Le temps d’une saison, ils y ont cru. Le temps d’un match, ils ont tutoyé la gloire avant qu’elle ne les fuit inexorablement. Brutalement parfois. Une idylle sans lendemain. Un coup d’un soir. Un one-night stand. Des one-year wonders. Ces stars aussi éphémères que des étoiles filantes.
L’AVANT
Rejeton d’un pompier taillé dans un tonneau de bourbon stationné dans une caserne de l’est de Buffalo, Donald Vincent Majkowski grandit, avec son petit frère Gary, au rythme des histoires brûlantes de son paternel. Des bâtisses centenaires en proie à des flammes de plus de 30 mètres de haut, des foyers ardents d’une violence aussi incontrôlable que terrifiante, des gentils minois coincés sur une grosse branche, ils l’écoutent avec un million d’étoiles dans leurs petits yeux écarquillés. L’éternel pouvoir de fascination des soldats du feu auprès des gamins. Quand les deux kids sont conviés à la caserne numéro 14 par leur pompier de père, ils peuvent enfiler son casque et se laisser glisser le long du poteau en laiton reliant le premier étage au garage où sont entassés les larges et rutilants camions rouges, mastodontes prêts à bondir toutes sirènes hurlantes. Dès ses huit piges, Don laisse entrevoir le « Majik » si sûr de ses forces qui sommeille paisiblement en lui quand il insiste pour porter des crampons blancs, comme son idole Joe Namath. Son premier caprice de star. Encore plus à cheval sur son look sur les monticules terreux du baseball, il impose à sa mère des heures sup de couture pour étirer les rayures de ses chaussettes à l’aide d’élastiques et la force à traficoter ses pantalons pour les ajuster au millimètre près. Une année, il pousse même le vice jusqu’à lui demander de teindre ses chaussures en vert pour qu’elles s’accordent avec la couleur de son uniforme. Fashionista.
Pour son avant-dernière saison de footballeur sous le bleu sombre des Wildcats de Depew High School, Don effectue quelques piges au poste de quarterback et est nommé All-Western New York au poste de safety. Senior, enfin devenu lanceur titulaire des félins, il éclate sa main droite contre le casque d’un pass rusher adverse et se bouzille les phalanges. Le verdict des médecins est cinglant : il devra porter un plâtre pendant cinq semaines. Trois semaines plus tard, incapable de poireauter davantage, il dégote une tronçonneuse dans la remise et fait sauter le sarcophage blanc qui emprisonnait sa paluche. Il sera titulaire pour ses trois dernières rencontres de lycéen. Ultimes chances pour se faire remarquer. En pole position depuis de longues semaines après une cour intensive, Syracuse s’est soudainement rétracté après sa blessure. Canisius, Niagara et St. Bonaventure, trois confidentielles universités locales sont davantage intéressées par ses talents de basketteur, elles, mais Don n’est pas prêt à renoncer à ses aspirations de généralissime de l’attaque d’un programme majeur de la NCAA. Coach assistant chez le Orange de Syracuse ayant activement suivi son évolution, Jim Tressel lui recommande de passer une année à Fork Union Military Academy, une prépa de Virginie où il pourra engranger du temps de jeu et faire remonter sa cote auprès des grosses cylindrées universitaires.
Lorsque la famille débarque sur l’austère et modeste campus, la visite est assurée par un guide qui ne tardera pas à faire parler de lui. Un certain Vinny Testaverde. Après une année en Virginie, le natif de Brooklyn rejoindra les Hurricanes de Miami en 1982, raflera le Heisman Trophy 86 et les Buccaneers en feront le tout premier joueur repêché un an plus tard. Pour un gamin à la cool comme Don, la rigueur militaire qu’il découvre ce jour-là le pétrifie.
« Ça a été un véritable choc pour moi, » confirme-t-il à Sports Illustrated en 1990. « J’avais les cheveux qui tombaient à la moitié de mon dos. J’étais guitariste dans un groupe de rock. Au lycée, je portais une veste en cuir et des bottines tous les jours. »
De retour à l’hôtel ce soir-là, le rockeur du bahut débat de longues heures avec son padre. La boule à zéro, le treillis et les rangers, hors de question pour lui. Il préfère tenter le coup dans un community college ou s’inscrire de lui-même dans un gros programme et y tenter crânement sa chance. Il va falloir faire des sacrifices si tu veux parvenir à ton rêve fiston. Une année à te prendre des coups de pied au cul ne te ferait pas de mal. À trois heures du mat’, les yeux brillants, à deux doigts de fondre en larme, il cède. Pour payer les 9000 balles de frais d’inscription et couvrir quelques autres dépenses, Don doit renoncer à sa bagnole et la troquer contre quelques billets verts. Pendant un an, il va devoir renoncer à pas mal de choses d’ailleurs. Sa chambre : un baraquement en béton qu’il partage avec une flopée d’autres ados aux trajectoires et ambitions diverses et variées. Réveil à 6h tapantes. Extinction des feux à 22h15. Les tests physiques militaires du lundi et du mercredi, l’inspection générale du samedi, les corvées de latrines hebdomadaires, la boucle de sa ceinture qu’il récure à la brosse à dents et cet uniforme qu’il doit sans cesse porter et maintenir dans un état irréprochable. Sa famille lui manque affreusement. La frustration le gagne. «[…] Je savais que j’étais en mission, » se répète-t-il lorsqu’il s’interroge sur la pertinence de tous ces sacrifices alors qu’il n’a aucune intention de partir au front baïonnette au canon.
Irréprochable en classe, étincelant sur le terrain. Entre deux A et une salade de paniers sur les parquets, le quarterback offre aux Blue Devils leur meilleur bilan en dix ans. Huit victoires, aucun revers et un match nul. Élu meilleur athlète de l’académie, il achève cette année riche en enseignements avec le grade de sergent et un mental de Navy SEAL. « Ça a changé ma vie. Je suis devenu nettement plus sérieux et mature. » Revenu sur le radar d’une poignée de programmes de Division I, il opte finalement pour Virginia, à 35 bornes de Fork Union. Dès son premier entraînement, freshman sûr de lui, il demande à jouer avec le numéro un dans le dos. Voeux exaucé. Progressivement intégré dans la rotation comme du lait dans la pâte à crêpe, il devra pourtant patienter jusqu’au sixième match de son année de sophomore pour officiellement prendre les rênes des Cavaliers. Huit victoires, deux défaites, deux nuls. À 97 ans, le programme de Charlottesville découvre le premier Bowl de son histoire presque centenaire. Dans un duel de futurs quarterbacks NFL, bien épaulé par une défense opportuniste, Majkowski défait les Boilermakers d’un Jim Everett que les Rams drafteront en troisième position 18 mois plus tard. Don n’a rien à envier aux futurs grands.
Dès le lycée, à force d’être appelé Makowitz ou de voir son nom massacré sans procès, il opte pour un Majik plus court, plus simple et qui sonne terriblement classe. Un blase un brin prétentieux qui colle si bien à cet athlète touche à tout bourré de talent et qui aime l’attention. Car non content d’être un quarterback doué et polyvalent, il brille dans toutes les disciplines auxquelles il touche : ski, patinage de vitesse, tennis, golf, bowling, racquetball (sorte de squash sauce ricaine), tennis de table, hockey sur glace, baseball, basket, gymnastique. Entre deux saltos et un backflip il peut se traîner jusqu’au sautoir debout sur ses deux mains avant de retrouver sa bipédie pour y effacer une barre à 2,10 mètres puis aller claquer tout un tas de dunks plus acrobatiques les uns que les autres. Lanceur et arrêt-court prometteur sur le monticule dès le bahut, il est même convié à un camp d’essai par les Blue Jays de Toronto. Sans lendemain.
En 1987, dans une draft qui se joue en 12 tours à l’époque, les Packers attendent le dixième pour piquer discrètement Don Majkowski. Loin derrière les quarterbacks Vinny Testaverde, Jim Harbaugh, Steve Beuerlein et Rich Gannon, le globetrotteur Christian Okoye, le phénomène Bo Jackson, les Hall of Famers Cris Carter et Rod Woodson ou John Bosa, le père des deux autres. Rookie au pedigree universitaire fade, Don partage la garde de l’attaque avec Randy Wright et s’offre cinq titularisations au sein d’une équipe en pleine introspection, enlisée dans la médiocrité et nostalgique de son glorieux passé. En 1988, même chose. Partant à neuf reprises, il dispute 13 rencontres et brise la barre des 2000 yards, chose qu’il n’avait jamais faite à Virginia, s’incline à six reprises et peine à se montrer décisif dans la redzone. Neuf touchdowns, onze interceptions, dépourvue de star malgré l’éclosion prometteuse du rookie Sterling Sharpe, l’attaque des Packers se cherche encore une identité et Don se débat comme il peut avec les armes en caoutchouc à sa disposition. La « Majik » peine encore à opérer.
Sur les terrains badigeonnés de blanc, de son passé d’athlète ultra-polyvalent, Don puise une faculté hors-norme à s’échapper de la pression pour étirer le jeu et berner les linebackers à coup de feintes aussi prévisibles et efficaces qu’un plat du pied de Thierry Henry dans le petit filet opposé, qu’un retour intérieur d’Arjen Robben ou qu’une interception de Jameis Winston. À ce petit jeu — et en partant du principe que la gazelle Randall Cunningham est hors concours pour d’évidentes raisons —, seul Dieu Montana peut s’asseoir à la même table que lui. Et quand il n’est plus question de danser, il ne rechigne jamais à rentrer dans le lard de linebackers ou safeties aux allures de bouchers prêts à le débiter en petits morceaux.
« Si la victoire en dépend, il plongera dans l’en-but tête la première, » confirme Joe Clark, coach assistant des Packers de 88 à 91, dans les pages de SI en juin 1990. « Il se moque que Godzilla l’y attende de pied ferme. »
Même pas peur. Un sang-froid qui séduit les Cheeseheads. Et s’ils tenaient enfin l’étincelle qui leur fait tant défaut depuis toutes ces années ?
LE PENDANT
The Pack is Back. En 1989, les hommes de Green Bay n’ont plus remporté la NFC Centrale depuis 1972. Près de deux décennies. Une éternité. Une aberration pour la franchise fondée par Curly Lambeau et érigée au rang d’institution par Vince Lombardi.
Très vite, à mesure qu’ils gagnent en temps de jeu, Majik Man et sa nuque longue deviennent des incontournables d’une ligue qui vit ses plus belles années. Un look qui ne passe pas inaperçu, une langue bien pendue, arrogant à souhait tout en demeurant appréciable. Sur le terrain, Majik Don entretient une image aux antipodes de l’homme qu’il est dès qu’il retire son casque, se débarrasse de son plastron et dégoupille son jockstrap. Discret, chaleureux, affectueux avec les enfants, proche de sa famille restée dans les faubourgs de Buffalo, impliqué auprès d’une pléiade d’oeuvres caritatives, comme cette association qui lutte contre la mucoviscidose pour laquelle il a levé des milliers de dollars. Il rend régulièrement visite aux enfants malades, protège sa vie privée comme un mère-poule couve ses oeufs et se prête très rarement au jeu des entrevues plus intimes. Une façon de maintenir le mur étanche entre le Don footballeur et le Don simple citoyen, ami, fils, frère, époux et père de famille. Dr. Jekyll et Mr. Hyde. Don Majkowski et Majik Man. Le civil et le footeux. L’un extraverti et volubile, l’autre introverti et taciturne.
« Quand les gens me croisent dans la rue, ils s’attendent à ce que je sois aussi exubérant et arrogant que sur le terrain, » raconte-t-il à Sports Illustrated en 1990. « Vous n’imaginez pas le nombre de personnes qui me sortent, une fois qu’ils ont un peu appris à me connaitre, ‘Tu n’es pas du tout la personne que l’on imaginait.’ Ils sont choqués que je sois un type bien. J’ai l’impression que les gens sont déçus que je ne sois pas aussi surhumain que Majik. »
Une pression qui, il le sent parfois, le force à se mettre dans la peau de son jumeau maléfique même en dehors du terrain. Car malgré l’assurance insolente qui suinte de chacun de ses faits et gestes sur et autour du gridiron, il a tout de l’Américain lambda. Un petit appart de deux chambres sans prétention, des meubles fades qui ne lui appartiennent pas, un frigo qui sonne creux, rien de tape à l’oeil. Pourtant, à Green Bay, coin perdu du Wisconsin où les Packers sont un véritable culte, il ne peut pas se cacher. Quand il déambule au volant de sa Merco flanquée de sa plaque MAJIK 7, les autres conducteurs viennent se frotter à sa carlingue et le dévisager aussi béatement que bêtement. Parfois, il découvre un bouquet de roses dans son vestiaire après un match. Un jour, une femme le prend en filature jusqu’à chez lui et descend de sa bagnole avec fleurs et bouteille de vin dans les bras. Une célébrité par toujours évidente à gérer.
« J’ai tout ce dont j’ai toujours rêvé, tout ce pour quoi j’ai travaillé si fort, » reconnait-il pourtant. « Maintenant que j’ai tout ça, je ne devrais avoir aucune raison de me plaindre, mais c’est dur de devoir accepter de sacrifier toute idée de vie privée. Le public veut tout savoir de toi. Ils t’étouffent. Après chaque match, j’ai l’impression d’être un Beattles — les filles s’agglutinent contre ma voiture, hurlent et pleurent après Majik. C’est délirant. J’ose même pas imaginer ce que ça doit être de s’appeler Michael Jordan. »
À chaque semaine sa nouvelle rumeur. Une hystérie collective incontrôlable dans une ville où les Packers polarisent toute l’attention qui l’a contraint à se renfermer sur lui-même. La technique du bernard-l’hermite. « Je me sens vraiment seul — vraiment, vraiment seul, » insiste-t-il. Cloîtré chez lui le plus clair du temps, il trie sur le volet les potes qu’il convie entre ses murs et demande même à Gary, son frère cadet de 24 piges, d’emménager avec lui pour jouer le bouclier humain face à cette Majik-mania et lui apporter un peu de cette compagnie qui lui fait tant défaut. Pire, il entretient sagement son célibat par peur de tomber sous le charme d’une femme qui serait seulement attirée par son indécollable étiquette de quarterback des Packers. « Je vis comme un ermite. »
Quand il déboule dans le vestiaire les jours de match, il appuie sur le bouton PLAY de son lecteur cassette et Phil Collins se met soudainement à brailler les premiers vers d’In the Air Tonight. Encore une fois. Puis une autre. Et encore une autre. Il repasse le tube du Londonien en boucle jusqu’à ce que sa jauge de motivation soit chargée à bloc. Remonté, le numéro 7 enfile ses collants jaunes et étouffe ses chevilles sous une tonne de sparadrap blanc qu’il fait passer jusque sous la semelle de ses crampons. Du spatting comme on dit en américain. L’utilité ? Aucune. « Ça fait cool, » se contente-t-il de lâcher en guise d’explication. Un coup d’oeil dans le miroir pour s’assurer de l’éclat de sa tignasse inégale, deux traits noirs sous les yeux en guise de peintures de guerre et le voilà prêt pour l’échauffement. Le corps paré au combat, il parade jusqu’au bord du terrain le torse bombé, la tête haute, dégoulinant d’assurance, prêt à fredonner le Star-Splangled Banner. Un rituel immuable que décortique Jill Lieber dans les pages du numéro du 11 juin 1990 de Sports Illustrated.
« Je regarde les adversaires de l’autre côté du terrain et je sens l’adrénaline monter, » explique Don. « Je remercie Dieu de m’avoir donné la chance de pouvoir jouer au football et je Lui promets de ne jamais oublier tout ce que je Lui dois pour m’avoir fait pareil don. Mon coeur bat si vite et si fort. Quand l’hymne se termine, je suis tellement à l’ouest que j’ai l’impression de m’être fait rentrer dedans par un lineman. Il me faut généralement trois grandes respirations pour retrouver mes esprits. »
La tête à l’endroit, le cerveau oxygéné, il est prêt à redonner le sourire à des fans sevrés de bonheur depuis des plombes. Passionné, habité, sûr de ses forces, il se révèle être un leader par l’exemple et un coéquipier peu rancunier. Quand sa ligne offensive se plante de protection et qu’il se mange une bavette alors qu’il avait commandé une salade, il ne se rue pas sur eux pour leur beugler tout le bien qu’ils pensent d’eux. Au lieu de ça, il préfère se relever et lâcher : « Wouah ! Vous avez vu ce que ce type vient de me mettre. » Offert par la maison.
Un sur deux. Un court revers à la maison face aux rivaux de division de Tampa et une victoire d’un point face aux Saints pour enfin lancer la saison 1989 après avoir été salement menés 21-0. Pour leur troisième sortie et leur premier déplacement de l’année, Don et ses potes débarquent dans la chaleur et la moiteur d’Anaheim. Maladroit, sous pression, à côté de ses pompes, le quarterback balance trois interceptions en première mi-temps, mais gagne de précieux points auprès de ses coéquipiers en empilant plus de 100 yards au sol dans toutes les directions possibles à force de cavaler après les défenseurs qui viennent de court-circuiter sa passe pour limiter la casse. Des efforts insuffisants pour empêcher Vince Newsome de remonter 81 yards dans la direction opposée et aller marquer, mais grâce auxquels il parvient à rattraper et neutraliser Cliff Hicks et Mike Wilcher. 7-38. À la pause, les Cheesers ressemblent à une fondue et Majkowski est lessivé. « J’avais l’impression d’avoir fumé un paquet de cigarettes entier, » décrit-il à Sports Illustrated six mois plus tard. Enfumé.
Dans les vestiaires, bardé de tuyaux dans les deux bras, il refait le plein d’eau et de nutriments. Le match plié, Lindy Infante, lui recommande de rester sagement sur le banc pour la seconde mi-temps. Don approuve avant d’être rattrapé par un sale goût dans le palais. Celui d’abandonner ses potes. Un sentiment honteux et inconcevable. Si Anthony Dilweg débute le second acte, Majkowski insiste rapidement auprès de son amiral pour retourner au charbon. Entendu soldat ! Sterling Sharpe dans les airs. Le 4e choix général de la draft 1987 Brent Fullwood en puissance sur 11 yards. Ed West sur un appel savoureux qui berne toute la défense. Chris Jake et Mike Lansford se répondent de loin et Fullwood croise la goal line une seconde fois avant de dégueuler le ballon de la gagne sur la ligne et de priver Majik Don et les Packers d’un comeback historique. 38-41. Malgré la défaite, les hommes du Wisconsin retrouvent la banane et la magie de Don commence à animer les lèvres.
Après un début en dent de scie où les têtes fromagées enchaînent harmonieusement défaite et victoire, les hommes de Lindy Infante dénichent un trèfle à quatre feuille sur le gazon du Lambeau Field et décrochent sept succès sur leurs neuf dernières rencontres de la saison. Des victoires déconseillées au cardiaques. Trois par un minuscule petit point (quatre sur l’ensemble de la campagne 89, un record) et une en prolongation qui vaut à la franchise l’éphémère surnom de The Cardiac Pack. Autant de victoires, autant de revers, une attaque aussi prolifique, une défense nettement plus étanche, un meilleur bilan dans la conférence, les Packers doivent pourtant céder le trône de la NFC Central aux Vikings à cause d’un moins bon bilan de division qui les prive de playoffs pour la 7e année consécutive malgré un stratège couronné Coach de l’Année et des ambitions retrouvées.
4318 yards, 27 touchdowns, Pro Bowler — une première pour un quarterback de Green Bay depuis Bart Starr en 1966 —, nouvelle coqueluche du Lambeau Field, à 26 piges, Don vient de vivre la saison de sa vie. Aucun passeur n’a tenté plus de passes que lui. Dans une ligue où fleurissent Joe Montana, Dan Marino, Warren Moon, John Elway et Jim Kelly, aucun passeur n’a réussi autant de passes que lui. Aucun quarterback n’a entassé autant de yards que lui dans les airs. Seuls Jim Everett (29) et Boomer Esiason (28) ont trouvé la peinture plus souvent que lui. Malgré 20 interceptions qui sentent davantage le Saint-Nectaire oublié dans la cave que le cheddar affiné avec soin, il échoue à quelques votes de Dieu Joe Montana dans la course au MVP. Après des années de misère, incapables de trouver le digne successeur de Bart Starr malgré l’honorable passage de Lynn Dickey dans la Baie des Puants, les maitres fromagers du Wisconsin pensent enfin avoir dégoté la nouvelle tronche de leur franchise. Des yeux bleus, un pif de traviole et une délicieuse coupe mulet. Seulement, jamais il ne confirmera les chiffres affolants pour l’époque de sa saison 1989. Pire : sa chute va être aussi expéditive que son ascension. Resté coincé dans les 80’s, il va manquer le virage dans la nouvelle décennie. La dernière du millénaire. Huit titularisations, 1925 yards et 10 touchdowns. 1990 égale 1989 divisé par deux. Et au fil des saisons et des blessures, ces chiffres n’auront de cesse de dégringoler. Jamais plus il ne connaitra de saison complète. Mais en attendant, et à son grand dam, sa réputation reste intacte.
Au printemps 1990, lorsqu’il débarque dans un bar de Vegas tenu par des fans hardcore des Packers, il est accueilli par un tonnerre de Majik, Majik, Majik. Il voudrait se jeter sous la première table pour échapper à toute cette attention affreusement gênante.
« Je suis pas le genre de gars qui débarque, lève les bras et se gave de tous ces hourras, » confie-t-il à SI. « Je me sens terriblement gêné. Intérieurement, je me disais, ‘Mon Dieu, faites-mois sortir de là.’ »
L’APRÈS
13 septembre 1992. Après un revers en prolongations face aux ennemis de Minneapolis en ouverture, les Packers se déplacent dans les eaux bleutées d’un galion de Tampa qui ne fait peur à personne depuis près d’une décennie. Des pirates de pacotille. Ses hommes menés 17-0 à la pause, sans solution, Mike Holmgren envoie Don et sa coupe mulet humer les embruns sur le banc pendant que sa doublure prend la mer à sa place. Sur la première action de sa carrière embryonnaire, le minot du Mississippi attrape sa propre passe, déviée par les paluches d’un homme du front défensif floridien. Fauché sept yards derrière la ligne de mêlée, il ne parviendra pas à infléchir la tendance. Contraints de se satisfaire de 106 malheureux yards dans les airs, les Emballeurs sont envoyés par le fond par les Buccaneers (3-31). Une semaine plus tard, au Lambeau Field, les ligaments de la cheville de Don lâchent. Il devra se passer de terrain pendant presque un mois et laisser le champ libre à cet impertinent gamin de 22 piges : Brett Favre. Le môme de Southern Mississippi remet les Packers dans le sens de la marche, arrache la première victoire de la saison et enclenche dès la semaine suivante une série insensée pour un quarterback de 297 titularisations consécutives. Bien malgré lui, Don vient de lui payer le péage pour Canton, Ohio. Plus jamais il ne portera l’uniforme vert et jaune de Green Bay.
Le printemps suivant, Don Majkowski est envoyé à Indianapolis où il enfile le costume, un brin humiliant compte tenu de son pedigree, de pompier de service. Un comble pour ce fils de soldat du feu. Une saison oubliable en 1993, six titularisations et trois victoires en 1994, puis il retrouve la NFC Centrale. En 96, rendu dans la tanière de Lions abonnés au éliminations dès le premier tour et gavés aux exploits de Barry Sanders et ses jambes élastiques, il égratigne encore plus une cheville déjà méchamment amochée. Envoyé sur le billard en juin, il doit se taper trois semaines de convalescence et se retrouve en uniforme pour l’ultime match de préparation des félins pour tenter de détrôner Scott Mitchell de sa place de titulaire. À 60% de ses capacités, il endommage de nouveau une pauvre cheville qui ne le lâchera plus jamais de sa vie.
« Ça a été le début du cauchemar avec ma cheville, » explique-t-il à FOX Sports. « Elle était dans un tel état. C’était épouvantable. Elle gonflait tellement après chaque entraînement. Sans ça, j’aurais facilement pu jouer trois saisons de plus. »
Le 3 novembre 96, il retrouve la toundra du Lambeau Field. Portés par un Brett Favre en mode MVP et en route vers un titre qui les fuyait depuis 29 ans, les Packers ne tremblent pas (28-18). Aux quatre touchdowns d’un Brett en démonstration, Don répond timidement par 153 yards, un piètre 50% de passes complétées et un petit touchdown dans le garbage time pour tenter de digérer les cinq sacks douloureusement encaissés. Les tout derniers pions de sa carrière, il les lancera deux semaine plus tard face aux Seahawks dans une nouvelle performance anémique. Réexpédié sur le banc jusqu’à la fin de la saison, il regardera d’un oeil distrait ses potes s’incliner cinq fois en autant de rencontres. Sa cheville en miette, son épaule de lancer mourante, il renonce. Clap de fin. Triste épilogue.
« Cette blessure à l’épaule en 1990 a ruiné ma carrière, » tranche-t-il. « J’ai joué six années de plus, mais c’était en dépit d’une douleur épouvantable. Jamais elle n’a retrouvé son état normal d’avant la blessure. J’ai toujours dû garder ça pour moi. J’ai toujours dû garder tout ça pour moi parce que je voulais continuer à jouer. »
À 32 piges, il est désormais temps de retaper et dorloter son corps en charpie. Près de deux décennies plus tard, à quelques mois de plonger tête la première dans la cinquantaine, retraité des terrains depuis belle lurette, il souffre affreusement. Quotidiennement. Vouté, celui qui décortiquait les défenses adverses du haut de son presque mètre 90 étonnamment mobile à la fin des années 80 peine à sortir de sa propre baraque. Le golf, un passe temps qu’il appréciait par-dessus tout, il a dû se résoudre à y renoncer depuis des lustres. Remisé au placard, son vieux sac bardé de bois, fers et putters prend la poussière en silence. Depuis qu’il a raccroché ses crampons, il traîne péniblement sa douleur.
« Je ne me suis pas lancé dans une nouvelle carrière professionnelle, je ne suis pas devenu entraîneur, je n’ai absolument rien fait, » détaille-t-il auprès de FOX Sports Wisconsin en mars 2013. « Même s’asseoir rien que cinq minutes est rendu compliqué. C’est un véritable cauchemar. »
Il a dû renoncer à sa boite d’investissement immobilier, bien trop drainante physiquement. Un an plus tôt, un corset serré autour des côtes, il coachait encore Bo, son fils, et ses mini-footeux de potes. Mais même ça, il a dû laisser tomber, incapable d’endurer les longues heures passées debout. « J’aimais tellement passer tout ce temps avec ces gamins, » regrette-t-il, nostalgique. Que son fils suive ses pas ou non, il s’en moque désormais. Si pour le moment il se plait à cavaler sur les terrains bariolés de blanc, tout ce qui importe pour son père, c’est qu’il fasse ce qu’il aime. Mais il a beau tout faire pour ne pas y penser, impossible de ne pas être rattrapé par les risques inhérents à ce sport profondément brutal qui aura cabossé sa propre carcasse. À tel point que quand son fiston s’épanche sur son affection pour le baseball, l’ancien passeur des Packers ne se fait pas prier pour l’inciter à grimper sur le monticule plutôt que d’enfiler l’armure des gladiateurs des gridirons. Quarterback lycéen, Bo optera finalement pour la petite balle aux coutures rouges et rejoindra les Tigers de Clemson en 2018 au plus grand soulagement de son géniteur.
La liste des symptômes de Don est aussi longue que son bras meurtri. Hésitant. Mollasson. Des disques du cou rayés comme un vieux vinyle suranné, une épaule en compote, un dos traumatisé par des tampons à répétition et une cheville gauche en lambeaux que onze opérations ne seront pas parvenues à rafistoler. Même les deux interventions consécutives subies après les premières douleurs, lorsqu’il portait encore le jaune et vert des Packers, auront été inutiles. Ce funeste 20 septembre 1992. Un jour fatidique à bien des égards. Pour sa carrière et pour son corps. Le machin hérissé de cinq orteils qui pendouille au bout de sa jambe ne lui est plus d’aucune utilité. Il ne peut plus du tout le bouger.
Et ça n’est pas tout. Une dizaine d’année après sa retraite, les médecins découvrent que le disque intervertébrale, cartilage fibreux séparant chaque vertèbre, de ses deux dernières vertèbres s’est tout bonnement fait la malle, infligeant à Don une douleur insoutenable. Malgré l’opération visant à fusionner ses deux vertèbres compressées, jamais elles ne pourront véritablement guérir elles non plus. Jusqu’à la fin de ses jours, elles devront supporter le reste du poids d’une colonne déglinguée. Une maladie dégénérative qui s’étire du coccyx jusqu’au cou contre laquelle il ne peut rien. « Tous ces tampons que j’ai pris dans le dos ont été terribles, » témoigne-t-il. Des mauvais coups dont il ressent encore l’échos deux décennies plus tard. Car à l’époque, pas de protocole commotion, la NFL est encore loin d’avoir pris conscience des dégâts irréversibles qu’elle imprime aux corps de ses athlètes. Quand on roule une pelle au gazon et que la Voie Lactée se met à danser autour de ses oreilles, un rapide check up avec les docs en bord de terrain suffi à vous réexpédier sur le terrain comme un vulgaire troufion que l’on renverrait au casse-pipe. Vers une mort certaine.
« Quand je jouais, tu te prenais un sale coup et tu voyais une lumière rouge comme si quelqu’un prenait une photo de toi avec un vieil appareil argentique, » explique-t-il. « T’étais un peu étourdi pendant quelques minutes. Ça m’est arrivé plus d’une fois. Mais tu devais faire avec et retourner sur le terrain. Certains gars ne disaient rien comme ça ils pouvaient rester en jeu. »
Car pour des centaines de gars, rester en jeu, c’est également conserver son gagne-pain et ne pas hypothéquer son avenir immédiat du jour au lendemain au détriment de sa santé au long terme.
Comme le golf, les manèges des fêtes foraines, Majkowski les a oubliés depuis des plombes. Sa tête le fait bien trop souffrir pour ça. Chaque looping lui donne l’effet de la pire commotion qu’il n’aurait jamais subie sur un terrain de football. Au début des années 2010, des mois durant, désormais installé à Atlanta, il fait l’aller-retour jusqu’en Californie, seul État où l’intégrité physique et mentale des anciens joueurs NFL semble émouvoir. Il passera plus d’un an et demi à batailler à coup de paperasse pour tenter de recevoir des indemnités de vétéran des tranchées de la NFL. Parfois, avec le feu vert d’avocats pointilleux, il doit se coltiner trois jours d’examens ultra-minutieux pour plaider sa cause. Scanners de la tête aux pieds, tests neurologiques, il est ausculté sous toutes les coutures aux frais de la Ligue. Un processus de près de deux ans épuisant.
« C’est insensé toutes les étapes par lesquelles les anciens joueurs doivent passer pour obtenir gain de cause et toucher leur compensation de travailleur, » déplore-t-il en 2013. « J’ai eu l’occasion d’en parler avec tellement d’autre gars qui sont passés par la même chose. Les propriétaires essaient de se débarrasser totalement de ces indemnisations parce que ça leur coûte un argent fou. Ils ne veulent plus payer pour le moindre plan de santé futur. »
Abonné au billard et au bistouri, il sent enfin les effets de ces opérations à répétition. La douleur s’est amoindrie. Pour le reste, il a appris à vivre avec. Et malgré le calvaire enduré, il ne regrette rien.
« Je n’ai aucun regret, » insiste-t-il auprès de FOX Sports en juin 2013. « C’est ce qui est le plus dingue. Je n’hésiterais pas un instant si c’était à refaire. C’était mon rêve d’enfance et j’ai travaillé comme un fou pour l’accomplir et jouer dans la NFL. Ce fût un privilège et un rêve qu’un très faible pourcentage de gars ont l’opportunité de vivre. »
Son rêve, il l’aura vécu le temps d’une saison. Le temps d’un frisson. Le temps d’y croire, avant d’ouvrir les yeux et d’être rattrapé par un corps en cloques. A one-season wonder.