[One-Year Wonder] Marcus Robinson : en coup de vent

Et le Mistral Perdant !

Le temps d’une saison, ils y ont cru. Le temps d’un match, ils ont tutoyé la gloire avant qu’elle ne les fuit inexorablement. Brutalement parfois. Une idylle sans lendemain. Un coup d’un soir. Un one-night stand. Des one-year wonders. Ces stars aussi éphémères que des étoiles filantes.

L’AVANT

Un château d’eau flanqué d’une gosse pêche aux teintes pâlichonnes et bardé du nom de la ville. Une voie ferrée sur laquelle de vieilles carcasses rouillées traînent leur misère. Quelques vestiges de style colonial décatis. Une main sur laquelle bat le peu de vie qui agite encore Fort Valley. C’est dans ce bled d’un peu plus de 9000 âmes aux allures de western remis au goût du jour que vient au monde Marcus Robinson. Pourtant, dans cette ville microscopique à l’échelle des States où ne s’est jamais dressé le moindre fort, sommeille un filon longtemps endormi d’où commence enfin à émerger pépites. Dans une Georgie aux allures de place forte du football à lacet, la petite localité s’impose vite comme l’un des mastodontes du foot du vendredi soir au tournant des 80’s.

Les linebackers Danny Lockett et Greg Lloyd. En 1987, les deux anciens de Peach County High School sont draftés au sixième tour et confirment le statut de pourvoyeur de talent du petit bahut. Si le premier ne passera que deux années à Détroit avant de trouver son bonheur dans le foot d’aréna, le second, triple All-Pro et quintuple Pro Bowler, marquera l’histoire des Steelers. À cette époque, Marcus n’a que treize piges, mais ambitionne déjà d’être le huitième rejeton de Fort Valley à échouer dans la NFL. Athlète bourré de talent, sprinteur titré régionalement sur 100 et 200 mètres, il exploite sa vitesse aux quatre coins du terrain. Receveur insaisissable en attaque, sentinelle dans le fond du terrain en défense, punteur sur équipes spéciales, il s’impose comme l’un des footballeurs les plus talentueux non seulement de Georgie, mais aussi de tout le circuit lycéen ricain. Un statut de star qui, contrairement à bien des coéquipiers qui doivent se rabattre sur Fort Valley State University, lui doit de recevoir une tripotée d’offres de bourse. Pourtant, malgré les sirènes hurlantes de gros programmes lointains, Marcus opte pour la proximité rassurante de South Carolina.

À un peu plus de 350 km au nord-est de son juteux coin de Georgie, il rejoint un poulailler qui a pris la bonne habitude de faire éclore des receveurs dégoulinants de talent depuis quelques années. Drafté dans le top 10 en 1988, Sterling Sharpe est devenu triple All-Pro et quintuple Pro Bowler sous la tunique verte badigeonnée de jaune des Packers. Son numéro 2 a été remisé à jamais par les Gamecocks. Il sera rejoint quatre ans plus tard par Robert Brooks, qui effacera deux fois la barre des 1000 yards dans le Wisconsin. Seul hic, l’éleveur en chef Joe Morrison s’est fait la malle en 1989 et, sous les ordres de Sparky Woods, la basse-cour de Columbia jadis obsédée par les airs se veut désormais plus terre-à-terre. Freshman criminellement sous-exploité dans une attaque sans grandes idées, Marcus n’agrippe que trois passes pour 47 yards. Une misère. Après cinq années de régression sans le moindre bowl à se mettre sous le bec, le coach est finalement envoyé à l’abattoir.

Coordinateur offensif de Seminoles sacrés en 1993 et forgeron d’une fast-Break offense supersonique, savant dosage d’un no-huddle épuisant et de formations shotgun qui drainent les défenses adverses, Brad Scott semble l’homme idéal pour enfin faire éclore un Robinson qui semble coincé dans sa coquille. Oui, mais non. Stratège offensif plein d’audace, de vision et de talent, le nouveau head coach se révèle être un piètre cultivateur, incapable de faire germer le talent de ses jeunes pousses de receveurs. Dans un attaque qui s’articule essentiellement autour d’un binôme au sol, Marcus se tourne les pouces, court dans le vide, pose quelques blocs, attrape treize pauvres ballons, entasse 122 malheureux yards et claque un premier touchdown presque anecdotique au cours de deux années pour du beurre où il commence à avoir l’impression de perdre son temps et de gâcher son talent. Mais sa patience et sa fidélité au programme de South Carolina vont enfin finir par être récompensées. En 96, pour sa dernière année à la fac, titulaire à onze reprises dans une attaque sans grand talent, il va tirer le meilleur des 21 petits lancers qu’il parvient à accrocher. 505 yards, un maigre touchdown, mais enfin de quoi compiler une VHS digne de ce nom et de rappeler son existence aux recruteurs NFL.

Ike Hilliard, Yatil Green, Reidel Anthony, Rae Carruth, Joey Kent, Kevin Lockett, Will Blackwell, Dedric Ward. Après une flopée de types tombés dans l’oubli et sans le moindre Pro Bowl, il faut attendre le deuxième choix du 4e tour pour que les Titans jettent leur dévolu sur Derrick Mason, l’homme aux 12 000 yards sur les terrains lacérés de blanc de la NFL. Dix choix plus tard, après avoir misé sur un tight end, un guard et un coureur, Chicago poursuit sa stratégie offensive en lâchant son quatrième choix sur ce grand machin d’un mètre 93 capable de se déplacer à la vitesse de la lumière. Les mensurations et les chevaux sous le moteur, le parfait prototype du receveur NFL moderne avec un truc en plus : cette faculté à bondir plus haut que tout le monde pour aller cueillir le ballon sur le casque de défenseurs bien trop courts sur pattes. Comme un Michael Irvin ou un Herman Moore. Des spécimens rarissimes. Avec ce profil finalement atypique, presque en avance sur son temps, il sauve la face d’une promo de receveurs poussive dont personne ne se souviendra vraiment.

À Windy City, dans une franchise sur la pente descendante après une belle saison 1994 interrompue abruptement au deuxième tour par des 49ers en route vers le titre, Marcus découvre un coach vieille école affreusement conservateur. Pour Dave Wannstedt, en dehors d’un talent générationnel, hors de question de laisser un type sans grande expérience emmagasiner du temps de jeu et progresser. D’autant plus quand il se pète le pouce et doit tirer un trait sur son année de rookie. Plutôt que de l’envoyer sur le practice squad et laisser la chance à un rival de mettre le grappin dessus, les Bears l’envoient sagement sur la réserve des blessés. Car Marcus a beau cruellement manquer d’expérience, ses qualités sautent aux yeux. Si bien qu’au printemps 1998, l’ancien Gamecock est expédié faire ses classes outre-Atlantique. À Düsseldorf, sous le blanc badigeonné de pourpre et d’or du Rhein Fire, le receveur va regoûter au terrain après un an de disette et éclabousser l’antichambre de la NFL de son talent. Car non, il n’est pas juste un spécimen physique, un diamant brut, il est un véritable joueur de football capable de faire basculer un match à lui tout seul. En dix rencontres outre-Rhin, le natif de Georgie attrape 41 passes, cavale 925 yards et marque dix fois. En finale, il tue le match sur un touchdown de 74 yards insolent d’aisance et le Fire remporte le World Bowl 98.

« Je suis parti là-bas parce que j’avais tout simplement envie de jouer au football, » explique l’expatrié de quelques mois. « Et tout à coup, bam, je me retrouve avec 100 yards à chacun de mes trois premiers matchs. Je suis retourné chez moi en me disant, ‘Ok, j’ai prouvé ce dont j’étais capable, ils ont vu les images, ça doit bien peser quelque part.’ J’’étais sûr de pouvoir être le troisième ou quatrième receveur, mais je me suis retrouvé là où j’étais avant de partir, cinquième ou sixième homme. »

Pourtant, malgré son titre de MVP de la NFL Europe, Wannstedt le borné continue de ne voir en lui qu’un gamin encore trop tendre qui n’a pas grand chose à apporter à son attaque à l’aube de l’antépénultième campagne du 20e siècle. Une escouade offensive capable d’entasser des yards, mais incapable de planter des points qui aurait pourtant bien eu besoin d’un dynamiteur comme Marcus dans la redzone. La faute à une West Coast Offense sans ambition, qui se contente de mettre le ballon dans les gants de ses playmakers et de leur laisser faire le reste. Pas de longs tracés verticaux, pas de missile sol-air, pas de parabole pour laquelle il faut se crêper le chignon à la chute, juste des tracés courts et alea jacta est !

« C’était une sorte de système gagne-petit, » explique Robinson. « Pas question de pilonner en profondeur trop souvent. Le plus clair du temps ce sont des passes courtes, des tracés rapides ou des passes pour le coureur en sortie de backfield. C’est le genre de défense qu’ils avaient en tête quand j’ai commencé à jouer. »

Une attaque prudente où seuls Ricky Proehl et Chris Penn dépassent plus ou moins confortablement les 500 longueurs pendant que le tight end Ryan Wetnight et le receveur Curtis Conway s’en approchent péniblement. Si bien que pour sa première véritable année sous la fourrure bleutée des Bears, inactif le plus clair du temps, le receveur ne dispute que trois bouts de match, n’est ciblé que six fois, n’attrape que quatre ballons et profite de son dépucelage de la NFL pour planter son premier et unique touchdown de l’année face aux Lions, en semaine 5, sur un lancer de 20 yards d’Eric Kramer, dans l’une des rares victoires de la saison pour des Ours sans mordant dont le jeu de passe tout sauf aérien recule au 23e rang (sur 30 à l’époque). Wannstedt et ses oeillères flanqués à la porte, Dick Jauron l’ancien safety des Lions et Bengals dans les 70’s devenu coach défensif brave les bourrasques et débarque dans Chicago la venteuse.

LE PENDANT

Un nouveau départ pour un vrai départ. Un nouveau stratège à la philosophie défensive, Cade McNown, quarterback de UCLA drafté en 12e position pour concurrencer Shane Matthews débarqué de la Caroline après le délestage surprise d’Erik Kramer, les receveurs D’Wayne Bates et Marty Booker sélectionnés presque coup sur coup au troisième round pour compléter une escouade de receveurs où seuls subsistent le volumineux Bobby Engram aux mains de velours et l’interminable Marcus Robinson. Le terrain est enfin dégagé dans une escouade jeune et sans grand talent où le compact coureur Curtis Enis va sortir du bois, le temps d’une saison, avant de rapidement disparaître. Une trajectoire que l’ancien receveur des Gamecocks va imiter, mais en y mettant la manière. Jauron déboule dans l’Illinois avec le coordinateur offensif Gary Crowton dans ses bagages. Adepte des grands espaces, des attaques qui étirent le terrain dans la largeur, l’ancien OC de Louisiana Tech aime lancer le ballon sans retenue et faire briller ses receveurs. Et l’architecte de la deuxième attaque aérienne de la NCAA va vite tomber sous le charme de Marcus et son alliage de force physique brut, de vitesse naturelle et de détente macropodidèsque.

« Rappelez-vous qu’au début de l’année on disait de moi que j’allais être coupé, » se souvient Robinson. « J’étais un receveur-sprinter. Pas le genre de profil qui marche en général. »

Quand la saison démarre début septembre, Robinson fait enfin parti du premier trio. Contributeur régulier durant le premier mois, il amasse 123 yards malgré une piètre sortie face aux Saints où il laisse filer plusieurs passes entre ses doigts gantés. En semaine 5, dans une victoire référence sous la voûte fringante du Metrodome de Vikings encore groggy de leur échec de 1998, Marcus, ses interminables bras, sa carcasse à n’en plus finir et ses mains soyeuses livrent le meilleur match de leur carrière encore embryonnaire. Huit réceptions, 90 yards et le premier touchdown de la saison. Une solide prestation qui vient s’ajouter à une bonne mauvaise nouvelle. Le prolifique vétéran Curtis Conway laisse sa cheville dans le Minnesota et se retrouve privé de terrain pendant de longues semaines. Robinson est promu titulaire et va très vite faire honneur à ce nouveau statut. Malgré sept ballons ratés face aux Eagles, en big play maker injouable pour des defensive backs bien trop frêles pour rivaliser avec son physique de tight end, il n’a besoin que de quatre réceptions pour empiler 136 yards et marquer sur un numéro de lévitation aux nez et au casque de Brian Dawkins puis un sprint solitaire de 80 yards. « C’était comme un entre-deux. » Le premier touchdown dans la NFL pour le gaucher McNown qui se régale de ce basketteur planqué sous un heaume de footeux. 

« J’en étais rendu au point de gagner la réputation de roi des ballons hauts, » confesse-t-il à windycitygridiron.com en août 2017. « Avant ça, il fallait lancer une belle spirale, un ballon par-dessus l’épaule. Avec moi, tant que vous envoyiez le ballon pas trop loin, j’étais capable de sauter le plus haut et d’aller le cueillir. » 

Joue physique, joue comme un type de ta taille, passe toi des petits pas de danse au point d’attaque, fonce, « n’aie pas peur de faire le ménage et de dégager les gars de ton chemin, » l’encourage son coach de position. Quand il prend enfin pleinement conscience de l’incroyable fossé physique qui le sépare de la plupart des défenseurs chargés de se le coltiner, Marcus Robinson arrête de se poser mille et une questions, écrase la pédale d’accélération, décampe à toute vitesse, se trouve un petit coin peinard et attend le ballon, certain d’être le seul à pouvoir aller le chercher. « Les autres gars faisaient 1m80 au mieux et je leur rendait bien dix kilos. J’avais juste à choisir une direction et courir. » Convaincant à Tampa, il déchiquette la défense de Washington le dimanche suivant en engloutissant 161 yards et en plantant un doublé insuffisant dans un rôle de chasseurs de rebonds digne des parquets NBA. Plus athlétique, plus grand, plus explosif et surtout dôté d’une point de vitesse absurde pour un type de son gabarit, Marcus s’éclate.

« Cette attaque était fun, » se souvient le receveur flanqué du numéro 88. « C’était une attaque remuante. On lançait beaucoup de swing passes ou de choses dans le genre. Ils nous mettaient la balle entre les mains et j’ai pu développer cette faculté à aller chercher le ballon. »

Si les Vikings viennent prendre leur revanche au Soldier Field en semaine 10, Marcus leur passe 148 yards et plante un nouveau touchdown sur un sprint de 77 longueurs dont il détient le secret, sept jours avant de récidiver sur le terrain des Chargers. 163 yards, un touchdown et une victoire à la clé cette fois-ci. Malgré les branques qui lui balancent le ballon, le receveur prend sur lui, fait parler sa classe et enchaîne les perfs XXL. Surtout, les coachs dans la poche, il a le luxe rare de pouvoir corriger les actions appelées s’il flaire la possibilité de pondre un gros jeu. Un privilège d’ordinaire réservé au quarterback qui en dit long sur l’importance du bonhomme dans le schéma offensif un brin branlant des Bears.

« Je débarquais le samedi et j’apprenais, ‘Très bien, Jim Miller est titulaire cette semaine,’ » se souvient-il auprès d’Erik Lambert du site sportsmockery.com. « ‘Okay, c’est au tour de Cade de jouer !’ Ça arrivait le samedi, la veille du match du dimanche. »

Une valse intempestive qui, par miracle, n’affecte pas sa production. Ou presque. Bien contenu par les Lions, muselé par les Packers, Marcus grimpe dans sa jeep, fait rugir le moteur et part en safari pour la réception de Détroit à quelques jours du dernier Noël du millénaire. Visé quinze fois, il attrape onze ballons, rafle 170 yards et plante trois touchdowns dans une démonstration de puissance et de vitesse. Ses trois derniers touchdowns de l’année. 1400 yards tout rond, un record de franchise qui tiendra treize ans, et neuf excursions dans la peinture, la plus belle saison jamais accomplie dans l’histoire d’un receveur de Chicago. Les mains d’une douceur infinie de Marvin Harrison et ses 1663 longueurs, les 1635 yards de l’increvable Jimmy Smith, les 1413 unités du phénomène Randy Moss et Marcus. Avec des seconds couteaux comme les vétérans Shane Matthews et Jim Miller et le bizut Cade McNown en guise de rampes de lancement, il s’invite à la table des plus grands. Lui, le type auquel son ancien coach trop obtus et borné n’a jamais voulu croire. 

L’APRÈS

86 yards et un touchdown. Dans un Metrodome qui décidément l’inspire, Marcus Robinson lance idéalement la première saison du 21e siècle. Malgré une branlée XXL et un match à oublier sept jours plus tard à Tampa, le receveur entasse 307 longueurs et trois touchdowns lors des trois semaines suivantes. Des stats qu’il paye pourtant au prix fort. Sur le terrain des Packers, il n’a besoin que de deux passes pour empiler 126 yards et marquer deux fois. Un de 68, un de 58 sur une délicieuse screen pass et un mauvais coup qui l’oblige à quitter le Lambeau Field prématurément et tirer un trait sur le match suivant. Une nouvelle prestation solide face aux Vikings, un quasi sans faute face aux Colts où il titille les 100 yards et marque son ultime touchdown de l’année. Le dernier dimanche de novembre, son dos vrille face aux Jets. Marcus quitte la rencontre avec un petit yard dans la mauvaise direction au compteur. Son dernier de l’année. Le début des emmerdes.

Une défense jeune à l’image de Brian Urlacher, drafté un an plus tôt, terriblement agressive et excessivement talentueuse, Anthony Thomas, la puissance d’un fullback et la vitesse d’un tailback, pour animer le jeu au sol, et enfin de la stabilité under center depuis que Jim Miller a officiellement été nommé titulaire. En 2001, requinqué après quelques coups de bistouri et de longs mois de rééducation, Marcus Robinson croit plus que jamais en cette équipe qui a l’avenir devant elle. Pourtant, ses os de verre et ses muscles en caoutchouc vont vite se charger de le faire redescendre sur terre. Même pas de parachute pour amortir la descente. Après un premier match où il est incapable de mettre les gants sur les quatre ballons catapultés dans sa direction face aux champions en titre de Baltimore et leur défense de bouchers, Robinson se réveil face aux inévitables Vikings en agrippant un touchdown sur le casque à corne (n’en déplaise aux historiens) d’un pauvre défenseur impuissant, sa marque de fabrique, et retrouve ses jambes de 99 face aux Falcons. Deux matchs, 213 yards, deux touchdowns, puis plus rien. Naze face aux Cards, convaincant à Cincy, il laisse son genou sur le gazon du Paul Brown Stadium. Pris en cisaille par deux défenseurs, les ligaments croisés et antérieurs de son genou gauche disjonctes. Il ne rejouera plus de la saison. Un terrible crève-coeur.

« C’était dur. Tellement dur, » se lamente-t-il. « J’étais de retour, je jouais vraiment bien…On a fini 13-3 cette année-là. Si j’avais été en mesure de jouer, on aurait pu… pfff. C’était affreusement frustrant. »

2002. Un nouveau coordinateur offensif et le temps qui presse. Marty Booker en pleine ascension, le premier tour de l’an dernier David Terrell à polir, John Shoop n’est pas sûr d’avoir envie de perdre son temps avec un vétéran en pièces détachées. Un vétéran qui n’a plus la pointe de vitesse qui avait fait sa force à la fac et dans ses premières années de pro. Et c’est fâcheux, car le nouveau stratège offensif a un faible pour les bolides. Résultat : si Terrell disparaît vite de l’équation, Booker devient le véritable leader aérien pendant que Marcus Robinson est rétrogradé derrière la fusée Des White dans la hiérarchie. Deux titularisation anecdotiques, 244 yards, un seul match au-delà des 50 unités, trois touchdowns dont deux pour du beurre, pas de blessure, mais une saison dans le négatif à balancer aux oubliettes pour un joueur qui se sent « relégué dans l’ombre. ». Ras le bol, Marcus veut aller voir ailleurs. Après avoir réclamé le droit d’être échangé sans qu’aucun prétendant ne franchisse le pas, les Bears lui accordent son bon de sortie à contre-coeur.

« Il voulait être libéré, » confirme le GM Jerry Angelo au Chicago Tribune le 17 avril 2003. « C’était ce qu’il y avait de mieux à faire pour Marcus, mais pas nécessairement pour les Bears. Nous essayons toujours de faire passer l’intérêt de nos joueurs en premier. Nous lui sommes reconnaissants de ce qu’il a accompli pour nous. »

Un séparation à l’amiable et une porte entrouverte à un éventuel retour à bas coût dans un futur proche. En quête de stabilité et d’une attaque capable de le faire briller, Robinson va pourtant royalement se planter en optant pour Baltimore. Le rookie Kyle Boller, un Chris Redman sans bouteille ou un Anthony Wright bidon à souhait que Marcus a croisé sous le plumage des Gamecocks. Sacrés grâce à leur défense deux ans et demi plus tôt, les Corbeaux courent désespérément après leur quarterback du futur depuis des années. Malgré trois passeurs sans expérience et sans talent, et une grosse première moitié de saison au ralenti où il doit attendre la semaine 11 pour enfin attraper plus qu’une balle, Marcus retrouve son mordant dans une orgie offensive face à Seattle. Sept réceptions, 131 yards et quatre touchdowns jamais vus dans l’histoire des Ravens. Un match de fou. Un comeback de dingue après avoir été menés 41-24 à l’amorce du dernier quart d’heure. L’un des plus aboutis de sa carrière. 

« Ça fait partie de ces matchs qui sont juste incroyablement funs à jouer, » se remémore-t-il. « En deuxième mi-temps, c’était comme si on s’échangeait les touchdowns. L’attaque avait à peine le temps de sortir du terrain, de s’asseoir et de boire un coup qu’il fallait déjà y retourner. »

À la fin du match, quand coach Billick demande à Marcus « où [il] était pendant toute la saison, » le receveur lui rétorque qu’il était trop occupé à gaver Jamal Lewis de ballons au sol pour le voir. De nouveau centenaire en clôture face aux Steelers pour un sixième succès de rang qui propulse les Corbeaux en playoffs, le receveur achève la saison 2003 avec 451 yards et six touchdowns au compteur. En mars 2004, quand il apprend que les Ravens sont en train de faire la cour à Terrell Owens, la grande gueule et les gros bras des 49ers, il décide qu’il est déjà temps d’aller voir ailleurs. 

« J’aurais aimé rester avec les Ravens, » insiste-t-il auprès du Baltimore Sun pourtant. « J’aimais l’équipe et l’esprit de camaraderie. Après l’entrainement, on se retrouvait tous dans le spa ou on traînait dans le parking, à côté de nos caisses respectives, et on parlait de nos familles, de nos vies, de généralités. On était pas pressés de tous partir chacun de notre côté. Ça n’a pas de prix. »

Marcus Robinson trace au nord-est et des contrées qui lui ont souvent porté bonheur. Dans l’État aux 10 000 lacs, le receveur s’offre une cure de jouvence de trois ans aux côtés de Nate Burleson et Randy Moss. Dans une attaque qui aime s’envoyer en l’air, il retrouve enfin des ambitions et découvre avec Daunte Culpepper les joies de courir après les pralines d’un quarterback bien établi et équipé d’une Grosse Bertha en guise de bras droit. Pendant deux premières belles saisons, dans l’ombre d’un Randy Moss électrisant qui aimante tout ce qui passe, Marcus amasse 1172 yards et marque treize fois. Le renouveau qu’il souhaitait. Sur le plan des ambitions, bilan mitigé. S’ils passent le premier tour en fessant les Packers dans leur congélateur à ciel ouvert en 2004 avant de subir la loi des Eagles malgré 5 catchs, 119 yards et un touchdown du numéro 87, les Vikings ratent le train pour les playoffs l’année suivante et Moss et sa tignasse hirsute se barrent en grandes pompes dans la baie de San Francisco. 

Actif, inactif, actif, inactif sans qu’on ne sache jamais trop pourquoi. En 2006, lorsqu’il a la chance d’être en uniforme, le receveur en profite pour claquer quatre touchdowns et entasse un peu moins de 400 yards. De beaux efforts que les pontes de Minneapolis vont récompenser en le coupant la veille de Noël. Aucune explication. Silence radio. Quelques jours après avoir déploré un « manque de communication » entre certains joueurs et Brad Childress, le head coach, il est flanqué à la porte sans un mot. Car finalement, peut-être avait-il raison. Et ce n’est pas Brad Johnson, quarterback relégué sur le banc après avoir regretté « ne jamais parler » avec son entraîneur. Jamais Marcus ne renfilera un maillot NFL le dimanche aprèm. En juin 2008, il paraphe un contrat d’un jour pour se retirer sous les couleurs des Bears. 

Trois ans plus tard, son mètre 93 trône au bout d’une rangée de lavabos, de miroirs, de fers à friser et de tout un tas d’appareils, d’instruments et de lotions. Au comptoir du salon de beauté familial de West Dundee, au nord-ouest, loin, très loin de downtown Chicago, Marcus prend les réservations, gère le calendrier et se charge des comptes de la petite entreprise. « Je ne fais pas les cheveux, » s’empresse-t-il de préciser à Mike Klingaman du Baltimore Sun. Quand il n’est pas au salon de coiffure, il pilote Bigtime Sports, sa compagnie d’entraînement destinée aux adultes comme aux ados où il recycle dix années de football à travers un programme d’entraînement atypique où des têtes blanches de soixante piges enchaînent les curls et les slants dans l’espoir d’entretenir leur corps flétrissant aussi longtemps que possible. Une façon de ne pas couper le cordon avec le football. Ce football qui l’aura fait grandir. Ce football qui l’aura fait traverser l’Atlantique. Ce football qui l’aura fait briller le temps d’une année avant de tomber dans le rang. A one-year wonder.

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