À 45 semaines du Super Bowl LII, épisode 6 de notre rétrospective exceptionnelle, le Super Bowl VI.
Dallas Cowboys (NFC) vs Miami Dolphins (AFC) – 16 janvier 1972
Les Chiefs en 70. Les Colts en 71. Depuis 2 ans, le Super Bowl sourit aux malheureux. Deux ans plus tôt, terrassés par les Packers lors du Super Bowl I, les hommes de KC déjouaient tous les pronostics et envoiaient les Vikings au Walhalla. Un an avant, humiliés par les Jets de Joe Namath lors du Super Bowl III, les Colts recevaient la bénédiction des dieux du football et dégoutaient les Cowboys au bout du suspense et du grotesque. Grands battus de l’une des plus grandes farces jamais écrites par la NFL, les hommes de Tom Landry espèrent que le sort leur sourira. Après tout, jamais deux sans trois. Après Kansas City et Baltimore, c’est à leur tour d’essuyer leurs grosses larmes.
Les Razmoket
Un an après leur gifle aussi molle que douloureuse du Super Bowl V, les Cowboys ont toujours cette vilaine étiquette de gentils losers collée au casque. Ceux qui se ramassent les pieds dans le tapis dans les grands matchs. Les éternels champions de demain. Seulement, chaque année, demain semble un peu plus s’éloigner. Et la défaite jusqu’au bout du ridicule face aux Colts en janvier 71 n’a rien arrangé. Pas de quoi vaincre l’incroyable confiance et détermination de Tom Landry. Confirmé à son poste et même grassement augmenté, le tacticien est pourtant sur la sellette. Et comme un an plus tôt, tout ne va pas pour le mieux à Dallas. Le duel entre Craig Morton et Roger Staubach continue de plomber un groupe qui peine à enchaîner. 4 victoires, 3 défaites. À la mi-saison, Dallas est toujours en course, mais navigue à vue. Coincés entre le peloton de tête et le gruppetto.
Après d’interminables semaines de controverse contreproductive, Landry tranche et file les clés du rutilant truck à Roger Staubach. Les Boys ont enfin un leader identifié. La fête peut enfin commencer. Ils ne perdront plus de la saison. Une fin d’année en trombe, sept succès et un ticket doré pour les séries. Derrière une ligne 5 étoiles de All-Pro, pro bowlers et futurs Hall of Famers, le quarterback texan s’offre la meilleure évaluation de la ligue. Et s’il n’affole pas vraiment les compteurs statistiques, il a enfin appris à prendre soin du ballon. 15 touchdowns, 4 interceptions et des yards précieux arrachés au sol. Le sol, la véritable force de l’attaque des Cowboys. Walt Garrison, Duane Thomas et Calvin Hill. A three-headed monster. 1690 yards et 14 touchdowns qui pavent la voie de l’impressionnante fin de saison de la franchise texane, malgré le mutisme total de Thomas, tant avec la presse que ses coéquipiers, vexé de ne pas avoir vu son contrat renégocié après son excellente saison de rookie.
De l’autre côté du ballon, le parfum des playoffs a de nouveau réveillé la Doomsday Defense. Un pro bowler infatigable sur la ligne, un trio de linebackers à tout faire et un duo de cornerbacks en route vers le Hall of Fame. Pendant les 14 quart-temps qui les séparent du Super Bowl, ils n’encaisseront qu’un seul touchdown. Seuls les Vikings parviendront à casser le verrou. La même formule qu’un an plus tôt, l’expérience et un amer goût d’inachevé en plus. La franchise du Minnesota écartée, les Niners étouffés, Dallas ira chercher sa revanche sur le destin avec la confiance gonflée à 120%. Parmi les joueurs, une certitude : l’échec de l’hiver dernier ne se reproduira pas. C’est impossible.
Face à des Cowboys qui rentreront bientôt en 5eme, des Dolphins encore au biberon. La franchise de Miami n’a que 5 ans et déjà tout d’une grande. Derrière son jeu au sol survitaminé, elle piétine la concurrence. Larry Csonka sculpte déjà les contours de son buste à Canton en engloutissant 1051 yards et en marquant 7 fois, pendant que le versatile Jim Kiick dévore 1076 yards au sol comme dans les airs. Attaque totale, le MVP Bob Griese illumine le ciel floridien de ses plus de 2000 yards et 19 touchdowns, bien aidé par un Paul Warfield étincelant. Dans le rôle de la nounou, un Don Shula qui voudra effacer l’humiliation du Super Bowl III de son CV.
Si Landry est incapable de citer le moindre défenseur de Miami, il est sûr d’une chose : ils seront pénibles à manier. No-Name Defense. Vous ne les connaissez peut-être pas, mais eux, oui. Emmenés par le linebacker Nick Buoniconti, futur Hall of Famer, les Dolphins s’imposeront 8 fois de suite, en route vers le premier titre de division de leur jeune histoire et un bilan de 10-3-1. S’ils ne découvrent pas les playoffs, jamais ils ne s’y sont imposés. Un an plus tôt, leur première aventure en séries s’est arrêtée net, dès le premier tour. Inexpérimentés, les hommes de Don Shula vont surprendre tout le monde et s’offrir le scalp des deux derniers champions. Les Chiefs s’inclinent en prolongations, jusqu’au bout du suspense, dans le match le plus long de l’histoire, les Colts sont asphyxiés en finale de conférence. Personne ne les avait vus venir, les Dolphins s’envolent vers le Super Bowl.
Fiesta à NOLA
À La Nouvelle-Orléans, si le soleil est au rendez-vous, la douceur, elle, manque cruellement à l’appel. 4 petits degrés au thermomètre. Inhabituel pour l’époque dans ce coin du pays. Le Super Bowl le plus froid qu’on ait connu jusque là. Le Super Bowl le plus froid jamais disputé depuis. Pas de quoi dissuader plus de 80 000 fans de débourser 15$ dollars de leur poche pour être les témoins privilégiés de ce qui chaque année se transforme en gigantesque show. Et pas seulement sportif. En l’espace d’un an, le nombre de journalistes a doublé. À côté, le Super Bowl I ressemble à une kermesse de village. Le stade est envahi de fans venus des quatre coins du pays. Plus seulement de locaux. Plus question d’un simple prétexte à rassembler quelques milliers d’accros du ballon à lacet, en janvier 72, l’événement se transforme en véritable rendez-vous économico-commercial raconte Gil Brandt, dirigeant de Dallas à l’époque. Bienvenue dans une nouvelle ère. Pour la première fois depuis la fusion entre l’AFL et la NFL, un logo XXL de la National Football League trône en plein cœur du terrain.
Pour Tom Landry, le plan de match est simple. Neutraliser Paul Warfield en attaque et dégoûter Nick Buoniconti en défense. Les deux joueurs clés. Un cornerback All-Pro sur l’épaule gauche, un safey pro bowler sur l’épaule droite. Le meilleur receveur de la saison ne verra pas le jour.
« Disons qu’ils l’ont éteint, » résumera Roger Staubach.
Pour Buoniconti, même combat. Pas question de le laisser ruiner le jeu au sol explosif des Cowboys. Joueur d’instinct, malin et incroyablement réactif, Landry lui assigne deux linemen sur le dos. Une prise à deux, des appels futés à coup de counters et courses déguisées, savamment saupoudrées de cuts ravageurs, marque de fabrique de Duane Thomas, plus expressif sur les terrains que devant les micros. La recette va faire des merveilles.
Après le traditionnel échange de punts inaugural, Csonka rate l’échange avec son quarterback et signe le premier fumble de sa saison au pire des moments. Walt Garrison galope et met les siens à distance des poteaux. Staubach mange le gazon, on fait machines arrière. Bob Hayes fait parler sa vitesse, 1st & goal. Un véritable yo-yo offensif. La défense floridienne fait front et Mike Clark ouvre le score sur une pichenette de 9 yards. 3-0. Le ballon à peine en mains, les Dophins vont confondre marche avant et marche arrière. Surpris par la montée féroce de Bob Lilly et Larry Cole, Bob Griese se retrouve pris au piège. Il recule, recule, recule, avant de finalement rendre les armes et se laisser tomber au sol. 29 yards plus loin… Le plus long jeu négatif de l’histoire du Super Bowl. Un record inégalé.
Les Dolphins sont entreprenants, mais peinent à concrétiser. Et quand ils s’aventurent en terrain adverse, Garo Yepremian rate la cible de 49 yards. Même les conseils avisés de Richard Nixon sont sans effet. Peu après leurs sacre en finale de l’AFC, au beau milieu de la nuit, Don Shula reçoit un coup de fil du locataire de la Maison Blanche. Frappé par une illumination, il révèle au coach de Miami un jeu auquel il a pensé et qui pourrait se révéler salvateur. Une passe pour Paul Warfield. Appelée en fin de premier quart-temps, l’action sera annihilée par Mel Renfro. Merci quand même monsieur le Président.
En face, les Cowboys sont appliqués. Une belle alternance de course et de passe, et Roger Staubach trouve les mains de Lance Alworth, l’un des papas des jeunes ‘Boys avec Mike Ditka, au bout d’un drive d’école de 76 yards. 10-0. Avec 75 secondes à jouer au chrono du stade, Bob Griese orchestre une remontée du terrain chirurgicale. Aux portes de la redzone, il aperçoit Paul Warfield, à deux yards de la peinture. C’est maintenant ou jamais. Il lâche son bras vers l’avant, le ballon effleure des doigts ennemis et vient s’écraser contre la poitrine de son receveur. Les hommes de Don Shula devront se contenter de trois points. 10-3. À la pause, rien n’est encore joué.
Chronique d’une mort annoncée
Sérieux et méthodiques, les ‘Boys retournent aux vestiaires avec le sentiment du devoir accompli. Il est temps de prendre du plaisir. De s’amuser. Côté Miami, l’équation est un peu plus complexe. Si la stratégie visant à réduire au néant la capacité d’improvisation et de scrambling de Roger Staubach est un succès, elle ouvre des boulevards aux coureurs. Et ça n’a pas échappé à Tom Landry. Convaincu que les Floridiens vont tout faire pour colmater le trou béant au cœur de leur défense dans laquelle les coureurs de Dallas n’ont eut de cesse de s’engouffrer pendant toute la première mi-temps, il opte pour un changement de stratégie. Oublions le centre-ville, prenons plutôt le périph.
Des courses enlevées de Duane Thomas, un reverse de Bob Hayes et une seule petite passe. D’entrée, les Cowboys appliquent les consignes à la lettre, prennent des détours et remontent le terrain à tout vitesse. Les Fins sont impuissants. Pris de court. Débordés. 17-3. Une énergie contagieuse se propage chez les joueurs frappés de l’étoile bleue. Transcendée, la défense texane refuse le moindre premier essai aux Dauphins de tout le troisième quart. Bob Griese et ses potes de l’attaque n’iront pas plus loin que leurs 42 yards. La endzone adverse semble s’éloigner à vue d’œil.
En début de quatrième quart-temps, Miami parvient enfin à s’extirper de son propre camp et s’offre même sa première conversion de la rencontre sur une troisième tentative. Alléluia ! Une lueur d’espoir, puis la nuit. Chuck Howley, MVP malheureux un an plus tôt, surgit devant Jim Kiick, intercepte Griese et s’envole vers le paradis avant de se prendre les pieds dans le tapis, comme un grand, et d’échouer à 9 marches du bonheur. Staubach pour Ditka. Un duo de légende pour sceller le premier titre de l’America’s Team. 24-3. Victime d’une commotion, Nick Buoniconti se débat comme un mort de faim. Comme un aveugle. Sonné, il est convaincu que les siens n’ont qu’un touchdown de retard. Rien n’est encore joué. Seulement, le panneau d’affichage n’indique pas 10-3, mais 24-3. Il reste encore 12 minutes, mais le match est déjà plié. Tout le monde le sent. Tout le monde le sait. Sauf le linebacker et sa carrure de colosse. Presque attendrissant.
« Le simple fait de s’être rendu jusqu’au Super Bowl comblait les Dolphins, alors que les Cowboys étaient venus pour gagner. C’est ce qui a fait la différence entre les Dolphins et les Cowboys, » résumera parfaitement Cornell Green, cornerback de Dallas.
Dans un drive de la dernière chance, il ne faut que six jeux aux Floridiens pour se hisser jusqu’aux 16 yards de Dallas. Bob Griese rate le snap, les ‘Boys ne manquent pas l’occasion et plongent sur le ballon. Les unes après les autres, les hommes de Landry empilent les courses gagnantes jusqu’à la ligne de un yard en poussant l’arrogance jusqu’à tenter, avec succès, un fake field goal. À un yard de la peinture, Calvin Hill décide de piquer une tête au dessus de la ligne. Mauvaise idée. Le ballon glisse de ses mains et Miami le récupère une poignée de yards plus loin. Il reste moins de 2 minutes et plus rien à jouer. Les Dolphins font tomber les secondes. Les mines sont tristes. En face, de l’autre côté de la ligne de mêlée, les yeux sont illuminés d’une joie immense. Un soulagement.
Roger Staubach exulte. Jamais de sa vie il ne s’est senti aussi bien confiera-t-il plus tard. Transformé en corbillard volant un an plus tôt, l’avion de retour vers Dallas s’est métamorphosé en boîte de nuit flottante. Quelques jours plus tard, quand Tom Landry et Gil Brandt pénètrent dans la Highland Park Cafeteria, ils sont accueillis par une standing ovation. L’Amérique s’est trouvée de nouveaux chouchous. Nick Buoniconti, lui, navigue toujours en plein brouillard. Entre étourdissement et abattement.
« J’étais assommé… Les Cowboys donnaient l’impression de bouger tellement plus vite que nous… Nous avons été dominés psychologiquement et physiquement, » concédera le linebacker de Miami.
Pour Jim Kiick, autre son de cloche.
« Dallas n’était pas tant meilleur, mais le football est une histoire de momentum, » regrettera-t-il. « Nous avons perdu dans le premier quart-temps, quand nous échappons le ballon et qu’ils marquent juste après, nous ne nous sommes jamais relevés. »
Les Dolphins étaient tellement confiants. Sûrs de leurs armes. Sûrs de leurs chances. Ils gagneraient. Et aisément. Au lieu de ça, ils n’ont pas existé. Jamais. Dépassés par une événement encore trop grand pour eux. « Humiliés […] sans jamais s’être battus, » tranchera Don Shula. Un terrible sentiment d’impuissance. Jamais dans l’histoire du Super Bowl, une équipe n’a marqué aussi peu de points. Pas le moindre touchdown d’inscrit, un fait d’arme unique aux Fins de 71. Un raté mémorable que l’on préférerait pourtant oublier. Mais les revers pavent souvent la voie du succès. Et si les Dauphins se sont hissés jusqu’au Super Bowl à la surprise de tous, rien de tout cela ne tient du hasard. L’histoire le prouvera bientôt.