[Undrafted] Adam Thielen : garanti 100% Minnesota

Sous-estimés, méprisés, oubliés, recalés. Les revanchards de la NFL. Les non-draftés.

Son histoire est connue de tous. Répétée sans cesse, chaque dimanche, depuis une saison 2017 qui l’aura vu exploser aux yeux de tous. Un refrain dominical aux allures de conte de fée pour un mec que le destin s’est acharné à dégoûter du football. Mais sa détermination et sa passion du jeu étaient trop fortes. Son histoire, un exemple pour des milliers de gamins des ballons à lacet plein les yeux. Le Yacine Bammou de la NFL.

Minnesota, mon amour

Adam grandit au coeur des 10 000 lacs du Minnesota, sur les rives du Detroit Lake et sa longue plage bordée d’arbres paralysée par la neige et un froid mordant pendant des hivers qui s’étirent des mois durant. En 98, il a 8 ans quand les Vikings de Cris Carter, Randy Moss, Randall Cunnigham et Robert Smith dépoussièrent tous les records offensifs du Grand Livre de la NFL. La révélation. Adam veut jouer au football. Mieux, il veut être receveur. Dans l’immense jardin de la maison familiale, posée dans la périphérie boisée de la petite localité, le gamin s’aménage un véritable terrain de fortune. Lignes tondues à même la pelouse, des cordes et des cônes pour délimiter l’aire de jeu, il ne jure déjà que par le football. Et ça n’est pas pour déplaire à Davis et Janaye Johnson, ses deux voisins et sparring partners préférés. Noyé dans maillot violet floqué du numéro 80 de Carter ou du 84 de Moss, il ordonne sans cesse à sa quarterback personnelle de lui lancer le ballon loin de lui, de telle sorte qu’il doive plonger en avant ou bien faire parler des dons de ballerine précoces en bord de touche, se souvient Janaye dans les colonnes du Duluth News Tribune en décembre 2017. « Il était incroyable à ce football de jardin, » se remémore-t-elle. « Il prenait vraiment ça au sérieux. »

À l’époque, la NFL de ses idoles violacées est à des années lumières dans sa petite tête pourtant. Tout ce qu’ils ont dû accomplir pour en arriver là, il n’en a pas vraiment conscience confie-t-il de sa propre plume sur les pages de theplayerstribune.com en octobre 2017. Ce qu’il devra accomplir pour les imiter, il n’y pense même pas. Tout ce qu’il veut, c’est s’amuser, reproduire les prouesses de l’intenable tandem des Vikings et s’éclater avec ses potes. Un simple divertissement. Un jeu. Rien de plus. Quand bien même il prend ce jeu très au sérieux. Et quand il ne taquine pas le ballon à lacet, il empoigne son fer pour aller fesser la petite balle blanche. Dès ses 5 ans, sa mère, coach du programme de golf pour les jeunes pousses de Detroit Lakes, l’initie aux greens. Très vite, il développe une véritable passion pour ce sport de précision, d’adresse, de patience et d’accoutrements parfois douteux, n’hésitant pas à se mesurer à des adultes plus aguerris. Champion d’État avec les Lakers de Detroit Lakes High School sur les grandes étendues vertes, meilleur marqueur de l’histoire du lycée sur les parquets, il passe l’été à se dorer la pilule sur les monticules et porte les siens jusqu’en playoffs sur les terrains de football. S’il ne touche pas beaucoup de ballons dans une attaque run-first obsédée par le plancher des vaches, il endosse déjà le rôle de go-to-guy, de Monsieur Fiable.

« Il n’a pas dû attraper plus de 50 ou 60 ballons au lycée je pense, mais la moitié d’entre eux ont fini en touchdown, » raconte Flint Motschenbacher, son coach de l’époque. « Quand nous étions en difficulté, on se rabattait toujours sur lui. Il n’était pas particulièrement impressionnant physiquement quand il était jeune, peut-être 68 kilos tout mouillé, mais il était capable de bondir, de s’élever dans les airs et avait une sacrée paire de mains. C’était une machine à highlights à l’entraînement. Chaque jour on se répétait, ‘Mais comment il a réussi à attraper ça ?’ »

Né en août, il n’a que 17 balais quand il achève le lycée. Plus jeune que toute sa promo, il doit aussi composer avec une croissance qui traîne la patte. 1 mètre 82, 72 kilos, un piteux 4,9 secondes dans les bons jours sur le 40-yard dash, Adam n’a rien d’un athlète hors-norme. Surtout, rien ne laisse présager que, d’ici quelques mois, il aura pris 6 bons centimètres, près d’une vingtaine de kilos de plus et troqué son moteur de 2CV pour un V8 ronronnant. Résultat des courses : dans sa boîte aux lettres, pas la moindre offre de scolarité. Personne ne veut de lui.

Thielen a beau aimer le football par-dessus tout, il pense un temps opter pour le basket. Faute de mieux. Pourtant, en dépit de qualités athlétiques banales, les qualités de footballeur d’Adam titillent la curiosité de quelques programmes du coin : Bemidji State, Minnesota State University-Mankato, University of Minnesota-Duluth et University of North Dakota. Tout sauf des cadors. Jugé trop lent par UND, sa piste est finalement abandonnée. Rapidement, les autres facs se ravisent elles aussi et, fin juin, Adam semble décidé à rejoindre Concordia College, son petit programme de Division III et son campus privé du nord-est de l’État, collé à la frontière du North Dakota. Il faut dire que le coach de basket des Cobbers est le seul à avoir manifesté le moindre intérêt pour lui. Il a même fait le déplacement jusqu’au domicile familial quelques semaines plus tôt pour convaincre Adam en personne. Là-bas, il pourra cavaler sur les gridirons comme les parquets lui a-t-on assuré. L’affaire semble entendue, jusqu’au Minnesota All-Star Football Game 2008 réunissant tous les meilleurs seniors lycéens de l’État. Durant la semaine de préparation, le receveur tape dans l’oeil d’Eric Davis, alors conseiller pour MSU-Mankato. L’entraîneur invite Motschenbacher autour de quelques pintes et lui demande de tout balancer sur Adam. « Personne n’est sur lui. Vous devriez tenter votre chance, » glisse le coach. Comblé par ce qu’il entend, il empoigne son portable et appelle Todd Hoffner, entraîneur des Mavericks, pour lui refiler le piston sur ce gamin. Seul soucis, les finances du programme sont à sec.

« Nous n’avions plus un rond, » se souvient Hoffner dans le Duluth News Tribune. « Nous venions de changer de conférence et nous avions dû faire des coupes sur les bourses d’études. Il ne nous restait plus que 500 dollars. Nous appelons ça le Maverick 500 désormais. Je ne vais pas vous raconter que j’étais certain qu’Adam deviendrait pro un jour, mais si nous avions eu plus d’argent, nous lui en aurions clairement offert plus. »

500 billets verts, mieux que rien pour Adam qui appelle sa mère et lui annonce qu’il opte pour MSU-Mankato. Une semaine plus tard, il rejoint le campus flambant neuf du sud du Minnesota, théâtre estival du camp d’entraînement des Vikings depuis plusieurs années.

« Des bourses de 500 dollars, je ne savais même pas que ça existait, » raconte Thielen. « Ça ne suffirait même pas à payer mes bouquins. Mais c’était mieux que tout ce qu’on m’offrait d’autre… c’est à dire rien. Donc je n’ai pas vraiment hésité. »

Là-bas, il se parera de… jaune et violet. Dans sa tête, il ne vient pas de faire un pas de géant vers une éventuelle carrière NFL. Non, il vient juste de prolonger de quelques années l’espérance de vie de sa carrière de footballeur amateur. Pendant 4 ans, il n’aura de cesse de monter en puissance. De 225 yards et un petit touchdown en 9 pauvres rencontres sans la moindre titularisation en 2009, il achève sa carrière universitaire en faisant péter tous ses records personnels en 2012 : 14 départs, 74 réceptions, 1176 yards et 10 touchdowns, dont deux sur des phases de retour où il fait parler son flair pour les grands espaces. « Il a réalisé une année de senior phénoménale, » se souvient Aarn Keen, membre du staff à l’époque, dans les pages du Washington Post. « Il était inarrêtable. » Pourtant, même dans l’arrière-cours de Vikings dont le centre d’entraînement d’Eden Prairie n’est situé qu’à 100 bornes de là, pas le moindre observateur violet ne vient le superviser cette année-là. Un an plus tôt, lorsque les scouts NFL étaient venus s’aventurer sur le petit campus du sud de l’État pour observer LaMark Brown, receveur d’un mètre 93 transféré de Kansas State la saison précédente et à la carrière aussi plate que les grandes Grandes Plaines, le coaching staff des Mavericks n’avait pas masqué son scepticisme quant aux mensurations d’Adam. L’année suivante, pas le moindre recruteur ne prendra la peine de refaire la route jusqu’à Mankato. Merci pour le lobbying.

« Je suis épouvantable pour évaluer le talent des jeunes, » reconnaît Mike Cunningham, coach de la ligne offensive de Mankato-State à l’époque, sur ESPN fin octobre 2018. « Nous ne faisions jamais de tests sur 40 yards à Mankato. J’étais en charge des liaisons avec le monde pro là-bas. Quand les franchises NFL venaient nous voir, nous ne leur donnions pas toujours son nom dans la seconde. Nous pensions juste que c’était un bon joueur de Division II et évidemment, il nous a tous donné tort. »

L’année 2013 n’a que quelques jours et Adam vient de sonner le clap de fin de ses années de footballeur universitaire. Avec Josh Herzog, son pote de toujours, il se balade dans Detroit Lakes lorsqu’il tombe sur un linebacker de North Dakota à la langue bien pendue qui se réjouit du pro day qui l’attend dans quelques jours et de la carrière NFL qui lui tend les bras. Thielen lui rétorque que, lui aussi, il jouera dans la grande ligue un jour. « Le mec lui a littéralement ri à la gueule, » se souvient Herzog dans les colonnes du Washington Post en 2018. Chez le père d’Adam, les mêmes doutes, mais pas la même façon de les exprimer. « Quelle est la suite ? » s’interroge-t-il. Déterminé à poursuivre sa carrière de footeux et encouragé par un de ses profs, Thielen est de plus en plus tenté par un exil allemand, voire canadien, mais à la surprise de son padre, il compte faire une ultime escale par le Regional Combine de Chicago, un des 8 du genre à travers le pays, avant de dégainer son passeport. Une dernière chance de se montrer aux observateurs Yankees. Sa seule puisque la grande foire d’Indianapolis n’a pas daigné le convier à ses festivités annuelles.

« Je me suis dit, qu’est-ce que j’ai à perdre si je n’y arrive pas ? » écrit Thielen. « Tant que je pourrais regarder en arrière et me dire que j’ai fait tout mon possible pour y arriver, je serais capable de poursuivre ma vie sereinement. »

Pas de pro day à Mankato. Les tentatives de ses coachs de l’intégrer au pro day d’un plus gros programme du Minnesota font chou blanc. Pas d’invitation à Indy. Absent des Blesto et National scouting reports recensant les meilleurs talents universitaires, il passe purement et simplement sous le radar des 32 franchises NFL. Inconnu. Un nobody. S’il veut un chance, aussi infime soit-elle, de se montrer aux recruteurs NFL, il va devoir faire parler son imagination et sa détermination. Partagé entre un instinct paternel schyzo qui le pousse à encourager son gosse à poursuivre un rêve qui semble presque relever du délire tout en restant le plus rationnel et réaliste possible, Pete le questionne : « Adam, à quel point es-tu rapide ? » Silence. Le receveur n’en a pas la moindre idée. Ses derniers tests athlétiques datent de Mathusalem.

« Il ne courent que des 20 yards en Division II, » explique Thielen père dans le Duluth New Tribune. « Je savais que pour espérer jouer dans la NFL il fallait être rapide. Il m’a répondu qu’il était l’un des plus rapides de son équipe. Je me suis senti rassuré. »

Pendant 6 semaines, Adam suit un programme de conditionnement intensif auprès de Tommy Langford, ancien coéquipier de Mankato ayant côtoyé des entraîneurs pros quelques années plus tôt, au moment de se présenter sous la loupe des scouts. Des recruteurs qui ne jurent que par le 40. « Si tu cours un 40 trop lent, ils ne regardent même pas tes compilations, » explique Langford au Washington Post. Mieux respirer pour mieux s’économiser et mieux courir. Le receveur met toutes les chances de son côté en même temps qu’il achève son cursus scolaire.

Les 12 travaux d’Adam

Les longues heures de route, l’essence, la bouffe, l’hôtel et les 275 dollars d’entrée. Adam, chômeur de 23 ans tout juste diplômé et courant après son rêve, saigne une partie de ses économies et doit emprunter quelques billets verts à ses parents pour rejoindre le rassemblement de Chicago et son casting hétéroclite.

« C’était un mélange vraiment spécial, » se souvient-il. « T’avais un mec de Division I en train de tout donner à côté d’un gros type déjà vieillissant et qui avait l’air de ne jamais avoir joué au football de sa vie. C’était un peu surréaliste. »

Sûr de ses mains, sûr de son jeu de jambe, mais encore incertain sur sa véritable vitesse. Le facteur X. Celui qui pourrait lui entrouvrir les portes de la NFL ou bien les lui refermer en pleine tronche.

« […] Je savais parfaitement que pour les recruteurs NFL, le 40-yard compte plus que tout, » explique Thielen. « Parce que la vitesse ne s’enseigne pas. Si j’étais capable de courir entre 4,40 et 4,50, ça pourrait faire son petit effet sur le papier et me propulser à l’étape suivante, voire jusqu’à un camp de rookies. »

4,45 secondes plus tard, il est invité au Super Regional Combine de Dallas. Même lui n’en croit pas ses yeux. Lorsque le chiffre s’affiche sur l’écran de son ordinateur après une nuit passée à rafraîchir la page comme un demeuré, il bondit de la chaise de son hôtel. Tommy Langford et un autre de ses potes l’ayant escorté dans l’Illinois décrochent de la TV devant laquelle ils étaient vissés depuis des heures pour se téléporter derrière leur ami, scotché à son écran, béa. Salade de hurlements et de high five, Adam empoigne son téléphone pour appeler Caitlin, sa copine. Après des mois de privation, le trio sort se goinfrer de bière et de friture. En une ligne droite, Adam vient de changer le cours de sa vie.

Quelques jours plus tard, accompagné par son père, il décolle direction le Lone Star State à ses propres frais, encore une fois.. Là-bas, contrairement au combine intimiste de Chicago où seuls de simples pions sont rassemblés pour compiler des données chiffrées et les expédier aux franchises ensuite, les scouts NFL seront présents en chaire et en os. À Dallas, Adam s’entretient même avec des coachs de la Caroline et de San Francisco très « intéressés » qui lui demandent de leur transmettre quelques séquences vidéos et impressionne de nouveau par sa vitesse. 4,45 sur la ligne droite et un temps qui l’aurait placé dans le top 20 du Combine d’Indy sur le three-cone drill. Puis vient le dernier week-end d’avril 2013. Un premier jour sans grandes attentes, une deuxième journée plutôt détendue et une troisième infernale qui s’achève sans la moindre trace d’un Adam Thielen. Les semaines passent, la free agency suit son cours et toujours rien. Inconnu avant la draft. Inconnu après. Ne pas être drafté, il s’y attendait. Ne pas décrocher le moindre contrat estival, un coup dur.

« Je ne m’attendais vraiment pas à ce que personne ne me signe comme agent libre non-drafté. Je pensais en avoir fait assez pour qu’au moins une équipe me fasse venir pour voir ce que je valais. »

En mai, il décroche un entretien d’embauche pour une firme de vente de prothèses dentaires. Quand on lui demande quel est le boulot qu’il aimerait par-dessus tout au monde, la réponse jaillit de sa bouche : « Jouer dans la NFL. » À la fin de la semaine, une offre d’emploi chez Patterson Dental en poche, il rejoint les essais de ses Vikings de toujours. Car si elle a préféré faire l’impasse sur lui et a traîné la patte depuis la draft, la franchise des Twin Cities a été charmée par ses prouesses du Super Regional Combine raconte Rick Spielman sur ESPN. Discrètement et sans le savoir, l’ancien de MSU s’est glissé sur leur radar. Sur le practice squad des Vikings depuis la saison précédente, LaMark Brown recommande à Adam de signer avec le même agent que lui. Chaque printemps, Bill Biermann reçoit des centaines de coups de fil de gamins prêts à tout pour effleurer leur rêve d’une vie le temps d’un été. Chaque printemps, l’agent doit faire des choix. Briser des rêves.

« J’ai regardé des images d’Adam, j’ai discuté avec lui et ça n’était pas bien dur de voir à quel point il avait envie de ça et croyait dur comme fer en lui, » se souvient-il auprès d’ESPN. « Je me suis dit, ‘ce gars peut le faire.’ Tout ce que j’avais à faire, c’était lui donner une chance. Ça a été ma promesse, ‘Si tu me choisis, je t’offrirai une chance. Je te le promets.’ »

Promesse tenue. L’agent multiplie les coups de fils avant d’enfin recevoir une réponse. Un gamin du Minnesota, amoureux de votre franchise, passionné, bosseur, vous n’avez rien à perdre milite-t-il. Des coups de fils, il lui en faudra plus d’un ou d’eux pour finalement convaincre Rick Spielman. Pour Adam, la surprises est totale.

« J’ignorais que les Vikings étaient intéressés, » explique le numéro 19. « Je m’attendais à ce que d’autres équipes le soit en fait, puisque les Green Bay Packers et trois ou quatre autres franchises avaient demandé des bandes vidéo après le combine de Dallas, mais les Vikings n’en faisaient pas partie. Je ne m’attendais pas du tout à ce que les Vikings appellent, mais c’est ce qui s’est passé le jour de la draft ; ils m’ont dit que si ça ne marchait pas et que personne ne me signait, ils aimeraient me convier au camp de rookies. Et quelques jours plus tard, les Carolina Panthers m’appelaient et me faisaient la même offre pour la semaine suivante. »

Adam fait la route de Detroit Lakes jusqu’à Eden Prairie où il rejoint un groupe de 11 receveurs aux parcours multiples. Choix de premier tour, heureux élus ayant eu la chance d’entendre leur nom retentir dans les dernières heures de la draft, agents libres non-draftés qui s’accrochent à leur rêve et, pour faire le nombre, les autres. Vétérans en quête d’ultimes frissons ou de seconde chance pour certains et, là encore, les autres. Les Adam Thielens. Ils n’ont jamais foulé un terrain de NFL, n’on pas été draftés, n’on pas été signé en tant que undrafted rookie free agent, mais ils font partie de ces 30 ou 40 mecs dont les franchises ont besoin pour former un effectif complet le temps de quelques jours. Le temps du rookie camp. Pour eux, sous l’oeil de coachs qui n’en attendent pas grand chose, leur dernière chance d’intégrer le roster de 90 pour le camp d’été. Leur seule. Le dernier lien qui les raccroche à une hypothétique carrière professionnelle. Trois jours, cinq entraînements et trois groupes de joueurs bien distincts : celui des draftés, celui des non-draftés et celui des autres.

En quelques jours seulement, il ingurgite un playbook que les vétérans de l’équipe première mettent parfois un été entier à assimiler, se souvient-il. « C’est qui ce mec ? » se demande Cordarrelle Patterson, choisi au premier tour quelques semaines plus tôt et bluffé par l’énergie et la hargne de ce gamin. Une source de motivation se souvient la fusée aux dreads. 4,3 chrono en main, 4,4 d’après les capteurs électroniques, Thielen impressionne Bill Musgrave par sa vitesse. « C’était le gars le plus rapide sur le terrain, » se souvient le coordinateur offensif. Mieux encore, il joue vite, il voit vite, sur une ligne droite sans opposition, sur un carré verts jonché d’obstacles, il fait tout vite. Bourreau de travail s’offrant des heures sup à étudier son cahier de jeu le soir dans sa chambre, élève model appliqué et sérieux, éthique de travail irréprochable et soif d’apprendre et de se perfectionner, en trois jours de mini-camp seulement, Adam conquit le coeur de tout le staff, de Leslie Frazier, head coach à l’époque, jusqu’à Mike Priefer, gourou des équipes spéciales, et George Stewart, entraîneur des receveurs. Il aurait toutes les raisons du monde d’être gagné par le trac, mais sans trop savoir pourquoi, Thielen nage dans un océan de confiance et de plénitude. Il croit en lui. Il sent qu’il va gagner sa place. Rien de rationnel là-dedans. Et quand il bat en un-contre-un le 25e choix de la draft cette année-là, cette mystérieuse aura de confiance qui l’embaume ne fait que se décupler.

« Il se foutait totalement de qui était en face de lui, » se remémore Cordarrelle Patterson. « Xavier [Rhodes] avait beau être un choix de premier tour, il n’en avait rien à faire. Il allait donner son maximum et tout faire pour gagner son duel. »

À la fin du week-end, Adam a intégré le deuxième groupe et se frotte parfois au premier. Mais dans sa tête, aucune chance, les Vikings tiennent déjà leurs 90 hommes. Le troisième et dernier jour, il remballe ses affaires et se prépare à rentrer chez lui quand un des coachs vient le chercher. Le staff violet a été séduit par ce qu’il a vu. À tel point qu’ils viennent de couper un type auquel ils avaient offert un bonus de signature quelques semaines plus tôt pour faire une place à Adam dans le groupe de 90. Rookie non-drafté, il paraphe un contrat de 3 ans le 13 mai, passe l’été à Winter Park, joue sa peau en multipliant les catchs à une main jour après jour, enfile le maillot violet pour la présaison et foule pour la première fois le synthétique d’un Metrodome dont il a rêvé toute sa jeunesse.

« Quand j’étais au lycée, au début de chaque saison de football, on affichait une photo dans notre vestiaire, » écrit-il sur ThePlayersTribune. « Une photo du Metrodome. C’est là-bas que se jouait la finale d’État chaque année, c’était notre objectif. »

Loin de la bouillante marée violette de la saison régulière, Adam (re)découvre une enceinte plus sage, mais qui l’enchante tout autant. Paré de purple, lors des deux premières semaines de la présaison, il passe les premiers cuts avant d’être laissé sur le banc pour les deux dernières. Les Vikings ne veulent pas le montrer. Ils veulent le garder pour eux. Finalement coupé le 31 août, il traverse le waiver sans être réclamé au grand soulagement de Rick Splieman et tout son staff et est directement signé sur le practice squad. Car s’il n’a pas encore sa place parmi les 53, hors de question pour Frazier de laisser filer un diamant brut de ce calibre.

« Adam avait de superbes mains et courrait des tracés remarquables, » se souvient le coach. « Nous n’étions pas encore sûrs de sa vitesse de pointe, mais il avait un don unique pour se démarquer. »

Même quand il semble être parfaitement couvert, il trouve le moyen d’attraper le ballon, dans des positions contre nature parfois, jouant avec la gravité, avec les angles, coupant brusquement sa course pour revenir vers le cuir, trouvant des interstices entre les défenseurs, s’isolant avec une aisance bluffante, dessinant des routes parfaites, d’une fluidité et d’une justesse presque enchanteresses. Un véritable ballet. « Ça c’est un tracé NFL ! » beuglent régulièrement ses coachs. Ce gamin pue le football à plein nez. Dans ses mains, dans ses jambes, dans ses pieds, dans sa tête, dans son coeur. A natural, comme on dit en américain. Il engloutit le playbook offensif en un claquement de doigts se souvient Rick Spielman, manager général de la maison violette. Un bosseur hors-pair. En bon Minnesotan, il ne cherche pas la lumière, juste la fierté d’avoir accompli sa mission.

Success story

Relégué sur la réserve après 8 mois éprouvants pour les nerfs et le corps, Adam savoure. « Chaque jour, j’allais devoir porter une uniforme des Vikings. Je ne sais pas pour vous, mais pour moi ça vaut tous les costards-cravate du monde. »  Non, il ne devra pas vendre d’équipement dentaire. Sparring-partner d’entraînement pendant sa première année chez les pros, Thielen passe le cut final l’été suivant dans un rôle de joueur d’équipes spéciales qui grappille quelques restes en attaque dans le garbage-time ou sur les formation à trois receveurs. Le 30 novembre 2014, Pete et Jayne, ses parents, sont dans les tribunes ensoleillées du TCF Bank Stadium. Punt pour les Panthers. Adam va se positionner sur la ligne, prêt à bondir. « Il va essayer de bloquer ce punt, » prévient son père à toute sa section du stade. Le numéro 19 s’infiltre plein gaz, le cuir vient se fracasser contre ses bras tendus, Thielen se redresse en un éclair tout en agrippant le ballon au passage, résiste à deux plaquages et s’en va écraser le cuir dans la peinture, 30 yards plus loin. Un poing rageur frappé contre son coeur, il bondit vers les tribunes pour s’offrir un bain de foule aussi bref que libérateur. Greg Jennings le tire par le bras en lui gueulant, « qu’est-ce que t’as foutu du ballon ? » Aucune idée. Adam est dans un état second. Un membre du personnel se chargera de retrouver le précieux trophée qui trône aujourd’hui dans la maison familiale.

« C’est un des souvenirs les plus inoubliables de ma carrière de footballeur, » se souvient le receveur. « Et les circonstances sont plutôt cool. Je me souviens avoir plus ou moins perdu la mémoire, je bloque le dégagement et je me retrouve là, avec le ballon juste à côté. Je l’ai juste récupéré et j’ai couru. Si quelqu’un m’avait dit que c’est comme ça que j’inscrirais mon premier touchdown dans la NFL je l’aurais traité de fou, mais c’était génial. »

8 petites réceptions, 137 yards et le touchdown de la gagne en clôture de la saison face aux Bears. Son tout premier. 44 yards avec la complicité d’une couverture douteuse d’un dernier rideau de Chicago qui s’était mis à brailler « Diversion ! Diversion, c’est juste un bloqueur ! » lorsque Thielen était entré en jeu raconte Jarius Wright. De quoi clore en beauté sa première saison en tant que joueur NFL à temps plein. En tant que joueur des Vikings. Son équipe de toujours. Le rêve de gosse de milliers d’apprentis footeux. En 2015, 4 ballons de plus, 7 petites unités de plus, pas de touchdown, mais 89 yards glanés au sol en 4 courses. L’été suivant, Adam compte bien aller décrocher un job à temps plein au sein de l’escouade offensive. Depuis 3 saisons, il se démène comme un fou furieux, jour après jour, entraînement après entraînement, pour battre les titulaires et prouver à ses coachs qu’il vaut mieux qu’eux.

Un objectif de carrière qui passe par une semaine d’entraînement conjoint avec les Bengals début août. Et lorsque le numéro 19 est envoyé sur le terrain en compagnie d’Isaac Fruechte, Adam « Pacman » Jones et Dre Kirkpatrick jouent les arrogants et tirent la gueule raconte le Star Tribune cette semaine-là. « On veut se mesurer aux gros durs. Y’en a pas un seul dans cette équipe, » se plaignent les deux défenseurs qui font volte-face et retournent sur la touche en attendant que le menu-fretin sorte à son tour pour céder leur place à de « vrais » joueurs de foot. Drafté au premier tour en 2013 alors que Thielen traversait la draft comme un fantôme, Cordarrelle Patterson, devenu son meilleur pote violet depuis, voit dans le mépris affiché par les défenseurs adverses un atout de taille.

« On veut que les gens regardent Adam et se disent, ‘Oh, il n’est rien. Juste un petit mec blanc incapable de jouer au football,’ » raconte CP84 au Star Tribune. « Et juste après, il se retrouve dans leur dos. On a l’impression que sur chaque action il est démarqué. Et sur les équipes spéciales, il fait absolument tout. Il bloque des punts et les convertit en touchdowns, court sur des reverses et plein d’autres choses. C’est toujours le bon mec, au bon endroit, au bon moment. »

Saison 2016. Semaine 5. Le match le plus important de sa carrière dixit Adam. Celui de la révélation. Stefon Diggs sur  le flan, c’est sur lui que repose l’essentiel de l’attaque violette. 7 réceptions, 137 yards et un touchdown, le deuxième sous le Purple & Gold. À la fin de la rencontre, son téléphone est pris d’une crise d’épilepsie et n’en finit plus de vibrer, croulant sous les appels de sa famille, de ses amis, de tous ceux qui ont toujours cru en lui. Centenaire pour la toute première fois, Thielen devient père deux jours plus tard. Désormais padre et receveur flirtant avec un rôle de titulaire, il savoure sa semaine de repos, prend de plus en plus de place dans le jeu offensif des Twin Cities match après match, renoue avec les trois unités face aux Jaguars mi-novembre et, après un dimanche blanc face aux Colts, explose dans la fraicheur du Lambeau Field sept jours plus tard. 12 réceptions, 202 yards et 2 touchdowns. Incapable de confirmer pour la der face aux Bears la semaine suivante, il échoue à 37 petites unités d’effacer la barre des 1000 yards. Un petit raté symbolique, mais l’important est ailleurs. À 26 ans, Adam Thielen le walk-on s’invite à la table des meilleurs receveurs de la ligue. Une trajectoire impensable pour un mec dont personne ne voulait. Pire, pour un mec que personne ne connaissait.

En 2013, ils étaient 967 receveurs universitaires à pouvoir prétendre à une place dans la NFL. 6 ans plus tard, ils ne sont plus que 12 à étirer les défenses NFL. Parmi eux, un gamin de Division II qui a dû payer de sa poche pour gagner le droit de peut-être gagner la chance de se montrer aux recruteurs .

« Je ne me suis jamais dit, je veux jouer au football à tel ou tel niveau, » raconte Adam. « J’ai juste pris chaque jour l’un un après l’autre, en essayant de faire de mon mieux à chaque fois et en laissant les choses se faire d’elles-mêmes. »

Né dans le Minnesota. Biberonné au football dans le Minnesota. Footballeur lycéen dans le Minnesota. Footballeur universitaire dans le Minnesota. Footballeur professionnel dans le Minnesota. Quand il n’avait que 8 balais, il se glissait dans l’uniforme de Cris Carter et Randy Moss dans son jardin de Detroit Lake. Aujourd’hui, il sont des dizaines de mômes à travers le Minnesota à se prendre pour Adam Thielen.

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