers. Osi Umenyiora est un melting pot, un fragment d’humanité, une diaspora à lui tout seul. Le symbole d’un monde ouvert. Le symbole d’un football qui s’internationalise.
L’Odyssée d’Osi
Né dans Golders Green, quartier juif du nord de Londres, au début des années 80 d’un couple d’immigrés nigérians venu étudier sur les rives de la Tamise, Ositadimma grandit au sein d’une fratrie de 6 enfants. Il vient tout juste de souffler sa première bougie quand ses parents scellent leur divorce dans le cabinet du notaire. Une pluie ininterrompue, du fish and chips jusqu’à l’overdose, des gold stars en pagaille, distribuées par ses enseignants en récompense de ses bons résultats scolaires, des parties de soccer entre potes et cet accent cockney qu’il perdra avec les années. Osi ne garde que très peu de souvenirs de son enfance londonienne. Il a 7 ans quand son père, homme d’affaire influant dans les sphères politiques de son pays d’origine, décide de rapatrier Osi et 4 de ses frères et soeurs auprès de leurs racines. Au Nigeria. Retour aux sources. Retour à Ogbunike, dans l’État d’Anambra, en plein pays Igbo, la même ethnie qu’un autre globetrotteur, Christian Okoye. Une petite ville dont John Ositadimma Umenyiora est devenu le premier Igwe, sorte de monarque local élu à vie chez les Igbos, depuis sa nomination en 1976. Là-bas, patron d’une compagnie de communication à succès longtemps exilé au Royaume-Uni, immensément respecté et les poches bien remplies, sa réputation le précède.
Sur les terrains en terre battue qui pullulent au pays des Super Eagles, Osi enchaîne les dribbles et les frappes poussiéreuses au cours d’interminables parties de ballon rond pendant 7 longues années d’insouciance. 7 années partagées entre Lagos, capitale aux mensurations indécentes qui ne dort jamais, et Ogbunike et ses envoûtantes cavités rocheuses classées au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2013. Il a 14 piges quand son père l’envoie retrouver sa soeur outre-Atlantique, en quête d’une meilleure éducation pour un fils intellectuellement précoce. À Auburn, Alabama, petite ville de 16 000 âmes typique, barrée par deux rues principales qui se croisent perpendiculairement et qui bat au rythme de Tigers au creux de la vague au coeur des 90’s, il découvre un sport aux allures de religion dans cet État traditionaliste du Vieux-Sud américain. En zappant, un dimanche après-midi, il tombe sur une bande de d’énergumènes en armures qui se rentrent dans le lard pour un drôle de ballon oval et brun. Et soudain, l’illumination. Cette couette blanche remontée jusqu’au menton sous laquelle il aura paisiblement dormi durant tant de nuits au Nigéria. Tachetée de ces espèces de cyclopes casqués d’argent, barrés d’un bandeau noir et munis de deux épées dans leur dos. Durant tant d’années, ces visages au yeux masqués ou clos et au sourire vaguement espiègle l’auront intrigué. Mais il les trouvait tellement « cool ». Un cadeau d’Ijeoma, sa belle mère, de retour d’un voyage aux États-Unis. Ils sont là. Sous ses yeux. Sur les casques noir et argent de ces types qui glissent sur l’écran cathodique.
« J’ai finalement réalisé qui ils étaient, » raconte-t-il à Sports Illustrated en janvier 2008. « Les Oakland Raiders. »
À 14 balais, dans l’Alabama, un ado de plus de plus de 110 kilos n’a rien à faire ailleurs que sur un gridiron. Et Osi a beau ne rien connaître au football, il n’échappe pas à cette règle immuable. Quand bien même ce sport le laisse de marbre. Un an plus tard, il intègre pourtant les Tigers d’Auburn High. Le premier jour d’entraînement, tout le monde est sur le terrain, prêt à en découdre avec toute la prudence qui s’impose pour une reprise. Tous, sauf un. Osi Umenyiora. Coach de la ligne défensive, Clay McCall part en quête de son nouveau poulain et le découvre dans le vestiaire, prostré sur un banc, son plastron inerte à côté de lui. Il n’a aucune idée de comment enfiler ce machin.
« Je n’avais absolument jamais entendu parler du football américain avant d’arriver aux États-Unis, » confie-t-il au Guardian en février 2017. « Jusqu’à mes 14 ans, je n’avais aucune idée de ce que c’était. Je crois que parfois, nous sommes tout simplement destinés à faire certaines choses. Je crois que, quand bien même je n’en avais aucune idée jusqu’à ce moment-là, j’étais destiné à devenir un joueur de football. »
Et Umenyiora apprend vite. Junior, dès sa première saison de footballeur, il empile les minutes de jeu et progresse significativement semaine après semaine dans un rôle de défenseur de ligne où il impose ses kilos et sa vitesse à défaut d’épater par son talent pur. Sous le noir et bleu des Tigers, il se lie d’amitié avec un gamin du coin. Un natif d’Auburn. DeMarcus Ware. Un autre futur chasseur de quarterbacks de la NFC Est qui ne lâchera plus son nouveau pote jusqu’à ce que la NFL les sépare à moitié. Pendant 4 saisons, sous deux uniformes différents, les deux pass rushers vont chasser le même gibier. À l’époque l’ado est nettement plus dodu. Avec 20 de kilos de plus que son poids de forme professionnel, Osi prend de la place au coeur de la ligne, mais aussi dans le bus jaune qui les ramène chez eux après l’école ou les entraînements.
« Au lycée, c’était un gros bonhomme, il devait faire 130 ou 135 kilos, » révèle DeMarcus Ware à Greg Garber d’ESPN en janvier 2008. « Il jouait defensive tackle et quand il était assis juste à côté de moi dans le bus, je pouvais presque pas bouger. »
Il faut attendre sa deuxième année de lycéen pour que le Londonien de naissance et ses coachs prennent conscience du potentiel qu’il dissimule en lui. Même à cette époque, Osi se souvient de lui comme d’un footballeur lambda pourtant. « Jusqu’à ce que j’arrive à l’université, je n’étais pas un très bon joueur. » Et c’est le moment qu’Ejimofor et Nkem, alarmés par des notes loin des standards d’excellence de leur petit frère, choisissent pour le retirer de l’équipe, craignant que le football soit la cause de cette inquiétante dégringolade. Pendant deux semaines, Osi plaide vainement sa cause auprès de son frère et sa soeur. D’abord inflexibles, ils finissent pourtant par céder, à contrecoeur, et l’ado retrouve vite les terrains.
« Notre éducation n’a jamais fait du sport une perspective d’emploi, » explique Ejimofor à Sports Illustrated en 2008. « C’était un loisir. J’étais absolument contre le fait de le laisser joueur au football. Mais avec le recul, je pense que c’était une bonne chose finalement. »
En sortie de lycée pourtant, nose tackle sans record marquant ni fait d’arme renversant au CV, il n’est rien. Personne. Pas de physique délirant. Pas de qualités athlétique à faire saliver les scouts. Pas de potentiel technique bavant. Il n’est qu’un gamin ordinaire parmi des milliers d’autres. Mais en dépit d’un pedigree académique éblouissant, l’ado est déjà résolu à tout faire pour embrasser une carrière de footballeur. Seulement, aucun programme ne se manifeste et Osi, résigné, envisage de s’inscrire à Auburn et de tenter de se faufiler dans l’équipe. Walk on. Jusqu’au jour où il croise Tracy Rocker dans les couloirs de son lycée. « Je vais devenir joueur pour vous. » Culotté, le Londonien aborde l’ancien Tiger et Red***n devenu recruteur de Troy, dans le sud de l’Alabama, avec un aplomb déconcertant. Pris de cours, Rocker lui donne le bénéfice du doute, se penche distraitement sur ses bandes de vidéo et en ressort perplexe. Le gamin est incapable de se rendre au quarterback et ne plaque presque jamais. Pourtant, il ne met jamais le frein à main, courant après le porteur de ballon sans relâche, sans jamais dégager le moindre signe d’épuisement ou de renoncement. « S’il est prêt à faire autant d’efforts, alors je suis prêt à lui donner une chance, » se dit le scout, séduit par ses trois poumons et son énergie à défaut de l’être par son talent.
Garçon éloquent, élève brillant en classe, il brûle quelques étapes et n’a que 16 piges quand il débarque sur le campus spartiate de Troy dominé par sa statue de soldat troyen, une bourse d’études inespérée quelques semaines plus tôt en poche. Un programme qui découvre le plus haut niveau universitaire en 2001. Redshirté pour sa première saison, il est ensuite baladé de l’intérieur à l’extérieur de la ligne défensive pendant deux ans à mesure que sa silhouette s’affine et que son confortable gras se transforme en muscle tonique. Jusqu’à ce samedi 19 octobre 2002. Entre deux roustes face à des gros calibres et une victoire face à du menu fretin, les Trojans se présentent sur la pelouse de Marshall avec un piètre bilan. Face à Osi ce jour-là, sur le flanc de la ligne de mêlée, Steve Sciullo, gros bébé de près de 2 mètres qui n’a plus concédé le moindre sack depuis 2 ans. « Aucun sack en deux ans. » Un refrain que lui a martelé le coach de la ligne défensive durant toute la semaine de préparation. Dans le 2e quart, Umenyiora met les gaz, dépose le bloqueur, écrabouille Byron Leftwich au sol et revient vers le banc en beuglant, « Je l’ai eu ! Je l’ai eu ! » Le déclic. « Ce match a tout changé, » considère Mike Pelton, coach de la D-line. « C’est à partir de ce moment-là qu’il a décollé. »
Quand la triste saison collective rend son dernier souffle, Osi a raflé 20,5 plaquages pour perte, commencé à développer un instinct de chasseur redouté et fait tourner quelques têtes en dézinguant 4 fois le pauvre quarterback de Florida A&M. En 2003, pour sa dernière année sous le rouge cardinal des Trojans, épaulé par son sophomore de pote DeMarcus Ware, pistonné par les bons mots d’Osi, à l’autre bout de la ligne, il empile 15 sacks qui font de lui le deuxième pass rusher le plus prolifique de toute la FBS. Paire de pass rushers redoutable, terrifiante même pour des passeur adverses pris en tenaille, les deux joueurs entretiennent une complicité de tous les instants, malgré quelques accrocs parfois. Comme ce jour où Osi vole un sack au casque et au plastron de son pote après avoir pris soin de l’envoyer dans le décor.
« Juste avant que le ballon soit snappé, nous regardions toujours l’un vers l’autre pour nous dire, ‘Qui se rend jusqu’au quarterback le premier ?’, » se souvient DeMarcus auprès d’ESPN. « Sur l’action, on déboule tous les deux de chaque côté de la ligne et on est à deux doigts de se rentrer dedans, quand soudainement, il m’écarte et s’offre le sack. »
Pris de vitesse par un type moins rapide que lui. En deux saisons, ce lycéen rondouillard dont personne ne voulait échoué dans un programme qui se débattait encore en 2e division deux ans plus tôt s’invite sur les boards de franchises en quête de muscle sur la ligne. Malgré sa métamorphose et ses prouesses, pas d’invitation pour le Combine d’Indianapolis. Un oublie dur à avaler pour Osi. Mais pas de quoi ébranler l’immense fierté de Larry Blackeney, son coach, à l’égard de son protégé.
« Ça a été un plaisir de le coacher et de le regarder jouer, un super gamin et un étudiant brillant. Il a dignement représenté l’Université de Troy. »
À l’autre bout du monde, dans l’ombre de Big Ben, Chinelo Chukwueke, sa mère avec qui il a renoué contact pour la première fois depuis le divorce il y a seulement deux ans, ne capte rien. Dépassée par les événements. Elle n’a jamais vu jouer son fils et ne pige rien à ce sport de brutes si décousu. La seule fois où son père traverse l’Atlantique pour venir le supporter à Troy, il reste dans la chaleur réconfortante de sa voiture tout le match, pétrifié le froid glaçant qui s’est emparé de l’Alabama. Pas un temps à mettre un Nigérian dehors. Si ses frères et soeurs eux aussi expatriés ne sont pas totalement hermétiques à ce sport et aux prouesses de leur frangin, sa famille élargie commence tout juste à saisir le sens du mot sack.
New York State of Mind
Le dernier week-end d’avril, son nom retentit en fin de deuxième tour. Deux choix après l’immense Anquan Boldin. 56e homme d’une cuvée 2003 absolument indécente de talent défensif, mais pas que. Si les premiers tours Michael Haynes et Jerome McDougle rejoindront vite la cohorte des busts, les patronymes d’Osi Umenyiora, du top 10 Terrell Suggs et 5e tour Robert Mathis n’ont pas fini de résonner dans les micros des commentateurs et les casques des malheureux quarterbacks qui croiseront ces moissonneuses-batteuses de chaire et de sang sur leur chemin.
Un an plus tard, jour J de la draft 2004, en pleine bataille d’enchères avec les Chargers pour s’adjuger les droits d’un Eli Manning en pleine crise d’ado, la franchise de San Diego sent l’appétit lui tordre l’estomac et demande à ce qu’Umenyiora soit inclus dans le deal. Refus catégorique du manager général des Giants.
« Ça aurait été une fin de non-recevoir, » reconnaît Ernie Accorsi. « Il était hors de question de monnayer Umenyiora. »
Après une première saison de rodage où il amoche son premier quarterback sur le gong, dans un ultime match sans enjeu pour des Giants à la rue, Osi intègre peu-à-peu la rotation, enchaîne les matchs, dont quelques titularisations de moins en moins exceptionnelles, et coche régulièrement la ligne sack de sa fiche statistique. 7 fois en 2004. Investi titulaire l’été suivant, il double son total de sacks et fait sentir sa présence sur une ligne musclée où il parade aux cotés du monstre Michael Strahan et de Justin Tuck, rookie plein d’avenir en provenance de Notre Dame.
À New York, symbole d’un multiculturalisme américain qui lui va si bien, Osi s’épanouit. Lui, le Londonien élevé à la nigériane et pur produit de ce foot sudiste viril et intemporel. Lui et son accent hybride, aux lointains relents cockney, sonorités africaines et notes trainantes typiques du Vieux Sud. Un triple héritage dont il est immensément fier et qui aura forgé l’homme comme le footballeur.
« J’ai l’impression de venir d’un peu partout, » confie-t-il à Sports Illustrated en 2008. « De toutes les places où j’ai vécu, j’ai su retirer quelque chose de différent. J’essaye de représenter au mieux chacune d’elles. »
Rapidement, le gamin de 22 ans se lie d’une amitié sincère avec le vieux briscard de l’autre bout de la ligne, lui aussi passé par l’étape expatriation dans sa jeunesse. À presque 32 piges, la réputation du recordman de sacks Michael Strahan, passé puis repassé par Mannheim, en Allemagne, au cours de son adolescence, n’est plus à faire. En Osi, il se trouve plus qu’un protégé, mais presque un petit frère. Voire le miroir de son propre passé. « Plus nous parlions, plus nous réalisions que nous étions presque la même personne, » raconte l’homme aux 22,5 sacks en 2001. Sur le terrain, la paire rend les coordinateurs adverses dingues.
En 2007, semaine 4, petit format d’un mètre 91 dans l’ombre des grattes-ciel de la ligne offensive, il va faire vivre un calvaire au mètre 98 de Winston Justice, titularisé pour palier l’absence du double mètre de Tran Thomas. Devant sa télévision, impuissant, le blessé se fait vite du mouron pour ce gamin qui vit seulement sa deuxième titularisation.
« Quand tu te retrouves face à Osi, il se positionne toujours très loin, à un ou deux mètres de toi, » explique le tackle de Philadelphie dans les pages de Sports Illustrated. « Il adopte la position de départ très basse des sprinteurs et gicle des starting-blocks. Si tu ne réagis pas au quart de tour sur le hut, il est déjà derrière toi. »
Aligné côté faible comme à son habitude, Osi va s’empiffrer de dégoulinants Big Mac’ toute la soirée. Une première fois. Une deuxième. Une troisième. Philly a beau réquisitionner du renfort pour un tackle dépassé et un McNabb abandonné en assignant un running back sur un flanc gauche défaillant, rien n’y change. Une quatrième fois. Une cinquième. Un sixième fois. Repu, Osi effleure des doigts les 7 scalps records de la légende Derrick Thomas en 1990 et transcende un pass rush qui égale la meilleure marque de 12 sacks en une seule partie. De quoi éveiller l’appétit d’un DeMarcus Ware qui ne manque pas de lui filer un coup de fil de félicitations après le match et tente malicieusement, mais vainement de lui extorquer le secret pour bouffer du burger d’Aigle à volonté. Épuisé par ces efforts de mammouth répétés sans cesse, Umenyiora a besoin d’une intraveineuse avant la pause pour remplir une jauge d’énergie qui se consume à toute vitesse. Sur le chemin du vestiaire, il croise le regard de l’immense Lawrence Taylor. Jamais il ne l’a rencontré avant ce jour-là. Il hoche la tête dans sa direction. Le mythique numéro 56 lui rend la pareille. Un frisson traverse la colonne vertébrale du natif de Londres. « C’était un moment incroyable. C’était comme si son esprit était en moi. » Sous les yeux du mythe en personne, Michael Strahan s’invite au festin et devient le meilleur sackeur de l’histoire des Giants en engloutissant le 133e quarterback de sa carrière.
Trois semaines plus tard, Umenyiora agrippe un ballon égaré et cavale à toute berzingue pour signer le premier touchdown de sa vie de pro, 75 yards plus loin. Au sein du meilleur pass rush de la ligue, dans le sillage d’un Michael Strahan qui vit ses dernières heures de footballeur, Osi signe 13 sacks et malgré les 20 interceptions d’Eli Manning, les Géants s’invitent en playoffs sans grande pression.
Le 13 janvier 2008, une semaine après avoir franchi le premier obstacle en coulant le galion des Bucs à Tampa, les Giants pénètrent dans un Texas Stadium au crépuscule de sa vie pour un choc inédit en playoffs dans l’histoire de la rivalité entre Géants et Cowboys. À quelques heures du coup d’envoi, sur l’iconique synthétique d’Irving, dans la banlieue de Dallas, Osi et DeMarcus s’étirent nonchalamment en tapant la discute. Une rencontre d’anciens élèves improvisée pour les deux inséparables.
« On va se marrer du fait de se retrouver inexplicablement là, » anticipait le New Yorkais au micro d’ESPN le mercredi précédent. « Quand vous voyez d’où l’on vient et les parcours qu’on a dû emprunter pour en arriver là, c’est délirant de se dire qu’on fait tous les deux partie des pass rushers les plus craints de la ligue. »
Osi restera muet, DeMarcus s’offrira un sack de consolation et Eli Manning fera une nouvelle fois parler son incroyable mojo pour envoyer les Giants dans la toundra de Green Bay malgré un Marion Barber des grands jours au sol côté Cowboys. Le dimanche suivant, sur la banquise du Lambeau Field, le vent fait descendre le mercure jusqu’à -30 degrés mordants en ressentie. Le jeu au sol des Packers annihilé, l’éternel Brett Favre transformé en Mr. Freeze, les New Yorkais doivent pourtant s’en remettre à la patte de Lawrence Tynes en prolongation pour décrocher leur billet pour un Arizona bien plus clément pour les organismes. Sept ans plus tard, il est temps d’effacer la déculottée du Super Bowl XXV. En travers de leur chemin, des Patriots en route vers l’histoire. En quête de la saison parfaite.
Après 45 minutes de jeu, les Giants n’ont inscrit que 3 petits points dans une finale électrisante où l’enjeu est en train de mettre une dérouillée au jeu. Loin du blockbuster Hollywoodien, le Super Bowl XLII est en train d’accoucher d’un polar captivant, un thriller au suspense suffocant et au dénouement renversant. En face, ce n’est guère mieux et les Patriots tentent fébrilement de conserver leur maigre avance de 4 points acquise grâce aux jambes lourdes de Laurence Maroney. Après un 3e quart vierge de tout point, David Tyree (retenez son nom) saisit une flèche d’Eli sous les poteaux et le stade gronde de bonheur. Sentant l’Histoire leur échapper, Tom Brady et Randy Moss répliquent dans le coin droit de la peinture bleu Pats. 14-10. Il reste 2 minutes, 39 secondes et 83 yards à Eli pour écrire son histoire.
Une première passe qui fait avancer les chaînes, deux qui ratent leurs cibles, une quatrième trop courte dans les gants d’Amani Toomer, un 4e essai et un au forceps du roc Brandon Jacobs, 5 yards au ralenti de Manning, un lancer qu’Asante Samuel aurait dû intercepter, puis la 4e dimension. Sur le banc, Osi tremble comme une feuille, le palpitant sur le bord de lâcher. Quand Eli Manning se retrouve embarqué dans un tourbillon de bras dont il est impensable qu’il en réchappe, le defensive end détourne le regard, écoeuré. Vide. Puis soudain, tout autour de lui, des éclats de voix. Un bruit assourdissant s’empare d’un University of Phoenix Stadium au bord de l’asphyxie. Dans les bras de David Tyree, le ballon. Comment est-il arrivé là ? Umenyiora n’en a pas la moindre idée. Il lui faut les ralentis projetés sur les écrans géants du stade pour prendre la mesure de l’action invraisemblable qu’il vient de manquer. 20 secondes plus tard, Eli Manning délivre un délicieux fade vers un Plaxico Burress sans opposition après un double move tout en finesse létal. Le stade explose. Joe Buck est presque excité. En loge, Peyton est à deux doigts de faire péter les boutons de sa chemise parfaitement repassée pour l’occasion. Osi est aux premières loges pour voir Jay Alford aplatir Tom Brady une dernière fois et sceller l’issue du match sur un dernier drive désespéré. 17 ans après leur deuxième sacre, les Giants l’emportent. L’Histoire n’a pas eu lieu.
À Hawaï sept jours plus tard, Osi retrouve DeMarcus Ware avec un sentiment partagé. Encore sur son petit nuage, excité comme une puce de pouvoir raconter cette dinguerie à son pote, il va devoir aligner les billets verts pendant toute la semaine. La faute à un pari perdu. En début de saison, les deux pass rushers ont signé un pacte : celui qui amasse le plus de sacks se fait payer la traite à Honolulu en cas de carton d’invitation au Pro Bowl. Résultat : Ware 14 – Umenyiora 13 et une double polémique.
« J’ai vraiment réalisé 14 sacks cette année, je le jure, » garantit Osi. « Mais ils m’en ont volé un. »
Le 11 novembre face à Dallas, le numéro 72 s’offre l’undrafted Tony Romo. Seulement, Wade Phillips n’est pas de cet avis et va pousser le vice jusqu’à envoyer un courrier accompagné d’une bande vidéo de la séquence litigieuse à la ligue expliquant que le quarterback était en train de glisser le ballon dans les bras de son coureur et qu’il s’agit donc d’un simple plaquage. Quelques jours plus tard, le NFL donne raison au coach des Cowboys et un sack est retiré de la fiche statistique d’un Umenyiora qui crie au complot et suspecte DeMarcus de se dissimuler derrière cette sinistre magouille.
« L’affaire se corse, » témoigne un Osi tout sourire quelques semaines plus tard. « Si je devais mettre mon argent dessus, je dirais clairement que DeMarcus est derrière tout ça. Pas l’ombre d’un doute, c’est de la faute de DeMarcus. »
Des allégations calomnieuses que le Texan rejette en bloc et le rire aux lèvres. « C’est faux. Je n’ai rien à voir avec ça. » Surtout, dans ce jeu de poker menteur bon enfant, Ware a lui aussi un atout dissimulé dans sa manche.
« Et si on parlait du match de Green Bay. Je sacke Brett Favre et ils prétendent que je suis hors-jeu. Ils m’ont envoyé une lettre d’excuse disant que je n’étais pas hors-jeu. Donc ça fait 15-14. »
Une amitié malgré la rivalité qui s’invite même dans le vestiaire des G-Men, quand des coéquipiers tombent sur des highlights de la machine à sacks de Dallas et qu’Osi n’en finit plus de vanter les qualités de celui que ses partenaires en bleu appellent sa « petite amie. »
On remet ça ?
Quelques mois après le triomphe sablonneux de Glendale et la note salée d’Hawaï, Osi et les Giants s’envolent pour une grande première : une virée londonienne. Dans un Wembley flambant neuf inauguré au printemps, les New-Yorkais espèrent bouffer du Dauphin et enchaîner un 6e succès consécutif. Pour Osi, l’occasion de retrouver sa ville natale. Pour Plaxico Burress, la plus grande confusion. « Je croyais que tu venais d’Afrique. Tu viens juste de partout maintenant. » Un citoyen du monde. Un vrai londonien. Pas comme Brandon London, receveur de l’équipe réserve au patronyme trompeur qui n’a jamais été « plus loin qu’Hawaï, » selon ses dires.
« J’ai un passeport britannique, » confirme-t-il au Daily News le 25 octobre 2007. « Je n’ai pas de passeport nigérian en fait. Mais mes parents sont nigérians et j’ai été élevé dans la tradition nigériane. Alors je suis un vrai Nigérian. Mais en réalité je suis britannique. »
Au printemps dernier, Osi a même été fait chef honoraire d’Ogbunike. Un titre princier intimidant qu’il peine à assumer, mais un moment chargé d’émotion pour lui qui retrouvait la terre de ses ancêtres pour la première fois depuis son exil américain, près de 15 ans plus tôt. Un privilège rare pour quelqu’un de si jeune précise Ejimofor, son frère aîné. Un geste de remerciement pour les 30 bourses d’études délivrées par ses soins chaque année à des jeunes écoliers du coin.
Ce 28 octobre 2007, dans la boue d’un Wembley arrosé d’un crachin typiquement londonien et sous les yeux de Chinelo, son frangin venu spécialement du Nigéria, de sa mère, une première, et d’une trentaine d’autres proches et amis conviés à ses frais par Umenyiora, les Giants l’emportent péniblement et Osi doit se contester de deux petits plaquages dans une purge dont seuls les 80 000 spectateurs massés dans le temple du soccer britannique se souviendront. Strahan parti à la retraite, Justin Tuck assure le show sur la ligne, mais les G-Men sont éjectés des playoffs dès leur premier match par leurs dauphins de division de Pennsylvanie.
En 2011, Umenyiora boude le camp d’été quand les Giants s’asseyent sur leur promesse de renégociation de son contrat. Dans l’impasse, il se résigne à jouer la saison sans revalorisation salariale. Vétéran de 30 balais, Osi retrouve son costume de mentor abandonné depuis ses années à Troy, quand il abreuvait DeMarcus Ware, son cadet d’un an, de conseils en tout genre. Son poulain, un buffle de près de deux mètres et 125 kilos drafté en 15e position un an plus tôt. Après une année d’acclimatation, suivant l’exemple d’un Justin Tuck qui rafle 10,5 sacks, Jason Pierre-Paul se paye 16,5 sacks, le Londono-Nigeriano-Sudiste 9 malgré quelques pépins physiques. Eli réalise la saison la plus aboutie de sa carrière, les Giants raflent le titre d’une NFC Est fidèle à elle même et les New-Yorkais s’engagent dans une folle épopée qui rappelle étrangement quelques souvenirs. Les Falcons plumés sans opposition, les Packers écoeurés dans leur frigo à ciel ouvert, les G-Men arrachent le billet pour Indianapolis sous le soleil de San Francisco, au terme d’une finale de conférence hollywoodienne. Entre eux et le trophée Vince Lombardi, de vieilles connaissances. Bill, Tom et des Pats revanchards.
Dans une finale verrouillée où Justin Tuck parvient à tirer son épingle du jeu à l’inverse d’un Osi neutralisé, les Giants refont le coup aux hommes de la Nouvelle-Angleterre. Pas de casque cette fois-ci, mais des pieds de ballerine en bord de terrain. Ceux de Mario Manningham. Mêmes frissons. Même scénario dantesque. Même joie. Dans un vestiaire où s’invitent la légende Michael Strahan et le chanteur Seal, qui concède avoir un faible pour les Pats de son ami Tom Brady, Osi, déjà habillé en civil, répond calmement aux journalistes, quelques jours après avoir snobé le media day des Géants pour la modique somme de 20 000 dollars. Quand on l’interroge sur son avenir après une saison constellée de blessures, il esquive la question et préfère anticiper la fiesta qui s’annonce.
En février 2013, à quelques semaines de rejoindre les Falcons, Osi passe une troisième bague à sa main. Après deux titres mondiaux, un titre universel. Il se fiance avec Leila Lopes, une charmante Angolaise élue Miss Univers en 2011. Une histoire d’amour qui réunit tous les ingrédients pour faire les gros titres des magazines de caniveaux, mais qu’Osi s’efforce de banaliser en dépit d’un mini-scandale alimenté par un faux compte Instagram.
« Vous savez, je suis juste un type qui ne manque pas de confiance, » réplique-t-il lors que le Guardian l’interroge sur leur rencontre en février 2017. « J’étais à New York à cette époque, elle était aussi à New York à cette époque… J’étais joueur de football, on s’est rencontrés, on a parlé et on a connecté. C’est une femme comme une autre, je suis un homme comme un autre et c’est dans cet état d’esprit que je l’ai abordée. »
Après une décennie New Yorkaise lumineuse, Osi rejoint des Falcons en pleine crise identitaire après des échecs à répétition en playoffs. En deux saisons sans éclat en Georgie, il ajoute 10 sacks et est le témoin privilégié de la lente déchéance d’un Mike Smith en manque d’idées. En 2014, il choisit de tirer sa révérence dignement. Au printemps suivant, il épouse Leila à Luanda, ville de naissance de sa nouvelle épouse, et se reconvertit en consultant au micro de BBC Sport. Un rôle où son esprit vif, sa tête bien remplie, sa passion du jeu et sa connaissance du terrain en font vite une référence multi-récompensée outre-Manche. Prince dans son village d’origine. Prince sur la ligne défensive. Dans son siège de commentateur, il se découvre un nouveau royaume à la mesure de son talent.