[One-Year Wonder] Gary Barnidge : les vertus de la patience

Appelez-le Big Gary, comme sur sa plaque d'immatriculation

Le temps d’une saison, ils y ont cru. Le temps d’un match, ils ont tutoyé la gloire avant qu’elle ne les fuit inexorablement. Brutalement parfois. Une idylle sans lendemain. Un coup d’un soir. Un one-night stand. Des one-year wonders. Ces stars aussi éphémères que des étoiles filantes.

L’AVANT

De Bowling Green et sa Home Rule, exception constitutionnelle permettant à une municipalité ou un comté d’édicter ses propres lois, à un bled de 10 000 âmes au sud de Jacksonville. Si Gary Barnidge vient au monde dans le Kentucky, il découvre le football dans le nord-est de la Floride, à une époque où le conté de Duval est encore orphelin d’une franchise NFL. Dans ce bout du Sunshine State, où ce sont les crocos de Gainesville qui règnent en maîtres, le gamin se prend pourtant d’affection pour les Seminoles. Warrick Dunn, la star de Florida State devenu Boucanier qu’il idolâtre, Ken Griffey Jr, gaucher des Marlins intronisé au Hall of Fame de la MLB en 2004 ou Pikachu, Akwakwak et Tauros,  l’ado collectionne compulsivement les cartes de vedettes préférées comme celles des Pokémons. Athlète à succès au lycée de Middleburg, patelin sans vie qui baigne dans les marécages, il décroche une bourse d’études de Louisville et devient le premier membre de sa famille à aller à l’université. Defensive end dans ses premières années, c’est sur le flanc de l’attaque que Gary s’épanouit. Après des années d’exil sous le soleil floridien, retour au Kentucky. S’il plante un touchdown sur la moitié des passes qu’il capte pour sa première année sur le campus de brique rouge, il peine à trouver son véritable rôle loin de la redzone, mais signe déjà ses premiers autographes.

« C’était quelque part durant ma première année de freshman, » raconte-t-il à Tony Reid de Sport Collectors Daily en décembre 2020. « C’est un truc essentiel pour moi, je ne refuse jamais de signer un autographe. On ne sait jamais ce que ces personnes vivent. Cet autographe pourrait radicalement changer leur journée voire leur vie. C’est quelque chose de positif, alors ça ne peut jamais faire de mal. »

Après deux saisons d’une lente progression, Barnidge n’a empilé que 325 yards et six touchdowns. Le futur Raider Michael Bush au sol, l’éphémère Packer Brian Brohm under center, les frangins Pettrino sur le banc, dans un programme qui vit de belles années et est confortablement installé dans le top 10, en 2006, le tight end junior trouve enfin ses marques et la cadence. 31 réceptions, 511 yards et quatre touchdowns. Face à South Florida, il claque son premier match à trois décimales. Les Cards gagnent douze de leurs treize rencontres, remportent la Big East, décrochent le Orange Bowl face à Wake Forest et achèvent la saison au sixième rang national.

En janvier 2007, quelques jours seulement après un Bowl victorieux et six mois à peine après avoir paraphé un contrat de dix avec Louisville, Bobby Petrino se tire à Atlanta en échange d’un contrat deux fois plus courts, mais tout aussi lucratif. Pour sa der sur le campus bicentenaire de Louisville, malgré le changement de coach, Gary déploie enfin ses interminables segments pour agripper 655 yards et sept touchdowns. Des chiffres affriolants pour un géant déjà capable de bloquer efficacement. Pas suffisants pourtant pour convaincre les franchises NFL de lâcher de précieuses ressources sur ce grand machin. Dustin Keller seul tight end d’une cuvée tout juste potable à partir au premier tour, John Carlson quitte Notre Dame pour Seattle en début de deuxième round, Fred Davis rejoints D.C. une poignée de choix plus tard, les Cowboys flairent la bonne affaire en mettant le grappin sur Martellus Bennett, suivent des types dont personne ne se souvient, le Packers Jermichael Finley, un illustre inconnu, le Poulain Jacob Tamme, un autre illustre inconnu, puis vient enfin le tour de Gary Barnidge. Avec le 141e choix général, les Panthers se laissent tenter par cet impressionnant spécimen athlétique. Son pote des Cards Breno Giacomini atterrira à Green Bay neuf picks plus tard.

Choix de cinquième tour, dixième homme d’une promo de tight ends loin d’être bandante sur le papier, même si certains hommes accompliront de jolis bouts de carrière, barré par un Dante Rosario drafté lui aussi au cinquième round un an plus tôt et un Jeff King sélectionné au même stade deux ans auparavant, Gary débarque dans un roster chargé en nombre à défaut de dégouliner de talent à son poste.

« Je me suis dit qu’ils étaient en train de monter une écurie de tight ends qui auraient tous leur chance de jouer, » se souvient-il dans les pages web de Bleacher Report en octobre 2015. « Je ne m’attendais pas à grand chose en arrivant là-bas. »

Et grand bien lui en a pris, car après avoir survécu aux coupes estivales, Gary ne disputera que 27 misérables snaps de toute son année de rookie. Réduit à un rôle de joueur d’équipes spéciales, il est un véritable figurant dans une attaque où seuls ses talents de bloqueur semblent intéresser. Drafté en avril 2008, il devra attendre le 25 octobre 2009 pour enfin attraper sa première passe dans la NFL. Cet aprèm-là face aux Bills, il en saisira trois pour 77 yards. Son meilleur match d’une saison qu’il conclut avec douze réceptions et 242 yards dans les crampons d’un joueur de rotation. Un an plus tard, visé neuf petites fois, cantonné à un rôle de bloqueur, il ne capte pas la moindre passe. En 2011, un vent de fraîcheur venu d’Auburn caresse le poil noir d’une franchise en quête d’identité. Malgré les arrivées conjuguées des vétérans Jeremy Shockey et Greg Olsen, les attentes autour de Gary sont grandes à l’orée de cette nouvelle ère qui se dessine du côté de Charlotte. 

« C’était clairement une saison dont j’attendais beaucoup, » se souvient-il. « J’avais l’impression de réaliser un bon camp et c’est juste pas de bol que je me blesse le dernier jour […]. »

Le tight end se pète la cheville à quelques jours du coup d’envoi de la saison et ne jouera pas de l’année. Une grosse tuilasse pour une carrière au point mort qui semblait enfin décidée à démarrer. De nouveau opérationnel, mais fantomatique durant l’essentiel de la campagne 2012, Gary a le mérite de ne pas manquer la moindre des six passes lâchées dans sa direction. Mieux, en semaine 12 à Philly, à 27 piges, il claque le premier touchdown de sa carrière. 24 yards libérateurs après près de cinq années abyssales à se ronger le frein dans un rôle de bouclier humain ou de perce-muraille parfois frustrant pour un type capable de faire bien plus. Greg Olsen confortablement installé dans le rôle de numéro un et pas prêt d’en être délogé, il est temps d’aller voir ailleurs. Temps de quitter une attaque dont il n’aura jamais disputé plus de 28% des snaps. Quand le coordinateur offensif Rob Chudzinski est muté à Cleveland pour reprendre les rênes d’une franchise en perdition, Gary saute dans ses valises. Dans l’ombre d’un Jordan Cameron rayonnant qui flirte avec les 1000 yards, le natif du Kentucky ramasse les miettes. 

« C’est dur d’être barré par un Pro Bowler, » confesse-t-il. « C’est super pour ces gars, je suis heureux pour eux et je n’ai absolument rien contre ça. C’est juste que tu n’as pas le choix d’apprendre à être patient. C’est aussi bête que ça, tu ne peux rien y faire à part être content pour eux et tout faire pour les aider. »

À peine une petite quinzaine de réceptions, 127 yards, le touchdown de la gagne des mains de Jason Campbell face aux Ravens et un autre de 40 longueurs face aux Pats quelques semaines plus tard. En 2013, Chudzinski déjà viré, dans une attaque sans véritable talent, privé de endzone, privé de terrain pendant trois semaines, absentéiste chronique sur la feuille de stats, Barndige doit se contenter de 156 yards dans un rôle de bloqueur robuste et efficace qui met rarement les mains sur le ballon. Mais quand Jordan Cameron cède aux sirènes de Miami au printemps 2015, l’horizon se dégage soudainement pour Gary.

LE PENDANT

À 30 balais, Gary Barnidge écume les terrains de la NFL depuis sept années déjà. Sept années passées à traîner sa peine dans un costume de tight end bloqueur contre nature en attaque et d’armoire à glace sur des équipes spéciales où son mètre 98 impose son pouvoir de dissuasion. Depuis ses premiers pas en 2008, il n’a agrippé que 44 des 80 passes expédiées dans sa direction pour à peine plus que 600 yards. Le parfum enivrant de la peinture fraîche, il n’y a goûté que trois petites fois. Un anonyme noyé dans la masse. Un col bleu qui va bientôt troquer son costume de travailleur de l’ombre pour un complet trois pièces taillé sur mesure. Quand les Browns décident de laisser filer Cameron et de lui accorder leur confiance, Barnidge claque quelques millions sur une baraque à Cleveland, convaincu qu’il s’est enfin trouvé un pied à terre durable. Mais en gestionnaire prudent ayant toujours eu conscience de la valeur de l’argent, il prend quelques-uns de ses jeunes coéquipiers comme colocs pour amortir l’hypothèque et limiter les risques. Car dans une NFL où tout va très vite, rien n’est jamais garanti.

La saison n’a que trois semaines à peine que Barnidge éclipse déjà la barre des 100 yards pour la première fois de sa carrière. Après une sortie honorable en ouverture face aux Jets et une perf anecdotique contre les Titans, le tight end sort le match le plus accompli de son hésitante carrière. En vain. Visé à dix reprises, il capte six ballons, entasse 105 yards, marque une fois, mais ne peut empêcher les Raiders de gâcher la fête. Si les Dawgs se ramassent encore à San Diego la semaine suivante, Gary enchaîne, ne manque pas une seule des six passes dégainées dans sa direction et croise une nouvelle fois la ligne. Un simple échauffement. Car le match de sa vie l’attend dès la semaine suivante dans le nid des Corbeaux de Baltimore. Pourtant, en dehors d’un temps de jeu enfin à la mesure de son talent, rien n’a vraiment changé pour Barnidge.

« Honnêtement, je continue de faire les mêmes choses que depuis des années, » explique-t-il presque incrédule face à ce qui lui arrive. « Je suis toujours préparé, prêt au combat et quand on m’appelle, j’arrive en courant et je fais tout mon possible pour aider l’équipe à gagner. »

Dans un véritable match de boxe où les deux rivaux de l’AFC Nord se rendent coup pour coup, longtemps invisible, Gary se fait finalement remarquer pour une positionnement illégal sur un dégagement de son propre punter en début de deuxième quart-temps. Trois minutes plus tard, le colosse se fait pardonner en allant cueillir une passe de 35 yards du journey man Josh McCown. Le quarterback aplati par Lawrence Guy quelques actions plus tard, les Browns doivent se contenter de trois points. Avec une grosse trentaines de secondes au chrono avant la pause, le passeur se tourne vers sa soupape de sécurité et trouve deux fois les mains de son tight end pour mettre Travis Coons sur orbite et recoller un peu au score avant la pause goûter. Neuf yards par-ci sur un drive pour du beurre, quinze yards par-là sur une série qui va à dam et Cleveland est toujours dans le match à l’attaque des quinze dernières minutes.

Face au blitz nourri des Ravens, McCown écrase la gâchette en catastrophe vers son tight end avant de se faire enterrer vivant par le pass rush mauve et noir. Les hurlements, puis le silence. Campé sur la ligne de but, Gary saute plus haut que le safety Will Hill, mais ne parvient pas à se saisir du cuir. La gonfle glisse entre les deux hommes et vient se nicher entre les jambes de l’attaquant sans jamais toucher le sol. Dans un éclair de lucidité et dans une position tout sauf académique, sur le dos et les quatre fers en l’air, Barnidge se saisit miraculeusement du ballon. Touchdown. On entend les mouches voler.

« C’était un mélange de lucidité et de chance, » concède-t-il à Bleacher Report. « C’était un coup de chance que ça rebondisse sur le pied du défenseur et atterrisse pile sur ma cheville, mais dès que j’ai senti le ballon sur mes jambes, j’ai resserré les cuisses et j’ai tendu les bras aussi vite que possible. Une fois que je l’ai eu entre les mains, j’ai su que le ballon n’irait nulle part ailleurs. » 

Un petit miracle. Encore épinglé par les zèbres pour un mauvais placement, il se fait instantanément pardonner en agrippant une passe de 22 yards. Dans les airs comme au sol, Isaiah Crowell fait le reste et les Browns virent de nouveau en tête dans une fin de match suffocante. En prolongations, sur un interminable drive de douze jeux qui propulse les Dawgs de leurs 35 à la ligne de 15 de Baltimore, Gary y va de ses 19 petits yards et Travis Coons clôt l’affaire de près. La première victoire de Cleveland dans le Maryland depuis 2007. Huit ballons attrapés, 139 yards et un troisième touchdown en autant de semaines. Dans tous les tops de la semaine grâce à son action lunaire, l’obscure tight end commence lentement à se faire connaître. Le type qui n’arrête plus de marquer.

« Les observateurs extérieurs mon toujours estampillé soit comme tight end bloqueur, soit comme un tight end capable d’attraper le ballon, ça changeait presque à chaque saison, » explique-t-il à Sports Illustrated en novembre 2015. « Comme s’ils ne savaient pas quoi faire de moi. Je pense que ça a forgé ce que je suis aujourd’hui : un type qui peut fait n’importe quoi sur un terrain et qu’il est vraiment dur à contenir. »

Mais aussi complet soit-il sur un rectangle vert bariolé de blanc, le natif du Kentucky est bien plus que ça. Car le football représente bien plus qu’un simple gagne-pain dominical pour lui. C’est une opportunité. Ambassadeur d’un sport qui lui a tant apporté, Gary Barnidge a créé avec Breno Giacomini, ancien coéquipier sous le rouge et blanc des Cardinals de Louisville, l’American Football Without Barriers, une asso à but non-lucratif destinée aux gamins défavorisés et orphelins qui organise des camps d’entraînement et de détection partout à travers le globe. Brésil, Turquie, Chine. Trois années d’existence, trois destinations et trois marchés encore sous-exploités par un ballon à lacet qui peine à exister en-dehors de l’Amérique du Nord et de quelques bastions européens. « Il y a une véritable idée reçue qui laisse croire aux gens que le football n’intéresse personne dans ces pays, mais c’est faux, » disserte-t-il sur les pages web de Bleacher Report, se réjouissant de constater que, depuis leur passage à Pékin et Shanghai, le nombre d’équipes est passé de six à quatorze. « Ça grossit de plus en plus. » Un programme qui a attiré plus de 2500 gamins qui, pour certains, ont eu la chance de rencontrer Marshawn Lynch, guest de luxe de l’étape stambouliote. En apôtre de son sport, plus que le simple développement du foot US à travers le monde, Gary aspire également à offrir à des jeunes athlètes talentueux et démunis l’opportunité de décrocher une bourse d’études aux States.

Sur les terres de l’Oncle Sam, casque vissé sur son crâne, en trois dimanches, Barnidge le civilisateur vient de réaliser les trois matchs les plus accomplis d’une carrière qui semble enfin décidée à décoller.

« Tout le monde m’envoyait des tweets, me posait des questions ou me parlait de cette action, » raconte-t-il à BR à propose de sa réception acrobatique de Baltimore. « C’est super et tout, mais j’essaie de ne pas trop me faire distraire par tout ça. J’essaie juste de penser à la semaine qui s’annonce parce que tout le reste appartient déjà au passé. »

Droit dans ses bottes, concentré et devenu incontournable dans une attaque où le talent fait cruellement défaut, nettement plus discret et maladroit la semaine suivante à Denver, Gary agrippe le premier doublé de sa carrière dans un énième revers. Le quatrième déjà. Et le premier d’une série de sept rencontres sans la moindre victoire à se mettre sous les crocs. Privé d’en-but à St. Louis, le tight end efface d’un souffle la barre des 100 yards pour la troisième et dernière fois de l’année. S’il flirte avec face aux Ravens en semaine 12, il doit se contenter de 91 unités, mais assoit son rôle de contributeur régulier dans une escouade qui manque cruellement de mordant et d’efficacité. Marqueur une dernière fois dans un match accompli face aux 49ers, la troisième victoire de l’année seulement pour les Browns, Gary efface la barre des 1000 yards en clôture face aux Steelers dans un match sans enjeu couronné par un inévitable revers. Visé 125 fois, il aura cueilli 79 ballons pour 1043 yards et neuf touchdowns. En quatre mois seulement, il vient d’atomiser sept années de carrière anémiques à la surprise générale. Ou presque.

« Je n’ai pas été tant surpris par ce que Gary a accompli en 2015, car j’avais vu des bribes de son potentiel à l’entraînement en Caroline, » commente Josh McCown, passeur des Panthers passé aux Browns lui aussi. « Des types comme lui manquent parfois de régularité et peinent à trouver la bonne formule à cause des changements de coach à répétition, d’un manque de stabilité ou d’opportunités… Il n’a probablement jamais eu la chance de pouvoir s’épanouir et atteindre son plein potentiel jusqu’à ce qu’il atterrisse à Cleveland. »

Dans une saison aérienne où les astronautes Antonio Brown et Julio Jones éclipsent les 1800 longueurs, Gary s’invite à la table des meilleurs tight ends de la ligue. À distance raisonnable du cyborg Rob Gronkowski et ses 1176 yards, à un soixante d’unités de la Panthère blonde Greg Olsen, il se glisse un petit cran derrière Delanie Walker et s’offre un billet inespéré début septembre pour Honolulu. La juste récompense d’une saison aux allures d’épiphanie. Un touchdown de barjot dans le Maryland, des catchs à une main chaque semaine ou presque, une faculté insondable à se retrouver seul au monde. De tight end cantonné à un obscur rôle de bloqueur, Barnidge s’est mué en l’une des armes offensives les plus létales de la ligue. Un mismatch parfait face à des linebackers souvent plus mobiles, mais nettement plus courts sur pattes. Un type de près de deux mètres d’apparence inoffensive et qui semble effroyablement lent jusqu’à ce qu’il se faufile dans votre dos en un éclair sans que vous ne puissiez lui remettre le grappin dessus. « Je décrirais sa façon de courir comme maladroite, » s’amuse son coéquipier Alex Mack dans les pages de Sports Illustrated en novembre 2015. « Raide, » renchérit Joe Thomas. « Terriblement raide, » confirme McCown. Un style déconcertant, mais terriblement efficace. Les vertus d’une confiance enfin accordée. Les vertus de la patience pour un type sous-estimé depuis ses premiers pas de footballeurs.

« Durant toute sa carrière, il a eu l’étiquette de joueur rigide, de tight end bloqueur, » commente le tackle Joe Thomas. « Mais Gary est un athlète remarquable. On ne dirait juste pas. »

Car si ce grand machin qui flirte avec le double mètre ne scotche pas par sa vitesse, il impressionne par sa vision du jeu, sa compréhension des espaces et sa faculté à s’intercaler entre les défenseurs en toute discrétion malgré une absence totale d’élasticité.

« J’adore arriver derrière lui pour lui faire peur parce qu’il est littéralement incapable de tourner la tête, » révèle un Thomas hilare. « Il doit se retourner au complet. »

Raide. Rigide. Inflexible. Si la souplesse n’est pas le fort de ce type qui ne boit presque que du Coca-Cola, Gary possède bien d’autres atouts. Des atouts qui, après des années de frustration, se sont enfin décidés à se montrer. Car tout vient à point pour qui sait attendre.

L’APRÈS

Robert Griffin III. Kevin Hogan. Charlie Whitehurst. Terrelle Pryor. Josh McCown. Cody Kessler. Un an plus tard, dans une franchise qui ne gagne qu’une fois et au sein d’une attaque à la tête de laquelle se succèdent six passeurs tous plus minables les uns que les autres, Gary trouve le moyen d’agripper 55 passes, 612 yards et deux touchdowns, dont un sur le terrain des Steelers pour ce qui sera son tout dernier match NFL. Car cette nouvelle belle saison porteuse de promesses malgré un climat sportif délétère va tourner au vinaigre. Au printemps 2017, Barnidge est libéré dans la foulée d’une draft où les Browns sacrifient leur troisième choix de premier tour sur David Njoku. S’il ne manque pas de courtisans, il manque cruellement d’envie soudain. Missionnaire ayant sillonné la planète pour faire découvrir son sport, Pro Bowler dans la fleur de l’âge, cinq franchises parmi lesquelles Buffalo Houston et Jacksonville ont beau l’approcher et le convier à des mises à l’essai, le tight end préfère raccrocher à la surprise générale. Incompréhensible.

« J’ai représenté 129 joueurs au cours des 32 dernières années et je ne me souviens pas d’un seul autre gars qui ait juste tourné le dos au football comme ça, » s’étonne son agent sur TheAthletic.com en 2017. « La plupart des types qui débarquent dans la ligue espèrent y passer dix années et seraient prêts à n’importe quoi pour s’en offrir une onzième. Je connais des gars qu’il faudrait littéralement traîner en dehors du terrain avant de les envoyer à la retraite. »

Mais Gary n’en fait pas partie. S’il aime le football et tout ce qu’il lui a apporté, il n’y tient pas à n’importe quel prix. Il a d’autres passions. Surtout, il ne goûte guère aux offres insultantes qu’on lui glisse sur la table. 1,4 million annuel maximum pour un type Pro Bowler un an plus tôt qui a entassé plus de 1500 yards au sein de l’une des franchises les plus dysfonctionnelles de l’histoire. 1,4 million une année où le minimum vétéran s’élève à 900 000 billets verts. Un outrage. « Une baffe en pleine face. » Quand on lui rabat l’argument de l’âge, il rit jaune. Car les mêmes franchises qui lui offrent ces contrats au rabais n’ont aucun scrupule à miser quatre millions par an sur des types de 25 piges n’ayant strictement rien accompli. S’il passe l’été à se maintenir en forme, espérant qu’une équipe retrouvera un semblant de raison à mesure que les camps d’entraînement et leurs inévitables déboires suivent leur cours, il déchante et jète finalement l’éponge.

Le football derrière lui, Gary peut se consacrer à temps plein à son autre dada. Le cinéma. Pas juste un passe-temps pour tuer l’ennui, mais une véritable passion. Omniprésente. Dévorante. Sur un site désormais enterré qu’il anime avec son ancien coéquipier de Charlotte Dante Rosario, le tight end pond des critiques de ses dernières séances ciné et bien plus encore. Ses longs métrages fétiches comme les incontournables Goonies, les acteurs et actrices qui le font vibrer, en tête desquels Tom Hanks, fabuleux dans l’intemporel Forrest Gump, il partage sa passion pour le septième art. Dans le sous-sol de son immense baraque floridienne, paumée au milieu de la brousse, un inévitable cinéma privé avec un écran de plus de deux mètres 50 de diagonale. Dans une pièce aux murs constellés de figurines des héros de ses longs métrages préférés, d’affiches sinistres de slashers et d’une bibliothèque flanquée d’un passage secret comme dans les meilleurs épisodes de Scooby-Doo, ce sont plus de 4000 films qui s’entassent comme autant de souvenirs.

Collectionneur compulsif, entre son bureau et sa bibliothèque, il conserve tout un tas de reliques de sa carrière. Des maillots et casques qu’il a portés du lycée jusqu’au Pro Bowl en passant par la fac, une poignée de récompenses universitaires plus ou moins futiles pour certaines et même une carte à son effigie remontant à son année de rookie. De quoi lui rappeler de vieux souvenirs d’adolescence. Dans le gigantesque garage attenant, pas de bagnoles de luxes qui prennent la poussière, mais un ring de box, une sorte de château gonflable qui patauge dans l’eau et tout un tas d’autres jouets qui siéent davantage à des gamins prépubères qu’à un trentenaire à la retraite. Même les gamin de DeAngelo Williams, un de ses meilleurs amis hérité de sa années en Caroline du Nord, préfèrent « la maison d’Oncle Gary » à Disney World.

« Les gens me prennent pour un grand enfant, » s’amuse-t-il dans les pages web de The Athletic en juillet 2019. « Ma maison est remplie de jouets. J’aime m’amuser. La vie est trop courte. C’est une devise qui rythme ma vie. »

Cinéphile, Peter Pan qui refuse d’abandonner ses réflexes d’enfant au prétexte qu’il est rendu adulte, Gary Barndige envisage même de retourner sur les bancs de la fac pour décrocher un diplôme d’archéologie, comme Indiana Jones. « Je suis juste fasciné par l’histoire des civilisations, » se contente-t-il de souffler en guise d’explication. Une fascination qui l’a propulsé au travers de pas moins de 39 pays différents comme l’indique la map monde maculée de punaises qui trône dans l’une des chambres de sa baraque égarée dans le bois floridien. Loin de tout. Loin des gens. Car si le cinéma représente sa véritable passion, le voyage est son seul caprice. Le seul luxe que ce type qui a empilé quelques millions grâce au football s’accorde.

« La célébrité ne m’intéresse pas, » explique-t-il à Tom Reed de The Athletic. « Vous voyez bien où j’habite, en pleine cambrousse. J’aime être tranquille et avoir de l’espace. Ce que j’aime plus que tout, c’est voyager. Beaucoup de gens se promettent d’explorer le monde quand ils seront plus vieux, mais ils n’ont aucune garantie qu’ils le feront un jour. Je veux partir et découvrir. Mon but est d’atteindre l’Antarctique d’ici deux ans. C’est le seul continent où je ne suis pas encore allé. » 

De Trinité-et-Tobago aux Philippines en passant par le Kazakhstan, l’Inde et la France. En 2020, Gary sillonne le monde avec son pote DeAngelo Williams dans la 32 saison de The Amazing Race. Les deux anciens coéquipiers finiront cette course folle en quatrième position. Son prochain billet d’avion ou les prochaines sorties ciné, voilà ce qui rythme désormais sa vie. Retraité, le ballon à lacet ne fait plus partie de son quotidien. S’il continue de s’amuser sur les fantasy football avec quelques potes et reste un amateur de foot universitaire, il n’a plus levé les yeux sur un match NFL depuis des années. Écoeuré par un sport business où, à défaut d’être une véritable star, vous ne valez pas plus qu’un vulgaire Kleenex. Jetable. Remplaçable. Éphémère.

« Ça m’a choqué, » confie-t-il. « Ça a pris tellement de temps avant que j’ai enfin une opportunité pour briller, et tout ça pour qu’on me dise presque immédiatement qu’on me renvoyait dans l’anonymat ? C’était terriblement irrespectueux. »

Si foncièrement Gary comprend la décision sportive, en homme de respect et de principes, il n’a toujours pas digéré la manière. Mis à la porte la veille d’un événement public auquel il était sensé prendre part. Pourtant, la stratégie du board est des plus discutables. Pourquoi se débarrasser d’un vétéran à succès pas trop dispendieux qui pourrait distiller ses conseils à la jeune garde quand on a délibérément opté pour la voie des grands travaux après deux décennies de nullité abyssale ? En 2017, les Browns rejoindront finalement les Lions de 2008 dans l’histoire en devenant la seconde équipe seulement à 0-16. Une honte à laquelle Gary Barnidge aura au moins eu la chance d’échapper. Ne lui reste plus que le souvenir de cette année 2015 de dingue. Une année de rêve. Une année de Pro Bowler. Une année sortie de nulle part. Une année et puis plus rien. A one-year wonder.

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