Ils forment une race à part entière dans cette NFL si américaine. Une espèce singulière, forte d’un talent unique, d’une technique à part importée de l’autre bout du monde. Matt McBriar, Darren Bennett, Sav Rocca, Ben Graham. Un Super Bowl disputé pour certains. La barre des 100 matchs NFL effacée pour d’autres. Ces mecs sont la fine fleur de l’armada de ces footeux sauce australienne venus apporter leur puissance de frappe et leur verticalité à l’un des postes les plus confidentiels de tout le football. Digne successeur de cette lignée d’iconoclastes du punting, Michael Dickson va très vite imprimer un style détonnant dans ce monde d’anonymes aussi feutré que méconnu.
What the foot !!?
Michael est un môme de Nouvelle-Galles du Sud. Ces contrées australes baignées de soleil et infestées de bébêtes hostiles à l’espèce humaine. Loin des lignes parfaitement symétriques du Harbour Bridge, des voiles en céramique de l’Opéra de Sydney et du sable fin des plages de Bondi et Manly, il grandit à Kirrawee, banlieue sud collée au Royal National Park et sa côte sauvage enchanteresse. De la verdure à perte de vue au sud, les interminables plages du Sutherland Shire à l’est et, partout ailleurs, un amas de quartiers banlieusards cossus tracés à la règle et à l’équerre. De longues et paisibles avenues bordées d’eucalyptus, des petits bungalows sans prétention et ces temples à ciel ouvert. Paroisses vertes de cette religion nationale : le cricket. Au pays du guichet, de la batte en saule et de ces gigantesques terrains arrondis, Michael passe toute sa petite enfance à cavaler après un ballon rond qui a contaminé la planète entière depuis près d’un siècle et faire passer une petite balle jaune velue par dessus un filet avant de s’essayer au sport national. Sur le tard. XIII, XV, footy, Socceroos dans l’âme, il se moque de ces gonfles ovales qui rendent dingues des millions de ses compatriotes.
À 8 ans pourtant, las de passer son temps les yeux rivés vers le gazon, il les tourne vers le ciel et y distingue un ballon oval qu’il peine à localiser, ébloui par un soleil éclatant. L’Australian rules. Le footy. Le football australien. Ce sport du bout du monde. Méconnu de 99,67% de la population mondiale. Ce sport si australien. Ce sport qui, à sa manière, ressemble tant à un autre football. Lui aussi disputé avec un ballon oval. Un sport totalement nébuleux pour Michael à l’époque. Lointain, étrange.
« Le Super Bowl tombait un lundi pour nous, » explique-t-il à ESPN. « Les gens en parlaient, mais je n’y ai jamais prêté attention. J’avais le jeu Madden quand j’étais plus petit, mais je ne savais jamais ce que je faisais. Je balançais juste des Hail Marys à tout bout de champ et c’était à peu près tout. »
Comme son nom l’indique et à l’inverse de son cousin américain, le footy se pratique essentiellement avec les pieds, généralement sur un de ces terrains de cricket aux formes généreuses. 18 types grands et baraqués qui se ressemblent tous, un ballon à lacet et beaucoup de chandelles dans un sport où le moindre torticolis vous flanque illico sur le banc. Très vite, Dickson se révèle extrêmement prometteur. Après plusieurs années d’apprentissage chez les Miranda Bombers dans la version junior de l’Australian Football League, il intègre l’académie des Sydney Swans, honorable institution fondée en 1874 à Melbourne, avant de faire ses cartons pour la Nouvelle-Galles du Sud en 1982. Dans son maillot rouge et blanc amputé de ses manches, Michael ne tarde pas à exploiter son solide mètre 88 dans un rôle défensif où sa patte droite ravageuse en fait vite un artilleur redoutable. Une rampe de lancement à la tronche d’enfant modèle qui cache bien son jeu. Puissante et perforante, sa frappe s’envole jusqu’aux confins de la troposphère avec une aisance inhabituelle chez des ados de son âge se souvient son coach en U18.
« Il avait tendance à systématiquement frapper long quand il avait le ballon, à tel point que nous essayions tout le temps de lui faire travailler sa frappe courte, » raconte Jason Saddington, son coach chez les NSW/ACT Rams. « Nous savions déjà qu’il était excellent sur longue distance, mais nous voulions qu’il améliore ses frappes entre 15 et 20 mètres. »
Un soir, à l’entraînement des UNSW/ES Bulldogs, formation U19 pour laquelle il disputera deux saisons, il ne lui faut que deux coups de pied pour traverser l’entièreté du terrain. Son coach est scotché. « C’était incroyable à voir, » témoigne celui qui assure ne jamais avoir vu une puissance de frappe pareille de toute sa carrière. Pourtant, malgré la Grosse Bertha qu’il dissimule dans sa jambe droite, ses rêves d’AFL se brisent avec autant de fracas que The Right, ce terrifiant mur d’eau qui brasse les eaux de l’Australie-Occidentale.
En 2014, à 19 piges, non-drafté par l’Australian Football League, il se retrouve parachuté en plein Texas, à 16 122 kilomètres de sa ville natale, prêt à découvrir un sport dont il ne connaît presque rien. Le plus beau des combats, Mi-temps au mitard, The Blind Side. Il tente de rattraper son retard en engloutissant tous les classiques du 7e art consacrés au gridiron. Sur Madden, il continue de pilonner à coup de Hail Marys en attaque et ne capte rien à ce qui se passe une fois qu’il doit défendre. À quelques heures de son dépucelage universitaire devant 80 000 paires d’yeux hostiles dans l’antre du Fighting Irish de Notre Dame, Michael concède, très amusé, n’avoir toujours pas maté un match de football de la première à la dernière seconde.
« À l’entraînement, je passe mon temps avec les autres botteurs et punteurs, alors je suis encore loin de parfaitement tout comprendre à ce sport, » concède-t-il au site officiel de l’AFL en Nouvelle-Galles du Sud et dans le Territoire de la Capitale Nationale.
Des séances d’entraînement quotidiennes de 4h où Michael sue à grosses goûtes et découvre l’intensité d’un sport qui se donne sans compter en permanence. Surtout, il découvre la vulnérabilité de son poste.
« Mon premier coup de pied avec de l’opposition en face a été désastreux, » se souvient-il. « Je l’ai expédié en dehors des limites du complexe et jusque sur la route, c’était vraiment embarrassant. Je n’avais pas la moindre idée de comment gérer le rush, j’étais rivé sur les joueurs adverses quand j’aurais uniquement dû me préoccuper du ballon. J’ai bien changé depuis. »
Détendu malgré ces présentations chaotiques et cet environnement ultra compétitif où les droites entre coéquipiers ne sont pas rares, les ambitions de Dickson restent imperturbables. « Je veux jouer dans la NFL. » Sûr de son potentiel, le gamin espère dignement représenter la relève australienne à un poste sur lequel les Wallabies ont fait une véritable OPA depuis quelques années. Tom Hornsey à Memphis, Tom Hackett à Utah, les deux Australiens ont raflé les deux derniers Ray Guy Awards récompensant le meilleur punter NCAA de la saison. Deux anciens joueurs d’Australian rules talentueux recalés par l’AFL et venus tenter leur chance aux States. De quoi donner quelques idées. Surtout que le natif de Sydney peut compter sur les conseils de ses deux compatriotes. « Je me suis entraîné avec les deux et ils m’ont donné des trucs précieux pour savoir comment gérer la pression. » Les trois kangourous sont passés par Prokick Australia, un organisme destiné à faciliter le tremplin de plus en plus emprunté entre le foot australien et le foot US. Un projet chapeauté par Nathan Chapman, un ancien joueur AFL ayant échoué chez les Packers le temps d’un été, en 2004. Lorsque Michael débarque à Prokick en janvier 2015, sa force de frappe bluffe tout le monde. Lui trouver un point chute risque d’être chose aisée.
« Michael a un sacré coup de pied, » reconnaît Chapman. « Il peut se déplacer à gauche ou à droite et dégager le ballon du fond de l’en-but. Il a de solides qualités athlétiques qui lui permettent de courir sans s’épuiser et de réussir n’importe quel test d’endurance. Et évidemment, il a un pied droit du tonnerre. »
Le rôle du punteur est simple : expédier le ballon dans les airs longtemps, pour permettre à la couverture de monter sur le retourneur, et loin, pour repousser l’équipe adverse aussi loin que possible de son en-but. 4,5 secondes de temps de suspension et 45 yards de distance de frappe constituent les standards hauts de ce poste aussi précieux qu’ingrat. Pas de quoi impressionner Michael le pistolero. « […] Sur mon troisième coup de pied, j’ai tapé 4,7 secondes et 50 yards, » crâne-t-il volontiers. Après 4 mois passés à brièvement dompter puis longuement martyriser ce nouveau ballon dans les installation de Melbourne, une compilation YouTube et une recommandation de Prokick Australia échouent sur le bureau de Charlie Strong. Le coach des Longhorns de Texas est impressionné par la puissance de frappe et le toucher inhabituel, diabolique presque, de ce gamin.
« En foot australien, tu as tout un panel de dégagements différents auxquels tu dois recourir pour traverser le terrain, » explique-t-il à Michael-Shawn Dugar de Seattlepi.com. « Très souvent tu dois viser une cible en mouvement et il faut parfaitement calibrer ton coup de pied pour que le ballon tombe dans ses bras, comme le fait un quarterback avec les tracés de ses receveurs. Tu tapes des chandelles aussi. Parfois, tu dois jouer le coup comme ça, d’autres fois tu dois taper plus bas, faire une passe tendue ou bien légèrement lobée. Au final, tu développes un véritable toucher entre ton pied et le ballon. »
Un savoir faire acquis à force de taper plusieurs centaines de gonfles parfois à l’entraînement. Le ballon, ses courbes, ses rebonds, ses spirales, ses caprices, il les connait par coeur. Lorsqu’il débarque sur le campus aux façades blanches et toitures rose d’Austin, Michael n’en croit pas ses yeux. « C’était délirant. » Immense. Pharanonique. Disproportionné. Américain. Le grand Australien se sent soudainement minuscule. Intimidé même. Lorsqu’il pénètre sur le Darrell K Royal – Texas Memorial Stadium et ses plus de 100 000 sièges vides qui tutoient les nuages, il est scotché par la démesure de l’enceinte et peine à s’y imaginer.
Une bourse d’études qui couvre ses 4 prochaines années, un diplôme en finances dans le viseur, sûr de sa précision, sûr de la puissance de frappe de son bazooka de chaire et d’os, Dickson séduit Charlie Strong par ce cocktail de talent naturel, de confiance qui frise l’arrogance et d’enthousiasme contagieux. « Je peux déposer le ballon où vous voulez coach. […] Vous avez juste à demander et je le ferai. » Entre deux clashs culturels avec ses nouveaux coéquipiers, il arrache unes à unes les cornes des autres punters et s’ouvre une voie royale vers le siège de titulaire tout en nourrissant ses rêves de professionnalisme, rivé devant son écran de TV où l’ancienne star du rugby à XIII Jarryd Hayne illumine la pré-saison des 49ers et brise la distance autrefois si demesurée entre la NFL et l’Australie.
« L’autre jour je lance, ‘Allons chez Mackies’, » raconte-t-il à Bleacher Report. « Puis j’ai réalisé que personne n’appelait McDonald’s comme ça ici. »
Son baptême du feu du Notre Dame Stadium passé, Michael affine sa technique et apprend à faire abstraction des fous furieux qui se ruent sur lui à chaque dégagement. Même lorsque le long snapper vise la Lune et expédie le ballon bien trop haut face à Kansas State en octobre, il improvise avec brio. Positionné sur ses 45, il doit redescendre en panique une dizaine de mètres plus bas. Alors que trois Wildcats se précipitent sur lui, il se penche, attrape le ballon, fait volte-face en un quart de seconde et décoche sans réfléchir un coup de pied bas de plafond absolument pas académique qui profite d’un généreux rebond pour aller se poser lascivement sur les 8 yards adverses. « Play of the game ! » beugle le commentateur pour couvrir les cris d’une foule orange rouille survoltée. L’un des punts de l’année. Ou comment se faire pardonner après un fumble fatal face aux rivaux d’Oklahoma State quelques semaines plus tôt. De quoi mériter un Tim Tam, ce biscuit chocolaté de marque australienne qu’il déniche par miracle dans une épicerie d’Austin. Madeleine de Proust savoureuse de son enfance sydnéenne.
Après un plus qu’honorable 41,3 yards de moyenne pour sa saison de freshman, le Sydneysider entre dans une nouvelle dimension l’année suivante, claque des taloches de 47,4 yards de moyenne en 2016 et s’impose très vite comme l’un des meilleurs artificiers de toute la NCAA. L’année suivante, sollicité 19 fois de plus, il tourne exactement au même régime, est désigné Joueur d’Équipes Spéciales de la BIG 12 pour la seconde fois, unanimement nommé All-American et s’adjuge la couronne de MVP d’un Texas Bowl insolent où il dépose 10 de ses 11 dégagements dans les 20 adverses et 8 à 10 yards de la peinture. Surtout, après Tom Horsney en 2013, Tom Hackett en 2014 et 2015 et Mitch Wishnowsky, lui aussi sous les couleurs des Utes, un an plus tôt, Michael décroche le Ray Guy Award, comme promis à sa mère avant d’embarquer dans l’avion, et devient le 5e Australien à être consacré meilleur punteur universitaire. Australians rule.
La confiance dans la peau
Le 21 décembre 2017, au terme d’une saison grandiose et à quelques jours du Texas Bowl, la star des punters annonce renoncer à son année de senior pour se présenter à la Draft. Un cas rarissime pour un spécialiste des dégagements. Surtout, un véritable risque et des mauvais souvenirs pour ce recalé du repêchage AFL en 2014. Les franchises préférant souvent piocher dans les joueurs non-draftés pour se dégoter un punteur, seuls deux d’entre eux ont été repêchés après avoir renoncé à leur dernière année d’éligibilité. Deux Tigres de Clemson. Chris Gardocki, choix de 3e tour des Bears en 1991, et Bradley Pinion, sélectionné au 5e round par les 49ers en 2015 avant d’embarquer sur le galion des Bucs en 2019. Avant le jour J à Arlington, Texas, Dickson profite d’un crochet par le Combine d’Indianapolis pour impressionner les Seahawks par ses facultés de concentration. Sur un exercice peu commun, il est mis au défi de ne pas cligner des yeux aussi longtemps que possible. Après deux tentatives pas vraiment concluantes, le Longhorn opte pour un autre stratagème.
« Au premier essai j’ai été nul, j’ai immédiatement cligné des yeux. Au troisième coup, je baladais tranquillement mon regard à travers la pièce. Le but était de voir combien de temps je pouvais tenir sans cligner des yeux. Alors je me suis mis à regarder autour de moi, en gardant mes yeux humides jusqu’au bout, pas une mauvaise stratégie. »
Au troisième jour de la Draft 2018, il est le premier de trois punters à entendre son nom retentir. Une première pour la franchise de Seattle depuis Ryan Plackemeier en 2006. Le punteur le plus haut drafté depuis 6 ans, quand les Jags avaient inexplicablement sacrifié un choix de 3e tour sur Bryan Anger, la colérique gâchette de Cal. Pour Michael, la délivrance après trois jours éprouvants pour les nerfs, entouré de sa copine et de son cousin, en petit comité.
« J’ai détesté la Draft, » lâche-t-il à ESPN. « C’était bien trop stressant. Tous ces gens qui t’appellent, t’as l’impression qu’ils se moquent de toi. Arrêtez de m’appeler sur mon téléphone, foutez-moi la paix ! »
Quand l’indicateur régional du nord de l’État de Washington apparaît sur son écran, Michael est confus. « WA » lui glisse son agent. « Virginie Occidentale (West Virginia en anglais, ndr) ? Qu’est-ce qu’il y a comme équipe en Virginie Occidentale ? » Le Wallaby décroche. Les Seahawks sont au bout du fil. Immense soupir de soulagement.
« Ça a probablement été le plus beau jour de ma vie quand mon nom a retenti, » confie-t-il au Sydney Morning Herald en octobre 2018.
À Seattle, Dickson débarque dans un vestiaire où le Canadien rouquin Jon Ryan et sa bague de champion glanée deux ans plus tôt règnent sans partage depuis 7 ans. Un vestiaire où son accent australien ne va pas tarder à devenir l’une des attractions préférées de ses nouveaux camarades. Entre deux inévitables questions sur des kangourous que Michael compare funestement aux cervidés dont les cadavres tapissent les chaussées des routes forestières des États du nord des States, ils s’amusent à essayer de le faire parler comme un vrai Ricain. « Wa-ter » et non « wa-ta ». « Fy-ier » et non « Fy-ia ». Heureusement, Michael peut se venger sur l’accent polonais de Sebastian Janikowski. « Les gars l’adorent. C’est un bon gamin, » rassure le kicker, pas rancunier.
Ces plaisanteries mises à part, le punteur a beau avoir eu l’honneur rare d’être drafté et prendre la mesure du gage de confiance que cela représente de la part d’un Pete Carroll qui n’aura pas hésité à lâcher un choix de 7e tour aux Broncos pour grimper de sept positions et aller le chercher, il marche sur des oeufs durant tout l’été, intimidé par les 10 années d’expérience de l’ancien Blue Bomber et éphémère Packer.
« Je ne voulais tout simplement pas jouer les intrus où je ne sais trop quoi, » développe-t-il. « J’avais passé seulement trois années à Texas et j’avais eu le temps d’y développer une forte connexion. Alors je n’osais pas imaginer quel genre de relation (Ryan) entretenait avec Seattle. C’est pourquoi je n’ai jamais voulu m’immiscer dans sa routine et que j’ai tout fait pour lui témoigner autant de respect que possible. »
Un respect qui devient vite réciproque entre le bizut et le vieux briscard. Une rivalité saine dans une compétition saine. Surtout, malgré le duel qui les oppose, Michael trouve en Jon un sherpa pour guider ses premiers pas dans une NFL intimidante pour ce gamin de Sydney qui ne joue au football que depuis 3 ans. Au travers de nombreuses conversations teintées d’humour, le rookie en apprend plus sur les différents stades et les repères qu’il peut y trouver, sur les conditions climatiques, sur l’impact des éléments et tout un tas d’anecdotes, conseils, trucs ou astuces dont Dickson raffole sans modération. Il veut tout savoir. Essorer l’éponge Ryan jusqu’à l’assécher de toutes ses connaissances. L’apprenti punter tape, frappe, dégomme, cogne, moleste sans pitié des dizaines de ballons envoyés à l’abattoir. Tellement que le pauvre assistant désigné pour jouer le long snapper avec le rookie doit plonger ses mains dans la glace jusqu’aux coudes après chaque entraînement. Profitant de quelques coups d’éclat au cours des matchs d’août, Michael détrône son vénérable rival et Jon est finalement coupé en cours de pré-saison, consacrant la promotion du petit nouveau et son ascension fulgurante.
À 22 ans, le gamin de Kirrawee devient punter titulaire d’une franchise encore sous le choc du dénouement insensé du Super Bowl XLIX, mais qui cultive l’excellence depuis l’arrivée de Pete Carroll. Pour son tout premier match à Denver, il profite généreusement des plus de 1500 mètres d’altitude pour éjecter bombasse sur bombasse. En 6 dégagements, dont une ogive de 69 yards, il plante 4 ballons dans les 20 adverses et signe la moyenne délirante de 59 yards tout ronds. « Oh mon Dieu quel botteur, » se réjouit son coach en conférence de presse. Un jour à l’échauffement, le ballon reste en suspension dans les airs pendant 5,56 interminables secondes. Michael a la capture d’écran du chrono pour faire taire les sceptiques. Déjà épaté par son talent, le staff de Seattle savoure chacun de ses punts sans modération.
« Son talent était trop unique pour passer à côté, » explique le GM John Schneider à Seattlepi en avril 2018. « Il est capable de faire avec le ballon des choses que l’on avait encore jamais vu. Nous étions vraiment intrigués par ce qu’il pourrait nous apporter. Son jeu de pied est un truc incroyable. Je ne suis pas un expert en punteurs pourtant — avec les punteurs et botteurs c’est souvent une histoire de temps et de distance, mais ce type fait de ces choses avec le ballon, c’est dingue. »
Car au-delà d’une puissance de frappe très largement documentée et qui fait l’unanimité, Michael Dickson impressionne par sa maîtrise du cuir, son dosage, sa finesse, sa précision chirurgicale, tout en relâchement, grâce à laquelle il largue le ballon où il veut, coinçant l’équipe adverse contre sa propre peinture. Pete Carroll n’en revient toujours pas d’un extrait vidéo où l’ancien Longhorn dépose le cuir sur un missile de 60 yards. « Comment fait-il un truc pareil ? »
Sa technique, Michael n’aime pas particulièrement en discuter pourtant. Il aime encore moins regarder des highlights de ses coups de godasse.
« Je déteste regarder des vidéos de moi. Ça embrouille ma technique, » explique-t-il. « J’ai une technique bizarre. Je n’ai pas vraiment de régularité dans ma façon de frapper. Parfois je donne l’impression de taper un truc hideux et ça part à 60 yards. Mes coup de pieds les plus longs sont souvent les plus laids. »
Dickson préfère compter sur sa mémoire et une sorte d’indescriptible instinct de punter plutôt que sur des images parfois trompeuses. L’impression, l’impact, le toucher. Mieux vaut cogiter tout ça sereinement pendant quelques heures, gommer mentalement les erreurs et passer à autre chose plutôt que de perdre son temps à s’éclater la rétine devant un écran. Une approche singulière pour un joueur singulier qui aura sans cesse refusé de se plier à l’école traditionaliste pour développer un style de jeu personnel. Qui lui convient. Qui lui ressemble. Surtout, une technique à travers laquelle il peut exploiter ses années de footy plutôt que brider son potentiel en se bornant bêtement à imiter une approche contre nature pour lui. Plutôt que cette jambe ultra souple et à la fois tellement rigide, qui ne scille pas et reste droite comme un i, longiligne, et ce pied qui décolle du gazon pour aller effleurer le casque du bout des lèvres, le Sydneysider et ses réflexes de footeux austral frappent avec nettement plus de relâchement, une jambe légèrement fléchie et des épaules bien plus mobiles qui permettent de contrôler la trajectoire avec incontestablement plus de précision. Une danse classique très codifiée et poussiéreuse contre une danse contemporaine désarticulée et novatrice.
À l’approche scolaire, mécanique et conservatrice de ses pairs, Dickson oppose son feeling, sa faculté d’adaptation et sa spontanéité. « J’attrape le ballon et je frappe dedans, » résume-t-il. De toute façon, quand bien même on lui demanderait d’imiter le numéro de gymnaste de ses compères, il en serait incapable. « Je n’ai aucune souplesse. » Même les longues séances d’étirement ne changent rien à la raideur de ses muscles et de ses articulations. Pourtant, derrière cette désinvolture et cet entêtement presque insolent, se cache un véritable bosseur. Quand les punteurs consacrent généralement deux jours par semaine à réviser leurs gammes, Michael s’impose trois séances hebdomadaires intensives. Le mercredi, il exécute entre 60 et 70 dégagements. Le jeudi, le staff essaie de le limiter à 40. Le vendredi, pour la répétition générale, il s’astreint à 50 drops façon rugby moins éprouvants pour le corps. Le jour J par contre, son échauffement ressemble à une pilonnage en règle. Jusqu’à une centaine de coups de pied. Pendant le match, chaque fois que l’attaque est sur le terrain, il enchaîne les frappes dans le filet d’exercice situé derrière le banc, prêt à entrer en scène. Un phénomène unique.
Même le son provoqué par l’impact de son pied sur le cuir est plus sonore et différent des autres punters remarque Matt Berry, directeur des scouts de Seattle. Plein d’aplomb, il profite même de coups d’envoi réguliers ou d’onside-kicks pour ressusciter des drops façon rugby presque portés disparus depuis les années 30. Comme lors de son deuxième match en carrière à Chicago, lorsqu’il dépose un délicieux drop sur la ligne de un après que le coup d’envoi ait été avancé jusqu’aux 50 avec la complicité de l’indiscipline des hommes de l’Illinois. Une rencontre au cours de laquelle il impressionne Tarik Cohen, le retourneur des Bears, par sa précision.
Têtu, il trouve en Brian Schneider, coach des équipes spéciales de Seattle, une oreille étonnamment attentive.
« Je suis certain que beaucoup d’autres coachs NFL feraient tout pour que je change ma technique et me diraient, ‘Non, c’est comme ça qu’on doit punter. C’est comme ça que tu dois faire.’ Je suis sûr qu’un paquet de coachs d’équipes spéciales m’écoutent et se disent, ‘Quel imbécile,’ mais ça marche. »
Un entêtement dont Michael fait étalage en semaine 8 à Détroit, en octobre 2018. Ses hommes acculés devant leur peinture avec 14 points d’avance et un peu plus de 2 minutes à disputer, Carroll lui ordonne de concéder le safety. Les talons en tête-à-tête avec le fond de la endzone, le Wallaby capte le ballon et s’enfuie à petits pas sur la droite, semble patienter quelques instants que son gunner de droite déblaye le chemin et accélère subitement pour aller arracher le first down et se manger un tampon sandwich bien cherché. « Are you kidding me ? Are you kidding me ? » se répète en boucle le consultant de la FOX. Non tu ne rêves pas. Aussie Sweep. Pas rancunier pour un sou malgré l’insubordination de son joueur et le vent qu’il se prend en tentant de le féliciter au milieu d’un amas de congratulations viriles, le visage stupéfait et amusé de Pete Carroll en dit long sur l’admiration qu’il porte au culot de Dickson.
« Ils ont tous couru en pensant que j’allais dégager et soudainement le chemin s’est ouvert, » se justifie-t-il. « J’ai regardé par dessus mon épaule deux ou trois fois puis je me suis dit, ‘Allez c’est parti j’y vais.’ Je me disais juste, ’N’échappe pas le ballon. Ne l’échappe pas.’ »
Une incartade qui lui vaudra d’être nommé Special Teams Player of the Week et qui témoigne de la confiance totale qu’il porte en ses capacités. Le numéro 50 tracé au marqueur dans le creux de sa main en guise de mémo, un rituel hérité de ses années texanes, Michael préfère se reposer sur ses yeux pour visualiser les espaces et distances, les lignes entrecoupées de ces gros chiffres de peinture blanche, et faire abstraction de tous les autres facteurs. Le bruit de la foule, le vent, la pluie, le froid, la neige parfois, le ballon glissant, les snaps foireux, les protection poreuses. Aussi, il prend un malin plaisir à faire des choses que ses pairs ne font pas. Compétiteur né, il voit la concurrence comme un facteur de motivation supplémentaire. Si quelqu’un fait mieux que lui, il fera tout pour le surpasser. Et le bougre prend son pied à ce petit jeu.
Le culte de l’originalité du Sydnéen fait échos à sa plus grande crainte : devenir prévisible. Il veut pouvoir s’ajuster à ce qui se présente à lui. Au-delà des éléments et de tout un tas de paramètres extérieurs au terrain, il adapte ses coups de pied aux formations adverses. Configurations serrées autour de la ligne, prise à deux sur les ailes, un ou deux hommes en couverture dans le fond du terrain, profondément ou à distance raisonnable. Tous ces indicateurs lui permettent de déterminer la bonne zone à cibler et d’opter pour une surface à utiliser, tant sur le ballon que sur son pied. Spirale sifflante pour dompter le vent, vrille d’hélicoptère pour déposer le cuir où il veut, dégagement boomerang pour priver le retourneur d’une chance de faire parler sa vitesse et son instinct pour les grands espaces, fort d’un arsenal de coups variés, il revisite totalement l’approche du punting. Roi des rebonds en tout genre, il dompte autant qu’il peut le hasard de ce cuir oval si capricieux.
« Au lieu de frapper haut pour que le ballon reste longtemps en suspension, nous préférons taper bas avec un faible temps de suspension pour que l’adversaire n’ait aucune chance de retourner le ballon, plutôt que d’espérer qu’il ne le retourne pas, » explique-t-il au Sydney Morning Herald.
Un partie d’échec qui échappe bien souvent à l’oeil des caméras, mais à travers laquelle Michael prend un plaisir dingue.
« Parfois, j’oublie que c’est mon boulot, » confie-t-il à ESPN en décembre 2018. « Je prends ma voiture pour aller travailler, et j’adore ça. J’oublie que je suis payé pour faire ça. Je fais juste me pointer et m’éclater. »
Un jour sans entraînement, c’est un peu comme un repas sans fromage pour ce stakhanoviste passionné qui prend un plaisir non feint à expédier ogive sur ogive dans les airs
« J’aime m’entraîner, me pratiquer et m’améliorer, » explique-t-il à Bleacher Report. « Aller sur le terrain et punter n’a rien d’une contrainte pour moi. »
Pourtant, s’il avait croisé le chemin de ce rectangle hachuré de blanc et de cet autre ballon à lacet plus tôt dans sa vie, Michael aurait probablement davantage sollicité son bras que sa jambe.
« Je pense que si j’avais grandi [aux États-Unis], j’aurais joué à une autre position. J’aurais probablement été quarterback, » confesse-t-il à Stuart Randall d’ESPN. « C’est ce qui se rapproche le plus du Aussie Rules dans ma tête. J’aimais frapper dans le ballon au footy parce que tu choisis une cible, tu vises quelqu’un. Tu vois toutes les courses, tu vois l’action se déployer devant toi. »
À 22 ans, il est le premier punteur rookie depuis Dale Hatcher en 1985 à être convié au Pro Bowl. Comme si les joyeusetés de fin de saison ne suffisaient pas à son bonheur, il est également nommé 1st Team All-Pro. Après un léger fléchissement en 2019, Michael attaque la campagne 2020 avec le même panache et caracole dans le top 5 de toutes les catégories statistiques. Il lui aura suffit de deux saisons pour s’imposer comme l’un des tout meilleurs punters de la NFL. Coincé entre le Niner Mitch Wishnowsky et l’Aigle Cameron Johnston, il fait honneur à ces as du dégagement venus du fin fond du Pacifique Sud. Surtout, dans un sport de guerre de position et de gagne terrain, il rappelle aux plus sceptiques que les punteurs comptent. Punters are people too !