À 4 semaines du Super Bowl LII, épisode 47 de notre rétrospective exceptionnelle, le Super Bowl XLVII.
Seattle Seahawks (NFC) vs. Denver Broncos (AFC) – 3 février 2013
Archie Manning et ses deux rejetons aux mains serties de bagues. Les frangins Ronde et Tiki Barber, chacun d’un côté du ballon. Steve et Bill Belichick, ces génies si secrets qui comprennent tout avant tout le monde. Bob et Brian Griese, le fils sacré 25 ans après son père. David et Derek Carr, les frères quarterbacks aux trajectoires si différentes. Sam et Randall Cunningham, le fullback de l’ombre et le quarterback révolutionnaire. Jon et Jay Gruden, Jim E. Mora et Jim L. Mora, Mike et Kyle Shanahan, les coachs de père en fils. Les frangins Kendricks, plaqueurs invétérés. Les frères Kalil, remparts sur la ligne. La fratrie Fuller qui déverse son flot de talent sur la ligue depuis plus de 15 ans. Howie, Chris et Kyle Long, d’un bord à l’autre de la ligne. La dynastie des Matthews. Les Jumeaux McCourty, Ryan et Pouncey. Les globetrotteurs McCown. Sterling et Shannon Sharpe, les machines à yards et touchdowns des 90’s. L’histoire de la NFL est jalonnée d’innombrables histoires de familles. Des grand-pères, des pères, des fils, des petit-fils, des neveux, des oncles, des cousins, des frères, des jumeaux. Des coachs, des joueurs. Mais jamais dans son histoire, elle n’avait connu deux frère à la tête de deux de ses franchises. Deux franchises qui se hissent jusqu’au Super Bowl. Un duel fratricide en finale. Même dans ses rêves les plus fous, la NFL n’y aurait pas pensé. Jim et John Harbaugh l’ont fait.
Deux franchises, deux frères, une histoire de famille
Les saisons dorées et ensoleillées des années Bill Walsh, Joe Montana, Jerry Rice, Ronnie Lott et Steve Young envolées depuis des lustres, les 49ers tombent dans une longue léthargie. Depuis la retraite de Young, son bras gauche et ses jambes de feu en 99, San Francisco n’a connu les playoffs que deux fois. Une défaite au premier tour, une au deuxième. Les chercheurs dorment. La sale des trophées du Candlestick Park prend la poussière. Steve Mariucci, Dennis Erickson, Mike Nolan, Mike Singletary, Jim Tomsula. Les coachs se suivent et les saisons dans le rouge aussi. De 2003 à 2010, jamais les Niners ne font mieux que 7 victoires. Couronné coach universitaire de l’année quelques mois plus tôt aux commandes du Cardinal de Stanford, Jim Harbaugh longe la baie de San Francisco pour rejoindre un Trent Baalke fraîchement promu GM et devenir le 18e head coach de l’histoire de la franchise. L’objectif est simple, excitant à souhait et loin d’être gagné d’avance : renouer avec les années fastes des 49ers des 80’s et 90’s.
Aldon Smith drafté au premier tour en 2011, Colin Kaepernick au suivant, Jim bâtit les fondations pour l’avenir. Premier choix général en 2005, Alex Smith honore enfin son statut et signe la saison la plus accomplie de sa carrière. En game manager qui prend soin du ballon à défaut de soulever les foules, bien aidé par un Frank Gore qui casse la barre des 1000 yards et superbement épaulé par la meilleure défense de la ligue contre le sol et l’une des plus radines en points, le quarterback ne s’incline que 3 fois, coiffe les Saints en playoffs et plie en prolongations face à des Giants en route vers le titre en finale de conférence. Sacré Coach de l’Année, Jim Harbaugh a réussi la première étape de son paris : faire des 49ers une franchise de nouveau ambitieuse.
Bien coachés, suréquipés en défense, équilibrés en attaque, les Niners amorcent la saison 2012 avec l’étiquette de favoris placardée sur le casque. En semaine 9, ils savourent leur dimanche de repos avec le sentiment du devoir accompli. 6 succès, 2 revers, seuls les Vikings et des Giants qui aiment décidément un peu trop venir les emmerder dans leur jardin du Candlestick Park sont parvenus à les faire chuter. Dans la victoire, 4 fois la défense n’aura pas concédé plus de 6 points. Face aux Jets, elle n’aura rien concédé du tout. À l’entame de leur seconde partie de saison, dans un nul frustrant face aux Rams, Alex Smith est victime d’une commotion et doit céder sa place au 2e année en provenance de Nevada. 1800 yards dans les airs, 400 au sol, un total de 15 touchdowns pour 2 interceptions et 2 fumbles perdus, en 7 rencontres, le nouveau titulaire des Niners imprime son style enlevé, imprévisible et agressif. Rétabli et fort de la 3e meilleure évaluation de toute la ligue, Smith est séquestré sur le banc par un Jim Harbaugh qui préfère ne pas prendre de risque avec lui et ne pas briser la belle dynamique générée par Kaep.
Impressionnante durant les deux premiers mois, la défense bat de l’aile et peut compter sur une attaque qui prend du volume semaine après semaine. Atout aérien numéro un, Michael Crabtree agrippe 85 passes pour 1105 yards et 9 touchdowns. Cauchemar des linebackers, cocktail presque injuste de taille, de rapidité et d’habileté, Vernon Davis est en perte de vitesse, mais efface tout de même la barre des 500 yards et marque 5 fois. Acquis en cours d’été, Mario Mannigham, héros du Super Bowl XLVI, et Randy Moss se mettent à deux pour empiler 883 yards et 4 touchdowns. Dans la foulée des Pro Bowlers Joe Staley et Mike Iupati, l’inusable All-Pro Frank Gore dévore 1214 yards au sol et croise 8 fois la ligne.
Si en semaine 16 à Seattle, les 49ers sont abandonnés par une défense qui prend 42 pions dans la face, le rideau Rouge & Or envoie 6 de ses 11 titulaires au Pro Bowl. Justin Smith, Aldon Smith, Patrick Willis, Dashon Goldson, Donte Whitner, NaVorro Bowman, tous irons à Hawaï. 2nd-team All Pro, Ahmad Brooks rate l’avion lui. Portée par ce casting en or massif, la défense n’encaisse que 17,1 points par match (2e de la ligue). Intenables, Aldon Smith et ses interminables bras signent 19,5 sacks jamais vus du côté de San Francisco. Le reste de l’équipe n’en réalisera que 18,5… Au cœur du terrain, l’âme et les poumons de cette défense. Dans des rôles de sécateurs humains, Patrick Willis et NaVorro Bowman compilent 269 plaquages. Malgré des Rams qui leurs jouent un nouveau mauvais tour en prolongations, les 49ers finissent la saison avec 11 succès au compteur et conservent leur titre de la division Ouest. Les Packers étourdis par les jambes de feu d’un Colin Kaepernick sensationnel au premier tour, les chercheurs d’or viennent arracher leur ticket doré au bec des Falcons dans leur nid du Georgia Dome. 18 ans après leur sacre du Super Bowl XXIX, ils sont de retour.
Des retrouvailles aussi pour les Ravens de l’autre Harbaugh. Aîné de pile 15 mois, John débarque à Baltimore en 2008 après 9 années passées à coacher les équipes spéciales et defensive backs de Philly. Dans le Maryland, il devra redresser des Corbeaux d’une irrégularité chronique depuis leur couronnement du Super Bowl XXXV. Saison dans le vert, saison dans le rouge, 10 victoires, mais une élimination dès le premier tour, 9 succès, mais pas de playoffs, 13-3 et une défaite d’entrée. Les Ravens de Brian Billick jouent aux montagnes russes, il est temps de retrouver un brin de stabilité. 10-6 dès sa première année, une victoire en séries, puis une deuxième et les Steelers cassent la fiesta en finale de l’AFC. Raté. 9-7, une victoire éclatante à Foxboro et un revers cinglant à Indy. Raté. 12-4, des Chiefs martyrisés au Arrowhead et des séries une nouvelles fois interrompues par les Steelmen. Raté. Re-12-4, un premier match de playoffs à domicile depuis l’arrivée de John bien maîtrisé face aux Texans dans la vague d’un Terrell Suggs couronné Joueur Défensif de l’Année et des Pats qui brisent le rêve en finale de conférence. Raté. Encore. Les Ravens ont trouvé la régularité qui leur échappait tant. Saison régulières parfaitement menées, séries bien entamées et défaites rageantes, à quelques ongles du Super Bowl. Après 4 années de frustration, 2012 sera différente. Il ne peut en être autrement.
Capables d’éclats offensifs tonitruants comme lorsqu’ils passent 44 points aux Bengals ou 55 aux Raiders, comme de victoires soporifiques à souhait comme celle arrachée à Kansas City (9-6), les Ravens stagnent aux portes du top 10 des deux côtés du ballon. Portée par un Joe Flacco qui vit l’une des saisons les plus accomplies de sa jeune carrière, l’attaque tourne à 24,9 points de moyenne (10e). 3817 yards, 22 touchdowns, 10 interceptions, le quarterback symbolise parfaitement une escouade pragmatique et appliquée avant d’être emballante. Arrivé 2 ans plus tôt en provenance de l’Arizona, Anquan Boldin, ses tracés chirurgicaux et ses mains en or attrapent 65 passes pour 921 yards et 4 touchdowns. Briseur de lignes drafté un an plus tôt, Torrey Smith conquit 855 yards et marque 8 fois pendant que Jacoby Jones, arrivé de Houston au printemps, électrise les défenses en attaque comme sur équipes spéciales. Si Ed Dickson décline, Dennis Pitta flambe. Après une campagne 2011 pleine de promesses, le tight end gagne 669 yards dans les airs et inscrit 7 touchdowns.
Thunder and lightning. Boule d’énergie incontrôlable, le fullback Vonta Leach tonne dans les lignes adverses pour mieux ouvrir des brèches à l’éclair Ray Rice. Cantonné à un rôle de pur bloqueur, le Pro Bowler pave le chemin de son coureur comme personne, bien aidé par Marshal Yanda, un autre invité des réjouissances annuelles d’Honolulu. Microscopiques, impossibles à plaquer, capables de se faufiler dans les plus petites failles, de résister aux chocs les plus violents, Ray Rice et son mètre 73 engloutissent 1143 yards au sol, 478 dans les airs et croisent 10 fois la ligne. Et quand le coureur ne parvient pas à atteindre la peinture, il laisse le prometteur rookie Justin Tucker faire ses gammes. 15e attaque aérienne de la ligue, 11e sur la terre ferme, l’escouade emmenée par Cam Cameron soulève son lot de questions. À tels point qu’en semaine 14, après une défaite en prolongations à Washington, le coordinateur offensif est débarqué et remplacé par Jim Caldwell, ancien coach des Colts devenu entraîneur des quarterbacks dans le Maryland. Il ne reste que 3 matchs, les Ravens n’en gagneront qu’un seul. Mais l’essentiel est ailleurs, ils sont en playoffs. Encore.
Et ils le doivent très largement à une défense de cinglés portée par trois fous furieux : Terrell Suggs, Ray Lewis et Ed Reed. Trois leaders qui puent le football entourés par des seconds rôles qui n’ont rien de seconds couteaux. Sur la ligne, le Pro Bowler Haloti Ngata et Arthur Jones signent 9,5 sacks à deux et verrouillent le jeu au sol. Derrière eux, un casting à pleurer. Paul Kruger et ses 9 sacks, Dannell Ellerbe, ses 92 plaquages et 4,5 QBs envoyés au tapis, Jameel McClain et ses 79 plaquages, et les deux monstres. Privé du début de saison à cause d’une blessure au tendon d’Achille, Terrell Suggs pèse de tout son mètre 91 au 2e tour des playoffs à Denver en signant 10 plaquages et deux sacks. Tempérament volcanique, énergie communicative, leader charismatique, 17 années d’expériences, 13 Pro Bowls, Ray Lewis a beau voir sa saison écourtée dès la semaine 6, il rafle tout de même 67 plaquages et revient à temps pour les séries. En playoffs, après avoir annoncé que 2012 serait sa dernière année, il signe 44 plaquages en 4 rencontres. Dans le fond du terrain, le recordman de yards conquis sur retours d’interception et ses 34 printemps vieillissent toujours aussi bien. 58 plaquages, 15 passes défendues, 4 interceptées, un touchdown, Ed Reed commande l’arrière garde avec autorité et panache. Arrivé trois ans plus tôt en provenance du Tennessee, le cornerback Cary Williams brille et signe 75 plaquages et 4 interceptions.
Une attaque intelligente et efficace, une défense déterminée à offrir à Ray Lewis un nouveau titre pour sa toute dernière saison, une pastille noire floquée du nom Art plaquée sur le cœur, en l’honneur d’Art Modell, fondateur des Ravens disparu le 6 septembre 2012, les Ravens sont en mission. Au premier tour, ils disposent confortablement des Colts à domicile avant d’aller créer la sensation à Denver chez les Broncos de Peyton Manning dans une double prolongation arrachée sur le gong par les jambes de Jacoby Jones avec la complicité d’un Rahim Moore complètement largué. Mile-High Miracle. Menés à la pause à Foxboro, les Corbeaux ne paniquent pas et coupent la langue des Pats en seconde mi-temps. 12 ans plus tard, ils retrouvent le Big Game. Pour la première fois depuis Rich Gannon 10 ans plus tôt à l’occasion du Super Bowl XXXVII, ni Tom Brady, ni Peyton Manning, ni Ben Roethlisberger ne défendront les couleurs de l’AFC.
Duel fratricide
San Francisco 49ers : 5 Super Bowls disputés, 5 remportés. Baltimore Ravens : un Super Bowl disputé, un remporté. Le vainqueur conservera son invincibilité. Le vaincu goûtera pour la première fois à la défaite sur la plus belle scène du football à lacet. Un cas unique dans l’histoire du Big Game. Bro Bowl, Harbaugh Bowl, HarBowl, Super Baugh, Brother Bowl ou encore Superbro, les petits noms pour désigner cette finale inédite entre frangins poussent aussi vite que la mauvaise herbe. Un an plus tôt, le jour de Thanksgiving, les Ravens de John battaient les 49ers de Jim pour leur premier duel fratricide. Pour leur revanche, les deux frères ont choisi le plus beau décor possible : une ville de La Nouvelle-Orléans prête à accueillir sont 10e Super Bowl. Son premier depuis de drame de Katrina. Conférence de presse conjointe, accolades et petits mots doux à quelques minutes du coup d’envoi du matchs de leurs vies, Jim et John offrent des images aussi inédites que rafraîchissantes. Dans le clan Harbaugh, on plaide la neutralité et savoure chaque instant de ce moment unique.
« C’est le moment d’en finir. Il est temps pour nous d’aller chercher cette couronne. Rapportons à la maison ce pour quoi nous sommes venus. Rapportons le Trophée Lombardi ».
Les yeux dans les yeux, les mots du capitaine Ray Lewis font échos aux quatre coins du terrain. Dans une entame de match dominée par les hommes du Maryland, les Niners se cassent les dents sur la défense. 20 yards de Vernon Davis annihilés par une pénalité, deux courses dans le vide, une passe dans le vent, ils leur faut à peine 2 minutes pour déjà rendre le ballon. En face la réplique est cinglante et terriblement Ravenesque. « Donnez-moi les ballons des Ravens ! » Le temps de signaler aux arbitres qu’ils se sont trompés de ballons en apportant ceux des 49ers au centre du terrain, Joe Elite Flacco sonne la charge. Idéalement placés après un retour de 17 yards de Jacoby Jones, les hommes de John déploient un football intelligent pour surprendre les Californiens, déjouer leur pass rush agressif et rapidement remonter les 51 yards qui les séparent de la peinture. Vonta Leach dans les airs, quelques courses minimalistes de Ray Rice, 20 yards de Torrey Smith, un free play gâché sur un hors-jeu d’Ahmad Brooks, Joe Flacco slalome au travers d’une poche transpercée de toute part, fait parler sa puissance de feu pour finalement finir tout en douceur sur une merveille de passe en plein centre en direction d’Anquan Boldin. 13 yards plus loin, le receveur s’écrase dans la peinture mauve. Les Ravens viennent d’inscrire un 8e touchdown sur leurs 8 derniers séjours dans la redzone. Une recette gagnante.
Entre deux longs gains dans les airs de Michael Crabtree et Vernon Davis, Colin Kaepernick et son petit bouc de pharaon et Frank Gore se relaient pour arracher quelques yards au sol au travers de la ligne de linebackers d’enragés de Baltimore. Déposés à 8 yards de la ligne par un catch plein de maîtrise de leur tight end, les Niners flanchent. Frank Gore frappe un mur, Michael Crabtree drop une passe un brin trop haute dans l’en-but et Kaep se fait croquer tout cru par Paul Kruger. Il faudra se contenter de 3 points de David Akers. 7-3. Flacco envoie Ray Rice tâter le terrain au sol avant d’arroser dans les airs et de trouver Boldin 30 yards plus loin. Deux action plus tard, le quarterback est sacké et les Ravens doivent rendre le ballon. Pas pour longtemps. En deux réceptions, Vernon Davis bondit de 40 yards et propulse les chercheurs d’or en territoire ennemi. En deux courses, Frank Gore et LaMichael James se rapprochent de 16 yards. En une action, l’ancien feu follet d’Oregon ruine tout. Agrippé par Courtney Upshaw et Corey Graham, le coureur se fait arracher le cuir des bras et Arthur Jones s’en saisit aux portes de la redzone. Jim Harbaugh fulmine sur la touche. John jubile intérieurement. C’est l’heure de capitaliser.
Bernard Pierce donne le tempo en enchaînant les courses vers l’avant au sol. Les tight ends Dennis Pitta et Ed Dickson prennent le relai dans les airs, Donte Whitner laisse traîner la main sur la grille et offre 15 yards gratuits pour permettre à Pitta de conclure sur une play action d’école à un petit yard de la peinture rouge sang. 14-3. Les Corbeaux se baladent. Pragmatisme et opportunisme, leur recette ne se démode pas. En face, Colin Kaepernick et ses longs segments si intenables d’ordinaire sont figés dans le ciment.
« Hey ! Laissons-les faire des erreurs tous seuls, » beugle un coach assistant de Baltimore.
Message reçu 5 sur 5. Sur la première action après le coup d’envoi, le quarterback de San Francisco décoche une flèche en direction de Randy Moss dans le fond du terrain. La cible est complètement ratée, Ed Reed intercepte le cuir et remonte 6 maigres yards avant d’être neutralisé par Vernon Davis. Cauchemardesque. Jamais un quarterback des 49ers ne s’était fait intercepter dans un Super Bowl. Joe Staley et Corey Graham se chauffent, les deux équipes jouent à faire la bagarre et tout le monde rejoint tranquillement son banc. La frustration d’un bord, l’impression que rien ne peut arriver de l’autre. Cocktail explosif. Ils veulent la guerre, il vont l’avoir crache Ray Lewis sur la touche. Au sol et dans le petit périmètre, les Ravens avancent au pas, pénètrent dans la redzone, mais sont stoppés à 14 yards de la peinture. Justin Tucker entre en scène, prêt à creuser l’écart de près. Hut ! Le ballon est éjecté directement dans les bras du kicker, le rookie s’échappe sur la gauche et gagne yard après yard avant d’être expulsé en touche. Il lui fallait 9 yards, il n’en aura gagné que 8. L’audace n’aura pas payé. Une petite lueur d’espoir pour les Californiens.
Course pour du beurre, passe ratée, course trop courte, three-and-out surpersonique. Et même quand Jacoby Jones échappe le ballon sur le retour de punt, il parvient quand même à remonter 11 yards. La tête sous l’eau les Niners vont bientôt avaler la tasse. À 56 yards de la peinture, Joe Flacco sort son gadgeto-bras. Loin en direction de Jones. Raté. Loin en direction de Torrey Smith. Raté. Loin en direction de Jacoby Jones. Touchdown. À la réception d’une spirale parfaite, mais légèrement trop courte de son quarterback, le receveur s’ajuste, attrape le cuir, roule sur le dos sans jamais être touché, se redresse mystifie le défenseur sur un spin move majestueux, cadrage débordement sur Chris Culliver, Jacoby s’arrache entre deux maillots rouges pour aller plonger au-dessus de la ligne et se déhancher dans la peinture. 21-3. Il reste moins de 2 minutes et une flamme chancelante à maintenir en vie. Dans les airs, avec autorité et intelligence, Kaep remonte le terrain. À 25 secondes de la fin, ils n’est plus qu’à 9 yards de l’en-but. Frank Gore fait du surplace. Temps mort. Il reste 21 secondes. Paul Kruger sèche le quarterback. Temps mort. Il reste 3 secondes. David Akers ajoute trois points. Toujours mieux que rien. 21-6. Après Jacoby Jones, c’est au tour de Beyoncé de se déhancher sous les projecteurs du Superdome.
Superdark
« Deux mi-temps, deux matchs, » prévenait John Harbaugh en accompagnant ses hommes au vestiaire. « Ils ont eu leur mi-temps, maintenant c’est notre tour, » glisse un assistant de l’autre côté du terrain. Nope et nope. Sur le coup d’envoi de la seconde mi-temps, le chauffeur de salle en chef récidive. Acculé dans le fond de sa propre endzone, Jacoby Jones accélère comme un dératé, s’engouffre dans le boulevard ouvert par ses bloqueurs, travers une couverture californienne inerte, dépose tout le monde et s’enfuit en quasi ligne droite jusque dans la peinture rouge, 108 yards plus loin. Le plus long jeu de l’histoire du Super Bowl. Un coup de poignard planté en plein cœur. 28-6. Adoubé par le numéro 52 avant d’aller se positionner à la réception du coup de pied, Jacoby Jones rend hommage à Ray Lewis en imitant ses pas de danse. Le Superdome gronde de bonheur. Un peu trop même pour la vieille enceinte. Quelques minutes plus tard, alors que Kaep vient d’être envoyé au tapis par Arthur Jones, le stade est plongé dans le noir. Côté Ravens tout fonctionne, de l’autre côté, au-dessus du banc des Niners, c’est la nuit. Pourtant, tout le système devant alimenter le stade en électricité avait été changé à l’automne passé précisément afin d’éviter pareille déconvenue. Le show de la mi-temps a été géré par un générateur indépendant n’ayant en aucun cas pu affecter et affaiblir les installation du dôme. Ray Lewis criera à la conspiration quelques jours plus tard.
« Tu génères des millions de dollars et tu n’es pas foutu de maintenir le courant ? J’y crois pas. Impossible. »
CEO des 49ers, Jed York a pourtant une explication bien plus rationnelle qui écarte toutes les théories les plus farfelues.
« Aucune conspiration. C’est moi qui ai débranché la prise, » lâchera-t-il plein d’humour sur Twitter.
Incident ou pas, les stade est plongé dans la pénombre pendant 22 minutes et la rencontre suspendue durant 34 interminables minutes. Si la lumière revient finalement dans le stade sous la clameur de la foule, elle refuse toujours d’illuminer le jeu des Niners et les deux formations s’échangent les punts pour la première fois de la partie. Comme endormis par une longue coupure venue briser leur élan, les Ravens sont étonnamment amorphes et les hommes de Jim Harbaugh en profitent enfin dans un 3e quart-temps devenu soudainement complètement fou. Colin Kaepernick prend les choses en jambes et fait parler ses longues foulées pour enflammer un drive déjà déterminant. Sur un tracé en profondeur parfaitement exécuté, pleins gaz, par Michael Crabtree, le receveur est une nouvelle fois rattrapé par sa maladresse et laisser filer le cuir. Trois actions plus tard, après deux catchs de Randy Moss et Vernon Davis entrecoupés d’un temps mort, il se repent. Le numéro 15 se saisit du cuir sur une route en travers, casse deux plaquages d’un coup, ricoche contre un Corbeau et s’enfuit vers la peinture, 31 yards plus loin. L’espoir rejaillit. 28-13.
« Les deux équipes ont du faire avec, » confiera John à propos de la coupure de courant. « Évidemment, je pense que les 49ers s’en sont mieux sortis. Ils ont été capables de faire basculer le cours du match. »
Passe ratée, course ratée, sack. Baltimore rend le ballon en deux temps trois mouvements et Ted Ginn Jr. fait gonfler le momentum des Rouge et Or en remontant le punt sur 32 yards. Mis sur orbite par une courte passe sur la gauche de 14 yards vers Vernon Davis, Frank Gore comble les 6 derniers yards en solitaire, bien aidé par un bloc de cochon de Delanie Walker sur Ed Reed. 28-20. Ce qui semblait relever de l’utopie la plus folle après l’envolée de Jacoby Jones au retour des vestiaires semble soudainement possible : un improbable comeback. Et quand trois actions plus tard, Tarell Brown fait péter le ballon des bras de Ray Rice et récupère l’ovale, on plonge en plein délire. Dans un 3e quart-temps calamiteux pour les joueurs du Maryland, la défense parvient à stopper les Niners aux portes de la redzone, mais se tire une balle dans le pied. De 39 yards, David Akers rate la cible et se fait démolir par Chykie Brown. Roughing de kicker. De 34, le botteur ne se manque pas et comble l’écart. 28-23.
Dépassés en défense, débordés sur équipes spéciales, sans idées en attaque, les Ravens sont en train de lâcher prise sur un match qui semblait plié. Impérial dans le premier acte, Joe Flacco reprend le choses en mains. Prendre soin du cuir, le garder aussi longtemps que possible loin de Kaep, voilà sa mission. Les mains sûres d’Anquan Boldin et Dennis Pitta dans les airs, la puissance de Bernard Pierce et l’explosivité de Ray Rice au sol, les Corbeaux bouffent le chrono et avancent sur chaque action. À 5 yards de la peinture, ils ont l’occasion de briser l’élan des Californiens. 4 yards de Rice, ils sont à un pas de la ligne. Nouvelle course. Justin Smith ne laisse rien passer. Tentative aérienne. Ratée. Justin Tucker ajoute 3 points et redonne une possession d’avance. 32 yards vers les gants de Randy Moss, 21 grâce aux jambes de Frank Gore, la réplique est bien trop rapide et trop facile. Pourchassé par Courtney Upshaw, Kaep s’enfuit de sa poche, accélère le long de la touche et croise la ligne 15 yards plus tard sous le regard dépité de John Harbaugh. Jamais un quarterback n’avait inscrit un aussi long touchdown au sol dans l’histoire du Super Bowl. La conversion à deux points s’envole au-dessus des doigts de Moss. Il reste moins de 10 minutes. Menés de 22 points au moment de la coupure de courant, les 49ers n’ont plus que 2 petites longueurs de retard. 31-29.
La peur au ventre, Joe Flacco pèse chacune de ses décisions et s’en remet à la justesse d’Anquan Boldin et aux appuis dynamiques de Ray Rice pour bouffer près de 5 minutes 30 au chrono, remonter 55 yards et laisser Justin Tucker redonner 5 points d’avance. Il reste 4 minutes 19. Méconnaissable depuis le blackout, la défense doit tout verrouiller. Leur chance ? San Francisco doit à tout prix inscrire un touchdown. 8 yards de Frank Gore, 8 yards de Kaepernick. Les Corbeaux reculent. Une passe laser de 24 yards vers Michael Crabtree, un cut mortel, des blocs parfaits et une échappée de 33 yards de Gore. Ils sont à l’aboi. 1st & goal sur la ligne de 7. Le match se joue maintenant. 4 actions pour aller conquérir un titre. Dans un registre inhabituel près de l’en-but, Lamichael James avance de 2 petits yards. Plus que 5. 2-minute warning. Longtemps à sens unique, le Super Bowl XLVII est soudainement captivant. Asphyxiant. Toute l’attaque s’embarque vers la droite, la défense suit le mouvement, Kaepernick attend que le jeu se développe et balance une passe rapide dans le coin vers Crabtree. Raté. Le regard dans le vide, assis sur le banc, Joe Flacco est le spectateur lointain et impuissant d’une fin de match haletante. Jamais dans l’histoire du Super Bowl une équipe n’a remonté un écart supérieur à 10 points. 3rd & goal. Lancer rapide, Michael Cratree est pris en tenaille et ne peut conserver le ballon. Même s’il y était parvenu, il ne serait pas allé bien loin. 4th & goal. La vie ou la mort. Dans un brouhaha assourdissant, submergé par le blitz nourri des Ravens, Kaep envoie un fade pas vraiment contrôlé dans le coin droit vers Crabtree. Le ballon s’écrase quelques mètres devant le receveur, en dehors des limites. Fou de rage sur la touche, Jim Harbaugh saisit son poignet dans les airs pour signaler un holding. En vain. Malgré un contact entre Jimmy Smith et le receveur, les mouchoirs jaunes restent à quai. Jeu, set et match.
« Quelle meilleure fin qu’un stop sur la ligne, » lâchera un Ray Lewis retraité et comblé. « […] On les a gardés en dehors de la endzone. C’est comme ça qu’on gagne un titre. »
Les Niners n’ont plus qu’un seul temps mort. Ray Rice, Bernard Pierce et Vonta Leach se succèdent. Et même s’ils sont arrêtés, ils font tomber le chrono à 12 microscopiques secondes. Pas question de rendre le ballon aux Californiens et de s’exposer à un retour de Ted Ginn Jr. Sam Koch attrape le snap dans sa propre peinture et se met à courir le plus loin possible, gagnant quelques précieuses secondes avant de bondir en dehors des limites du terrain. Safety. 34-31. Il ne reste que 4 secondes. Ginn remonte 31 yards pour du beurre sur le dégagement. Les 49ers n’imiteront pas les Giants, sacrés dans les World Series l’automne passé. San Francisco n’imitera pas Boston de 2004 et ses Red Sox et Patriots chacun couronnés à quelques mois d’intervalle. Les chercheurs d’or perdent leur invincibilité au Super Bowl malgré un grand Colin Kaepernick, sorti de nulle part au début de l’hiver. Portés par une défense longtemps mise à mal en seconde mi-temps et un Joe Flacco fidèle à lui-même d’un bout à l’autre d’une saison impressionnante de maîtrise, les Ravens triomphent un nouvelle fois. Pour la deuxième fois, Jim cède face à John. Le Harbaugh Bowl a choisi le préféré de ses frangins.