Quatre années. Quatre campus. Trois États. Deux sports. Une grosse balle orange bondissante. Un ballon à lacet fuselé. Un choix. L’ascension d’Antonio Gates, c’est l’histoire d’un véritable parcours du combattant. L’histoire d’un gamin prédestiné au basket qui atterrit sur un terrain de foot. L’histoire d’un futur Hall of Famer passé du football du vendredi soir au lycée à la grand-messe dominicale de la NFL sans jamais avoir disputé le moindre down sur les terrains universitaires. Un LeBron James malgré lui.
Un don maudit
Né à Détroit en 1980, Antonio grandit dans une ville sur le déclin, encore meurtrie par les chocs pétroliers et émeutes de la dernière décennie et qui tombe peu à peu en désuétude. La population fond à vue d’oeil, les classes moyennes aisées blanches désertent la métropole, la pauvreté enfle, les gangs prennent le contrôle des rues, la violence explose et la drogue gangrène les quartiers les plus déshérités de l’ancien fleuron de l’industrie automobile US. Motor City hérite du sinistre titre de Ville la plus dangereuse d’Amérique. « Je joue pour Détroit. Détroit m’a forgé, » lâchera Antonio à Trevor Huffman, futur coéquipier sur les parquets universitaires de Kent State. Là-bas, le salut passe par le sport. Le terrain ou les emmerdes. L’équation est simple. Et Gates la comprend vite. Aîné de 5 gamins, il se doit de montrer la voie. Le bon exemple.
« Quand j’étais jeune, tous mes amis fumaient du cannabis et se soulaient, » se souvient-il dans les colonnes du Daily Kent Stater en novembre 2002. « J’étais la lueur d’espoir. Si une personne dans tout le quartier devait parvenir à s’en sortir, ce serait moi. »
Soutenu par des parents aimants qu’il décrit comme ses héros sur feu son compte MySpace, Gates doit se conformer à des règles strictes. Jusqu’à son année de première, interdiction d’appeler ses amis au téléphone. Dans un environnement rigide, mais sain, Antonio se mue rapidement en star. Star avec la grosse sphère orange. Star avec le ballon ovale. All-State dans les deux sports, il porte les Trailblazers jusqu’au titre d’État sur les parquets. Dès le lycée, lorsque ses parents se séparent, il s’entoure de personnes aussi déterminées que lui et tourne le dos aux délinquant et criminels en herbe qui auront accompagné le début de son adolescence. S’il veut poursuivre des études universitaires, ce qu’aucun de ses parents n’est jamais parvenu à faire, il devra se débrouiller tout seul.
« Je voulais aller à l’université et devenir un sportif professionnel, » raconte-t-il à stack.com en 2011. « C’est à ce moment-là que la transition s’est opérée en moi : changer d’amis, changer de fréquentations et m’entourer de personnes qui voulaient la même chose que moi dans la vie. »
Le lycée achevé, 30 points de moyenne pour sa dernière année et un titre d’État sous le bras, il sillonne le pays pour prendre part à des tournois amateurs de basket et piétiner des gamins tous plus petits et frêles que lui, le colosse de Motown. Une formidable tournée d’auto-promo où l’ado fait étalage de tout son talent ballon en main. « Je voulais que le pays tout entier me découvre, et c’est comme ça que je suis devenu Antonio Gates. » Car si le football sonne aujourd’hui comme une évidence, sans le basket, il ne serait rien.
Dring dring ! Ses prouesses du printemps ne laissent pas insensible et le téléphone commence à chanter à tue-tête. Des programmes de basket de second rang d’abord, puis les grosses écuries de la Big Ten. Michigan. Ohio State. Mais aussi impressionnés qu’ils aient été par ses perfs de basketteur, c’est un casque vissé sur le crâne que les deux pachydermes du Midwest veulent Antonio. Un petit programme de basket pour poursuivre ses rêves de NBA ou une institution du football universitaire pour se paver une voie royale vers le monde pro ? Les semaines passent et les espoirs de voir une lettre d’un poids lourd du ballon orange se glisser dans la boite aux lettres s’évanouissent. Le doute s’installe jusqu’à ce que les Spartans de Nick Saban n’entrent dans la course avec une offre en or : une bourse d’étude tous frais payés pour porter les couleurs de Michigan State sur les parquets et le gridiron. Le head coach lui promet monts et merveilles. Un rôle de linebacker en défense, de tight end en attaque et l’assurance d’être drafté dès le premier tour d’ici quelques années. Lorsqu’il visite le campus d’East Lansing, il est comme un gamin à Disneyland. Il y découvre un monde dont il ignore tout et auquel il n’est pas préparé. La sensation de liberté totale qui s’en dégage le fascine et Antonio n’y réfléchit pas à deux fois. Un empressement qu’il regrette avec le recul des années. Michigan State, un campus pas comme les autres ? Pas vraiment. Juste un campus comme il en existe des centaines à travers tout le pays. Un monde de découverte, d’épanouissement, de laissez-faire. Un monde aux antipodes du centre-ville déshérité et miséreux d’une Motor City en pleine décrépitude. Au milieu d’une nuée de gamins escortés de leurs parents et encombrés de leur mini-frigo et de leur micro-ondes, Antonio et son petit sac de vêtements, paumé dans un univers dont il ne sait rien se souvient-il dans les colonnes du Daily Kent Stater du 20 novembre 2002.
Trahi par son double don de basketteur-footballeur. Trahi par sa naïveté. Trahi par son ignorance. Trahi par les bons mots de Nick Saban. L’ado déchante rapidement. L’opération séduction achevée et la pêche au gros poisson couronnée de succès, le coach des Spartans retourne sa veste comme le meilleur des agents double. Hors de question que son nouveau phénomène physique n’aille mettre ses chevilles en péril sur les parquets lustrés et glissants. Le stratège refuse de partager la garde d’Antonio avec Tom Izzo, coach des grandes tiges du basket. De véritable aubaine dans sa jeunesse, sa pluridisciplinarité est en train de ruiner son adolescence. « Je me retrouve là avec une bourse de footballeur, alors que je veux jouer au basketball. » Trompé par son coach, Gates abandonne East Lansing en janvier 99 après un semestre passé à soulever de la fonte et regarder ses coéquipiers du basket des tribunes, impuissant et terriblement frustré. Adieu la Big Ten, Antonio rejoint la MAC et Eastern Michigan. Là-bas, le temps d’un printemps, il caresse enfin son rêve d’athlète double-face. 10 points et un peu plus de 7 rebonds de moyenne par match en 15 titularisations avec les Eagles, son impact sur l’équipe est immédiat. La saison de basket pas encore achevée, il s’attaque déjà à préparer celle de football qui se profile à l’horizon. Puis c’est la sortie de route. Pour des raisons encore obscures, Antonio et un de ses coéquipiers sont suspendus pour un an pendant qu’un troisième est purement et simplement viré. « Violation du règlement interne, » d’après le coach Jim Boone. La version de Gates est différente. Son coloc de chambre et équipier sur les parquets aurait commis une erreur, le futur Charger aurait choisi de le couvrir plutôt que de le balancer et aurait écopé pour les deux. Dur à avaler pour un gamin au passé irréprochable.
« Je suis le meilleur marqueur et rebondeur de l’équipe, » explique-t-il dans le Daily Kent Starter. « Comment pouvez-vous me suspendre pour quelque chose que je n’ai pas fait ou dit ? Je n’ai aucun passé criminel. Je n’ai jamais commis le moindre délit. Je n’avais rien à voir avec tout ça. J’ai vraiment pris ça pour une injustice. »
Une injustice qui sonne comme un signal d’alarme pour Antonio. S’il ne veut pas voir son rêve de NBA lui coller un râteau, il doit empoigner son destin à deux mains au plus vite. Plus question de se laisser manipuler, tromper, valdinguer. Au printemps 2000, il déserte Eastern Michigan sans trop savoir ce que l’avenir lui réserve. Décidé à relever le niveau de son bulletin de notes, il s’enrôle au College of the Sequoias, un Junior College de Visalia, Californie. Pas de gazon verdoyant les samedi après-midi. Pas de parquets fraîchement vernis. Gates abandonne le sport pour les bouquins, la biblio, les salles d’étude et ajoute deux cours de plus au Ford Junior College de Détroit à son cursus. S’il délaisse la compétition, il s’entraîne tout de même avec les deux équipes pour garder son esprit au fait du jeu et son corps armé pour son grand retour. L’Université de Miami en Floride, Fresno State et Kent State lui offrent toutes une dernière chance. À lui de faire le bon choix.
Ancien assistant de Izzo ayant farouchement milité pour recruter Antonio à Michigan State, Stan Heath vient d’être nommé entraîneur en chef des basketteurs de Kent State. À la lecture de la nouvelle, Gates empoigne son téléphone, donne un coup de fil à Heath et se voit offrir un deal : « décroche un Associate Degree (diplôme se rapprochant d’un DEUG, BTS ou DUT dans le système d’études supérieures américain, NDR) et je ferai tout mon possible pour que tu nous rejoignes. » Antonio planche comme un fou furieux, remplit sa part du marché et reçoit un ultime signe que son destin l’attend là-bas quand un des ses anciens coachs au lycée rejoint le staff des Golden Flashes : ses rêves de sport professionnel renaitront de leurs cendres ou seront définitivement incinérés dans la petite université d’État du nord-est de l’Ohio. Un cadre moins oppressant, des visages familiers, des mecs qui le connaissent, qui le veulent sous leurs ordres et qui sauront le mettre dans les meilleures dispositions possibles pour poursuivre une folle ascension vers le monde professionnel au point mort depuis plusieurs années. Pour Stan Heath, « la pièce manquante au puzzle, » ce gros type dégoulinant de muscles qui se gave de rebonds, au QI basket scotchant et d’une versatilité rare. Pourtant, pour la première fois dans sa carrière de sportif, Antonio doit apprendre à ne pas être la star de son équipe. Un rôle dans lequel il se fond à merveille.
Mars 2002. Pour sa deuxième saison sur le campus bucolique de Kent, les recruteurs de tout le pays n’ont soudainement d’yeux que pour Antonio Gates. Pas de pro day monstrueux pourtant. Encore moins de Combine historique. Non. Portés par les 22 points et la flopée de rebonds habituelle de Gates, les Golden Flashes (10th seed) viennent de s’inviter dans l’Elite Eight à la surprise générale en écartant les Panthers de Pitt (3rd) quelques semaines après avoir décroché le premier titre de conférence de leur histoire et s’être débarrassés d’Oklahoma State (7th) et Alabama (2nd) en chemin. La folie du mois de mars sur les parquets universitaires aura rarement aussi bien porté son nom. Portés par un Gates devenu atout numéro un des siens au fil de la saison et qui turbine à près de 19 points et plus de 7 rebonds en 4 matchs du NCAA Tournament, Kent State s’incruste à la stupeur de tous dans les 8 derniers. Si leur folle épopée n’ira pas plus loin, brisée nette par le futur finaliste malheureux d’Indiana, l’ancien phénomène sorti des manufactures de Détroit vient de revenir sur la carte du sport universitaire US. Surtout, les recruteurs NFL se souviennent soudainement d’une chose : ce gamin sait jouer au football. D’ailleurs, malgré ses prouesses sur les parquets du Midwest, il ne fait aucun doute pour les scouts : il est taillé pour le ballon à lacet. Même Dan Pees, coach du programme de foot des Golden Flashes, lâche en blaguant le jour de l’annonce de son effectif pour la campagne à venir qu’il aimerait compter Gates parmi ses protégés.
Trevor Huffman, Andrew Mitchell, Demetric Shaw et Eric Thomas, leaders expérimentés de leur folle saison 2001-2002, tous partis tenter leur chance chez les pros ou explorer d’autres avenirs, Gates devient la star des Golden Flashes en 2003. Dans un effectif orphelin de Steve Heath, parti coacher les Razorbacks d’Arkansas, c’est son ancien assistant, Jim Christian, qui reprend le flambeau. Kent State décroche un nouveau titre de division dans l’Est de la MAC, mais échoue en finale de la conférence Mid-American. Pas de NCAA Tournament pour la dernière saison d’Antonio. L’enfant de Motown vient de vivre ses derniers émois sur les parquets. Pourtant, si pour bien des fans ou observateurs, son potentiel de footballeur dépasse de loin ses qualités de basketteur, pour Antonio, rien ne passe avant la balle orange.
« J’ai toujours aimé le basketball, » raconte-t-il dans le Daily Kent Stater. « Le basket est mon premier amour. »
Un amour à sens unique. Un ailier fort d’un mètre 93 ? Rédhibitoire en NBA. Pour les recruteurs, il est un tweener : ce joueur bon à deux postes, mais exceptionnel à aucun. Encore une fois, Antonio paye le prix fort de sa versatilité. Surtout, il paye le prix d’un sport professionnel qui valorise bien souvent davantage les mensurations que le talent brut.
« Je me suis fait remarquer grâce à ma faculté à bouger vite et bien sur le court en dépit de mes 120 kilos, » explique-t-il à stack.com en 2011.
Dans l’ombre de la grosse balle orange, indirectement, le football aura forgé sa carrière d’athlète universitaire. Sans lui, jamais il n’aurait atterri à Kent State. Pourtant, jamais il n’a joué le moindre match NCAA sur un gridiron. Dallas Clark, le premier de la classe. Jason Witten, le talent sommeillant drafté au 3e tour. Visanthe Shiancoe, une carrière honorable devant lui. Et une flopée de noms tombés dans l’oublie. Mais pas d’Antonio Gates. Le Combine s’était passé de ses services, la draft en fait de même. Après tout, pourquoi sacrifier un précieux choix sur un basketteur.
Terra Incognita
Son déficit de centimètres fatal pour se rêves de NBA, l’agent de Gates lui recommande chaudement d’aller faire la cour aux recruteurs du ballon à lacet. Malgré une expérience de footballeur qui ne dépasse pas les portes de son dernier lycée, pas moins de 19 franchises NFL se positionnent pour des essais privés. San Diego décroche la pole. Antonio ne rencontrera aucune autre équipe. Convaincus de son immense potentiel, les Chargers le signent immédiatement. Agent libre non-drafté n’ayant pas foulé un terrain de foot depuis des années et tiré un trait sur son rêve de gosse, quand Antonio déboule dans l’extrême sud de la Californie au début de l’été 2003, il n’a rien d’un footballeur se souvient Drew Brees : « C’est un joueur de basketball qui a débarqué chez nous. Sa métamorphose en tight end NFL est bluffante,» se souvient l’ancien quarterback des Chargers dans les colonnes du L.A. Times en 2017.
Basketteur accompli, mais footeux presque revenu à la case départ, Gates arrive en catimini au camp d’entraînement des Bolts. Sans trop y croire. Au milieu de dizaines de mecs qui auront sué, respiré, bouffé, dormi au rythme du football depuis des années, il détonne. Une anomalie.
« C’est assez incroyable, » se rappelle son coéquipier de l’époque, Donnie Edwards, sur ESPN.com en 2004. « Il a joué au football au lycée, mais tout le monde joue au foot au lycée, je veux dire, même le caissier au dépanneur du coin a joué au football au lycée. »
Replongé dans un sport dont il a tout oublié, dont il ignore toutes les évolutions, sa transition s’annonce longue. S’il ne doute pas un instant de sa capacité à réapprendre un football délaissé depuis des années, il sait que cela prendra du temps. Oublier les vieux réflexes pour rapprivoiser une discipline aux allures de vague souvenir. Un défi tout sauf insurmontable pour Antonio. Un casse-tête pour des coachs qui s’arrachent les cheveux devant ce tight end qui s’évertue à vouloir jouer comme un basketteur. Pourtant, rapidement, ses mouvements et déplacements inédits sur un terrain de foot, commencent à porter leurs fruits et laisser les défenseurs sur le cul se souvient Drew Brees.
« Il raconte qu’il a soudain eu un déclic : il allait joueur au football de la même manière qu’il jouait au basketball, les post-up dos au panier, ce genre de moves. Il se démarquerait sur le terrain de la même manière qu’il se démarquait sur le court. Au début, c’était vraiment révolutionnaire. Personne ne faisait ça. Personne n’enseignait vraiment ça. Quand il a commencé à faire ça à l’entraînement, il se faisait engueuler. […] Aujourd’hui, c’est devenu la norme. »
Un don inégalé pour se démarquer et pour la première fois depuis des années : un avantage de taille. Modèle « réduit » sur les terrains de basket, Antonio et son mètre 93 ne passent pas inaperçus dans le coeur du jeu. Trop rapide pour les linebackers, trop grand pour les cornerbacks et safeties, il est le prototype du tight end du futur. Pourtant, même avec ses centimètres en extra, au fond de lui, Gates demeure ce joueur trop petit et continue à jouer comme tel.
« En tant que joueur de basket, mon déficit de taille me poussait à donner le maximum de moi-même. J’ai découvert ce juste milieu en arrivant dans la NFL. J’ai pu trouver ce créneau et l’appliquer, » se souvient-il dans les colonnes du LA Times en septembre 2017. « En réalité, je suis toujours plus gros que tout le monde. Cela m’a permis de rester régulier sur la durée. Ce que je n’ai jamais perdu par contre, c’est mon insécurité vis-à-vis de mon déficit de taille. J’agis comme un gars trop petit, et j’ai eu du succès en étant ce gars trop petit. »
Une vitesse d’exécution et des qualités athlétiques presque injustes pour un Bibendum de son calibre, des mains d’orfèvre dans le trafic et, surtout, une vision du jeu sans commune mesure. Habitué à se mouvoir sur un parquet où tout va à 100 à l’heure, où les écrans et les déplacements se multiplient et vous font vriller les cervicales, sur un terrain de football plus grand et moins surchargé, Antonio voit tout plus vite que tout le monde. Très rapidement, il passe maître dans l’art de trouver les intervalles, les petits espaces délaissés où se planter face à son passeur pour attendre tranquillement que le ballon vienne se coller dans ses gants comme une mouche dans une toile d’araignée. S’il se retrouve avec un linebacker sur le dos, il sort le gadgeto-vivacité pour s’en débarrasser. Si un defensive back vient traîner dans ses pattes, il use de sa taille pour le battre. Capable de s’imposer physiquement comme athlétiquement face à n’importe quel type de défenseur, il devient un casse-tête pour les coordinateurs adverses. Dans la endzone, il attrape les touchdowns comme il agrippait les rebonds dans la raquette se souvient Drew Brees : « Il attaque le ballon. Il avance et va le chercher. Il tient certainement ça de ses années de basket. »
Pourtant, en 2003, relégué au fin fond du roster, Antonio doit encore gommer ses vieux réflexes pour avancer dans sa lente transition. Mais autour de lui, c’est l’hécatombe. Les tight ends tombent au champ d’honneur les uns après les autres et le natif de Détroit grimpe les échelons un à un sans le moindre effort. Propulsé en avant par les événements. Celui qui espérait juste passer les cuts successifs pour éventuellement intégrer le practice squad se retrouve soudainement sur la feuille de match, en uniforme un dimanche après-midi. « Ils vont me laisser le temps… Après tout, je n’ai plus joué au football depuis le lycée, » se rappelle-t-il dans le New-York Post en janvier dernier. En semaine 4, la peur au ventre, aligné face à Rod Woodson, « le mec du jeux vidéo » dixit Gates, il se retrouve déjà à convertir des 3e essais cruciaux sur le casque du futur Hall of Famer. À la fin du match, une évidence : « J’ai ma place ici. Vous savez quoi ? Ce gars est incapable de me marquer. Je me moque de qui il est. »
Une semaine plus tard, de simple figurant, il devient un second rôle précieux de l’attaque emmenée par Drew Brees et apparait même comme titulaire sur la feuille de match pour la toute première fois. Le 9 novembre contre les Vikings, il fait la rencontre de la peinture fraiche de la endzone. Un mois plus tard face aux Packers, il efface tranquillement la barre des 100 yards, confortablement assis dans un fauteuil de titulaire qu’il apprivoise un peu plus à chaque match dans une saison bien terne d’un point de vue collectif, seulement illuminée par les prouesses hebdomadaires de LaDainian Tomlinson, premier coureur à attraper 100 ballons et galoper 1000 yards dans l’histoire de la ligue.
Chaque matin, les chevilles et les côtes meurtries par le rentre dedans incessant de 80 minutes de match, Antonio Gates sent le joueur de football grandir et mûrir un peu plus en lui. Il le sent, il le vit. Pourtant, les premières semaines auront mis son corps et ses nerfs à rude épreuve.
« Quand j’ai débarqué ici je me suis dit, ‘Aucune chance que je joue au football.’ Ces mecs sont trop gros. Ils cognent trop fort, » lâche-t-il en riant à ESPN en 2017.
En 2004, redevenu footballeur dans l’âme et dans le corps, il passe à 36 unités d’éclipser la barre des 1000 yards, agrippe 13 touchdowns records pour un tight end dans un style révolutionnaire, inaugure son premier match de playoffs d’un nouveau touchdown et, après une élimination dès le premier tour, récidive quelques semaines plus tard au Aloha Stadium d’Honolulu pour son dépucelage du Pro Bowl. 16 ans plus tard, basketteur arrivé sur la pointe des pieds dans la NFL, Antonio Gates n’en finit plus de réécrire l’histoire de son poste. Mais dans un coin de sa tête, demeure un regret éternel : celui de ne pas avoir tenté sa chance sur les parquets. Celui de ne pas s’être vu accordée cette chance. Un regret qui le ronge, qui aura forgé sa formidable carrière sur le gazon et qui, aujourd’hui encore, agit comme une inépuisable source de motivation : « Quelqu’un doit payer pour ça. »
À Oakland, le jour d’Halloween 2004, dans une démonstration de force de Drew Brees, Antonio s’élève dans les airs pour aller cueillir l’un de ses deux touchdowns de l’après-midi au milieu d’une défense spectatrice. Hagarde. Le ballon bien calé dans les mains, le numéro 85 prend son élan, marque son appui avec force, se propulse dans les airs et vient éclater le cuir par-dessus la barre latérale jaune des poteaux. Slam dunk. Quand le passé rencontre le présent. Quand le basket rencontre le foot. La boucle est bouclée.