À 11 semaines du Super Bowl LII, épisode 40 de notre rétrospective exceptionnelle, le Super Bowl XL.
Seattle Seahawks (NFC) vs. Pittsburgh Steelers (AFC) – 5 février 2006
Franco Harris, Carl Eller, John Randle, Warren Moon, Jerry Rice. Aux première heures du nouveau millénaire, longtemps cimetière à stars sur le déclin, Seattle est en quête d’une identité. Adieu le vieux Kingdome. Adieu le proprio aux envies d’ailleurs. De nouveaux visages, de nouvelles idées et de nouvelles ambitions. Après des années d’anonymat et quelques décennies de retard, les Seahawks font leur crise d’adolescence. Bruyante. Tonitruante.
Seattle si haut !
Steve Largent. Cortez Kennedy. Jim Zorn. Symboles des Seahawks des 25 premières années, jamais ils n’auront su transformer le destin d’une franchise passée si près de l’exploit en 83, à seulement 7 ans. L’âge de raison aurait pu être celui de la révélation. Il demeurera celui du rêve envolé. Portés par un Steve Largent au style unique, ils échouent aux portes du Super Bowl face à des L.A. Raiders en route vers le Trophée Vince Lombardi. Si pendant près d’une décennie le tacticien Chuck Knox entretiendra la flamme dans une ville de Seattle tombée sous le charme de ses Balbuzards, le Kingdome sombre lentement dans un douce mélancolie. Celle de premières années porteuses de mille espoirs. De 91 à 98, les saisons ineptes se succèdent. À tel point qu’en 1996, le propriétaire de l’époque, Ken Behring, largue une bombe en annonçant son intention de déménager dans une Cité des Anges désertée par les Rams et Raiders quelques mois plus tôt. Un an plus tard, les Seahawks sont toujours à Seattle et ont un nouveau propriétaire plein aux as : Paul Allen, co-fondateur de Microsoft.
En 1999, subitement, sous l’impulsion d’un homme, l’étincelle repart sur le terrain. Pour leur dernière année sous le vieux dôme, les Seahawks d’un Mike Holmgren auréolé de succès dans le Wisconsin retrouvent les playoffs. Détour express, mais qui redonne vie à une franchise en pleine transformation. Nouveau proprio, nouveau coach, nouveaux joueurs et après deux saisons à squatter le vertical Husky Stadium de l’Université de Washington, nouveau stade. En 2002, les Seahawks découvrent leur nouveau nid : un assourdissant Seahawks Stadium qui deviendra d’ici deux ans le Qwest Field. En 2001, Matt Hasselbeck lâche ses fonctions de doublure officielle de Brett Favre pour rejoindre son ancien coach, Mike Holmgren. L’ancien de Boston College bat Trent Dilfer à la régulière, signe une année de Pro Bowler en 2003 et s’impose à la tête des Balbuzards. 3455 yards, 24 touchdowns, 9 interceptions. Malgré les blessures de Darrell Jackson et Bobby Engram en cours de saison et bien aidé par un Joe Jurevicius sorti de nulle part, le quarterback anime un jeu de passe aux allures de soutien aérien d’une attaque au sol létale.
Shaun Alexander. MVP, briseur de records, briseur de côtes à défaut de briser des reins, le surpuissant coureur est le moteur de l’attaque de Seattle. Dans la lignée d’une campagne 2004 qui le voit effleurer la barre des 1700 yards et de quatre saisons où il marque systématiquement 16 fois ou plus, l’ancienne star du Crimson Tide et son style de pachyderme enfoncent tout sur leur passage. 1880 yards au sol et un total record de 28 touchdowns. Tous sur la terre ferme, à l’exception d’un. Dans la foulée de son running back, l’attaque carbure et tourne à plus de 28 points de moyenne par match. Dans un style de bourrin explosif, étonament rapide, mais sans fioritures, Alexander emboite les pas d’une ligne offensive 5 étoiles et d’un fullback Pro Bowler au nom tout désigné : Walter Jones, Steve Hutchinson, Robbie Tobeck et Mack Strong.
En défense, les Seahawks se trouvent un leader inattendu en la personne de Lofa Tatupu. Drafté au 2e tour en provenance de USC, le linebacker efface la barre des 100 plaquages, ajoute 4 sacks et autant de turnovers et s’envole pour Hawaï en fin de saison. Baptême du feu réussi. Là-bas, il sera le seul défenseur d’une escouade qui plaque pourtant plus de quarterbacks que quiconque dans la ligue. 50 sacks également répartis dans un front seven animé par deux linebackers rookies. Malgré un dernier rideau criblé de blessures, les Balbuzards n’encaissent que 17 points de moyenne et après un départ cahoteux à l’extérieur, apprennent enfin à voyager et empilent les victoires. Invaincus dans la NFC Ouest, imprenables dans leur nid cacophonique, les protégés de Mike Holmgren enchaînent 11 succès consécutifs, ne s’inclinent que 3 fois, s’assurent l’avantage du terrain et s’offrent une semaine de congé. Vaincus en prolongations à Washington en semaine 4, ils se vengent des Redskins au premier tour avant de piétiner les Panthers de Jake Delhomme. À 3o piges tout rond, les Seahawks s’envolent pour leur tout premier Super Bowl.
Le Super Bowl, les Steelers le connaissent par cœur. Mais depuis 1979 et malgré des retrouvailles ratées en 95, ils courent désespérément après leur illustre passé depuis deux décennies. Plus de Chuck Noll, plus de Franco Harris, plus de Terry Bradshaw, depuis l’arrivée de Bill Cowher en 92, la franchise de Pittsburgh se forge une nouvelle identité. En 14 ans, ils se qualifient 10 fois en séries, vivent 6 finales de conférence, se hissent jusqu’au Super Bowl XXX et s’imposent comme l’une des places fortes de l’AFC. Pourtant, après une campagne 2003 ratée, les Steelers cherchent encore la formule magique et se tournent vers l’avenir. Et quand Tommy Maddox se blesse à Baltimore en semaine 2, c’est un nouveau chapitre qui s’ouvre à Pittsburgh. Drafté en 11e position quelques mois plus tôt, Ben Roethlisberger est catapulté titulaire et éclabousse la ligue de son insolence. 14 succès consécutifs, le Rookie Offensif de l’Année fait chavirer le Heinz Field, mais sombre en finale de conférence face à une défense de New England en route vers le titre.
En 2005, en semaine 3, il goûte à la défaite en saison régulière pour la première fois de sa jeune carrière. Les coupables ? Ces maudits Pats, évidemment. En dépit d’un nouveau revers à domicile, en prolongations face aux Jaguars, les Steelers remportent 7 de leurs 9 premières rencontres avant d’être rattrapés par une épidémie de blessures. Big Ben au tapi, sa doublure Charlie Batch aussi, Maddox reprend sa place de titulaire le temps d’une semaine. Surpris par les Ravens, ils tombent chez des Colts invaincus à l’époque et face à des Bengals en tête de la division Nord. Un début d’hiver bien pourri. 7 victoires, 5 succès, des rivaux de Cincinnati rugissants, le moindre écart se paiera cash. D’écart, il n’y en aura pas le moindre. Bears, Vikings, Lions, les Steelers martyrisent la NFC Nord, atomisent les Browns (41-0) et finissent la saison en boulet de canon. 11-5. Si la couronne de l’AFC Nord tombe dans les griffes des Bengals, les hommes d’acier arrachent le dernier billet pour les séries.
Malgré des pépins physiques qui le privent de 4 rencontres, Ben Roethlisberger lance 2385 yards, 17 touchdowns et 9 interceptions et ajoute 3 touchdowns de plus au sol. En puissance et en adresse, Hines Ward attrape 69 ballons pour 975 yards et 11 touchdowns, détrône le Hall of Famer John Stallworth et devient le recordman de réceptions de la franchise. À l’opposé, en finesse et en vitesse, Antwaan Randle El conquit 558 yards dans les airs, en remonte 448 sur les phases de punts et croise deux fois la ligne. Au cœur du terrain, du haut de son mètre 96, le rookie Heath Miller ajoute 459 yards et 6 touchdowns. Ward et son tight end, Big Ben réserve ses touchdowns à deux seuls hommes. Dans la plus pure tradition des Steelers des années 70, les hommes en jaune lâchent la cavalerie au sol. 1202 yards, 5 touchdowns, le compact Willie Parker mène la charge à coup de courses enlevées, pendant qu’à 33 ans, le « Bus » Jerome Bettis défonce tout sur les courtes distances, grignote 368 yards et marque 9 fois, dans la foulée des Pro Bowlers Alan Faneca et Jeff Hartings.
4e défense de la ligue, les Steelers ne concèdent qu’un peu plus de 16 points par match. Escouade de monstres physiques à faire pâlir, elle est emmenée par un groupe de linebackers 5 étoiles : Joey Porter, James Farrior, Clark Haggans et Larry Foote. À eux deux, Porter et Haggans raflent 19,5 sacks et une poignée de turnovers, pendant que Farrior récolte 119 plaquages dans un rôle de vigie qui lui va si bien au cœur du jeu. Dans son inimitable style, le Pro Bowler Troy Polamulu et sa tignasse de rêve empilent les plaquages, sacks, interceptions et fumbles. Au premier tour, les Steelmen détrônent les Bengals, avant d’être sauvés par un plaquage tombé du ciel de Big Ben face aux Colts et de punir les Broncos dans leur propre écurie. Pour la 3e fois seulement dans l’histoire, une franchise se hisser jusqu’au Super Bowl sans avoir disputé le moindre match de playoffs à domicile. À l’époque, dans les premières années du Big Game, Packers et Chiefs n’avaient eu besoin que de deux victoires, eux.
Big Ben, right on time !
24 ans après le Super Bowl XVI, le Michigan retrouve le Big Game. Dans un Ford Field de Detroit flambant neuf, 30 des 34 anciens MVPs de la finale défilent sur le terrain. Seuls manquent à l’appel Joe Montana, Terry Bradshaw, Jake Scott et le défunt Harvey Martin. Ferventes militantes pour les droits civiques décédées quelques jours plus tôt pour la première et en octobre pour la seconde, Coretta Scott King et Rosa Parks, native de Detroit, sont honorées d’une minute de silence. Dans une tradition vieille de quelques années seulement, les deux formations pénètrent d’un seul homme sur le terrain. Ou presque. Pour son dernier match NFL, les Steelers insistent pour laisser un Jerome Bettis surexcité fouler le premier le synthétique de sa Detroit natale.
Sur un FieldTurf inédit pour un Super Bowl plus habitué à l’AstroTurf ou à la pelouse naturelle, les deux formations s’offrent un round d’observation en quatre temps. Quatre séries, quatre punts. Si les Seahawks parviennent à arracher quelques premiers essais à coup de passes rapides et de timing au poil destinés à contrer l’agressivité des Steelers, impossible de conclure. Quand ce n’est pas la défense de Pittsburgh et les mouchoirs jaunes qui se chargent de les renvoyer dans l’autre direction, c’est leur maladresse qui les prive de précieux yards. Côté, Steelers, c’est peanut. Big Ben & Co sont incapables de faire avancer le cuir. Court dégagement, retour d’une douzaine de yards, sur le 4e punt de la rencontre, les protégés de Mike Holmgren se retrouvent en position idéale au milieu du terrain. En deux passes, Matt Hasselbeck les propulse dans la redzone, mais il doit rapidement faire machine arrière. Le quarterback s’extrait de sa poche, étire le jeu comme un grand et trouve les mains de Darrell Jackson dans une endzone où, pour la première fois de l’histoire, le nom de la ville apparaît au-dessus des lettres S-E-A-H-A-W-K-S. À peine le temps de jubiler, un mouchoir jaune s’envole et le receveur est épinglé pour une petite poussette aussi inutile que timide, mais qui allait coûter si cher et faire couler bien de l’encre dans les médias. Excès de zèle des arbitres, application à la lettre du règlement. Chacun se fera son avis. Mais pour Jackson, la pilule est dure à avaler.
« Je ne suis même pas sûr de l’avoir touché, » se défendra le receveur. « J’étais vraiment surpris de voir le mouchoir jaune. […] On a eu l’impression que chacune de nos grosses actions étaient systématiquement renversées ou annulées. Quand tu as le monde contre toi, c’est comme ça que ça se passe. »
Les Seahawks reculent de 10 yards, Shaun Alexander fait du surplace, le quarterback manque D.J. Hackett et Josh Brown ouvre le compteur de loin. 3-0. Un moindre mal. Passe ratée, passe ratée, passe ratée. Trois petits jeux et puis s’en va. Des 15 premières minutes Roethlisberger n’aura pas décroché le moindre 1st down et réussi un seul des ses 5 lancers pour un minuscule petit yard. Abyssal. Si Hasselbeck parvient à trouver des brèches dans les airs, la voie terrestre est bouchée et Alexander bataille pour dénicher 3 yards par-ci, 5 yards par-là. En vain. Seattle doit rapidement rendre le ballon. Et quand Big Ben décroche enfin un premier essai dans les airs et qu’Hines Ward le bonifie sur une end around de 18 yards plein de malice qui illumine enfin une attaque à côté de ses pompes depuis le coup d’envoi, c’est pour mieux se faire intercepter par un Michael Boulware en lévitation sur l’action suivante. La défense de Pittsburgh réplique avec une stop express et avec un peu plus de 8 minutes à jouer, l’attaque des Steelers passe enfin à l’action.
Willie Parker tâte le terrain au sol, Roethlisberger fait un bond de 32 yards dans les airs en deux temps, les voilà aux portes de la redzone. Une interférence offensive contre Heath Miller et un sack de Grant Wistrom plus tard, ils se retrouvent à 40 yards de la peinture. 3rd & 28. Jouer petit bras et assurer le field goal ou remonter son pantalon et tenter le tout pour le tout ? Big Ben s’échappe d’une poche éclatée en mille morceaux, feinte, danse avec la ligne de scrimmage pour ne pas la dépasser, balaye du regard le terrain devant lui, aperçoit Hines Ward devant la peinture et décoche une ogive de 37 yards dans les bras d’un receveur dans tous les bons coups, à 3 petits yards de la ligne. Pris d’assaut par les Terrible Towels jaunes, le Ford Field rugit. Jerome Bettis rembarré deux fois, Big Ben y va comme un grand, plonge la tête la première dans l’en-but et remet les pendules à l’heure. Sur le banc de Seattle comme au micro d’ABC, le doute. Le ballon a-t-il franchi la ligne avant que le quarterback ne soit au sol ? Challenge. Tout le stade retient son souffle. Dans l’attente, Bill Cowher glisse à Troy Polamalu que même en cas de 4e essai, il ira chercher le touchdown. Malgré les doutes, le touchdown est maintenu. 7-3.
Avec moins de 2 minutes à jouer, Matt Hasselbeck attaque les airs avec agressivité et propulse les siens sur la ligne de 40 de Pittsburgh. Les secondes filent, la tension monte et les centimètres se liguent contre les joueurs de Seattle. Sur une bombe du quarterback dans le coin du terrain, Darrell Jackson attrape le cuir à une poignée de centimètres de la peinture jaune, mais en dehors du terrain. D’un rien.
« Le ballon, est arrivé un peu lentement, mais peut-être que j’aurais pu faire quelques chose pour rester dans le terrain, » reconnaîtra le receveur, au cœur d’actions cruciales en première mi-temps.
Quelques actions infructueuses plus tard, résignés à se contenter d’un coup de pied de 54 yards, les Seahawks regardent le ballon s’envoler à quelques centimètres des poteaux. Occasions ratées. Après 30 minutes de domination, les joueurs de l’État de Washington rentrent au vestiaire menés, minés par des drops inhabituels et un cruel manque de réalisme.
Parker, par cœur
Start Me Up, Rough Justice, (I Can’t Get No) Satisfaction, pendant que les Rolling Stones enflamment le Ford Field, Bill Cowher ne s’en cache pas auprès de ses hommes : « Ça n’a pas été notre meilleure mi-temps. » Pourtant, les Steelers sont devant. Pas d’inquiétudes, jouez calmement, prenez le contrôle du match, le coach voue une confiance absolue en ses joueurs. Et dès la 2e action du 3e quart-temps, Willie Parker va lui donner mille fois raison. Le running back s’engouffre dans la ligne sans réfléchir, suit le boulevard tracé par ses bloqueurs, dompte sans frémir une tentative de plaquage désespérée, se tape un sprint électrique jusque dans la endzone et plonge dans une piscine de peinture jaune, 75 yards plus loin. La plus longue course dans l’histoire du Super Bowl. Une unité de plus que les 74 yards de Marcus Allen, héros du Super Bowl XVIII. 14-3.
Portés par une échappée de 21 yards au sol de leur métronome Shaun Alexander, les Balbuzards s’aventurent en territoire ennemi. Stoppés à distance, ils s’en remettent à Josh Brown, mais le botteur rate de nouveau la cible de 50 yards. 3 nouveaux points ratés et une position de rêve offerte au Steelers. Le genre d’erreur qui se paye cash dans un Super Bowl. Surtout qu’en face, les protégés de Bill Cowher sont là pour jouer. Pas question de fermer le jeu.
« Soyons intelligents, ne commençons pas à jouer pour ne pas perdre, » lâche Roethlisberger à son coach.
De ses propres 40, Big Ben continue de trouver les yeux fermés un Hines Ward dans la forme de sa vie avant de laisser Jerome « The Bus » Bettis épuiser la ligne de Seattle. Un travail de sape malin dans la redzone et un match qui leur tend les bras. À 6 yards de l’en-but, il ne tient qu’à eux de tuer tout suspense. Au lieu de ça, Ben Roethlisberger va redonner vie à la rencontre. Kelly Herndon lit parfaitement les intentions du quarterback, coupe la trajectoire devant la ligne, s’empare du cuir et remonte à toute vitesse dans la direction opposée avant de finalement être stoppé par Antwaan Randle El, 76 yards plus loin. Pour les Steelers, un coup de poignard. Pour les Seahawks, le coup de pied au cul dont ils avaient tant besoin. Trois jeux après l’interception, Hasselbeck envoie Jerramy Stevens dans l’en-but, seul au monde. 14-10. Refroidie, l’attaque de Pittsburgh est rattrapée par la peur, resserre son jeu et ne parvient pas à décrocher le moindre premier essai. Côté Seattle, ça n’est guère mieux. Punt, punt, punt.
Le rythme retombé, la frénésie passée, Matt Hasselbeck reprend les choses en main. Calmement. Jeu au sol, improvisations, lancés rapides et courts, les Seahawks avancent battement d’aile par battement d’aile, avec application. Un drive prometteur qui va s’écrouler en trois temps. Holding offensif, sack, interception. La trilogie fatale. Un sale scénario qui n’aura eu de cesse de se répéter depuis le coup d’envoi. Chaque fois que les hommes de Mike Holmgren se seront rapprochés de la endzone, ils auront été rattrapés par une maladresse ou une pénalité à vous faire hurler de rage. Du gâchis à répétition. Tellement frustrant. Pour les Steelmen, une aubaine. Dans son malheur, à peine intercepté par Ike Taylor, Hasselbeck lui barre la route en lui plongeant dans les jambes et offre 15 yards cadeaux à des hommes d’acier qui n’en demandaient pas tant. Le momentum conquis après la longue interception est en train de se faire la belle. Le coach de Seattle et sa moustache fulminent. Surtout qu’en face, les Steelers débordent d’idées.
En deux passes, Big Ben se donne un peu d’air, franchit la ligne médiane et, inspiré par son end around du début de match, Bill Cowher redégaine son cahier de jeux truqués. Toss sur la gauche vers Willie Parker, remise vers Antwaan Randle El, en mouvement dans la direction opposée derrière la ligne, Big Ben se sacrifie sur un bloc salvateur pendant que l’ancien quarterback des Hoosiers d’Indiana arme son bras et décoche une flèche parfaite dans la course d’un Hines Ward en route vers le titre de MVP de la rencontre. 43 yards, touchdown. Inspiration de génie, exécution splendide. Du grand art. 21-10. Le #86 peut danser dans la peinture bleu métal. Moins de 9 minutes à jouer, 11 points de retard, les Seahawks abandonnent le jeu au sol, réduisant le MVP Shaun Alexander à un simple rôle de diversion sur play actions, se tournent vers les airs et, déjà malmenée depuis quelques séries, la ligne offensive ouvre des boulevards au pass rush sanguin de Pittsburgh. Matt Hasselbeck sauvé d’un fumble par un challenge de Mike Holmgren, les Balbuzards tentent tant bien que mal de répliquer, mais leur tentative est ruinée par un sack de Deshea Townsend qui les contraint à punter.
« Je ne suis même pas sûre que ça soit tant une question d’erreurs mentales que d’erreurs tout court, » expliquera un Matt Hasselbeck évidemment déçu. « Ça n’était pas notre jour j’imagine. Tu ne peux pas faire les erreurs que nous avons faites et espérer l’emporter face à une aussi bonne équipe. »
Avec un peu plus de 6 minutes à jouer et une avance confortable, les Steelers lâchent le frein à main du bus Jerome Bettis, font s’envoler les secondes et forcent Seattle à griller tous ses temps morts. Quand le ballon revient dans les mains d’Hasselbeck, il ne reste même pas 2 minutes et plus beaucoup d’illusions. Malgré un quatrième essai converti, le second 4th down échoue, Big Ben s’agenouille et le peuple jaune chavire de bonheur. Après des décennies de disette, les Steelers renouent avec le succès et rejoignent les Cowboys et 49ers avec 5 titres au terme d’une rencontre marquée par un arbitrage polémique des deux bords. Journalistes, observateurs, joueurs, fans, coachs d’un camp comme de l’autre, tous pointeront du doigt un groupe d’officiels pas toujours très inspiré et qui aura contribué à gâcher le spectacle à coup de décisions litigieuses dans des moments clés selon les plus virulents.
« Nous savions que ça serait dur face aux Pittsburgh Steelers. Je ne savais pas par contre qu’il nous faudrait aussi nous battre contre les hommes rayés, » lâchera Mike Holmgren amer quelques jours plus tard.
Mike Perreira, Directeur de l’Arbitrage de la ligue à l’époque, défendra pourtant les décision litigieuses prises par Bill Leavy et son équipe, assurant que toutes, aussi dures à avaler fussent-elles, étaient justifiées et la stricte application du règlement. La NFL, elle, se fendra d’un communiqué arguant que la rencontre avait parfaitement été arbitrée, y compris sur les décision difficiles et polémiques prises par les hommes zébrés. Même Ed Hochuli volera au secours de ses collègues avec nuance et mesure
« Le Super Bowl XL fait partie de ces matchs où l’on a l’impression que toutes les décisions importantes vont à l’encontre de Seattle. Mais ça fait partie du hasard, un hasard malheureux pour Seattle. En réalité, la ligue a le sentiment que le Super Bowl a été bien arbitré. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu d’erreurs. Il y a toujours des erreurs, mais la rencontre a été bien arbitrée. »
Pourtant, la vague de critiques soulevée par le Super Bowl XL suivra Bill Leavy pendant de longs mois, bien conscient qu’il aurait pu mieux faire.
« Ça a été dur pour moi, » confiera-t-il en août 2010, de passage à Seattle. « J’ai pris deux décisions qui ont eu un impact sur le match dans le dernier quart-temps et en tant qu’officiel, vous ne voulez jamais que ça arrive. J’en ai fait des nuits d’insomnies pendant des semaines, et je n’ai de cesse d’y penser. Jusqu’à ma mort je n’aurais de cesse de souhaiter avoir fait un meilleur match… Je sais que j’ai fait de mon mieux à l’époque, mais j’aurais pu faire mieux encore… Lorsque l’on fait des erreurs, il faut aller de l’avant et continuer à vivre avec. Ça fait partie de la vie de chaque arbitre, mais quand on doigt vivre ça lors d’un Super Bowl, c’est évidemment plus difficile. »
Évidemment amer envers l’arbitrage et toujours remonté contre le touchdown accordé à Big Ben en première mi-temps, Mike Holmgren demeure objectif et lucide sur la prestation manquée de son équipe.
« Je suis surtout déçu par la façon dont nous avons joué dans certains secteurs de jeu. Je pense que nous n’avons pas suffisamment pris soin du ballon, et que nous avons généré bien trop de pénalités. Une pareille combinaison face une très bonne équipe des Steelers, ça n’a rien bon. Je pense que ça résume plutôt bien le scénario du match. »