À 17 semaines du Super Bowl LII, épisode 34 de notre rétrospective exceptionnelle, le Super Bowl XXXIV.
St. Louis Rams (NFC) vs Tennessee Titans (AFC) – 30 janvier 2000
Une action d’éclat. Un geste invraisemblable. Fou et génial à la fois. Un rebond miraculeux. Un réflexe surhumain. Un plaquage salvateur. Une remontée folle précipitée par un chronomètre plus pressé que jamais. The Catch. The Drive. The Immaculate Reception. The Miracle at the Meadowlands. Holly Roller. Autant de moments inscrits à jamais dans les annales. De tournants aussi spectaculaires que dramatiques venus garnir la longue liste des NFL Lore. Le 30 janvier 2000, à Atlanta, sur la plus grande scène du football à lacet, Titans et Rams vont écrire une page de plus à la légende de la National Football League.
Un miraculé et un miracle
10 saisons dans le rouge. Jamais mieux que 7 succès. Un déménagement. Depuis une décennie, les Rams vivent en marge d’une NFL à l’apogée de son rayonnement. Minée par l’épouvantable gestion de son président John Shaw, engluée six pieds sous terre sportivement, la franchise déserte la L.A. sur un coup de tête de sa propriétaire Georgia Frontiere. En quête d’un second souffle, en quête d’un marché plus attrayant qu’une Cité des Anges aux milles distractions et qui ne s’intéressent guère aux hommes casqués. À St. Louis, sous le Gateway Arch et dans un stade flambant neuf gracieusement financé par les contribuables, les Béliers vont tenter de renouer avec leur passé. Celui qui les avait vu perdre six finales de Conférence et le Super Bowl XIV entre le milieu des années 70 et la fin des 80’s. Un passé fait d’échecs usants, frustrants, mais un passé où ils existaient. Dans les plaines du Missouri, ils sont venus s’offrir un nouveau départ.
Mais en 99, après 4 années passées dans le Midwest, les Rams sont toujours coincés dans la bergerie. Les séries, ils les regardent dans leur canap. Même l’arrivée de Dick Vermeil n’y change rien. Tiré de 12 ans de retraite, l’ancien coach des Eagles malheureux du Super Bowl XV va devoir faire parler ses dons de magicien pour faire revivre l’une des pires franchises de la dernière décennie. En 1999, deux ans après son arrivée et avec seulement 5 succès au compteur, personne ne croit aux Rams. Même les Browns revenus à la vie à titre d’expansion ont davantage la cote. Il n’y a rien à attendre des Béliers. Et quand Trent Green se pète le genou en présaison, cela devient une évidence. Drapeau blanc. Déclarez forfait. Vous ne ferez rien.
Pour remplacer leur quarterback, les Rams s’en remettent à un ancien joueur d’une minuscule et obscure université de seconde zone passé par le practice squad des Packers, reconverti magasinier payé 5,50$ de l’heure, devenu star de Football Arena, vedette éphémère des Amsterdam Admirals en NFL Europe et qui pour sa première saison NFL un an plus tôt n’aura lancé que 11 petites passes. Le CV parfait si on veut tanker sans trop s’en cacher. Mais voilà, pendant que des stars universitaires idolâtrées par des milliers de fans et payées à coup de millions avant même d’avoir joué le moindre snap en pro se plantent magistralement et se transforment en bust monumentaux, sommeil en Kurt Warner un talent passé à des années lumières des radars des scouts NFL. Une anomalie comme il en existe peu. Pour St. Louis, une bénédiction. Pour Kurt, le début d’un conte de fée.
En semaine 1 face aux Ravens, titularisé pour la toute première fois de sa carrière, Warner balance trois touchdowns et plume les Corbeaux de Ray Lewis et Rod Woodson avec une aisance déconcertante. Deux semaines plus tard, après une bye week précoce, il récidive face aux champions en titre de la NFC. Sept jours après, trois autres touchdowns. Jamais aucun quarterback n’avait réalisé pareille prouesse pour débuter sa carrière. 27 points. 35, 38, 42, 41. L’attaque du Missouri encorne tout sur son passage. Flanqué d’un Marshall Faulk tout juste descendu d’Indianapolis après 5 années chez les Colts, Warner se goinfre. 4353 yards, 41 touchdowns, 13 interceptions. Du jamais vu depuis Dan Marino. L’une des saisons les plus abouties jamais réalisées par un quarterback. Entouré d’un casting de luxe, le passeur gave à s’en péter le bide un groupe de receveurs dégoulinant de talent. Isaac Bruce conquit 1165 yards et marque 12 fois pendant que Torry Holt, Az-Zahir Hakim et Ricky Proehl se partagent équitablement 2236 yards et 17 touchdowns. Un régal pour les pupilles.
Au sol, le Poulain devenu Bélier sème la panique dans les défenses. Parfaitement aiguillé par une ligne offensive portée par les Pro Bowlers Orlando Pace et Adam Timmerman, Marshall Faulk cavale 1381 yards, marque 12 fois et ajoute 87 réceptions et 1048 unités dans les airs. Plus de mille yards au sol, plus de mille à la passe, seul l’ancien 49er Roger Craig avait réalisé pareille prouesse par le passé. 2429 yards au total, un record absolu en attaque. Un coureur Joueur Offensif de l’Année, un quarterback MVP, un casting hollywoodien en guise de seconds rôles, quel spectacle. Le plus beau qui soit. The Greatest Show on Turf. Un spectacle qui aurait certainement ravi les fans abandonnés de L.A. Ou pas.
« Les fans peuvent toujours nous regarder à la télévision, » répondait, impitoyable, Georgia Frontiere à quelques heures du grand match. « De toute façon, ils nous regardaient déjà à la télévision et ne venaient pas aux matchs. »
Démentiels au sol en attaque, infranchissables en défense. De toute la ligue, aucune escouade ne concède moins de yards (1189) et de touchdowns (4) à la course que le troupeau cornu de St. Louis. Et pendant que Warner & Co. collent 30 pions ou plus à 12 reprises en route vers un total de points record pour la franchise (526), la défense n’en concède que 242. Emmenée par le meilleur sackeur de la ligue Kevin Carter et ses 17 free hugs, la muraille bleue et jaune est la 4e à accorder le moins de yards. Derrière une ligne agressive, un trio de linebackers survolté qui plaque, sacke, intercepte, marque sans relâche : London Fletcher, Mike Jones et Todd Collins, trois beaux bébés débordant d’énergie. De ses 6 premiers matchs, Kurt Warner ne connaît jamais la défaite. Après deux revers coup sur coup face aux Titans et Lions, les Rams reprennent leur carnage. 13-3. 10 ans plus tard, ils retrouvent les séries. Les Vikings écrabouillés (49-37) dans une orgie offensive salivante entre deux des attaques les plus jouissantes de l’histoire, les Béliers envoient par le fond le vaisseau des Bucs dans une finale de conférence à contre-emploi hyper défensive. À Atlanta, ils tenteront de rendre son bien à la NFC.
Pour cela il faudra battre l’un de leurs rares tombeurs de la saison : les Titans de Steve McNair. Un an plus tôt, ils ne s’appelaient même pas Titans. Il y a trois ans, ils coulaient encore des jours heureux les pieds plantés dans le pétrole fumant du sud du Texas. Earl Campbell, Warren Moon, la franchise ferme les chapitres dorés de son passé et ouvre une nouvelle page. À Nashville, dans le Tennessee, les Oilers deviennent Titans. Emmenés par Jeff Fisher, ils se bâtissent une nouvelle identité. 7-9, 8-8, 8-8, 8-8, le coach forge sa légende. Après une victoire à faire clamser les plus cardiaques en semaine un, c’est la tuilasse. Steve McNair se blesse et le vétéran Neil O’Donnell doit prendre la relève. Quarterback malheureux du Super Bowl XXX, l’ancien Steeler assure l’intérim à merveille et ne s’incline que d’un fil chez les Niners. 4 succès, un revers. Revenu aux opérations, McNair enchaîne les succès et propulse les Titans en playoffs au terme de la saison régulière la plus aboutie de l’histoire de la franchise. 13-3.
Malgré plus d’un mois d’absence, le quarterback conquit 2179 yards, marque à 12 reprises et est intercepté 8 fois. Passeur mobile, il ajoute 337 yards et 8 touchdowns au sol. À des années lumières de la puissance de feu démentielle déployée par les Rams, l’attaque de Nashville manque de stars dans les airs, mais peut compter sur un groupe homogène porté par Kevin Dyson, Derrick Mason et un autre ancien Steeler, Yancey Thigpen. Attaque feutrée, les Titans s’appuient sur la puissance d’Eddie George et son mètre 91 pour prendre le contrôle du jeu et dicter leur tempo. Dans la foulée de son fullback Lorenzo Neal, le coureur emboutit 1304 yards sur le gazon, en ajoute 458 à la passe, inscrit 13 touchdowns et enfile sa plus belle chemise à fleurs pour la troisième année consécutive.
Portés par le retour de Steve McNair et toute l’énergie de l’ancienne star de Florida Jevon Kearse, auteur de 14,5 sacks et couronné Rookie Défensif de l’Année, les protégés de Jeff Fisher montent en puissance et finissent la saison en beauté. Malgré le meilleur bilan de leur histoire, la franchise du Tennessee doit se contenter de la deuxième place de l’AFC Centrale derrière les Jaguars de Tom Coughlin. De toute la saison, les félins de Jacksonville ne se seront inclinés que deux fois. Une fois face aux Titans, l’autre fois face aux… Titans. Au premier tour face aux Bills, les Dieux du football pointent leur regard bienveillant sur l’Adelphia Coliseum dans l’un des matchs les plus fous de l’histoire. The Music City Miracle. Les Titans sont bénis. Au RCA Dome d’Indianapolis, Peyton Manning est pris à la gorge et doit céder. Une semaine plus tard, Nashville s’offre le scalp des Jaguars pour la troisième fois de la saison dans leur jungle de Jax. Ils sont peut-être rois de l’AFC Centrale, mais les Titans sont les boss de l’AFC tout court. Les colosses s’envolent vers le premier Super Bowl de leur histoire presque quarantenaire et deviennent la dernière franchise de l’ancienne AFL à enfin disputer le Big Game. Il était temps.
Pétard mouillé
Balayée par deux tempêtes de givre successives, Atlanta est paralysée par la glace. Malgré ces conditions inhabituelles dans ce coin du pays, les services de la ville se démènent comme des chefs pour dégager les rues et permettre à la NFL de déployer son grand cirque annuel. Si dehors, on se les pèle, sous la voute majestueuse du Georgia Dome règne une douceur printanière. London Fletcher et son petit mètre 78 sont chauds comme la braise, eux. Le meilleur plaqueur des Rams a hâte d’en découdre.
« Je suis un vrai sauvage, » confiait-il au NY Times dans la semaine. « Mais seulement sur le terrain, c’est important de bien marquer la différence. Tu ne frappes pas les gens dans la vraie vie. Pas moi en tout cas. »
Bonne nouvelle. Dans une première mi-temps cadenassée, les défenses dictent leur loi. D’entrée de jeu, les Rams et leur puissance de feu phénoménale ont beau débouler le terrain à toute allure jusqu’aux 17 yards de Nashville, Blaine Bishop se rue sur Kurt Warner sur le 3e essai et force le quarterback à se débarrasser du ballon au plus vite. Incomplete. Il n’y aura pas de touchdown. Et pas de field goal non plus. La tête ailleurs, le punter/holder Mike Horan cafouille, rate le ballon et retarde l’ouverture du score.
Bien aidés par 32 yards aériens d’Eddie George, les Titans la jouent fair-play et de 47 yards, Al Del Greco envoie le ballon du mauvais côté des poteaux jaunes. Du reste du premier acte, les joueurs du Tennessee n’auront plus la moindre occasion d’ouvrir leur compteur. Punt, punt, punt. Les colosses se heurtent à un mur de laine. Les Béliers ne laissent rien passer. Les Rams, eux, se hissent systématiquement dans la redzone, sans parvenir à atteindre la Terre Promise. Chaque fois, l’attaque de cochons de St. Louis se fait rembarrer et doit se contenter de trois points. 3-0. 6-0. 9-0. Et c’est tout. Jeff Wilkins manque la cible une fois, mais permet aux hommes du Missouri de prendre 9 précieux points d’avance dans une rencontre prisonnière de l’enjeu. Pas de football champagne, pas de salade de touchdowns, pas d’orgie offensive. Au lieu de ça, du bon football défensif bien bourrin à l’ancienne. L’enjeu 1 – 0 Le jeu.
Au terme d’un premier acte aussi captivant que frustrant, les Rams rentrent au vestiaire devant avec un sale goût dans la bouche. 4 excursions dans la zone rouge et pas le moindre touchdown à la clé. S’ils sont devant et n’on jamais vraiment tremblé, ils se seront montrés incapables de plier un match outrageusement dominé. Car pendant que l’attaque gagnait 294 yards, la défense n’en aura concédé que 89. Un gouffre immense. Une domination sans partage. Mais un tableau d’affichage encore incertain. Frissons garantis. Côté Titans, l’attaque pourra difficilement être plus effacée et inoffensive que dans les 30 premières minutes. Rien n’est joué. Suspense assuré.
Captain Kurt
Phil Collins, Christina Aguilera, Enrique Iglesias, Tina Turner, Toni Braxton et le reste du Club Mickey retournés s’asseoir gentiment en loges, les deux escouade offensives se libèrent et déploient peu à peu leur jeu. Les Titans ont beau s’aventurer en territoire ennemi, le zéro refuse de décamper du tableau d’affichage. De 47 yards, la tentative de Del Greco s’écrase contre les bras de Todd Lyght. Jeff Fisher et sa moustache commencent à bouillir sur le banc. D’un calme olympien, lui, Kurt Warner récupère le ballon haut sur le terrain, en position idéale, fout les clés dans le tracteur, met le contact et la machine jaune et bleu se met en branle. Un 3e essai parfaitement négocié par la doublette Warner/Faulk, 31 yards dans les gants d’Isaac Bruce sur une passe laser, 16 dans ceux d’Ernie Conwell, puis Torry Holt parachève l’ouvrage sur une réception de 9 yards dans la peinture jaune pétard. 16-0.
La joie, puis l’effroi. Dans une veine tentative de stopper les 120 kilos d’Ernie Conwell, Blaine Bishop s’inflige un K.O. glaçant. La tête du linebacker heurte violemment le tight end, rebondit vers l’arrière et le défenseur s’écrase lourdement au sol. Séché. Pendant 10 longues minutes, il reste étendu sous les regards inquiets des joueurs des deux formations, main dans la main, en train de prier. Touché au cou, immobilisé par précaution, il est raccompagné aux vestiaires puis envoyé à l’hôpital sous le silence assourdissant de 72 625 fans sonnés. Une heure plus tard, Bishop rejoindra ses coéquipiers. En attendant, il reste un match à aller chercher. C’est le message que Jeff Fisher donne à ses joueurs, tous réunis autour de lui.
« Tout le monde dans le stade et dans le reste du pays était préoccupé. Je voulais que mes joueurs sachent qu’il allait bien. »
Rassurés et bien propulsés par un retour tranchant de 35 yards signé Derrick Mason, les Titans trouvent enfin un semblant de rythme en attaque. Eddie George enchaîne les courses et gratte 24 yards, Steve McNair distribue trois passes dans la direction de Frank Wycheck et en ajoute 15. À deux doigts de la redzone, le quarterback fait parler ses dons de coureur et s’envole pour une échappée de 24 yards qui fait vibrer la yourte géante d’Atlanta. En deux temps, George comble les deux derniers yards et donne enfin vie au match. La tentative de conversion à deux points es manquée, mais l’espoir renaît. Décomplexés par une ouverture du score qui n’avait de cesse de les fuir, les Titans forcent un stop rapide en défense et repartent à l’assaut de la endzone comme des morts de faim. McNair délivre deux passes de 21 yards qui font avancer ses hommes à pas de géant dans un drive interminable et méticuleux. 13 jeux, 79 yards et au bout, Eddie George. 16-13. Rugissement de bonheur dans les travées.
Sous son casque et derrière ses lunettes, Dick Vermeil commence à suer à grosses goûtes. Surtout qu’en face, les joueurs du Tennessee sont déchaînés. Kurt Warner est une nouvelle fois contraint de rendre le ballon et le maladroit Horan balance un vieux punt de 30 yards qui atterrit sur les 47 de Nashville. Si la défense de St. Louis sort les cornes et maintien les Titans à distance, Automatic Al règle la mire et égalise de 43 yards. 16-16. Il reste une minute et 12 secondes. Jamais dans l’histoire du Big Game une équipe n’était parvenue à remonter un écart de plus de 10 points. Les hommes de Fisher viennent d’en effacer 16. Quelle seconde mi-temps ! Déjà en ébullition, le Georgia Dome va bientôt entrer en éruption. « Mettons le ballon dans les mains d’Isaac Bruce, » crache le coordinateur offensif Mike Martz dans le casque de Dick Vermeil. Message reçu. Sur le premier jeu après le coup d’envoi, Kurt Warner fait parler la foudre. Twins right, Ace right, 999 halfback balloon. En d’autres termes, tout le monde en profondeur, le passeur va arroser. Le quarterback recule dans sa poche, ajuste une spirale parfaite dans les mains d’Isaac Bruce 38 yards plus loin, en bord de touche, le receveur s’ajuste avec classe, vole le ballon au nez de Denard Walker, repique vers l’intérieur, casse un plaquage, s’enfuit vers la peinture bleue, dompte un dernier retour désespéré et chavire en plein bonheur 73 yards plus loin.
« Nous avions le temps pour un jeu avant le two-minute warning, et on s’est dit pourquoi pas tenter notre chance en profondeur, que si ça ne marchait pas, tout le monde aurait le temps de souffler sur le bord du terrain pendant la pause, » expliquera Mike Mart dans les colonnes du L.A. Times. « La passe était un brin trop courte, mais parfois c’est sont les meilleures passes parce que le défenseur ne peut pas localiser le ballon. »
Kurt Warner n’avait pas réussi la moindre passe de tout le 4e quart-temps, il vient de réussir le lancer le plus important de sa jeune carrière.
So Close, Yet So Far
1 minutes, 48 secondes, 88 yards et au bout, une prolongation à aller chercher. Les rognures d’ongles commencent à joncher les travées. 9 yards dans les mains de Derrick Mason, 7 dans celles de Wycheck, McNair distribue dans le secteur court. Zéro risque. Les deux formations auront pris soin du ballon de bout en bout, pas question de commencer à déconner maintenant. Après une passe ratée, Dré Bly a la brillante idée d’agripper la grille du quarterback sur une échappée. 12 yards au sol + 15 pour pénalité, les Titans sont à 45 yards de leur objectif. Ils le voient. Si proche et si loin à la fois. Les Rams offrent 5 nouveaux yards gratuits sur un hors-jeu des plus malvenu. Il reste 59 secondes. On entend les mouches voler. 2 petits yards au sol, 7 dans les mains de Kevin Dyson, héros de la finale AFC. Sur chaque action, tout le monde retient son souffle. Sur la suivante, les cœurs sont sur le point de s’arrêter net quand Bly bondit devant Mason et est à deux doigts de se racheter de son stupide facemask, mais le cuir lui saute des bras.
26 secondes à jouer. 2e & 5 après un nouveau hors jeu de la défense de St. Louis. Chargé par un pass rush violent, McNair se débarrasse du ballon comme il peut et envoie le cuir s’écraser contre le coude d’un Eddie George les yeux ailleurs. 3 & 5, le quarterback, sans solution, étire le jeu au maximum, zigzague, un coup à droite, un coup à gauche, tourne sur lui-même, recule sous la double pression de la défense des Rams, s’extirpe miraculeusement d’un plaquage à deux et trouve les mains de Kevin Dyson, tout seul sur la ligne de 10. Le receveur est stoppé immédiatement. Le dernier temps mort est appelé instantanément par Jeff Fisher. Les palpitants sont sur le point d’imploser de part et d’autre.
« Je le tenais entre mes bras et d’un coup, il s’est échappé, » confiera Kevin Carter.
Steve McNair dans ses œuvres. Il reste 6 secondes à jouer et 10 yards à combler pour envoyer le match en prolongation pour la toute première fois dans l’histoire du Super Bowl. Irréel. Un jeu pour écrire l’histoire. La tactique est simple : utiliser Frank Wycheck comme diversion sur le flanc droit pour attirer le linebacker Mike Jones et l’éloigner de Dyson, aligné juste derrière le tight end et en mouvement au moment du snap. Pendant que Wycheck s’enfuit vers l’extérieur en embarquant le défenseur avec lui, le receveur est sensé repiquer vers l’intérieur sur un quick slant et profiter d’un secteur intermédiaire dégagé derrière la ligne de mêlée. Hut ! Wycheck se rue vers la peinture jaune avec Mike Jones dans son dos, Dyson se pose au milieu, à 5 yards de la ligne de scrimmage, à 5 yards de l’en-but. McNair écrase la gâchette. Tout se passe comme prévu. Ou presque.
Trompé par le leurre, Mike Jones se retrouve sur le dos du tight end, sur la ligne de la endzone, quand il lance un rapide regard dans son dos. Du coin de l’oeil, il aperçoit Dyson prêt à se saisir du cuir une poignée de mètres derrière lui. Volte-face immédiate. Le receveur attrape le ballon, se retourne pour plonger vers la Terre Promise, mais est immédiatement accroché par un Mike Jones qui s’enroule autour de ses jambes à un peu plus de 2 yards du bonheur. The Tackle.
« Je n’avais pas l’impression qu’il avait une suffisamment bonne prise sur moi alors je me suis étiré comme j’ai pu. Mais j’étais juste trop court, » confiera Dyson au L.A. Times.
Dyson ne peut que se détendre de tout son long pour tenter de croiser la ligne. Étendu è l’horizontale, ballon à une main, bras droit étiré vers le jaune pétard, le receveur s’arrache. En vain. Le cuir échoue à une poignée de centimètres. À peine un yard. The Longest Yard. One Yard Short. Lancer le ballon avant la peinture lorsqu’il ne vous reste qu’une seule cartouche pour faire mouche et inscrire un touchdown. Un choix discutable, mais que l’ancien coordinateur défensif des Rams lorsqu’ils étaient encore à Anaheim assume pleinement.
« Nous voulions mettre le ballon dans les mains de Dyson sur un tracé en mouvement, » expliquera Jeff Fisher. « Nous voulions le lui donner et qu’il court jusque dans la endzone. Ça s’est joué à rien. »
Dantesque. Épique. Bienvenue dans le troisième millénaire. Le conte de fée de Kurt Warner est total.
« Ça ressemble au dénouement final d’un roman, » confiera-t-il au New York Times. « Quand on pense à où j’était avant et où j’en suis maintenant, ça semble insensé. »
Il y a 5 ans, il rangeait les tablettes d’une épicerie de Cedar Falls, Iowa, un an plus tôt il était la doublure d’une équipe au piteux bilan de 3-13 ; aujourd’hui, MVP de la saison régulière et du Super Bowl, recordman de yards lancés dans un Big Game (414), il est sur le toit du monde, le Trophée Lombardi serré dans son poing. Une destin à 180 degrés comme l’Amérique les aime tant. Pour les Titans, une occasion ratée, mais Jeff Fisher en est convaincu, ils reviendront.
« L’échec, c’est juste un succès qui se fait désirer, et nous seront jugés par notre capacité à rebondir l’année prochaine, » racontera le coach. « Nous étions convaincus à la mi-temps que nous allions gagner ce match. Je félicite Kurt Warner pour son touchdown, sans ça, ça aurait été un tout autre match. »
Un tout autre match, mais toujours la même équation. Au football, tout est question de distance. De gagne-terrain. De yards. Des yards parcourus par dizaines, par centaines. Et parfois, la différence se fait pour une poignée de centimètres. Inches. Même pas un yard. Si court et si long à la fois.