Un jour, le légendaire Buddy Ryan a dit : « Un quarterback n’a jamais complété une passe lorsqu’il gît sur le dos. Nous devons le secouer violemment et souvent. Les quarterbacks sont surpayés, surcotés, des bâtards pompeux et nous devons les punir« .
Aussi célèbre pour son génie que pour son franc parler, peu de phrases résument aussi bien sa philosophie défensive. Pour gagner, il faut mettre le quarterback à terre et pour cela il faut pénétrer la ligne offensive. La vision de défenseurs annihilant des blocks puis de quarterback sackés semblent incriminer la ligne offensive. Quoi de plus normal après tout, la ligne doit protéger le quarterback, si il est à terre c’est qu’elle n’a pas fait son boulot.
Et si cette idée n’était pas vraie ? Et si chaque lanceur était responsable du nombre de fois où il mord la poussière ?
Aujourd’hui, on enquête pour trouver le vrai coupable derrière le nombre de sack d’une équipe.
Le Pass Block Win Rate
Pour cette étude il est nécessaire de séparer la ligne du quarterback, ce qui n’est pas forcément chose aisée avec les statistiques usuelles. Il y a 2 ans ESPN a mis au point un outil intitulé Pass Block Win Rate (Taux de block réussis). Cette mesure utilise les puces placées sur les joueurs pour déterminer quel joueur bloque un autre et combien de temps dure le block. Si un linemen offensif arrive à obstruer son adversaire plus de 2,5 secondes c’est une victoire, sinon c’est une défaite. Dans le cas où le ballon est lancé avant 2,5 secondes et que le linemen tient encore son block, le jeu n’est pas comptabilisé.
Cette mesure est donc presque totalement indépendante du quarterback puisque la ligne offensive n’est pas pénalisée pour les sacks et les pressions sur des jeux trop long. Elle ne couvre malheureusement pas le cas des lanceurs qui reculent trop dans leur poche sur les long down laissant leur tackle se faire déborder.
Etude Statistique
Maintenant que l’on a notre statistique, on va étudier sa relation avec le taux de sack par action de passe. Le PBWR étant une statistique récente, l’échantillon disponible ne s’étend que sur 2 années ce qui est peu pour conclure mais assez pour donner une tendance.
Petit rappel sur les coefficients de corrélation, c’est un chiffre compris entre –1 et 1. Plus ce coefficient est éloigné de zéro, plus il indique une forte corrélation entre les deux données (attention corrélation n’est pas causalité).
Dans le graphe obtenue ce dessous, chaque point représente une équipe avec en abscisse le taux de sack sur la saison indépendamment du quarterback qui jouait et en ordonnée le PBWR de l’équipe à l’issue de la saison.
Avec un coefficient de -0,23 la corrélation est très peu marquée. Elle l’est en tout cas bien moins que ce qu’on aurait pu penser, ce qui sous-entend que la majorité des sacks s’expliqueraient par des facteurs extérieurs à la ligne.
La question est maintenant de savoir si ces facteurs extérieurs sont l’accumulation d’événements aléatoires ou plutôt spécifiques au quarterback jouant derrière la ligne.
Pour répondre à cela on va étudier la variation de cette donnée pour chaque quarterback d’une année à l’autre. En d’autres mots, on va regarder si la statistique est stable. Une donnée qui est stable malgré les années pour un joueur unique ne peut pas être due au hasard.
Sur la période étudiée (2010-2020) il y a 309 occurrences de joueurs qui lancent plus de 100 passes 2 saisons d’affilée. Ce qui représente une centaine de quarterback uniques.
On s’aperçoit que le nombre de sacks par action est corrélé à celui de l’année suivante par un coefficient de 0,45 bien supérieur à celui obtenu plus haut. La variation du taux de sack dépend donc plus de l’année précédente que du niveau de la ligne. Autrement dit le quarterback a un plus grand impact que sa protection sur son total de sack.
Pour se rendre compte de l’ordre de grandeur de cette corrélation intéressons nous au pourcentage de passes complétées. Aucunement gage de qualité de jeu, cette mesure reflète surtout le style du joueur. Un Drew Brees privilégiant le jeu court aura forcément un meilleur taux de passes complétées qu’un Russell Wilson plus agressif. Cette statistique est stable avec un coefficient de 0,5 et c’est actuellement la donnée la plus constante chez un quarterback d’une année à l’autre. Du même ordre de grandeur, taux de sack est donc bien une composante du jeu du passeur.
Cette conclusion est confirmée par le fait que les quarterbacks qui changent d’équipe et donc changent de ligne, gardent une constance dans leur taux de sack.
Si l’on répète la même démarche en s’intéressant seulement aux pressions (les pressions regroupent toutes les fois où le quarterback est pressé, touché ou sacké). La corrélation entre le taux de pression par action et le Pass Block Win Rate est de -0,42 alors qu’il est de 0,5 d’une année à l’autre (le signe du coefficient n’est pas important c’est la valeur absolue qui compte). Chaque joueur influence donc une grande partie des pressions qu’il va subir.
On peut remarquer que le taux de pression est légèrement plus stable d’une année à l’autre pour un quarterback que son taux de sack. Cette différence peut être potentiellement expliquée par la chance et l’aléatoire impliqués dans le sport. De même que pour les turnover, un petit détail permet au quarterback d’échapper au sack comme il peut être sauvé d’interceptions par des défenseurs qui relâchent le ballon.
Cette différence peut aussi être causée par la difficulté à définir des pressions. Cette statistique est assez subjective et peut varier d’un média à l’autre.
Conclusion
Le but de cette étude n’est pas de montrer qu’une ligne offensive ne sert à rien, car ce n’est pas vrai. En revanche, elle montre que chaque quarterback contrôle en grande partie le nombre de pressions et de sacks qu’il va subir. Ce qui n’est pas spécialement étonnant car les joueurs mobiles qui ont confiance en leur capacité à échapper à la pression ont fait de cet atout un axe important de leur jeu. Ainsi des quarterbacks comme Russell Wilson ou Deshaun Watson ont tendance à garder le ballon plus longtemps, invitant la pression dans leur poche, pour le meilleur ou pour le pire. Ce n’est pas forcément quelque chose de rédhibitoire comme l’a montré Aaron Rodgers cette saison en passant de plus 6% de moyenne en taux de sacks sur les saisons 2018 et 2019 à moins de 4% en 2020 (6e meilleur total de la ligue). Tout ça, malgré une ligne quasi inchangée. Mais il faut bien comprendre que cela fait partie de l’identité du quarterback.
Donc la prochaine fois que vous tomberez sur le nombre de sacks d’une ligne offensive, regardez aussi qui lance le ballon derrière elle.