Wes Welker est un mythe. Le David contre Goliath sauce gridiron. Ce joueur touche-à-tout trop petit pour une NFL qui se borne aveuglément à tout voir en grand. Une NFL qui ne voit qu’en grand. Une NFL de la démesure qui trop souvent snobe des talents immenses pour un pauvre déficit de centimètres sous la toise. Car contrairement à la taille, le talent n’est pas quantifiable, lui.
Footballeur tout-en-un
Après une enfance passée à courir après un ballon rond sur les terrains de foot d’Oklahoma City, Wes troque son confortable maillot de soccer contre l’encombrant et pesant uniforme du football. Il a à peine 12 piges et est haut comme trois pommes. Les sceptiques sont nombreux, déjà, mais le gamin veut qu’on lui donne sa chance, convaincu d’avoir sa place sur le rectangle vert lacéré de blanc. Et il se trouve dans le staff de l’équipe de football de la Heritage Hall High School un allier providentiel : Craig Brown. Wes vient de boucler la première séance d’entraînement de sa carrière balbutiante et le palpitant de son entraîneur est déjà dans tout ses états. Le lycée tient sa prochaine star, le gamin qui réécrira leur livre des records d’ici les 4 prochaines années. L’oeil affuté de Craig a vu juste et son enthousiasme contamine rapidement le reste du staff.
La semaine suivante, Wes est titulaire. À la fin de la saison, il n’a pas goûté à la défaite une seule fois dans un rôle de couteau suisse aux quatre coins du terrain. Receveur précis dans le slot, running back insaisissable dans le backfield offensif, safety malin dans le fond de la défense, en couverture sur les équipes spéciales, en tant que retourneur de coups de pied ou dans un rôle de kicker qui lui apprend à dompter la pression, toutes les occasions sons bonnes pour être au coeur de l’action.
« J’aimais juste jouer, » se souvient-il sur fansided.com en 2018. « Tu ne sais jamais combien de matchs tu vas avoir la chance de jouer, tu ne sais jamais… alors il n’était pas question de quitter le terrain. Jamais. »
Face à une faible adversité en Class 2A, l’avant-dernière division scolaire de football en Oklahoma, Wesley s’éclate. 3235 yards et 53 touchdowns au sol, 174 réceptions, 2551 yards et 27 touchdowns dans les airs, 7 retours de coups de pied jusque dans la peinture, 581 plaquages, 9 fumbles recouverts, 22 interceptions et 3 pick-6, 35 field goals dont une ogive de 57 yards et 165 conversions pour un total pantagruélique de 818 points. Des chiffres insensés. Il coche la moindre case de sa fiche statistique jusqu’à l’épuisement le plus total. Quand tout le monde s’aligne pour convertir un touchdown, il n’est pas rare de voir Wes faire quelques pas sur le côté, soulever son casque et se vider le bide, l’estomac mis à mal par le rythme démentiel qu’il s’impose. Le terrain, il ne le quitte que quand les siens doivent dégager le ballon. À contrecoeur. Une soif de jeu presque absurde. Une bénédiction pour ses entraîneurs.
« Tu veux toujours d’un gamin qui ne veut jamais sortir, » se souvient Andy Bogert, OC des Heritage Hall Chargers à l’époque, sur ESPN en février 2008.
En 98, emmenée par Wes et son meilleur pote de quarterback, Graham Colton, la HHHS est imbattable. Le premier chapitre de sa légende, Wes l’écrit en playoffs cette année-là. Menés de 7 points à 13 secondes de la fin par leurs rivaux de Davis, le gamin inscrit 10 points et renverse totalement le match. Un plongeon dans la peinture pour combler le dernier yard, la conversion pour égaliser, un onside kick salvateur pour y croire, une petite passe et Welker dompte les rafales pour expédier le ballon 39 yards plus loin, entre les perches jaunes, dans un dénouement épique. 41-38. En finale d’État face à un lycée de Tishomingo invaincu lui aussi, il récidive : 150 yards cumulés en attaque, trois touchdowns, de précieux mètres sur retours, une interception et un coup de pied de mammouth de 47 yards pour arracher le titre d’un petit point. Footballeur total.
« Il est la définition même d’un sportif, » raconte Graham Colton en février 2008, son ancien quarterback devenu musicien « Peu importe l’enjeu, il veut gagner… J’ai toujours dit que Wes serait capable de jouer au foot devant des tribunes désertes et moi de jouer de la musique devant une salle vide. Nous sommes des passionnés. »
En dépit d’une dernière année de lycéen tout aussi brillante au cours de laquelle les Chargers ne s’inclinent qu’une seule fois, Wes s’apprête à relever le plus gros défis de sa jeune carrière : prouver qu’il a sa place à l’échelon universitaire. Et pas dans un programme de bas étage. Convaincu du talent unique de son protégé, Rod Warner, directeur du département athlétique du lycée, envoie lettres et VHS à une douzaine de programmes. En vain. Trop petit, trop lent, quand réponse il y a, c’est toujours la même. La réplique de Warner ne varie pas, elle non plus : « Je ne sais pas à quel point il est rapide. Tout ce que je sais, c’est que personne n’est capable de l’attraper, donc j’imagine qu’il va plutôt vite. » Est-il le plus rapide ? Certainement pas. La force de Welker ballon en main réside dans sa vision du jeu, son instinct pour les grands espaces, son explosivité, son centre de gravité bas lui permettant de naviguer entre les plaquages et sa remarquable faculté à anticiper les déplacements des défenseurs pour mieux les laisser sur place et venir se planter dans les espaces laissés sans protection. La précision de ses trois premières foulées est souvent létale. Mais à côté de chiffres alignés sur une feuille blanche, tout ça ne pèse pas bien lourd. Face à l’obstination des recruteurs, la frustration gagne chaque jour un peu plus Warner.
« C’était rageant de voir ces types débarquer et lancer des, ‘ Wouah !’ ou bien des, ‘Oh mon Dieu ! Regarde cette action, regarde cette action. Au passage, ne comptez pas sur nous pour lui offrir un bourse d’études.’ C’était frustrant. Rendu là, je me disais, que doit-il faire ? »
Seule la petite université de Tulsa daigne lui accorder sa chance et l’invite sur le campus. Tout ça pour se faire dire par Keith Burns, fraîchement débarqué à la tête du Golden Hurricane, qu’il a épuisé tout son stock de bourses d’études. Oups. Dégoûtée, Shelley, la mère de Wes, plaide qu’il ne regrettera jamais de donner sa chance à son gamin. « Et vous pensez que je devrais être coach des Dallas Cowboys, mais ça n’arrivera jamais, » lui balance le coach, plein de tact. Autant consternée qu’abattue, la petite famille tourne le dos et quitte Tulsa. En deux ans, Burns le génie ne remportera que 7 de ses 35 matchs.
The natural
Le signing day passe et toujours rien en dépit des 105 faxes expédiés par Warner à travers toute la NCAA pour propager la bonne parole : son poulain est toujours disponible. Calme plat. Puis une lueur d’espoir. Quand il voit un petit bout de papier débarquer dans son fax en provenance de l’Oklahoma, Mike Leach, ancien coordinateur offensif des Sooners pendant une petite saison fraîchement nommé à la tête de Texas Tech, se souvient vaguement d’avoir entendu parler de ce gamin d’à peine un mètre 75 qui éblouissait les terrains de lycée de l’État tous les vendredi soirs. Ses stats et son incroyable versatilité l’impressionnent. Ses mensurations le rebutent. Sa faculté unique à produire gros jeu après gros jeu sur les bandes vidéo transmises par Warner finissent par le convaincre de tenter le coup. Un pari au faible risque. Surtout qu’une recrue qui avait donné son accord oral vient de lui poser un lapin pour filer à Boston College et qu’il lui reste une bourse d’études vacante. L’offre est trop belle. Leach lui donne plusieurs jours pour y penser, Wes accepte en un fraction de seconde. « Je ne sais pas si vous être au courant, mais je n’ai aucune autre offre, » se souvient-il lui avoir rétorqué sur fansided.com. Gamin trop petit et trop lent, regardé de haut pour avoir piétiné des adversaires au niveau misérable pendant 4 ans et qui était à deux doigts de rejoindre n’importe quel programme d’Oklahoma sans la moindre bourse en poche, Welker se retrouve dans la Big 12. En Division I. Tous frais payés. Le grand écart.
Le jour de l’annonce des recrues sur le campus de Lubbock, un gringalet paumé au milieu de montagnes de muscles capables de péter des chronos de feu sur la piste d’athlétisme et de tirer des camions à bout de bras. Des phénomènes physiques aux regards bas, gagnés par le doute et le stress. Quelques centimètres plus bas, Wes Welker, la tête haute, les sourcils froncés et le regard rivé droit devant lui. Le visage gonflé de confiance. Coach des quarterbacks, Kliff Kingsbury est prudent. À la limite du scepticisme. Il ne connait rien de ce gamin, ne l’a jamais vu jouer et mesure 16 centimètres de plus que lui. Directeur des opérations sportives du programme de foot de Texas Tech ayant milité pour faire venir Welker, Tommy McVay sent la pression.
« Toute cette histoire me rendait extrêmement nerveux, parce ce que je risquais mes fesses dans tout ça, » se remémore-t-il en 2015. « Alors j’ai demandé à Kliff, ‘Kliff, est-ce que ce gamin est bon ?’ et il m’a répondu, ‘Coach, il ne rate pas un ballon. Tout ce que je lui balance, il l’attrape.’ Et je lui ai dit, ‘Merci beaucoup !’ »
En 4 saisons en terre texane, il va de nouveau empoigner sa plis belle plume pour réécrire le livre des records du programme, porté par une détermination sans faille et un talent évident qui transpire de tout son être et lui doit le surnom de The Natural.
Retourneur rapidement reconverti receveur à temps plein dans un système offensif qui aime s’envoyer en l’air, Wesley se goinfre, se gave, s’éclate. Bref, il prend un pied immense et est instantanément adopté par les fans des Red Raiders. 259 réceptions, 3069 yards, 21 touchdowns, près de 500 yards au sol, deux petits touchdowns de plus et 8 punts retournés dans la endzone records en première division universitaire à l’époque et qui lui doivent de recevoir en 2003 le Mosi Tatupu Award honorant le meilleur joueur d’équipes spéciales. Malgré quatre saisons passées à tyranniser des linebackers et safeties trop lourds et trop lents pour le suivre dans l’attaque Air Raid ultra moderne de Texas Tech, Welker n’est pas invité à Indianapolis pour le Combine. Probablement trop petit pour que ça en vaille la peine. Comme 4 ans plus tôt, la même sempiternelle question : sera-t-il capable de franchir la prochaine marche ? La réponse de la NFL, une draft 2004 qui s’écoule sans que jamais son nom ne soit appelé. Car si un casque vissé sur la tête, Wes le footballeur séduit, son uniforme mis de côté, Wes l’athlète peine à emballer. Un non-sens made in NFL. Undrafted. Le nom qu’il donnera à son cheval de course quelques années plus tard.
Perdu dans la masse des joueurs non-sélectionnés, il est signé par les San Diego Chargers et prend son mal en patience, « prêt à tout pour intégrer l’équipe, » pour reprendre ses mots. Souvent laissé de côté en attaque et frustré de ne presque jamais voir le ballon pendant la préparation estivale, il apprend le playbook par coeur, se glisse discrètement près du huddle, écoute attentivement le jeu appelé et se dirige vers la ligne de côté, dos à l’action, pour exécuter son tracé dans la direction opposée, tout seul. Ses coachs commencent enfin à remarquer ce bourreau de travail qui sublime son faible potentiel athlétique comme personne, l’intègrent à la mise en place offensive et découvrent un mec bourré de qualités. Profitant de ses talents de retourneur, Wes passe les cuts les uns après les autres. Actif pour le premier match de la saison, au cours duquel il remonte 4 coups d’envoi, il est coupé abruptement le lendemain pour récupérer le safety Clinton Hart sur le waiver. Au grand dam d’un Philip Rivers qui aurait aimé le voir dans le sud de la Californie pendant de nombreuses années. « Ma plus grosse erreur, » concédera Marty Schottenheimer, coach des Chargers à l’époque. Pas le temps de se remettre de ses émotions, il décline une place sur le practice squad et s’envole direction une autre destination ensoleillée : Miami.
Là-bas, à quelques bornes de Sunset Boulevard, il ne tarde pas à entrer dans l’histoire de la NFL. Le 10 octobre face aux… Patriots, volant au secours d’un Olindo Mare blessé, il devient le premier joueur à frapper un coup d’envoi, une conversion, un field goal et retourner un kickoff et un punt dans la même rencontre. 6 ans plus tard, il poursuivra son sans faute au pied chez les pros en passant une conversion sous l’uniforme des Pats. Après une saison passée à s’époumoner sur les équipes spéciales, les Dolphins réalisent qu’il pourrait se révéler utile en attaque. Promu troisième homme dans l’escouade de receveurs par Nick Saban, il passe 2005 à courir après son premier touchdown aérien. En vain.
Ça n’est pas la taille qui compte
2005 aura été l’année de la révélation, 2006 sera celle de la confirmation. 67 réceptions, 687 yards et enfin un touchdown dans un rôle de pompier de service dans le petit périmètre. Tranquillement, Wes Welker impose son style. Repéré par Bill et Tom lors de leurs doubles confrontations annuelles, le receveur arrive au bout de son contrat et pointe en tête des priorités des Pats. En mars 2007, ils envoient des choix de 2e et 7e tour en échange du slot receiver. Un mois plus tard, ils n’auront besoin que d’un 4e tour pour s’offrir le génial Randy Moss, en quête d’un second souffle après être allé se perdre dans la baie de San Francisco.
En Nouvelle-Angleterre, le coordinateur offensif Josh McDaniels dessine un nouveau plan de jeu sur mesure pour le petit numéro 83. Exploiter au mieux ses skills, ses mains fiables dans le trafic, sa solidité au contact et son incroyable faculté à s’isoler et se démarquer. Deux mecs aux parcours atypiques et au sens du jeu inné, la connexion avec Tom Brady est instantanée. Comme une évidence. « Le coeur d’un lion dans un corps de 85 kilos, » se souvient le quarterback.
En véritable porte-drapeaux de ces petits formats souvent regardés de haut, Wes aura su définir les traits d’un nouveau style de joueur : pas le plus athlétique, pas le plus grand, pas le plus gros, pas le plus rapide, mais une faculté à se démarquer hors norme, une intelligence situationnelle sans pareil, des mains d’orfèvre et un don naturel pour desceller les espaces avec ou sans le ballon sous le bras. Le mismatch parfait face à des linebackers souvent plus lourds. Plus qu’un simple slot receiver, il est un Wes Welker. Un nouveau poste à part entière. « Quand on se met à décrire une receveur juste en mentionnant votre nom, cela veut dire que vous avez accompli quelque chose de spécial, » reconnaît Peyton Manning en 2015. « Un receveur à la Welker. Wes a créé ce genre de joueur, » renchérit Bill O’Brien, coach assistant des Pats pendant plusieurs saisons. Un héritage acquis à la sueur de son front. À force d’un travail acharné, d’une détermination à toute épreuve et d’une éthique professionnelle absolument irréprochable. Car quand la nature ne vous gâte pas d’un physique de cyborg bâtit pour tout défoncer, la différence se fait dans la tête, porté par un savant mélange de passion pour le jeu, de rage de prouver à tous ses détracteurs qu’ils se sont trompés et d’une incroyable rigueur.
112 réceptions, 1175 yards et 8 fois plus de touchdowns en une seule saison que depuis le début de sa carrière, 4 ans plus tôt. Dans la fraîcheur bucolique de la Nouvelle-Angleterre, Wes explose et impose un style révolutionnaire. Après des décennies passées à snober les petits formats, la NFL réalise enfin que le talent ne se mesure avec une toise. Car tout ne se résume pas à une histoire de centimètres.