Nom : Lott. Prénom : Ronnie. Profession : tueur à gages. Théâtre d’opérations : les prés carrés (façon de parler) de la NFL. Années d’activité : 1981-1995. Au cœur des années 80, mieux vaut ne pas croiser le chemin des 49ers. Comme si Bill Walsh, sa West Coast et son Joe Montana ne suffisaient pas, il rôde dans le fond de leur défense un être que vous préférerez éviter à tout prix. Un fauve à l’affût, un plaqueur infatigable et surtout impitoyable. Si vous tenez à vos côtes, tenez-vous loin de lui. Si vous avez le malheur de vous aventurer dans son territoire, serrez bien les dents.
California dreaming
Même pas majeur, mais déjà star. Dès ses années de lycée du côté du sud de la Californie, Ronnie se fait remarquer, se distingue des autres. Il est le meilleur joueur de son équipe. Tout simplement. Receveur titulaire en deuxième année, receveur et safety la saison suivante, puis une campagne de senior à jouer safety et quarterback. Il parfait sa connaissance du jeu des deux côtés du ballon. On est jamais meilleur que quand on connait son ennemi. Et Ronnie ne le sait que trop bien. Ses talents d’athlète ne laissent pas indifférents et c’est sans grande surprise que USC lui propose une bourse d’études. Il en ressortira 4 ans plus tard, un diplôme en administration publique sous le bras. Entre temps, il aura fait le bonheur de Trojans alors au sommet du football universitaire.
Quand ils débarquent à USC, Ronnie Lott et sa polyvalence n’ont pas de véritable poste. Et ils ne sont pas les seuls. La future star des Raiders, Marcus Allen, offre lui aussi une versatilité qui a de quoi faire réfléchir le staff. Safety. Running back. Les deux joueurs sont capables d’évoluer à chacun des deux postes. Mais il faut trancher. Après mûre réflexion, le head coach John Robinson s’est décidé et demande à Ronnie de jouer en défense. La raison est simple : il plaque mieux que son coéquipier. Le stratège a eu le nez creux et les deux hommes vont largement contribuer aux belles années de USC. Un titre national en 1978, deux Rose Bowls les années suivantes, le capitaine et leader de la défense des Trojans a rapidement marqué son emprunte.
Après 4 saisons passées à assoir un peu plus son statut de défenseur intraitable et une étiquette de All-American collée au casque, il ne tarde pas à entendre son nom retentir le jour de la draft. Avec le 8e choix général, les 49ers se dotent d’une tour de contrôle dans le fond de leur défense. Son impact est immédiat et avant même que le camp d’entraînement ne débute, Ronnie, son mètre 83 et ses 92 kilos ont fait main basse sur le poste de cornerback gauche titulaire. Plaqueur redoutable, c’est son instinct dans les airs, son flair pour les interceptions qui va le faire exploser lors de sa saison de rookie. En leader d’un secondary jeune, mais talentueux, il vole 7 ballons et en retourne 3 jusque dans la peinture. Il est seulement le second débutant dans l’histoire de la NFL à convertir autant d’interceptions en touchdowns. Il n’en marquera que deux de plus jusqu’à sa retraite. Les 49ers raflent le Super Bowl XVI et Ronnie Lott échoue à la deuxième place pour le titre de Rookie Défensif de l’Année. Derrière un autre phénomène. Un certain Lawrence Taylor.
Juste un doigt s’il vous plaît
Baladé aux quatre coins du fond du terrain au cours de sa longue et prolifique carrière, il pose ses valises dans l’arrière garde en 1984. Après 4 années à jouer les têtes chercheuses aimantées par le cuir, il est repositionné en free safety. Avec la liberté de couvrir tout le terrain, il va faire des merveilles. Même avec un bout de doigt en moins. En 1985, son auriculaire gauche se fait écraser par le coureur des Cowboys, Timmy Newsome. Pas le choix, Ronnie doit subir une opération de reconstruction et faire preuve de patience. Mais il n’est pas du genre patient. Et quand il apprend que pareille intervention lui ferait manquer le début de la saison suivante, il perd toute patience et opte pour une décision radicale : l’amputation de la troisième phalange. Un choix drastique qui va l’élever au range de héros, de guerrier qui ne recule devant rien. Pourtant à l’époque, le défenseur se sent tout autrement. Et surtout tout sauf comme un héros.
« J’essayais d’en rire, mais je me sentais malade, » expliquait-il à AP en 1986 à la vue de son moignon. « J’ai tenté de me lever, mais j’ai été pris de sueurs froides. J’étais vraiment sous le choc. Je me disais, ‘Oh mec, tu devrais avoir un bout de doigt ici.’… On est en train de perdre la compassion dans le sport, on devient des gladiateurs. Si jamais je deviens coach, j’espère ne jamais oublier que les joueurs sont avant tout des hommes. Ils ressentent. Ils ont des émotions. Je pourrais avoir le compte en banque d’Eddie DeBartolo (un milliardaire américain, ndlr), ça ne remplacerait pas mon doigt. Ça a changé ma façon de voir la vie. »
Mais pas celle de jouer au football. Malgré une campagne 86 écourtée de deux rencontres à cause d’une blessure, Ronnie enregistre une saison record. 10 interceptions, 77 plaquages, 3 fumbles forcés et deux quarterbacks envoyés au sol. Privé du bout de son auriculaire gauche, il vient de signer la plus belle saison de sa carrière. De 1981 à 1993, sous les couleurs des 49ers, Raiders et Jets, il vole 63 passes et finit deux fois meilleur intercepteur de la ligue.
Fidèle à sa nouvelle réputation de guerrier, il enchaîne les démonstrations de force, assenant, semaine après semaine, des plaquages destructeurs. Mais Ronnie Lott n’est pas un joueur violent, primaire, qui ne cherche qu’à faire mal, il est un joueur passionné, habité, possédé, qui se donne sans compter avec une énergie incroyable. Quand la légende des Redskins, Art Monk, croise son chemin en 93, le receveur en ressort tout sauf indemne : « on peut dire qu’il a ruiné la fin de ma carrière. » En 1989, lors du Super Bowl XXIII, Ronnie rejoint le bord du terrain comme un enragé. Le coureur des Bengals Ickey Woods est en train de piétiner la défense californienne, et il faut que cela cesse. Le safety se porte volontaire pour cette mission périlleuse. Et cela va être couronné de succès. Un tampon monstre sur le running back, et le train Woods déraille. Les 49ers l’emportent. Au propre comme au figuré, l’impact de Ronnie a encore parlé.
La moissonneuse tacleuse
Véritable faucheuse, il atteint en 93 la barre des 1000 plaquages. Cinq fois, il dépasse celle des 100 en saison. En 10 campagnes dans la baie de San Francisco, les 49ers décrochent 8 titres de division et enfilent 4 bagues à leurs doigts, amputés ou non. En 20 titularisations en playoffs, Ronnie Lott se sera offert la bagatelle de 9 interceptions, 89 plaquages, un fumble forcé, un recouvert et deux touchdowns. Car en plus d’être un phénomène athlétique et un joueur d’une polyvalence rare, il est un homme des grands rendez-vous. Et ça tombe bien, car les Niners de Bill Walsh sont abonnés à ce genre de rendez-vous.
Des lignes statistiques bien nourries qui ne doivent rien à la chance, mais à sa science du jeu. Car Ronnie Lott n’est pas un joueur qui se contente de traquer le ballon et foncer dans le tas. Il lit les jeux, les anticipe et les saborde avec une violence sans égal. Sa patience, tapis dans l’ombre, guettant l’action adverse se développer tranche avec la fulgurance de ses interventions.
« Il est comme un linebacker qui jouerait safety, » explique la légende Tom Landry. « Il est dévastateur. Il domine le fond du terrain comme personne ne l’a probablement jamais fait auparavant. »
Après 10 années prolifiques dans le nord de la Californie, il file plein sud, direction L.A. et les Raiders. Deux petites saisons et il traverse le pays jusqu’à la Grosse Pomme et les Jets. Là aussi le temps de deux campagnes. Laissé agent libre, il signe avec les Chiefs. Blessé en présaison, il n’en portera jamais les couleurs. Retour à la case départ et ses 49ers bien aimés. Mais les blessures ont décidé de gâcher sa fin de carrière. À contrecœur, après une année blanche et avant même que la saison 96 ne débute, il raccroche. Les attaques adverses soufflent un grand coup.
10 fois Pro Bowler (à trois postes différents), 8 fois All Pro, Hall of Famer et 11e meilleur joueur de l’histoire selon NFL.com, il incarne le poste de defensive back mieux que personne. Il l’habite. Le vit. Il lui a même sacrifié un morceau de son corps.