[One-Year Wonder] Steve Slaton : rodéo express

Si Arian Foster a eu sa chance, c'est un peu grâce à lui

Le temps d’une saison, ils y ont cru. Le temps d’un match, ils ont tutoyé la gloire avant qu’elle ne les fuit inexorablement. Brutalement parfois. Une idylle sans lendemain. Un coup d’un soir. Un one-night stand. Des one-year wonders. Ces stars aussi éphémères que des étoiles filantes.

L’AVANT

Levittown, bâtie sur mesure en 1951 par Bill et Alfred Levitt, des frangins un brin mégalos. Une ville froidement géométrique aux allures factices où sont machinalement copié-collés six types de baraques différentes. Yardley, un bled de 2200 âmes niché sur les flancs de la rivière Delaware et qui regarde d’un oeil scrutateur le New-Jersey voisin. Fairless Hills, l’ennui dans toute sa splendeur. C’est dans ce triangle partagé entre cambrousse et banlieue glaciale du sud-est de la Pennsylvanie que Steve Slaton vient au monde et passe toute sa jeunesse. C’est là-bas que la vie décide de lui foutre des bâtons dans les roues d’entrée. Les oreilles congestionnées depuis son plus jeune âge, il se retrouve muré dans un silence assourdissant parfois. Souvent même. Isolé. Seul. Coupé du monde. Barré derrière un mur invisible. Tellement que quand le marteau et l’enclume nichés dans ses oreilles refusent de coopérer, il doit lire sur les lèvres de ses interlocuteurs pour espérer entretenir un semblant de discussion. Benjamin d’une fratrie de six gamins, Steve est en dernière année de primaire lorsque sa soeur est emportée par une leucémie. Car sa surdité ponctuelle, mais récurrente, ne suffisait pas. Pourtant, depuis ses premiers battements de coeur, et bien avant même, le gamin aura fait preuve d’un tempérament et d’une énergie à toute épreuve. Un battant.

« Dans mon ventre déjà, il n’arrêtait pas de bouger, » se souvient sa mère, Juanita Tigget-Slaton, dans les pages web de la Post Gazette en octobre 2005. « Quand le docteur essayait de prendre son pouls avec le stéthoscope, Steve n’arrêtait pas de gesticuler dans tous les sens. Le médecin disait, ‘Oh, vous tenez une future star du sprint on dirait.’ C’était un sacré numéro, oh mon dieu ! »

Petite boule d’énergie supersonique, son père doit lui courir après et littéralement le plaquer au sol pour espérer un peu de répit. « Je donnais la migraine à mes parents à force de courir dans tous les sens, » se souvient le démon. Sous les couleurs de Conwell-Egan, un bahut à 4000 dollars l’année où sa peau couleur d’ébène détonne, dans une Philadelphia Catholic League bien trop tendre pour lui, Steve s’éclate. Coureur intenable en attaque, cornerback intraitable en défense, il porte sur ses épaules des Aigles qui vivent les plus belles années de leur existence. En trois ans et demi, les piafs décrochent 26 victoires. Autant qu’au cours des quinze années précédentes. Pour sa der en Pennsylvanie, celui que l’on surnomme Superman emboutit 1836 longueurs et croise 26 fois la ligne. Stevie quitte le bahut avec 6002 yards en attaque, 73 touchdowns et une poignée de records pas prêts d’être battus en poche.

Dans un lycée de la grande banlieue de Philadelphie dont les recruteurs des grosses écuries se foutent royalement, star de la piste d’athée, phénomène du gridiron, Steve Slaton parvient pourtant à se faire un petit nom et se met à rêver. Secrètement, il s’imagine déjà sous la carapace des Terrapins de Maryland. Si bien que quand les tortues viennent lui faire la cour tôt dans son année de sénior, il accepte volontiers leur bourse d’études, trop heureux de ne pas avoir à étirer un processus de recrutement qui le stress affreusement après trois visites, déjà, sur les campus des Terps, de West Virginia et de North Carolina.

« Je m’en souviens comme si c’était hier, » raconte-t-il dans les pages web du WV Metro News en 2020. « Durant tout le processus de recrutement, tout le monde voulait me changer de position alors que j’étais décidé à rester running back. Je suis allé là-bas pour une mise à l’essai d’un jour et ça s’est super bien passé. James Franklin, qui est le coach de Penn State désormais, était mon recruteur. Il m’a promis que je serais running back. Je me suis engagé très tôt. »

Seul hic, quelques mois plus tard, les yeux plus gros que le ventre, les reptiles réalisent non seulement qu’ils ont comblé plus que de raison le poste de coureur, mais qu’ils ont également épuisé leur quota de bourses. Conséquence de quoi, ils se ravisent froidement, tout en omettant soigneusement de prévenir un Steve Slaton qui apprend la nouvelle via Bill Kirelawich, coach de la ligne défensive de WVU avec qui il est resté en contact étroit. Quand il essaie de joindre les Terrapins pour éclaircir la situation, personne ne décroche. Il faut finalement qu’il appelle avec un autre numéro que le sien pour que James Franklin réponde et lui crache le morceau. Amateurisme total. « J’étais vénère, » lâche Steve. Dans l’urgence, il part en quête d’un nouveau point de chute. Un plan B. Seulement, qu’il s’agisse de Boston College ou Wisconsin, tous les programmes qui le contactent s’entêtent à vouloir le faire jouer cornerback. À une exception. En embuscade, un petit programme montagneux obsédé par la vitesse et qui le connait déjà ne le voit que dans les crampons d’un dynamiteur en attaque. Revanchard, Steve s’apprête à griffonner un morceau d’histoire.

En trois saisons sur l’intimidant et vallonné campus couleur brique de Morgantown, Virginie-Occidentale, Steve Slaton va entasser des chiffres pantagruéliques. Freshman barré par trois autres types que tout le monde pense plus talentueux que lui, il doit se contenter de huit petites courses lors de ses quatre premiers matchs. « J’avais l’impression de gâcher ma carrière universitaire parce que je ne jouais pas, » confesse le bizut pressé. S’il finit enfin par engranger du temps de jeu début octobre, c’est seulement avec la complicité des serial fumblers Jason Colson et Pernell Williams. Pourtant, Steve n’aura besoin que de dix rencontres pour éclipser aisément la barre des 1000 yards à la course au rythme enlevé de 5,5 longueurs par course et inscrire un total de 19 touchdowns en attaque. En quelques perfs XXL, il vient de renverser la hiérarchie au sol. Face à Rutgers, la pluie ne l’empêche pas de passer 139 yards aux Scarlet Knights pour son troisième match universitaire seulement. Une semaine plus tard, dans une triple prolongation dantesque, il inflige six touchdowns aux Cardinals de Louisville, du jamais vu dans la Big-East.

« J’ai marqué tous les touchdowns de l’équipe et c’est là que ma confiance a grimpé en flèche, » explique-t-il au WV Metro News« […] J’ai su alors que le poste était à moi et qu’il était hors de question que je le lâche. »

Après avoir collé 179 longueurs aux Panthères de Pitt, il en passe 204 à Georgia dans un Sugar Bowl victorieux d’anthologie. Dans une performance record pour la sauterie annuelle de NOLA, Steve claque deux touchdowns électriques de 52 yards et devient le deuxième meilleur performeur de l’histoire au sol dans un match BCS. Une simple mise en bouche avant une campagne 2006 stratosphérique. Regardé de haut quatre mois plus tôt, son nom est sur toutes les lèvres. Un des gamins les plus excitants de tout le circuit universitaire.

En septembre, après trois semaines de compétition seulement, Slaton compte déjà 503 yards et six touchdowns au sol. Un doublé par match. En ouverture, il en colle 203 au Thundering Herd de Marshall. En semaine 2, il n’a besoin que de deux séries offensives et huit ballons pour entasser 105 longueurs avant de disparaître. La semaine suivante, devant les caméras de tout le pays, en primetime, il se venge de Maryland en cavalant 195 yards dont 149 rien que dans le premier quart d’heure. Malgré un petit coup de mou face à une défense d’East Carolina prête à le recevoir, Steve repart de l’avant et enchaîne six matchs à trois décimales qu’il conclut par un one-man show face à Pitt. 215 yards et deux touchdowns au sol, 130 yards et deux touchdowns dans les airs, du jamais vu dans l’histoire des Mountaineers. All-American, Slaton achève sa deuxième année universitaire avec un total délirant de 2104 yards et 18 touchdowns en attaque grâce auquel il se glisse au pied du podium dans la course au Heisman Trophy, derrière le trio Troy Smith, Darren McFadden et Brady Quinn. Avec 1744 longueurs et malgré un poignet en cloque toute la saison, il efface des tablettes le record au sol d’Avon Cobourne et devient le meilleur coureur de l’histoire de WVU sur une saison.

En 2007, allié inséparable d’un Pat White électrisant qui court presque autant qu’il lance et efface confortablement les 1000 yards au sol pour la deuxième année consécutive, Steve Slaton débute en trombe avant de marquer le pas fin octobre. Centenaire pour les quatre premiers matchs de l’année, il ne va effacer la barre des 100 que deux petites fois au cours des neuf rencontres suivantes. En clôture de la saison régulière, les Mountaineers et leur coureur se ratent dans le centième Backyard Brawl de l’histoire face à des Panthers de Pitt seulement 5-7. Le natif de Pennsylvanie ne court que neuf fois, débusque péniblement onze malheureux yards et les numéro deux de WVU, donnés favoris par trois touchdowns avant la partie, disent adieu à leurs espoirs du BCS National Championship Game.

« Je n’ai jamais été du genre à réclamer le ballon, » disserte-t-il. « En tant que joueur, j’ai toujours été du genre à parler aux autres gars, pas aux coachs. […] J’aurais aimé davantage me faire entendre durant ce match. »

Dans un Fiesta Bowl sans grande saveur, il est envoyé deux yards en arrière avant de quitter le match prématurément, touché à la jambe. Clap de fin boiteux sur une carrière immense. Presque 4000 yards au sol, plus de 800 dans les airs, 55 touchdowns au total et un joli doigt d’honneur pointé en direction du Maryland. Sous les couleurs des Moutaineers, il aura croisé le chemin des Terrapins à deux reprises. Deux matchs, deux victoires, 332 yards et cinq touchdowns au sol. Histoire de leur rappeler leur épouvantable erreur de jugement. Onze victoires chaque années. Sugar Bowl. Gator Bowl. Fiesta Bowl. Après trois saisons bluffantes couronnées de succès collectifs, de récompenses individuelles en tout genre, d’une flopée de records divers et variés et d’une tripotée de couvertures de magazines, Steve choisit de renoncer à son année de sénior et d’abandonner ses potes Pat White et Owen Schmitt, son perce-muraille préféré, pour se jeter dans le grand bain fumant de la NFL.

Athlète complet, il impressionne lors du Combine d’Indy en claquant un 40-yard de 4,45 malgré ses solides 90 kilos. Physique, mais rapide. Puissant, mais vif. Le jour du pro-day de WVU, il décroche quelques mâchoires en agrippant une passe à un main sur une go route qui souligne ses talents de receveur écarté et pas seulement de soupape de sécurité malgré son petit mètre 75. Des routes précises et toniques, des mains souples et fiables, Steve Slaton a tout l’arsenal du running back moderne, capable d’attaquer la ligne de scrimmage en plein coeur ou sur les ailes, mais tout aussi confortable loin de la mêlée, l’ancien Mountaineer fait monter sa cote dans une promo 2008 qui déborde de talent au sol.

Darren McFadden le sanglier d’Arkansas se fait la malle dès le quatrième choix. Les Panthers misent sur le puissant Canard Jonathan Stewart une petite dizaine de picks plus tard. L’autre phénomène des Razorbacks Felix Jones, Rashard Mendenhall et ses yeux exorbités, la fusée Chris Johnson, les trois hommes se suivent coup sur coup dans le dernier tiers du premier tour. Matt Forte et ses mains délicates atterrissent à Chicago en milieu de deuxième round. Ray Rice et son centre de gravité au ras des pâquerettes déboulent à Baltimore onze choix plus tard. Le talentueux Kevin Smith va se perdre à Detroit en ouverture du troisième tour. Les Chiefs font un coup d’enfer en dégotant la gazelle Jamaal Charles. Puis vient le tour de Steve Slaton. Dixième coureur d’une cuvée 2008 absurde de talent au poste de running back. À Houston, Steve découvre une attaque portée par le binôme Matt Schaub-Andre Johnson et résolument tournée vers les airs. Le bizut débarque dans une escouade offensive sans leader au sol où l’immense Ahman Green court désespérément après son glorieux passé, resté dans le Wisconsin. Loin de ses 1883 de 2003, le compact coureur a tout juste effacé la barre des 250 yards un an plus tôt à un train de sénateur presque attendrissant.

LE PENDANT

Titulaire en ouverture à Pittsburgh, Ahman Green a à peine le temps de rafler une petite trentaine de yards qu’il se blesse. Opportuniste, next man up, Steve prend la relève et vit un aprèm terriblement frustrant face à un front seven en acier trempé. Malgré treize ballons, le coureur n’avance pas, mais en montre suffisamment pour être promu titulaire pendant que le vétéran panse ses bobos. Les Texans ont beau s’incliner une nouvelle fois sur la route, à Nashville, la semaine suivante, Slaton éclipse les 100 yards en 18 courses seulement à un rythme enlevé et croise la ligne de but pour la première fois de sa carrière. Muselé au sol à Jacksonville sept jours plus tard, il fait parler des doigts de fée, ne rate pas une seule des huit passes dégainées dans sa direction, crapahute 83 yards et claque un touchdown de receveur sur un lancer de 30 longueurs en bord de terrain. Green de nouveau opérationnel, ce third-down back devenu three-down back sans qu’on ne comprenne trop comment conserve pourtant sa main mise sur l’attaque au sol et passe 93 yards et un doublé dans une énième défaite face aux Colts.

Son temps de jeu vampirisé par le retour de l’ancien coureur des Packers, Steve Slaton n’apporte qu’une maigre contribution aux trois premiers succès de la saison des Texans. 191 yards cumulés, deux petits touchdowns, une moyenne convenable et rien à signaler dans les airs. Bien maîtrisé au sol par les Vikings, un peu moins dans un rôle de soupape de sécurité à la passe, il est totalement rayé du plan de jeu par les Ravens dans un match où les taureaux se retrouvent très vite à devoir courir désespérément après le score. Mais Steve ne lâche pas. Déterminé à ne pas laisser filer cette opportunité tombée de nulle part.

« Vers le milieu de la saison, nous avons réalisé qu’il avait vraiment quelque chose, alors on s’est dit, misons tout sur lui et faisons-lui confiance tant qu’il a du carburant dans le moteur, » raconte le tackle Eric Winston sur la page officielle des Texans en septembre 2009. « Il a joué avec des bleus, il a joué avec des bosses. On se disait tous, ‘Ce gars va finir par s’écrouler à un moment,’ mais il a gardé le sourire et a continué à tout démolir. »

Mi-novembre, dans un chassé-croisé euphorisant face aux Colts, il lâche les chevaux et se tape un sprint solitaire sur un touchdown de 71 yards où il dépose les defensive backs d’Indianapolis. Il n’aura besoin que de 14 courses pour engloutir 156 yards ce jour-là. À mesure qu’il empile les highlights, le staff texan en vient à une conclusion simple :  « S’il continue à faire des gros jeux, nous n’avons pas d’autre choix que de le garder sur le terrain. » Bien contenu par les Browns la semaine suivante, Steve enchaîne trois matchs centenaires dans une fin de saison où les Texans jouent leur va-tout dans la course aux playoffs. 130 yards et un doublé face aux Jags, dont un touchdown de 40 yards tout en vitesse sans qu’aucun défenseur ne parvienne à l’effleurer. 120 sur la toundra de Packers aussi troués qu’un emmental en défense. 100 tout rond face aux rivaux du Tennessee. En même tant qu’il entasse les yards au sol, le coureur ajoute une centaine d’unités sur réception et Houston décroche trois succès précieux. Son one-man show du lundi soir face aux Jaguars, où il amasse plus de 180 unités en attaque grâce à un récital au sol et une screen pass de 40 yards, lui doit d’être nommé Joueur Offensif de la Semaine dans l’AFC. La saison avance, mais le rookie ne baisse pas en rythme, à la plus grande surprise et pour le plus grand plaisir de ses coachs.

« On comptait en faire un joueur de situation, » reconnaît le coordinateur offensif Kyle Shanahan. « Nous comptions sur un Ahman en pleine santé. Nous avons été surpris de le voir tenir seize matchs et de le faire aussi bien. En fait, il a progressé chaque semaine. Il était meilleur en fin de saison qu’il ne l’était en début. »

« Quand tu es rookie, et davantage encore quand tu n’es pas gros gars, tu as tendance à vite t’épuiser. Il n’a jamais baissé de rythme »

Finalement battue à Oakland en semaine 16, la franchise texane tire un trait sur ses espoirs de séries. Dans un baisser de rideau sans enjeu face aux Bears, Steve Slaton clôt l’année avec près de 130 yards cumulés en attaque et un ultime touchdown. Clap de fin sur une incroyable saison de rookie. 1282 yards et neuf touchdowns au sol. Mieux qu’aucun autre première année. 377 unités et un touchdown de plus dans les airs dans une attaque où le monstre Andre Johnson fait des merveilles malgré les pépins physiques d’un Matt Schaub en pleine ascension. Personne dans l’AFC ne fait mieux que ses 1659 yards cumulés en attaque. Malgré trois fumbles dont deux perdus sans grande conséquence, Steve devient le coureur le plus prolifique de la jeune histoire des Texans le temps d’une saison, porte sur ses épaules la troisième attaque la plus prolifique de la ligue et se hisse parmi les meilleurs running backs de la NFL. Loin derrière les 1760 unités du cyborg Adrian Peterson. À distance des 1699 longueurs du dodu Michael Turner. Dans le rétro des 1515 yards de la fusée DeAngelo Williams. À portée des 1487 pions du sublime Clinton Portis. Sur les talons du puissant Thomas Jones et ses 1312 yards. Mieux que l’autre rookie Matt Forte, que la légende LaDainian Tomlinson ou que l’éternel Frank Gore. Mieux surtout que les Pro Bowlers Chris Johnson, Marshawn Lynch et Ronnie Brown, le roi d’une wildcat offense exhumée d’on ne sait trop où.

L’APRÈS

Avec une première campagne supersonique dans les jambes, conscient des attentes qui l’entourent, Steve Slaton décide de muscler son jeu et squatte assidûment la salle de muscu. À force de soulever de la fonte et de prendre du muscle, il espère améliorer ses qualités de bloqueur sur situation de passe, gagner en explosivité et booster ses facultés de percussion sur les courts gains. Car plus qu’un simple speedster capable de traverser le terrain à toute berzingue et qu’un receveur habile, il aspire à devenir un three-down running back, un coureur tout équipé capable d’enchaîner les snaps dans n’importe quelle situation. Une coupé sport avec clim et toit ouvrant inclus. À l’orée de la saison 2010 pourtant, l’heure est à la prudence et à la mesure côté texan.

« C’est important que nos jeunes gars ne restent pas figés sur ce qu’ils ont accompli l’an dernier et continuent à se perfectionner techniquement, à devenir plus forts, à apprendre à mieux lire les situations et à tout simplement devenir des joueurs plus forts et plus matures, » insiste Chick Harris, coach des running backs sur le site officiel des Texans.

Si le message est reçu cinq sur cinq par un joueur pleinement conscient du rôle accru qui est désormais le sien, le choix de la gonflette va vite se révéler désastreux. Plus costaud, plus puissant, plus lent, moins dynamique, Steve n’est plus ce type insaisissable qui avait fait sa force pour son année de rookie. Aussi explosif qu’un pétard mouillé, le type qui giclait de la ligne de scrimmage et donnait des sueurs froides à des linebackers bien trop lents enchaîne les matchs au ralenti. 17 longueurs en neuf courses et un fumble perdu en ouverture face aux Jets. 34 yards en 17 ballons et deux autres ballons lâchés une semaine plus tard dans le Tennessee. Malgré les presque huit kilos de muscles ajoutés, Gary Kubiak lui préfère Ryan Moats et Chris Brown pour les situations courtes ou près de la ligne de but. Un échec total malgré la confiance qu’affichait Kyle Shanahan en début de saison.

« Je ne me préoccupe pas particulièrement du poids, » confiait le coordinateur offensif. « Je veux qu’il devienne aussi gros et fort que possible tant qu’il ne perd rien en vitesse et en vivacité. S’il débarque ici et a l’air plus lent et plus raide, alors il est en surpoids. Si ça n’est pas le cas, qu’il continue à prendre de la masse pour pouvoir tenir le rythme de la saison. »

Pari raté. En dépit d’un léger sursaut inutile face aux Jaguars le dimanche suivant, l’ancien Mountaineer pétarade à trois pauvres yards de moyenne par course et lâche un énième ballon face aux Raiders sept jours plus tard. Touché au cou, Steve perd la sensibilité jusque dans son bras, mais se garde bien d’en glisser un mot à ses coachs ou aux docs par peur de perdre son boulot. Diminué, moins percutant, il va pourtant se charger comme un grand de lâcher sa job à coup de fumbles à répétition terriblement irritants qui vont lui valoir l’ire des fans de Houston et épuiser la patience de Gary Kubiak. Sept dont cinq qui finissent dans les bras de l’ennemi. 

« S’il faut qu’on se mette à lancer le ballon sur chaque action, c’est ce qu’on va faire, » s’impatiente le coach face aux manque d’efficacité et de fiabilité de son sophomore dans les pages du Houston Chronicle en octobre 2009. 

À Cincinnati, les Texans réussissent l’exploit de l’emporter malgré un coureur qui, en 19 courses, tourne au rythme assommant de 2,26 yards et échappe son cinquième ballon de l’année. La farce a assez duré, Slaton est envoyé faire son introspection sur le banc début novembre pour le déplacement à Indianapolis et, même réinvesti titulaire la semaine suivante, voit son volume d’actions réduit à peau de chagrin – ce qui ne l’empêche pas d’ajouter deux nouveau fumbles à sa récolte – avant d’aller d’échouer sur la réserve des blessés pour de bon.

Après une année de sophomore bidon où il ne gratte que 437 yards au sol, ne marque qu’à trois reprises, gagne un peu de répit grâce à quelques fulgurances dans les airs et qu’il achève à l’infirmerie, Steve Slaton passe sur le billard pour réparer son cou amoché. Pendant ce temps-là, un petit jeune non-drafté dont on attendait pas grand chose en a profité pour sortir quelques perfs scotchantes dans le garbage time d’une saison déjà enterrée. Si bien que quand la saison 2010 démarre, Steve Slaton n’est plus titulaire. Numéro un au début de l’été, il a été dépossédé de son trône par un type que les Texans n’avaient même pas jugé bon de drafter un an plus tôt. Un type cérébral, poétique, d’une élégance folle et d’une efficacité redoutable ballon en main. Victime collatérale de l’émergence de l’Undrafted Arian Foster, Steve se ronge les ongles. Même quand on l’envoie sur les équipes spéciales pour faire parler la vitesse et la vision du jeu qui en avaient fait un joueur universitaire et un rookie si excitant, il fonce dans le tas comme un bourrin, plonge la tête la première dans des plaqueurs qui n’ont pas le moindre effort à déployer, passe à côté de trous béants et, surtout, semble affreusement lent. Figurant en attaque, fantôme sur la feuille de stats à quatre reprises, il achève sa dernière saison texane avec tout juste une centaine de yards en attaque et pas le moindre point. 

Steve Slaton a beau survivre à l’été 2011, il est envoyé sur le waiver le 27 septembre malgré les pépins physiques de Foster. Sept courses, 20 yards. Une réception, six yards. Son bilan en trois semaines est famélique. De rookie plein d’avenir, il n’est même plus bon à jouer les pompiers de service. Réclamé par Miami, il est dispensé d’enfiler son uniforme pas moins de dix fois. Inutile pour sa première sous le maillot des Fins à San Diego, il plante un touchdown pour du beurre sur le terrain des Giants avant d’enfin décrocher un peu de temps de jeu pour le dernier match de l’année face aux Jets. Reggie Bush revenu à la vie un an plus tôt sous le soleil de Floride, la star locale Lamar Miller draftée au quatrième tour, Steve Slaton ne vaut plus un clou et il est viré le premier jour de septembre 2012. Mis à l’essai par les Bears fin septembre après la blessure de Matt Forte, Chicago préfère se rabattre sur une autre option. Vaguement intéressés, les Lions révisent eux aussi leurs plans. Plus personne ne veut de Steve. 

En avril 2014, après 18 mois d’un silence assourdissant. Le téléphone sonne. Une dernière opportunité. À 28 piges seulement, Steve Slaton attrape son passeport et embarque direction Toronto. Pré-retraité dans une ligue canadienne qui fait généralement la part belle au jeu aérien, il dispute douze parties et décroche cinq titularisations. Le temps d’entasser près de 900 yards d’attaque et de marquer quatre fois sur les larges terrains de la CFL. Troisièmes à l’est, les Argonauts ratent les playoffs et après quelques mois d’un bref exil canadien, même pas trentenaire, Steve décide de raccrocher les crampons pour de bon au terme d’une carrière aux allures d’énorme opportunité manquée. Pourtant, reconverti apprenti cuistot, il ne nourrit aucun regret.

« Ça a été une véritable bénédiction, » assure-t-il au WV Metro News en mai 2020. « Quand tu pratiques un sport et que tu y rencontres le succès, ton objectif, ton but final est de devenir professionnel et de gagner des bagues de champion. À chaque match, à chaque entraînement mon but était de devenir un footballeur professionnel. »

Mission accomplie. Difficile de gommer totalement cette impression de gâchis. Un gâchis aux airs de déjà-vu. Une trajectoire presque lambda pour un coureur. Car pour des running backs dont l’espérance de vie dépasse rarement les trois ans et demi, NFL rime bien souvent avec Not For Long. Une ritournelle qui résume si bien la carrière de Steve Slaton. Trois années électrisantes, enivrantes, grisantes sur le campus de Morgantown qui donnent le ton d’une première année en pro bluffante, chargée de mille et une promesses. Une année, puis plus rien. Comme si tout était allé trop vite. Trop vite, trop court. Une année avant de retomber dans l’oubli. Dans l’anonymat. A one-rookie-year wonder.

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