Le temps d’une saison, ils y ont cru. Le temps d’un match, ils ont tutoyé la gloire avant qu’elle ne les fuit inexorablement. Brutalement parfois. Une idylle sans lendemain. Un coup d’un soir. Un one-night stand. Des one-year wonders. Ces stars aussi éphémères que des étoiles filantes.
L’AVANT
Nom : Hillis. Prénom : Peyton. Rien de bien original en apparence. Un prénom qui ne doit rien au hasard pourtant et résonne comme un signe du destin. Car son blase, il le doit à la légende des Bears Walter Payton. Quand le futur running back vient au monde en janvier 1986, Sweetness a beau être au crépuscule de sa carrière, il est au sommet de son art. Cinq jour après la naissance de Peyton avec un « e », après avoir marché sur la saison 85 à gros coups de godasses griffues, les Bears de Mike Ditka, Richard Dent, Mike Singletary et leur ballerine de coureur iront même atomiser les Patriots sous le dôme bombé de La Nouvelle-Orléans pour s’octroyer le Super Bowl XX sans trembler ne serait-ce qu’un quart de dixième de seconde. De quoi donner des idées aux nouveaux parents, même à un gros millier de kilomètres au sud de Windy City, dans l’Arkansas.
À Conway, ville sans envergure et sans grand intérêt au nord-ouest de Little Rock où il passera toute son enfance et son adolescence, loin de l’effervescence de la géante hérissée de fer posée sur les rives du lac Michigan qu’est Chicago, l’apprenti footeux se bâtit vite une réputation qui flirte presque avec le mythologique. Troisième base bourré de talent sur le diamant sablonneux des terrains de baseball, il s’impose rapidement comme un running back aussi féroce qu’impitoyable pour des défenseurs souvent trop frêles pour son physique de brute épaisse dès les plus jeunes catégories d’âge. Monstre physique gâté par ses gènes, il est vite estampillé meilleur fullback de tout le pays par certains observateurs alors qu’il étrenne le bleu des Wampus Cats. Le Morning News en fait la recrue la plus prometteuse de tout le les States. Sacré meilleur joueur lycéen de tout l’Arksansas pour sa dernière année au bahut, il rafle une flopée de récompenses individuelles ou de mentions dans tout un tas d’équipes type.
Alabama, Florida, Oklahoma, Arkansas, l’ado cubique reçoit des offres de bourses de quelques-uns des programmes les plus réputés du sud-est du pays. Comme des centaines de gamins chaque année, il fait le choix rassurant de la proximité et opte pour les Razorbacks. À Fayetteville, il endosse le costume anonyme du fullback qui trace le chemin pour son coureur vedette. Le bon soldat. Le perce-muraille du scintillant Darren McFadden. Dans l’ombre du numéro 5 et de l’explosif Felix Jones, tandem de rêve, Peyton se sent marginalisé. Blanc, baraqué, bourrin, tout sauf supersonique, il est différent des autres coureurs qui font lever les foules de ces stades universitaires démesurés et pleins à ras bord. Et il le sent.
« Je fais plus de 110 kilos et je ne suis pas spécialement rapide, » concède-t-il à Bleacher Report en août 2015. « Quand les coaches me regardent, ils ne voient pas en moi le coureur type, j’en suis convaincu. J’ai toujours dû me battre contre ça, et avec le temps, ça a fini par m’épuiser. »
Si ses entraîneurs ne semblent rien déceler de bien spécial en lui, si ce n’est un gros bonhomme capable de déplacer quelques cotes et d’ouvrir de précieuses brèches pour leurs bolides clinquants, son quarterback flaire un type à part. Passeur qui ne fera qu’effleurer la NFL du bout des doigts, Casey Dick le bien nommé est convaincu que ce gros fullback cubique capable d’enfoncer la pédale d’accélération en un coup de hanche et un appui autoritaire quand il le faut vaut plus que bien des coachs, coéquipiers et observateurs ne veulent bien l’admettre. Derrière son physique de footballeur rustre, se terre un joueur bien plus léché, bien plus complet et bien plus dangereux qu’il n’y parait. Le leurre parfait.
« C’était probablement l’un des meilleurs receveurs de toute l’équipe, » tranche l’ancien quarterback d’Arkansas. « Il avait des mains incroyablement agiles, il était doué avec le ballon et vous pouviez lui demander de faire n’importe quoi avec la balle, il le faisait. Nous savions que s’il atterrissait dans un schéma offensif qui lui ferait la part belle, il s’éclaterait. »
Encore faut-il avoir la vision pour détecter ce surplus de talent qui fait la différence entre un joueur universitaire talentueux et un futur footeux du dimanche. Senior, malgré une implication limitée au sol, il rentabilise au mieux son faible temps de jeu et se révèle précieux dans les airs où il empile plus de 500 yards et croise cinq fois la ligne dans un rôle de bombardier lourd qui lui va comme un gant. Malgré un profil séduisant de fullback polyvalent capable de faire avancer le ballon avec des aptitudes de tight end entre les paluches, il doit poireauter jusqu’au milieu du 7e tour pour enfin entendre son nom retentir. 227e. Six choix avant que le futur Pro Bowler Justin Forsett ne puisse à son tour souffler un grand coup. Dans des profils pas tant différents, les fullbacks Marcel Reece et Mike Tolbert devront se contenter de contrats de rookies non-draftés. Dans une NFL qui se désintéresse de plus en plus du jeu au sol et délaisse peu à peu la traditionnelle I-formation pour des alignements singleback qui font la part belle à la vitesse plutôt qu’à la puissance, les perce-murailles se retrouvent bien souvent relégués à un statut de gadget de luxe sur lequel investir de trop grosses ressources serait déplacé.
À Denver, malgré ses talents ballon en main, Peyton doit se contenter d’un vulgaire rôle de déménageur. Un lineman moins gros, plus mobile et moins bien payé. Sans le jeu des blessures, il n’aurait probablement même pas intégré le roster de toute la saison admet Mike Shanahan, jockey des Broncos à l’époque. Sa place, il la doit à une avalanche (un comble dans le Colorado) de pépins physiques. Selvin Young, l’ancien Longhorn aux 729 yards en huit titularisations en 2007 clamse dès la semaine 5. Il ne rejouera plus jamais de sa vie au football. Michael Pittman, l’ancien bulldozer des Bucs et sa bague de champion du Super Bowl XXXVII, rend les armes quatre semaines plus tard. Le même dimanche, Andre Hall, piston de service abonné aux practice squads et aux piges en UFL, fait ses adieux aux terrains de la Ligue Nationale. La semaine suivante, c’est au tour de Ryan Torrain de foirer son dépucelage chez les pros avant d’enfin prendre son envol le temps d’arracher plus de 700 yards sous l’uniforme Bourgogne et Or de Washington en 2010 après un exercice 2009 immaculé. Sans options, avec Peyton dans le fond de leurs poches, les pontes de Denver préfèrent filer un coup de fil à Tatum Bell. Passé dans le Colorado entre 2004 et 2006 avant un rapide crochet par le Michigan, l’ancien choix de 2e tour en provenance d’Oklahoma State taffe dans une boutique T-Mobile d’un centre commercial d’Aurora depuis trois mois. Un doigt d’honneur majuscule pour Hillis. Lui cracher au visage serait moins insultant.
Finalement, aux prises avec un intermittent du football, Peyton se voit enfin offrir une chance de montrer ce dont il est capable. Promu titulaire par défaut, il enchaîne deux perfs honorables face aux Falcons et Raiders, cumule une centaine de yards et marque trois fois. Les trois premiers touchdowns de sa jeune carrière au sol. Face aux Jets en semaine 13, investi des pleins pouvoirs au sol, il court à 22 reprises, engloutit 122 longueurs et marque une fois. À peine le temps de savourer son titre de Rookie de la Semaine, de planter six nouveaux points et d’ajouter une petite soixantaine d’unités en huit courses sept jours plus tard, il est à son tour envoyé au tapis par une blessure. En une semaine pourtant, il avait fait naître chez les fans des canassons des Rocheuses un semblant d’espoir. Celui d’avoir enfin dégoté le digne successeur de Mike Anderson, Clinton Portis et Terrell Davis. Surtout, il avait enfin prouvé qu’il était plus qu’un simple bouche-trou. Qu’il avait le potentiel pour porter une attaque sur ses larges épaules. Après l’avoir snobé pendant tant d’années, il était temps de le prendre au sérieux.
« C’était clairement l’un des spécimens les plus physiques que j’ai eu l’occasion de côtoyer au cours de ma carrière NFL, » témoigne Chris Simms, passeur des Broncos en 2009, dans les pages web de BR. « Sa combinaison de taille et de vitesse était incroyable. On voit passer beaucoup de gars dans le genre, mais il avait d’autres atouts : il était capable de lancer le ballon et il pouvait courir un tracé digne de n’importe quel receveur de notre effectif. C’était un superbe athlète, tout simplement. »
En 2009, rétabli, en pleine possession de ses moyens et flanqué de cette étiquette de type ayant laissé entrapercevoir plein de belles promesses à l’automne passé, il se retrouve pourtant rapidement rétrogradé à son rôle de doublure aux gros biscoteaux.
« Je n’ai jamais eu la chance d’être ‘le gars’ vous savez, » confesse-t-il. « J’ai toujours été le type qui comble le vide en attendant que quelqu’un de mieux débarque. »
Il est temps d’aller voir ailleurs.
LE PENDANT
En 2010, toujours pas convaincus, les pur-sangs du Colorado l’envoient sur les rives du lac Érié en échange de Brady Quinn. Dans l’Ohio, il semble tout désigné pour endosser le rôle ingrat de fullback jusqu’à ce que Jerome Harrison (un autre one-season wonder), le presque-recordman de yards au sol sur un match après ses 286 unités et trois touchdowns sortis de nulle part sur le terrain des Chiefs le 20 décembre 2009, et James Davis, bust en provenance de Clemson drafté un an plus tôt, ne jettent l’éponge coup sur coup. En semaine 3, par défaut, une nouvelle fois, Peyton se retrouve propulsé au sommet de la hiérarchie des coureurs. Let’s get the party started !
10. Lorsque cette invraisemblable campagne 2010 s’achève, seuls 10 longueurs le séparent de Darren McFadden. L’undrafted Arian Foster loin devant les autres avec ses 2220 yards glanés avec poésie au sol comme par la voie des airs. La fusée Jamal Charles et ses 1935 pions. Ray Rice, le model réduit tout en appuis courts et ses 1776 unités. Le virevoltant LeSean McCoy, à 1672. Puis, dans un mouchoir de poche, Darren McFadden et Peyton Hillis. 1664 yards pour le Raider, 1654 pour le Brown. Les deux anciens d’Arkansas. Peyton s’offre même le luxe de se glisser d’un souffle devant l’insaisissable Maurice Jones-Drew et le cyborg Adrian Peterson. L’invité surprise de cette liste cinq étoiles. Celui qu’absolument personne n’avait vu venir. À commencer par le principal intéressé himself. Une macédoine de yards engloutis à coup de déboulés sauvages, rageux, tout en puissance animale. À quoi bon s’emmerder à contourner ou éviter les défenseur comme un torero quand on peut leur foncer dedans tête baissée comme un taureau qui déciderait d’inverser les rôles pour sauver sa peau et son oreille.
Ce profil rentre-dedans, un tantinet bourrin, qui lui avait porté tant préjudice dans l’Arkansas et dans les Rocheuses en le cantonnant à un rôle de fullback-chasse-neige ou de tout-droit sur les situation de troisième ou quatrième essai court s’est enfin transformé en atout. Surtout, les observateurs, ses coéquipiers, ses coachs et les fans réalisent enfin qu’il est plus qu’un simple linebacker qui s’est gouré de côté. Des mains précises et soyeuses, des cuts incisifs et élégants, et surtout, une vitesse de pointe scotchante pour un type d’un mètre 88 et plus de 110 kilos clairement pas taillé pour le sprint. Car oui, Peyton Hillis est un vrai joueur de football. Après deux performances solides à Tampa puis face aux Chiefs malgré un petite douzaine de ballons seulement à se mettre sous la dent, il éparpille la défense des Ravens dans leur nid de Baltimore la semaine suivante. En vain. 22 courses, 144 yards, 36 de plus dans les airs et un touchdown en puissance qui ne suffisent pas à plumer des Corbeaux portés par le triplé d’Anquan Boldin.
De nouveau centenaire au sol sept jours plus tard à Cincinnati, il tord les pauvres mousquets des Patriots en semaine 8. À un peu moins de trois minutes de la fin, les Dawgs ont un confortable matelas de treize points d’avance quand il s’approchent à 35 yards de l’en-but des Pats. Le regard menaçant, les deux mains appuyées sur les genoux, Hillis scanne la défense. Hut. Posté légèrement à droite, le fullback Lawrence Vickers démarre comme un bulldog. Guard côté gauche, Eric Steinbach glisse dans le dos du centre et joue les déblayeuses sur le flanc droit. Les deux blocs sont létaux. Coincés dans le dos de leurs deux coéquipiers de la ligne, Jerod Mayo et Brandon Spikes sont pris au piège. Peyton Hillis n’a plus qu’à suivre les flèche, faire parler sa pointe de vitesse et s’enfuir le long de la touche en résistant au retour impuissant du numéro 51 de la Nouvelle-Angleterre. Un genou à terre, le doigt tendu vers le ciel, il savoure sous les yeux extatiques d’un Cleveland Browns Stadium aux septième ciel avant d’aller s’offrir un bain de foule bien mérité. Jeu, set et match. 184 longueurs au sol, 36 de plus dans les airs et deux touchdowns. Portés par leur auto-tamponneuse de running back, les Browns décrochent leur premier et unique succès face aux Pats sauce Belichick-Brady. Leur deuxième victoire consécutive après leur coup de maître au Superdome de NOLA juste avant leur semaine de repos. Pour les hommes de Foxboro, leur second et dernier revers de la saison régulière avant de subir la loi des Jets de Mark Sanchez au premier tour des séries. Un phénomène est né.
Après une sortie convaincante, mais insuffisante face aux Jets sept jours plus tard, Peyton est pris à la gorge au sol par les félins de Jacksonville, mais arrache 95 yards en six réceptions dans un rôle de soupape de sécurité. De nouveau centenaire face à la Caroline et à Buffalo, il se permet même de claquer un triplé face aux Panthers. Au soir de la 17e et ultime semaine de la saison, ses 1177 yards au sol le propulsent au 11e rang des coureurs.
« C’était un rêve qui se réalisait, » reconnaît-il à Bleacher Report. « À ce moment-là, j’avais enfin le sentiment d’avoir trouvé une maison. »
En avril 2011, sur le plateau de Late Show de David Letterman, il s’étonne d’apparaître en 8e position du top 10 des prétendants à la couverture du prochain opus d’EA Sports.
« Je sais pas comment mon nom s’est retrouvé là-dedans… Même moi j’ai jamais entendu parler de mon nom, » ironise-t-il.
Quelques semaines plus tôt, le studio de Vancouver avait lancé le tout premier vote populaire pour déterminer qui serait placardé sur la jaquette de sa franchise ovale. Tête de série numéro 10 dans un tableau de 32 stars de la NFL, il va bien malgré lui générer un élan de popularité dont il est difficile de cerner l’authenticité. Un à un, il croque des types aux carrières parfois jeunes, mais déjà nettement plus accomplies. Ray Rice, Matt Ryan, Jamaal Charles, Aaron Rodgers et l’apothéose. En finale, dans un clash des styles, il dézingue l’électrique Michael Vick en récoltant 66% des suffrages. Il devient le premier joueur à apparaître sur la jaquette du jeu sans jamais avoir été Pro Bowler. Un intrus parmi des légendes telles que Brett Favre, Drew Brees, Barry Sanders, Marshall Faulk ou Larry Fitzgerald. Un type qui n’était même pas titulaire un an plus tôt. L’apothéose avant le déclin.
L’APRÈS
2012. Du rire aux larmes. La Madden Curse. Une saison boulimique sortie de nulle part, une campagne web forcenée de fans de Browns sevrés de réjouissances et voilà la tronche de Peyton estampée sur les jaquettes de l’édition 2012 du jeu d’EA Sports. Après Drew Brees en 2011 et un avant Megatron, le natif de l’Arkansas s’invite, presque inexplicablement, à la table des plus grands. Pourtant, malgré une cote de popularité exponentielle et une saison accomplie, fidèles à eux-mêmes depuis leur réactivation en 1999, les molosses n’ont que cinq petites victoires à se mettre sous les crocs et regarderont les playoffs à la téloche pour la onzième fois en douze ans. Un modèle de mauvaise gestion. Une ode à la nullité systémique dans laquelle l’ascension fulgurante de Peyton Hillis va vite se retrouver embarquer. Arrivé au sommet en un éclair, il va dégringoler tout aussi subitement. Un épiphénomène. Abonné à un piètre 5-11 pour sa seconde année à la laisse des Browns, Eric Mangini est sans grande surprise débarqué et l’ancien Razorback perd l’un des ses plus précieux alliés dans le vestiaire comme dans tout l’organigramme de la franchise des bords du lac Érié.
Nouveau coach, nouveau système offensif. Lorsqu’il débarque à Cleveland en provenance de Minneapolis, Pat Shurmur apporte une west coast offense qui fait généralement la part belle au jeu aérien au détriment des fantassins de l’attaque au sol. Les germes de la déchéance de Peyton prennent pourtant racine dès cette saison 2010 aux allures de rêve éveillé. Dès la fin de l’année, les dirigeants des Browns contactent ses agents dans la perspective d’une prolongation de contrat, mais rien ne se passe. Dans la foulée, le board décide de s’offrir un nouveau chambardement général, le bras de fer syndical entraînant la grève de 2011 s’en mêle, empêche toute négociation et reporte au mieux à l’année suivante un nouveau deal entre deux parties très loin d’être proches de trouver un terrain d’entente avant que le dialogue ne soit rompu. Hillis devra se contenter des 550 000 balles de la dernière année de son contrat de rookie. Une misère compte tenu de sa belle campagne 2010. Rétrospectivement, il n’est même pas certain que les Browns aient un jour sérieusement envisagé de lui offrir le jackpot longue durée tant convoité.
« À chaque match, ils me sortaient la même rengaine, ‘On va te prolonger, on va te prolonger, on va te prolonger,’ » raconte-t-il à BR en août 2015. « Au bout d’un moment, j’ai fini par en avoir marre de leurs mensonges et je leur ai juste dit, ‘Écoutez, si vous ne comptez pas me prolonger, dites simplement que vous ne voulez pas me prolonger.’ »
Quand le lockout saute enfin le 25 juillet 2011 après trois mois et demi de tractations tendues, le refrain n’a pas changé. Surtout, chaque fois que les têtes pensantes de Cleveland rappellent à quel point ils souhaitent renouveler son contrat, ils s’empressent de préciser qu’ils veulent à tout prix le voir sur le terrain, en uniforme, pendant que la guerre des chiffres bat son plein dans les bureaux. L’indéboulonnable Joe Thomas sur le flanc gauche de la ligne offensive, Evan Moore le tight que personne ne connait, les 150 kilos du defensive tackle Ahtyba Rubin et le safety Chris Gocong. Tous ont eu droit à un petit tête-à-tête dans le bureau du patron pour mieux en ressortir avec un joli chèque. Hillis, lui, attend encore sa date et la prolongation qui va avec.
Le 11 septembre, son numéro 40 sur le dos, le running back est sur le terrain pour la réception de Cincinnati. Deux semaines plus tard, après 150 yards arrachés à une allure faiblarde d’à peine 3,5 unités par course, il ne fait pas partie du comité d’accueil qui attend les Dolphins de Reggie Bush, Brandon Marshall et Jason Taylor. Deux heures avant le coup d’envoi, il est pourtant bien présent dans les coursives venteuses du Cleveland Browns Stadiums. La version officielle, corroborée par un agent qui place la santé de son client au-dessus de tout, explique que le joueur souffre d’une angine. Dans le vestiaire pourtant, certains coéquipiers qui se gardent bien de dévoiler leur identité laissent entendre que son contrat aurait davantage à voir avec son absence qu’une gorge douloureuse. Si Kennard McGuire insiste sur la condition physique de son client, il ne se défile pas pour autant quand on l’interroge sur la frustration de son poulain.
« Il est humain, évidemment que ça lui trotte dans la tête. Est-ce que ça pourrait affecter son professionnalisme ? Certainement pas. Se sent-il sous-estimé ? Clairement. Il est humain. Nous avons tous une certaine idée de notre valeur, et il ne prend certainement pas pour acquis ce qu’il gagne aujourd’hui. […] Mais nous sommes convaincus qu’il mérite quelque chose qui reflette davantage ses performances de la saison passée. »
S’il se range longtemps derrière la version officielle sans rentrer dans les détails ni s’épancher sur les supputations de certains de ses coéquipiers, Peyton Hillis finira pas révéler les dessous de cet épisode en apparence anodin, mais nettement plus traumatique qu’il n’y paraît. Cette semaine-là, l’estomac pris d’assaut par un sale virus, malade comme un chien, stressé comme jamais par ces négociations au point mort et par ces rumeurs qui commencent à contaminer le vestiaire, il perd près de dix kilos et s’enlise dans une spirale négative. Dès que les ragots prétendant que cette supposée maladie n’est qu’un alibi bancal pour dissimuler une affaire de gros sous s’ébruitent, Hillis se sent attaqué. Pour ne pas décevoir des fans qu’il refuse catégoriquement de trahir, il se précipite à l’entraînement malgré un virus qui l’a considérablement affaibli. À peine de retour aux opérations face aux Titans, il se blesse aux ischios. Le cul entre deux chaises, coincé entre des médias qui commencent à s’interroger sur ces pépins physiques suspicieux, des dirigeants qui traînent volontairement la patte, des coéquipiers perplexes et des fans frustrés, il commence à se sentir terriblement esseulé. Loin des regards scrutateurs de ses collèges ou des médias, il sent la dépression le consumer à petit feu. Manque de sommeil, frustration, incompréhension, Peyton est affreusement usé mentalement.
« À partir de ce moment-là, les gens ont commencé à se poser des questions, » avoue-t-il à Bleacher Report. « Je me mets à penser que les Browns et les médias sont tous connectés et qu’ils pensent que je fais grève à cause de mon contrat. Et je me retrouve a être encore plus stressé et frustré parce que je ne peux rien y faire. Alors je me force à revenir au jeu malgré mes ischio-jambiers touchés et je me blesse à nouveau. Je n’arrêtais pas de me reblesser, mais les gens continuaient de croire que je boudais pour mon contrat. »
Car après une dizaine de jours de repos, il est bien du voyage à Oakland pour mieux aggraver sa déchirure au bout de six courses anémiques. D’ordinaire habitué à serrer les dents pour jouer malgré la douleur, il doit renoncer cette fois-ci. La convalescence durera un long mois de frustration irritante et de doutes éprouvants. Pourtant, malgré ce contexte tendu et morose, l’ancien d’Arkansas en profite pour discrètement épouser Amanda, sa copine de longue date. Comme si son image n’était pas assez cornée comme ça, il rate un événement caritatif avec des gamins le jour d’Halloween et accentue l’hostilité grimpante à son égard. De nouveau opérationnel, il reprend timidement sa place de titulaire et, à l’exception d’un solide 112 yards dans le nid des Ravens, plafonne à un malheureux 3,3 longueurs de moyenne. Dans la tête d’une partie d’un vestiaire à la mémoire courte, de dirigeants ingrats et de fans intransigeants, ses exploits de 2010 sont déjà loin.
« Je crois que les Browns ne m’ont jamais vu comme un vrai running back. Car en plus de ne pas me prolonger après ma grosse saison, ils ont bien pris soin de retourner les fans contre moi. »
Si le board en charge de la piètre destinée des Browns se refuse évidemment de commenter l’épisode, Peyton Hillis ne manque pas d’exonérer les inconditionnels de la franchise de toute responsabilité. Leur ferveur inconditionnelle leur vaut toute son admiration et ses années dans le nord de l’Ohio resteront à jamais parmi les plus marquantes de sa vie de footballeur.
« […] C’est vraiment dur, parce que les fans m’ont jugé sans jamais savoir ce qui s’était passé en interne. S’ils avaient su, ils auraient probablement eu un tout autre avis. »
Après le mariage au timing douteux et l’absence remarquée à la petite sauterie d’Halloween, Peyton décide de congédier McGuire durant l’intersaison et se met en quête de son quatrième agent en un an. De quoi attiser le courroux des vétérans les plus respectés du vestiaire.
« C’était un objet de distraction épouvantable, » le décrit sans concession Joe Thomas au micro de BR. « Il a mutilé notre attaque. On avait un mal fou à dénicher quelqu’un capable de porter le ballon après l’avalanche de blessures qui nous était tombée dessus. Le fait que Peyton s’embarque dans une dispute contractuelle et refuse de jouer a été une énorme distraction. Mais au-delà de tout ça, il était notre running back titulaire et un bon joueur qui devait aider notre attaque à être performante. Quand il n’était pas là et que nous n’avions personne d’autre vers qui nous tourner, ça devenait compliqué d’espérer gagner. »
S’il nourrit une rancoeur tenace à l’égard des dirigeants, d’une partie de ses coéquipiers, mais aussi d’une frange de supporters qui l’auront vite lâché, ils ne rejette pas sa part de responsabilité pour autant.
« Ne vous méprenez pas, il y a bien des choses que j’aurais pu faire différemment, » concède-t-il à Bleacher Report. « J’aurais pu maîtriser mes nerfs à plusieurs reprises, plus particulièrement avec les gens d’en haut. »
Après l’idylle de 2010, parenthèse dorée dans une carrière rageante, 2011 sonnera le glas de sa passion pour le football. Quelque chose s’est brisé en lui.
« Au bout de ma cinquième année, j’en ai eu marre, » développe-t-il. « Personne ne croyait vraiment en moi ou ne voulait vraiment de moi. Certains ne voyaient pas en moi le type dont ils avaient besoin, ça devenait vraiment éprouvant au bout d’un moment. J’ai en vraiment eu marre de devoir me battre. »
Au printemps 2012, les Chiefs lâchent un peu moins de trois millions sur un prove-it deal d’un an sans grand risque. Et ils ont le nez creux. En semaine 3, Peyton Hillis se blesse à la cheville. « Le début de la fin, » selon ses propres termes. 309 yards et un petit touchdowns anecdotiques dans le Missouri, une halte insignifiante du côté de Tampa et Peyton déboule dans la Grosse Pomme. Il passera deux saisons sour le bleu des G-Men. Le temps de rafler un total de 545 yards en attaque, de planter les deux derniers touchdowns de sa vie et d’enterrer définitivement sa carrière de footballeur. « Mentalement et émotionnellement, » il n’est plus là. Surtout, ses deux dernières campagnes s’achèvent chacune sur des commotions et les médecins lui recommandent fortement de tout arrêter. Pour son propre bien.
Quatre ans avant cette saison 2010 aux allures d’anomalie, il était le vulgaire perce-muraille de McFadden dans l’attaque des Razorbacks dans son Arkansas Natal. Quatre ans plus tard, retraité des terrains professionnels, mari épanoui, père de famille heureux, il n’est qu’un simple volontaire qui file un coup de pouce à la petite équipe d’un lycée de Siloam Springs, bled typiquement américain de 15 000 âmes, tracé à la règle et collé à la frontière de l’Oklahoma. Sa carrière aura duré le temps d’une saison. Mais quelle saison. A one-year wonder.