La légende raconte qu’à chaque fois qu’une équipe invaincue tombe, les vieux Dolphins de 72 sabrent le champagne. Fable ou réalité, peu importe. Comme au lendemain du Super Bowl XLII, les Dolphins ont dû souffler un grand coup. Pas ceux de Ryan Tannehill et compagnie. Non, ceux de Don Shula et Bob Griese. Ceux pour qui le parfum des playoffs est familier. Ceux pour qui le goût amer de la défaite relève de la légende urbaine. Ceux qui ne connaissent que la jubilation de la victoire. Ces Dolphins, ce sont ceux de 1972. Les parfaits. Les juste parfaits.
L’âge de raison
La franchise de Miami n’a que 7 ans, mais elle grandit vite. Après 4 premières saisons de rodage où elle stagne au fond de la division Occidentale de l’AFL et ne parvient pas à faire mieux que 5 victoires sur une campagne, la première équipe professionnelle de Floride profite de la fusion de l’AFL et de la NFL pour passer aux choses sérieuses. Enfin, les Fins gagnent plus qu’ils ne perdent. 10 succès et un billet pour les playoffs en 70. Un petit tour et puis s’en va. Victimes des Raiders de John Madden. Mais les Dolphins ont goûté au sang. Le goût des playoffs tapisse leurs babines. L’année suivante, ils s’assoient sur le trône de l’AFC Est. Chiefs et Colts écartés, les voilà qui débarquent dans la piscine géante du Super Bowl. Mais face aux Cowboys de Tom Landry, ils ne font guère illusion (3-24). Une gifle. Les gamins n’étaient pas encore prêts. La franchise de Miami était encore trop jeune. Pas assez mûre. Un an plus tard, elle aura 7 ans. L’âge de raison. Et avec la raison, vient le triomphe.
Invaincus, les Dolphins sont pourtant loin d’avoir convaincu. Les mauvaises langues clament que les Floridiens ont profité d’un calendrier extrêmement favorable. Et difficile de leur donner tort. À l’époque le système déterminant les adversaires d’une saison à l’autre n’est pas encore celui que nous connaissons. Il faudra attendre les grands travaux de 1978 et l’ajout de deux semaines de compétition supplémentaires pour que les choses changent. En 72, le calendrier repose sur un simple système de rotation qui ne prendre absolument pas en considération les performances de la saison précédente. Et cela va très largement profiter aux hommes de Don Shula. Tout juste 40%. C’est le pourcentage de victoires cumulées des sparring-partners des Fins. Seuls deux d’entre eux atteindront un bilan positif : les Chiefs et les Giants (8-6). Une concurrence faible, mais encore ne faut-il ps tomber dans le piège. Et 14 semaines durant, c’est exactement ce que vont faire les Dauphins.
Si le calendrier leur a filé un joli coup de pouce, leurs rivaux de l’AFC Est ont également été les complices bien involontaires de cette saison parfaite. Les Colts emmenés par un Johnny Unitas à bout de souffle sont en pleine décrépitude. Les Bills d’O.J. Simpson encore trop tendres. Les Patriots manquent cruellement de talent et le premier choix général de la draft 71, Jim Plunkett, doit composer avec une attaque faite de bric et de broc. Quant aux Jets, malgré un Joe Namath en pleine santé et l’émergence de John Riggins, ils n’ont pas de défense. Ajoutez à cela des Oilers en plein marasme (1-13 en 1971 et 1972), des Cardinals incapables de se décider sur le nom de leur quarterback et des Vikings en pleine transformation après le retour de Fran Tarkenton dans le Grand Nord et qui, fait rare à l’époque, devront regarder les playoffs de leur canapé. Les ingrédients parfaits pour une saison parfaite.
La machine infernale
Pourtant si tout commence bien, les choses auraient sérieusement pu tourner au vinaigre. Guidés par la rigueur de Don Shula et son football où aucune place n’est laissée au hasard, les jeunes Dolphins se muent en machine à gagner, unis par une cohésion rare. Portés par le fullback Larry Csonka et ses 118 yards, ils ouvrent la saison par un succès tout en maîtrise du côté de Kansas City (20-10). La semaine suivante, la rotation à trois au sol installée par Don piétine les pauvres Oilers. Csonka, Mercury Morris et Jim Kiick engloutissent 228 des 247 yards gagnés à la course par les Fins et marquent trois fois. Un chacun. Même Bob Griese participe à la fête et y va de son petit touchdown au sol. La démonstration est totale (34-13).
« Je ne pense pas que ça soit juste d’utiliser 12 joueurs en attaque, » déplorera le coach de Houston, Bill Peterson, non sans une pointe d’humour et de sarcasme.
7 jours plus tard, une fois n’est pas coutume, c’est la défense qui offre la victoire. 5 sacks. 3 interceptions. Seulement 109 yards concédés dans les airs. Au Metropolitan Stadium de Minneapolis, la bande à Don Shula fait vivre un véritable cauchemar à Fran Tarkenton. Menés 14-6 dans le dernier quart-temps, les Floridiens volent la victoire à 1 minute 28 de la fin (16-14). Après trois semaines, les Dolphins sont la seule équipe encore invaincue. Merci la défense.
« Nous sommes la Défense Sans Nom et nous en sommes fiers, » clame le linebacker Nick Buoniconti. « Ça nous plaît comme ça. Nous ne voulons pas de surnom. J’espère que nous n’en aurons jamais. »
No-Name Defense. Défense Sans Nom, car à l’époque, l’escouade défensive vit dans l’ombre d’une attaque en pleine santé. Pourtant, après un bel effort collectif face aux Jets, les Dolphins perdent Bob Griese en semaine 5. Victime de l’énergie dévastatrice de Deacon Jones. Il est 13h30, le quarterback vient de se briser la cheville. Il ne rejouera plus de la saison régulière. Earl Morrall et ses 38 printemps enfilent leur casque et partent au combat. Deux touchdowns dans les airs. Un en défense. Et de cinq victoires (24-10). Fumbles, pénalités et bizarreries à gogo. Tel est le programme du 6e succès des Dolphins face aux Bills. Le plus étriqué de la saison (24-23). Encore hospitalisé deux jours plus tôt à cause d’une pneumonie, le defensive tackle Manny Fernandez fait basculer le match en chipant le ballon des mains de Dennis Shaw. Les Fins capitalisent. Morral orchestre un drive gagnant de 80 yards et met la franchise de Buffalo hors de portée pour de bon.
Un succès en guise de formalité face aux Colts de Baltimore (23-0), un autre face aux Bills (30-16). 9-0. Une première dans l’histoire de la franchise. « Ils vont être durs à battre, » concède O.J. Simpson. Il ne croit pas si bien dire. Pour la 100e victoire de Don Shula, les Dolphins font les choses en grand. Dans un Orange Bowl plein a craqué, ils collectionnent les records d’équipe. 52 points et 482 yards en attaque. 92 yards concédés au sol et une défense inviolée. Le second shutout de la saison. Même le quarterback réserviste Jim Del Gaizo participe à la fête. La semaine suivante, ils reviennent de derrière pour se défaire des Jets et s’assurer le titre de l’AFC Est (28-24). Déjà. Ces Dolphins sont injouables. Imbattables.
« Je pense que Miami est la meilleure équipe de la ligue, » commente le coach des Jets, Weeb Ewbank. « Je pense qu’ils vont finir invaincus. Qui peut bien les battre ? »
Personne. Une nouvelle démonstration de force face aux Pats (37-21), puis une flopée de turnovers dans un Yankee Stadium transformé en champ de patates (23-13). Les Dolphins impressionnent.
« C’est l’équipe la mieux coachée que nous ayons affrontée cette année, » concède le cornerback des Giants, Willie Williams. « Si vous faites la moindre erreur, il vous le font payer. Et c’est ce qu’ils ont fait. »
Super Bons
En clôture de la saison régulière, Mercury Morris arrache les quelques yards qu’il lui fallait pour atteindre, pile-poil, la barre des 1000 yards et devenir avec Larry Csonka la première doublette de l’histoire à courir chacun pour au moins 1000 yards. Pour la deuxième fois de la saison, les Colts sont incapables de percer la défense (16-0). Direction les playoffs. Face aux Browns, ils sont menés dans le dernier quart-temps pour la première fois depuis la semaine 3. Un drive de 80 yards jusqu’en Terre promise et une interception de Doug Swift plus tard, l’issue du match est scellée. 15-0. La saison parfaite se poursuit.
Imbattables et invaincus, les Fins doivent pourtant se déplacer dans le froid de Pittsburgh en finale de conférence. La faute au règlement en place à l’époque. Une anomalie que la ligue prendre soin de gommer 3 ans plus tard et refaçonnant sa formule pour les playoffs. Depuis 75, les formations remportant leur division et avec un meilleur bilan que leur adversaire auront l’avantage du terrain. Chez eux ou chez les autres, les Dolphins de 72 n’en ont que faire. Ils gagnent. Toujours. À la pause, les deux équipes son dos-à-dos. Don Shula se tourne vers Bob Griese, de nouveau opérationnel. Es-tu prêt à jouer. « Yeah, I’m ready. » Menés 10-7, le revenant prend les choses en mains et les Fins virent en tête. Terry Bradshaw aura beau marquer un ultime touchdown en fin de match, ce sont bien les Floridiens qui iront défier les Redskins (21-17).
Dans un Super Bowl VII accroché, les héros sont nombreux. L’inépuisable Larry Csonka et ses 112 yards. Bob Griese et son 6 sur 6 dans le premier acte. Manny Fernandez et ses 17 plaquages. Et surtout le MVP de la rencontre Jake Scott et ses deux interceptions. 17-0. La perfection. Les sceptiques ont beau faire la moue, Don Shula n’en a que faire.
« Nous avions mis tous nos œufs dans le même panier. Si nous avions perdu, tout ce pour quoi nous avons travaillé se serait volatilisé. 16-1, tu te fais critiquer. 17-0, il n’y a pas de place au moindre doute. »