Un mythe. Une légende. Une référence. Mais surtout, un homme. Un homme pour lequel le football ne se résume pas à accomplir la tâche qui lui est échue. Non, être footballeur, c’est faire tout son possible pour aider son équipe. Se donner corps et âme. Dans des 90’s aux allures d’âge d’or de la NFL, Rod Woodson va se muer en dieux vivant. « God » Woodson, le cornerback qui voulait tout faire. Le cornerback qui savait tout faire.
Du chaudron à l’aciérie
Dernier rejeton d’une fratrie de trois unie comme les doigts de la main, Rod grandit à Fort Wayne. Après une enfance à éclabousser les terrains locaux de ses talents précoces, M. Football Indiana 1982 choisit de rejoindre l’université de Purdue. Une décision pas seulement sportive. Car si sa vie bat au rythme du football, il pense déjà à un plan de secours et envisage de poursuivre des études en électrotechnique. Joueur explosif, il est baladé aux quatre coins du terrain. Essentiellement cornerback et retourneur de coups de pied, il est parfois utilisé comme coureur ou receveur. Tout est prétexte à exploiter ses qualités athlétiques. All-American defensive back en 85 et 86, All-American kick returner en 86, il apparaît trois fois dans l’équipe type de la Big Ten. Tout sauf un hasard.
Il achève sa carrière universitaire en apothéose. Le décor est parfait. Un match face aux rivaux d’Indiana. La performance de Rod Woodson est stratosphérique. 150 yards cumulés au sol et dans les airs, 10 plaquages, un fumble forcé et un succès à la clé contre les Hoosiers. Avec 11 interceptions, il égale le record des Boilermakers. Un parmi tant d’autres. C’est avec pas moins de 13 records en poche qu’il quitte la fac de Purdue. Plaquages solo, passes détournées, yards sur retour d’engagement. Tout y passe. À l’époque déjà, Cris Carter et les Buckeyes croisent son chemin et se rendent à l’évidence : le gamin est un spécimen hors norme.
« La vitesse n’était pas un problème pour Woodson. La taille non plus. À quel coin du terrain N’aurait-il pas pu jouer ? C’était un athlète phénoménal, » se souvient l’ancien Eagle et Viking.
Non content de briller sur les terrains de football, il fait parler sa vitesse sur les pistes d’athlé. Pendant 10 ans, il détiendra le record universitaire du 60m haies. Il faudra attendre 2009 pour que ses records de Purdue des 60 et 110m haies soient effacés. Diplômé en criminologie, il se qualifie aux trials U.S. pour les J.O. de 1984. Mais son cœur est ailleurs. Sur les gridirons. Direction la NFL. Adieu l’aventure olympique.
Deux saisons dans le rouge, une défense tombée au 18e rang, Pittsburgh a besoin de renouer avec sa longue tradition. Celle du Steel Curtain et des défenses de fer. Avec le 10e choix général en 1987, les Steelers draftent Rod Woodson et se dotent d’un défenseur impulsif et explosif. Une évidence. Pourtant, Chuck Noll a beau être un fan absolu du joueur et vouloir en faire la pierre angulaire d’un secondary en plein chantier, il avait déjà renoncé à mettre la main dessus. Trop loin. Trop d’équipes devant Pittsburgh se feront une joie d’enrôler l’ancien Boilermaker. À tel point qu’il indique à son coordinateur défensif Tony Dungy de ne pas perdre son temps à faire un rapport sur le cornerback. Et pourtant. Un trade up des Browns pour drafter un futur bust, une tradition de longue date dans ce coin de l’Ohio ; des Bills et Cards qui lui préfèrent un quarterback et un linebacker. Le scénario idéal se précise. Le 10e choix arrive. Rod Woodson est encore disponible. Plus pour longtemps. Bienvenue chez les Hommes d’acier.
Birth of a legend
Si l’idylle durera 9 ans, le début de l’aventure est houleux. Contractuellement, les deux parties galèrent à s’entendre et Woodson ratera tout le camp d’entraînement. D’aubaine, Rod s’est mué en casse-tête. Il faudra attendre le 28 octobre 1987 pour que tout rentre enfin dans l’ordre. Une éternité. Pendant ce temps-là, loin des terrains, il se dégourdit les jambes sur les pistes d’athlétisme européennes, s’offre les quatre temps de référence sur 110m haies cette année-là et décroche une poignée de breloques. Un athlète hors norme. De quoi faire enrager Chuck Noll et les Steelers. Il ne jouera que 8 rencontres pour son année de rookie. Pourtant, son impact est instantané. Inarrêtable sur les équipes spéciales, il fait parler son flair en tant que nickel cornerback. Il colle aux receveurs pareil à une ombre hostile, menaçante.
« En tant que cornerback, tu dois être le meilleur athlète sur le terrain, » racontait Woodson. « Tu te retrouves seul à seul avec le receveur. Tu dois courir en arrière, ce qui n’a rien de naturel, te retourner et sprinter à la seconde où le receveur accélère, le coller à la foulée près quand il est lancé à pleine vitesse. »
Le 22 novembre, il signe la première interception de sa carrière. La victime : Boomer Esiason, le passeur des Bengals. Une interception pleine d’opportunisme qui s’achève dans la endzone. 45 yards plus loin. Le début d’une longue liste. Une liste de 42 noms. De Joe Montana à Warren Moon en passant par Peyton Manning. Une légende est née.
Rod Is God. Pendant des années, la banderole pendouillera sur l’un des balcons de feu le Three Rivers Stadium. Rod s’est trouvé une ville d’adoption, Steel City, un nouveau héros. Peu à peu, au gré de ses exploits, il se hisse au rang de référence. En défense, comme dans l’art de remonter le terrain à toutes enjambées. En 94, pour célébrer son 75e anniversaire, la NFL dresse une équipe type. Avec seulement 7 ans d’expérience au compteur, il rejoint Jerry Rice, Joe Montana, Ronnie Lott et Reggie White dans le cercle fermé et élitiste des joueurs actifs à figurer sur cette prestigieuse liste.
En 95, en semaine 1, tout aurait plus basculer. Rod Woodson se déchire le ligament croisé antérieur en essayant de barrer la route à l’indomptable Barry Sanders. Son pied reste planté dans un terrain encore neuf, son genou tourne, Barry s’enfuit. Saison terminée. Du moins le croit-on. S’accrochant à un miracle, le coach Bill Cowher décide de ne pas le placer sur la liste des blessés. Une chance, aussi infime soit-elle. Il lui doit bien ça. 19 semaines plus tard, Rod est de retour. Un miracle. Un cas unique dans l’histoire de la NFL. Remonté et déterminé comme jamais, il est prêt à en découdre avec la machine à gagner texane de Troy Aikman, Emmitt Smith et Michael Irvin. Lorsqu’il coupe une passe à destination de Irvin, il se redresse et pointe son genou, excité comme jamais. Toute son énergie n’y fera rien. Les Cowboys sont trop forts et le Super Bowl XXX lui échappe. Pour la première fois de leur histoire, les Steelers viennent de perdre le Big Game.
Inarrêtable, inoxydable
Chasseur de ballons hors pair, il est aussi un redoutable plaqueur. Warren Moon en payera les frais. Victime d’un sack made in Blitzburgh, il sera contraint de quitter le match prématurément, commotionné. « Au moins 20 minutes de ce match on disparu de ma mémoire, » se souvient le passeur des Oilers. Car Rod ne se contente pas de la couverture à laquelle il est assigné. Non, sa définition du poste de cornerback est bien plus large et implique une dévotion totale, aux quatre coins du terrain. Se frotter à plus grand et plus fort que lui ? Même pas peur.
« Si tu veux être le meilleur cornerback, tu dois aussi savoir jouer comme un linebacker, » expliquait-il. « Tu dois défier les guards et tackles, rentrer dans les tight ends et running backs. La plupart des cornerbacks, s’ils sont honnêtes, vous diront, ‘Je suis juste un gars de couverture. Je veux pas me jeter dans la mêlée.’ Mais tu ne peux pas rester spectateur. Si tu ne te donnes pas à 100% sur chaque action, c’est ce qui coûtera la victoire au bout du compte. »
En 96, après de longues années de sédentarité et de fidélité, il s’en va. En cause, un conflit salarial avec la famille Rooney et un salary cap qui impose certains sacrifices. Rod se mue en nomade. Un bref passage chez les Niners, trois années auréolées de succès chez les Ravens et un ultime baroud d’honneur à Oakland, le temps de deux saisons. Vieillissant, il suit les pas du serial hitter Ronnie Lott et se reconvertit en safety sur conseil d’un Marvin Lewis qui s’apprête à faire de Chris McAllister le premier choix des Ravens lors de la draft 1999. Un véritable succès. S’il quitte les Steelers, il ne quitte pas une ville de Pittsburgh à laquelle il est viscéralement attaché. Chaque semaine, il grimpe dans un avion direction la Pennsylvanie pour y retrouver sa femme et ses cinq enfants.
À Baltimore, il va enfin toucher au Graal. Au sein d’une défense emmenée par un Ray Lewis habité comme jamais, il éteint des Giants tétanisés (34-7). Le doigt serti d’une bague de champion, il file vers le côté obscure de la baie de San Francisco. À 37 ans et pour la première fois de sa longue carrière, il est le meilleur intercepteur de la ligue (8). Une défaite d’anthologie face aux Bucs lors du Super Bowl XXXVII, puis une ultime saison aux allures de jubilé. Le 16 novembre 2003, il signe la dernière interception de sa carrière. Daunte Culpepper enfile le costume d’ultime victime. Clap de fin sur 17 années record. 71 interceptions (3e de l’histoire), 32 fumbles recouverts, 17 touchdowns et des yards en pagaille sur retours de toutes sortes. Fumbles, interceptions, punts ou engagements. 13,5 sacks et plus d’un millier de plaquages. 11 fois Pro Bowler, 7 fois All Pro, il entre au Pro-Football Hall of Fame dès sa première année d’éligibilité, en 2009. Une évidence pour un boulimique de chiffres. Un monstre. Pour certains, le meilleur de tout les temps dans son domaine.
« Il n’y a jamais eu de joueur de football plus complet que lui – aucun cornerback, defensive tackle, receveur, quarterback ou peu importe, » tranche un Dick LeBeau peu objectif. « Il pouvait tout faire. »
Leader par l’exemple. Il récolte l’admiration et le respect de ses coachs et génère une émulation indéniable auprès de ses partenaires.
« Je ne pense pas que vous puissiez rêver joueur plus physiquement talentueux et mentalement déterminé que lui, » se souvient Marvin Lewis, son coach à Baltimore. « Il était bon partout. C’était un coéquipier remarquable et un grand joueur qui n’avait pas peur d’être envoyé en première ligne. Il n’avait pas peur d’être le gars qu’on jetait au front à chaque fois, il acceptait ce rôle. »
Un mythe. Une légende. Une référence. Un soldat dévoué.