Le temps d’une saison, ils y ont cru. Le temps d’un match, ils ont tutoyé la gloire avant qu’elle ne les fuit inexorablement. Brutalement parfois. Une idylle sans lendemain. Un coup d’un soir. Un one-night stand. Des one-year wonders. Ces stars aussi éphémères que des étoiles filantes.
L’AVANT
Un océan de chlorophylle à perte de vue. Un billard d’un vert éclatant entretenu au coup-ongles. Des chênes, des pins et au bout des 18 trous, cette veste verdâtre tant convoitée. S’il est davantage intéressé par une grosse gonfle en cuir flanquée d’un drôle de lacet que par la petite balle blanche criblée d’alvéoles, Kendrell Bell grandit pourtant à quelques bornes du National Golf Club d’Augusta, théâtre annuel du prestigieux Masters. Loin du cadre feutré du mythique parcours, le gamin se découvre vite une passion pour le football. Ce sport où il peut expulser toute cette énergie qui semble tant à l’étroit dans son corps en pleine croissance. Ado plein de fougue et d’agressivité sous le rouge des Widcats de Lucy Craft Laney High School, son coach le prive régulièrement de terrain à l’entraînement pour l’empêcher de blesser ses propres coéquipiers. Basketteur doué, footeux All-State pour son année de sénior, il est le cinquième meilleur lanceur de poids de sa catégorie en Georgie pour sa dernière année au bahut. Un cocktail d’habileté, de puissance et de force détonnant qui peine pourtant à séduire les recruteurs des grosses cylindrées universitaires.
Boudé par la Division I, Kendrell enfle le heaume des Knights de Middle Georgia Junior College durant deux saisons. Repositionné fullback en attaque pour son année de freshman, il entasse 689 yards. Replacé en défense en 1998, il va entasser 132 plaquages et six sacks au sein d’une escouade défensive qui s’impose comme la meilleure de tout le circuit junior. Des prouesses des deux côtés du ballon grâce auxquelles sa cote remonte et son nom commence à circuler chez les recruteurs du premier échelon universitaire. À commencer par le mastodonte local d’Athens.
Lorsqu’il débarque dans le chenil des Bulldogs en 1999, Kendrell marche sur la pointe des pieds. Malgré un solide pedigree acquis sur les terrains de JUCO, il n’a encore rien prouvé sur les terrains bien plus relevés de la SEC. Et très vite, il va s’imposer comme le leader naturel de la défense de Georgia. À mesure qu’il découvre la première division universitaire et qu’il s’ajuste à un jeu nettement plus physique, rapide et athlétique, le pass rusher impressionne par son instinct de tueur. Big play maker, il vole quatre ballons dans les airs, provoque cinq fumbles et bloque cinq field goals. Athlète véloce et explosif, il laisse les bloqueurs sur le cul au point d’attaque et utilise sa puissance naturelle pour se défaire de stoppeurs un peu trop insistants. En deux années et seulement seize rencontres sous le rouge des Bulldogs, Kendrell entasse 153 plaquages dont 95 solos, s’offre le scalp de sept quarterbacks, gèle dix coureurs derrière la ligne de mêlée et fait des turnovers sa spécialité.
Athlète au potentiel exponentiel, footballeur à la marge de progression généreuse, il est convié à un Combine où il fait étalage de toutes ses qualités. Capable de quadriller le terrain d’un bout à l’autre grâce à un séduisant 4,64 sur le 40-yards dash malgré son mètre 86 et ses 106 kilos bien tassés, il traîne avec lui une réputation de cogneur qu’il s’applique à entretenir méticuleusement. Épuisé physiquement par tout le processus pré-draft, lessivé émotionnellement, gagné par une pression jusque-là inconnue, Kendell Bell est terrorisé. « J’avais peur, » lâche-t-il à steelers.com en juin 2017. Centre d’attention de toute une ligue qui salive devant la relève, attraction de tout un coin de Georgie où le football est roi, estampillé top 5 inside linebacker de cette cuvée 2001, il voit rejaillir dans sa vie des types qu’il croyait morts depuis des lustres.
Alors que les premier noms s’égrainent, Kendrell Bell préfère se retirer au calme, loin de la nuée de proches enthousiastes réunis pour l’occasion. En milieu de deuxième tour, quand sa mère vient le chercher avec le téléphone serré dans ses mains tremblantes, il pionce peinard sur son pieu. À l’autre bout du fil, Bill Cowher et sa moustache ferreuse. Il est le prochain sur la liste. Nerveux comme jamais, tétanisé presque, Kendrell bafouille tant bien que mal quelques bouts de mots à son futur coach. « Oui, oui… Je serais honoré d’être un membre des Steelers, » finit-il enfin par lâcher. Hurlements hystériques, pleurs mêlés de rires, une véritable cacophonie s’empare de la pièce. La folie vaguement retombée, le linebacker s’enfuit discrètement pour retrouver le calme ouaté de sa chambre. « Wow, je vais jouer dans la NFL, » se souffle-t-il à l’oreille sans trop y croire.
Dans une promo 2001 animée par les phénomènes offensifs Michael Vick et Ladainian Tomlinson, Kendrell s’invite à la table des meilleurs pass rushers du futur. Justin Smith, Andre Carter, Kyle Van Den Bosch, puis l’ancien Bulldog d’Athens. Une poignée de choix après Drew Brees, en ouverture de deuxième tour, et Chad Johnson, quelques longueurs avant des futures icônes comme l’épidermique receveur Steve Smith et l’impérial safety Adrian Wilson, il débarque dans une franchise chargée d’histoire en défense. Un tour après avoir reculé de quelques crans tout en mettant le grappin sur le frigo américain Casey Hampton en 19e position pour bétonner le coeur de la ligne défensive, les Steelers sont allés jusqu’à troquer une poignée de choix avec les Patriots pour grimper de douze places et aller chercher ce cocktail de vitesse, de puissance et d’explosivité aux mains démesurées, à la carrure de catcheur et à la marge de progression immense.
Nouvel État. Nouvelle ville. Nouvel environnement. Quand Kendrell Bell quitte la Georgie pour rejoindre le camp de rookies des Steelers en Pennsylvanie, il saute à pieds joints dans l’inconnu. Celui de la vie d’adulte, émancipé des conseils, remontrances et marques d’affection rassurantes de ses parents. Dans une ville où son tempérament de citadin s’épanouie, Kendrell partage un appart avec Rodney Bailey, un autre chasseur de quarterbacks drafté en provenance d’Ohio State au 6e tour, et apprivoise une nouvelle vie loin des siens. Un petit traumatisme pour ce « fils à maman » qui s’assume. Quand il se retrouve sur le terrain aux côtés de l’immense Jerome Bettis, il doit se pincer pour vraiment y croire.
LE PENDANT
Si Kendrell et son tempérament introvertis ne peuvent pas vraiment s’abreuver des conseils d’un mentor attitré pour s’ajuster aux exigences du professionnalisme et à un groupe de parfaits inconnus pour l’essentiel, il peut compter sur la bienveillance d’un vestiaire incroyablement uni. Defensive end repositionné en inside linebacker dans la défense 3-4 des Steelers, Kendrell se fond dans le décor avec une aisance déconcertante pour un bizut. Sur la deuxième lame du pass rush de Pitt, le rookie se taille un place de titulaire au milieu de Clark Haggans et Joey Porter. Tranche de jambon dans un sandwich de muscle à vous retourner le bide. Un statut acquis grâce à un été accomplis où il impose sa spontanéité et son agressivité à défaut de faire étalage d’une palette technique aussi léchée que ses équipiers les plus expérimentés.
« Je me souviens de Joey (Porter), qui était encore relativement jeune à l’époque, et de la façon dont il se ruait sur le quarterback en utilisant ses mains ; et je me disais oh mon dieu, est-ce que je dois autant utiliser mes mains moi aussi ?, » se remémore-t-il au micro de steelers.com en 2017. « À la fac, on nous dit juste de cogner les autres gars. »
Simple rookie pour débuter, tout bascule un aprem d’août où il se retrouve en position de défense sur la ligne de but. Dans son viseur, les 116 kilos de brute épaisse de Jerome Bettis. « S’il court vers moi, je lui rentre dedans, » se dit-il. Alea jacta est. Quand Kendrell la recrue sèche le vétéran aux sept campagnes au-delà des 1000 unités en huit saisons chez les pros, il se met l’ensemble du vestiaire dans la poche. « Personne ne me stoppe comme ça, j’ai su qu’on tenait quelqu’un, » concède la victime du jour. Pour Bill Cowher, le feu vert qu’il attendait depuis des semaines. Car depuis le début, il sait parfaitement que le gamin est amené à supplanter le vieillissant Earl Holmes au coeur de la défense. Seulement, « [il] ne peut pas juste refiler le poste » à un petit rookie sans fait d’arme pour le justifier. Impossible de se cacher derrière l’évidence désormais. Plus rapide, plus puissant, plus jeune, il représente l’avenir. Dans une défense qui aime faire mal, le physique cubique d’un Kendrell qui ne perd pas son temps à réfléchir et agit avec instinct prennent leur pied.
« C’était le mariage parfait, » confirme-t-il à la page officielle des Steelers en juillet 2018. « Ça m’a permis de jouer mon jeu et de m’intégrer très vite. Ça fait partie des choses que j’ai préférées à Pittsburgh, de pouvoir jouer sans la moindre restriction. »
Sur le terrain d’entrée en ouverture de la campagne 2001 dans la fosse aux fauves de Jacksonville, Kendrell devient le premier linebacker débutant de Pitt à être titularisé dès le premier match depuis Jack Lambert et sa bouche pleine de trous en 1974. Casey Hampton devra attendre la semaine 6 pour enfin s’imposer comme une évidence en plein milieu du front défensif des Steelmen. Galvanisée par ses jeunes pousses, l’escouade toute entière va faire vivre un véritable calvaire aux formations adverses. Des coureurs pris à la gorge, des passeurs qui doivent dégainer en moins de trois secondes, lentement, le rideau de fer déploie sa toile sur la NFL. Après une fiche statistique vierge face à des Jaguars qui réduisent les métaleux en charpie, Kendrell empile quelques plaquages dans un solide succès à Buffalo avant de croquer son premier quarterback face aux Bengals la semaine suivante. La victime : Jon Kitna. La scène de crime : un Heinz Field flambant neuf qui vibre pour la toute première fois. Ses consignes son simples : repère le type avec le ballon et défonce-le. L’instinct du chasseur au coeur d’une mêlée où le temps de la réflexion relève davantage du luxe que du talent.
Pass rusher increvable, sauvage, violent, instinctif, rapide, au plan de jeu rudimentaire, Bell gobe deux fois Trent Green et prend ses aises dans les bases arrières des défenses adverses. Grand artisan du cinquième succès consécutif des Steelers sur les terres des Titans, il sacke le regretté Steve McNair une fois et sèche quatre joueurs offensifs du mauvais côté de la ligne. Si les Ravens brisent le bel élan pour le premier dimanche de novembre, Kendrell et tout le haut fourneau de Pitt reprennent leur marche en avant dès le week-end suivante. Pendant six semaines de suite, les hommes de Bill Cowher ne perdent pas et Kendrell impose son statut de star de demain dans une défense imprévisible qui sème la confusion dans des attaques incapables d’anticiper leurs blitzes et couvertures. S’il ne claque que trois sacks, reste muet face aux Vikings et ne participe pas à la boucherie face aux Bucs, dans un match où les Steelers infligent dix sacks à un Brad Johnson livré à lui-même, Bell amasse 28 plaquages dont neuf derrière la ligne de mêlée.
« Nous voulions sa tête au bout d’un pique, » se remémore un Porter un brin barbare à propos du massacre infligé à Tampa. « Nous avons utilisé un paquet de nos blitzes ce jour-là. Nous déboulions de partout et ils n’avaient pas la moindre idée de par où nous allions arriver. [Brad Johnson] se faisait frapper de toutes les directions. Notre truc c’est de jouer comme des cinglés pour forcer le quarterback à prendre des décisions compliquées. »
Compliquées et en une fraction de secondes. Deux ou trois. Quatre avec un peu de chance. Face au Jaguars en semaine 10, blitzeur supersonique et surpuissant, Kendrell piétine littéralement le malheureux centre Jeff Smith et désosse un pauvre Jonathan Quinn sans rempart. Le passeur de Jax sera envoyé au tapis cinq fois ce jour-là, dont deux par le Bulldog des faubourgs d’Atlanta. Sept jours plus tard, à Nashville, il inflige le même traitement à Bruce Matthews, le padre de Clay et Casey. S’il ridiculise le bloqueur aux 14 Pro Bowls, il est trop court pour faucher un Steve McNair capable de déplacer sa lourde carcasse plus vite qu’il n’y paraît. Un simple raté pour une armoire à trophées qu’il n’en finit plus de garnir. Trent Green aplati comme une crêpe, Mark Brunell écrabouillé par la force d’un seule bras ou le char d’assaut Mike Alstott stoppé net comme un vulgaire pee-wee. Semaine après semaine, Kendrell Bell envoie les linemen offensifs sur leur postérieur avec une aisance déconcertante. Insultante presque pour des athlètes de haut niveau.
« Je savourais chaque fois que je cognais quelqu’un, » lâche-t-il à la Pittsburgh Post-Gazette. « Ça me rendait tellement heureux. Sérieusement. C’était comme avoir un high. Je me souvient d’Alstott sur la ligne de but. Il était énorme, mais je me souviens d’avoir dit à James (Farrior), ‘Je vais me le faire.’ Il est arrivé en se tenant haut, je l’ai soulevé et il a échappé le ballon. Je me suis mis à gueuler, ‘Woooooo – Je l’ai eu !’ »
Battus pour du beurre à Cincinnati, les Steelers clôturent l’année en beauté en matant les Browns dans un match où le natif d’Augusta met les petits plats dans les grands. Neuf plaquages dont sept en solitaire, quatre tackles for loss et deux sacks. Tim Couch et ses coureurs vivent un calvaire. Incapable de dompter les mille variations de blitzes déguisés de la 3-4 ultra flexible de Tim Lewis, Cleveland achève la rencontre avec le total ridicule de 173 yards en attaque. 200 de moins qu’une escouade pourtant peu inspirée dans les airs et privée du bulldozer Jerome Bettis au sol.
Timide face aux Corbeaux en ouverture des playoffs, Kendrell sort l’argenterie en finale de l’AFC. Un sack et huit plaquages dont trois pour perte. Une performance éblouissante d’intensité et un comeback avorté dans le dernier quart d’heure insuffisants pour barrer la route à des Patriots qui écrivent le premier chapitre de la plus belle dynastie de l’histoire. Malgré une défense intraitable qui ne concède que 74,7 yards par match, inflige 55 sacks (plus qu’aucune autre) et finit en tête de la ligue, le parcours des métallurgistes s’arrête aux portes du Big Game. Une défense 3-4 à temps plein en voie de disparition aux premières heures du nouveau millénaire qui impressionne même les rivaux les plus féroces.
« Les Steelers sont une équipe de calibre Super Bowl, » lâche Ray Lewis au NY Times fin janvier 2002. « Cette défense, c’est quelque chose ! »
83 plaquages dont 70 en solo, neufs sacks dans le sillage d’un Casey Hampton qui ouvre des trous béants dans les lignes adverses et un fumble forcé. En seize titularisations, Kendrell s’impose comme un dynamiteur sans pareil, un perturbateur hors-pair, un emmerdeur de première et devient le tour premier Steeler à être couronné Rookie Défensif de l’Année depuis l’édenté Jack Lambert. « Sans Casey Hampton, Kendrell Bell ne serait pas rookie de l’année, » tempère sans trop se tromper le strong safety Lee Flowers. Un duo inséparable.
« Ils apportent énormément de vitesse, » explique Joey Porter dans les pages du New-York Times en 2002. « Hampton sème la panique dans le jeu de course en plein centre, impossible que quiconque passe. Et Bell apporte sa vitesse, de telle sorte qu’on ne peut jamais l’exclure de l’équation. »
Le marteau et l’enclume. Un binôme létale qui sera pourtant impuissant face à la placidité d’un Tom Brady déjà glacial dans sa poche, imperméable à toute sorte de pression et résolu à encaisser le moindre tampon tant qu’il lui permet d’étendre le jeu d’une ou deux fractions de seconde de plus pour permettre à ses gadgets de se démarquer. Pro Bowler dès sa première saison, en jolie compagnie sur la seconde équipe type All-Pro, un avenir radieux se dessine devant Kendrell.
L’APRÈS
2002. Elle devait être l’année de la confirmation, elle sera l’année de toutes les interrogations. Discret en ouverture de la saison dans un remake de la dernière finale de l’AFC face au champion en titre, sacrés au bout du suspense face au Greatest Show on Turf de Kurt Warner, Kendrell se blesse et doit faire banquette pendant un long mois. De nouveau opérationnel face aux Colts en semaine 7, il n’imprime pas la même intensité. Une poignée de plaquages, peu d’actions d’éclat, il doit attendre le premier jour de décembre pour renouer avec ses bonnes vieilles habitudes acquises tout au long de son époustouflante saison de rookie. Deux sacks sur le terrain des Jaguars, un face aux Texans la semaine suivante puis un de plus contre les Panthers. S’il claque ses quatre seuls sacks de l’année en trois semaines, Kendrell se montre de nouveau décisif sur la ligne de mêlée et assène huit plaquages pour perte au cours des cinq dernières rencontres de l’année. Au premier tour, dans un comeback électrique face aux rivaux de Cleveland, malgré une cheville en cloque, il sort le grand jeu, mais se dézingue le genou. Longtemps incertain, Kendrell est finalement en uniforme face à Tennessee en finale de conférence, mais doit de nouveau quitter le terrain prématurément après deux plaquages anecdotiques. Les Titans iront défier les Rams au Georgia Dome dans l’un des finals les plus éblouissants de l’histoire du Super Bowl. De quoi clore sa campagne de sophomore sur un bilan personnel mitigé après une entame cauchemardesque entre blessure et perfs décevantes. Passable.
Un contre-temps ou un signal d’alarme ? 2003 va vite se charger de répondre à cette question. Épargné pas la case infirmerie, Kendrell Bell a beau empiler les plaquages à la pelle, il a remisé son costume de boule humaine dans un jeu de quille de chaire et d’os depuis belle lurette. Malgré cent plaquages tout ronds, il ne s’invite que 17 fois derrière la ligne et doit se contenter de cinq sacks raflés en trois petites rencontres seulement. De type capable de faire reculer des attaques, de foutre la trouille à n’importe quel quarterback et de ridiculiser des bloqueurs en route vers Canton, Bell s’est mué en middle linebacker lambda qui fait gonfler ses stats à coups de plaquages sans grand influence sur le cours du match. Des chiffres en trompe l’oeil annonciateurs d’une bien funeste trajectoire pour un type si prometteur.
Dans une saison 2004 aux allures d’enterrement de première classe, plombé par un corps qui refuse de coopérer, Kendrell ne disputera que trois petites rencontres. Toutes en novembre. Le temps de claquer huit plaquages anecdotiques avant d’échouer sur le réserve des blessés, la faute à un genou en miette. Plus jamais il ne portera l’uniforme bariolé de jaune et noir. Pendant que Bell se ronge le frein, portés par un petit bizut surnommé Big Ben en attaque et l’Undrafted James Harrison, les jeunes Larry Foote et Troy Polamalu et les tauliers Joey Porter et James Farrior en défense, les Steelers ne perdent qu’une fois, mais se font de nouveau claquer la porte du Super Bowl au nez par les Pats. En fin de contrat, amoché physiquement, ailleurs mentalement, Kendrell décline poliment l’offre de prolongation tendue par Bill Cowher et choisit d’aller voir ailleurs à contrecoeur. Un an plus tard, Pittsburgh ira soulever le trophée Lombardi en battant les Seahawks dans le confort douillet du Ford Field.
Pendant l’été, Bell file dans l’Arizona où les rois du bistouri retapent son épaule chancelante de fond en comble. « Le médecin m’a dit que j’avais l’épaule d’un homme de 70 ans. » Malgré une piste du côté des Giants, il est finalement rembarré par les pontes de la Grosse Pomme après avoir échoué aux teste physiques. Il est a deux doigts de dégueuler sur le GM quand il apprendre la nouvelle. Jamais plus il ne jouera au football pense-t-il. Après trois mois de rééducation ridiculement courts compte tenu de la gravité de la blessure, il se trouve finalement un nouveau point de chute. Un ultime espoir. Des Chiefs tellement désespérés qu’ils sont prêts à lâcher quelques milliers de billets verts sur un type rouillé et en pièces. Titulaire pendant deux saisons dans un tipi de Kansas City nettement plus individualiste, où il ne retrouve pas l’esprit de camaraderie de Pittsburgh, il va lentement être mis sur la touche pour sa troisième année, Bell ne rafle que trois malheureux sacks, empile 98 plaquages sans grand relief et se résout lentement à une douloureuse évidence : sa carrière est morte. L’épaule en lambeau, il n’est plus capable de tenir le rythme insensé imposé à son corps de jeune trentenaire.
« Je ne vais pas vous mentir, c’était l’enfer, » confirme-t-il dans les pages web de la Pittsburgh Post-Gazette en janvier dernier. « Je me réveillais aux petites heures et je me mettais à pleurer parce que je n’étais plus capable d’être l’homme que j’avais été. Dans ma tête, j’avais encore une grosse marge de progression. Mais c’est comme ça, ça fait partie du boulot. »
Libéré par les Chiefs en 2007 au terme de la pire expérience de sa vie de footeux, il jette l’éponge en laissant une impression d’immense gâchis. De talent inabouti. De 9 sacks en 2001 à 11,5 au cours des six saisons suivantes. « C’est de loin le joueur le plus explosif que j’ai jamais vu, » n’en démord pas Larry Foote. Retraité prématuré sans le moindre plan de replis, il se mue en père de famille à temps plein pour ses quatre marmots. Tous ses rejetons inscrits dans une école privée, il joue les pilotes. Les emmener à leurs parties de soccer, à leurs réunions de Boys Scout et tout un tas d’autres activités pour les tenir occupés. « Je suis un chauffeur de bus en gros, » résume-t-il à Ron Lippock du site SteelersNow. S’il profite de cette nouvelle vie moins usante, il concède ne pas avoir préparé sa reconversion au mieux. À commencer par panser une épaule amochée par un sport qui laisse rarement indemne.
« Je ne me suis pas très bien ajusté, » concède-t-il quand on l’interroge sur sa transition. « Ma blessure à l’épaule à mis fin à ma carrière. Je n’ai pas eu droit à la rééducation que j’aurais dû avoir et dont j’aurais vraiment eu besoin. Être licencié laisse des traces aussi. Heureusement que j’avais mis de l’argent côté et que j’ai réussi à me débrouiller, mais ça a été toute une aventure. »
Kendrell connaît la douleur. Il y est habitué. Il vit avec. Comme tout joueur de football. « Pour nous, deux heures sans douleur c’est une bénédiction. » Malgré la douleur, le néo-retraité apprivoise sa nouvelle vie en douceur, mais non sans nostalgie. « Vous passez par une période de deuil quand vous raccrochez. » Surtout, des années après avoir quitté Pittsburgh, il prend la mesure de la chance qui a été la sienne. La chance de tomber dans une ville aussi accueillante et bienveillante. La chance d’être tombé sur une organisation aussi prestigieuse que formidablement bien gérée.
« C’est ce que j’ai réalisé en partant et en tombant dans une nouvelle équipe, » confie-t-il au site officiel des Steelers en juillet 2018. « […] La culture était différente qu’à Pittsburgh. Je me souviens que là-bas nous traînions tous ensemble. Jerome (Bettis), Hines (Ward), la défense, l’attaque, Alan Faneca, Joey (Porter), on passait tous notre temps ensemble. Personne n’avait la grosse bête ou ne se croyait meilleur que les autres. L’esprit de camaraderie était fabuleux. C’est inexplicable. »
Dans cette bienveillance ambiante, le Kendrell timide et taciturne cède la place à un jeune homme plein d’humour et vif d’esprit. Plus qu’une équipe de types seulement animés par de généreux chèques de paye, une véritable bande de potes animée par un esprit de fraternité inébranlable. Dans les bons jours, comme dans les mauvais. Des types profondément amoureux de leur sport. Aucun mercenaire.
« Je ne pense pas que la culture de la franchise l’aurait permis, » disserte-t-il. « Si un type narcissique avait débarqué, il ne serait pas resté bien longtemps. »
Fiesta chez les uns ou chez les autres, soirées en boîte, bouffes entre amis, malgré la disparité des âges et des trajectoires, dans un groupe de types qui s’aiment, Kendrell redécouvre l’esprit de camaraderie de l’université. Une véritable famille rassemblée derrière une soif de victoire frappée du seau de l’humilité. « […] Nous voulions gagner et nous étions prêts à sacrifier n’importe quoi pour l’emporter et continuer à jouer ensemble. » Les plus beaux souvenirs de sa vie. Les plus belles années de sa vie et d’une carrière qui se sera contentée du strict minimum. Une saison de rookie sublime, deux années potables, puis le gadin. Rapide, fatal, définitif. A one-rookie-year wonder.