[histoire] 19 janvier 2002 : The Tuck Rule Game

Certains matchs écrivent la légende de la NFL. D’autres en réécrivent les règles. Le 19 janvier 2002 va faire un peu des deux. Les playoffs, un QB presque rookie sorti...

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Certains matchs écrivent la légende de la NFL. D’autres en réécrivent les règles. Le 19 janvier 2002 va faire un peu des deux. Les playoffs, un QB presque rookie sorti de nulle part, de la neige, une action polémique, des arbitres sous les projecteurs. Tous les ingrédients d’une rencontre d’anthologie. Une rencontre restée en travers de la gorge de biens des fans Californiens. Une rencontre qui aura probablement contribué à faire des Pats la franchise la plus détestée de la ligue. The Tuck Rule.

Legend in the making

Après 3 saisons frustrantes à la tête des Patriots, Pete Carroll a rendu son tablier. Ancien coach des Browns et assistant globetrotteur, Bill Bellichick prend sa suite. Après une première campagne foireuse en 2000 et 5 maigres victoires, la saison suivante démarre sur un scénario catastrophe. Une défaite à Cincinnati, puis le drame. En semaine 2, dans un revers étriqué à Foxboro face aux Jets, 
Drew Bledsloe est violemment plaqué par Mo Lewis en fin de match. Sa rencontre avec le terrain est brutale et provoque une hémorragie interne. S’il revient au jeu sur la série suivante, il est rapidement envoyé à l’hôpital après la rencontre. Il ne devra pas passer sur le billard, mais il vient de perdre sa place de quarterback des Pats pour de bon. Pour lui, un virage à 180 degrés. Pour la franchise, un mal pour un bien. Son remplaçant, un grand machin maigrichon venu de Californie qui a fait ses armes chez les Wolverines de Michigan. Son nom : Tom Brady.

Pour sa grande première la semaine suivante face aux Colts de Peyton Manning, le bizut n’impressionne pas vraiment. 13/23, 168 yards et pas le moindre touchdown. Mais il peut compter sur un jeu au sol survitaminé et une défense survoltée pour écœurer son futur meilleur rival et décrocher son premier succès. Et pas le dernier. Lentement, la machine se met marche. Tom gagne en assurance et signe un inespéré 11-3 qui propulse les joueurs de la Nouvelle-Angleterre en playoffs. Avec le 2e meilleur bilan de l’AFC, les Pats sont exemptés de premier tour et accueilleront les Raiders à Foxboro. Tom Brady va découvrir l’effervescence des playoffs.

Côté Californien, la qualification en séries s’est arrachée non sans quelques sueurs froides. Après un début de saison parfait qui ne les voit s’incliner qu’à deux petites reprises lors des 10 premiers matchs, les hommes de Jon Gruden vacillent, mais tiennent bon. Malgré trois revers en clôture de la saison régulière, ils s’assurent un billet pour le Wild Card round. Une nouvelle saison démarre. Au Coliseum d’Oakland face aux Jets, il faut attendre le quatrième quart temps pour que Rich Gannon, Jerry Rice, Tim Brown & Co se libèrent enfin. 38-24. Le premier obstacle est passé. Direction la grande banlieue de Boston.

Call reversed et controverse

Loin du temps frais, mais ensoleillé qui inondait la baie de San Francisco une semaine plus tôt, les Raiders se retrouvent plongés en plein blizzard. -7ºC au mercure, un vent glacial et un tapis blanc en guise de terrain. Dans des conditions dantesques et inhabituelles pour les Californiens, ce sont pourtant les visiteurs qui donnent le tempo. Après 15 premières minutes vierges de tout point, Rich Gannon débloque enfin les compteurs et permet aux siens de rentrer se réchauffer aux vestiaires avec 7 points d’avance. Sebastian Janikowski et Adam Vinatieri s’échangent quelques coups de pied avant que Tom Brady ne fasse parler ses grands segments. Le QB feinte deux fois, avance dans sa poche et file plonger dans la poudreuse face la première et resserrer l’écart avec 7:57 au chrono du stade. 10-13.

« J’ai vu [Tom] se relever, balancer la balle à terre pour mieux s’étaler dans la neige à nouveau. Il ressemblait au jeune et maladroit quarterback qu’il était à l’époque, » se souvient Troy Brown.

Spectacle surréaliste à défaut d’être totalement enthousiasmant. Les deux formations se sont trouvées un ennemi commun : les éléments.

Dans un Foxboro Stadium qui vit ses dernières heures, la neige continue de tomber à gros flocons. Les degrés chutent. Les secondes s’égrainent. Avec 2 minutes et 6 secondes à jouer, les Patriots récupèrent le ballon sur leurs propres 46 yards. Objectif minimum : les 3 points. Sur un temps mort, planqué dans le décors, le cornerback Eric Allen et son uniforme blanc et argent digne du meilleur camouflage de chasseur alpin surprennent un échange entre Tom Brady et son coordinateur offensif. « 3 by 1 slants, » prétend-il avoir capté. En bon espion, le défenseur se rue vers son camp pour transmettre l’information.

« Je suis plus vieux, alors sur les pauses ou n’importe quel temps d’arrêt, je restais toujours loin du huddle, je traînais sur le bord du terrain en général » se souvient Allen. « Et là je vois ce jeune quarterback qui se rapproche et vient parler avec Charlie Weis, le coordinateur offensif à l’époque, et il lui dit, ‘On va y aller avec un 3 by 1, on va lancer un slant backside.’ Alors je me suis rué vers le huddle et j’ai appelé le jeu. En gros j’ai dit, ‘Hey, ils vont faire un 3 by 1, alors que le linebacker soit bien dans la bonne zone.' »

Pas encore à portée suffisante des poteaux, les Pats choisissent de lancer. Brady appelle le snap, recule de quelques pas, enclenche le mouvement de lancer. 3 by 1 slants. Comme prévu. Le jeu déployé est bien celui annoncé par Allen.

Alors que le quarterback déroule son bras vers l’arrière pour mieux expédier le ballon vers l’avant, Charles Woodson, venu blitzer de la droite, le percute violemment sur le flanc. Le ballon saute de ses mains et le linebacker Greg Biekert bondit dessus. Les Raiders sautent de joie aux quatre coins du terrain. Étalé par terre, Brady se dit que « ça ne sent pas bon du tout. » Pour Teddy Bruschi, c’est fini. Le match est perdu, la saison fait déjà partie du passé, direction les vestiaires. La tête basse. Sur le bord du terrain, toujours, Eric Allen pense déjà au vol de retour et au prochain adversaire qui se dressera sur leur chemin. En tribune officielle, le board californien échange les high five. Que la fête commence. Jeu, set et match ? Tutututut. Tom semble s’être ravisé à l’ultime seconde et avoir reporté le cuir contre sa poitrine. Une pump fake. Incertains, les arbitres décident de signaler un fumble pour pouvoir aller à la reprise vidéo. Seulement, depuis 99, une nouvelle subtilité est venue s’immiscer dans les règles parfois déjà compliquées de la NFL. Une nouveau règlement qui va soulever la controverse. Celle que l’on connaîtra bientôt sous le nom de Tuck Rule.

NFL Rule 3, Section 22, Article 2, Note 2. Lorsqu’un joueur offensif tient le ballon dans le but de l’envoyer vers l’avant, tout mouvement volontaire de sa main initié vers l’avant équivaut au début d’une passe vers l’avant, même si le joueur perd possession du ballon alors qu’il tente de replier le bras contre son corps. Aussi, si le joueur échappe le ballon après l’avoir rapporté contre corps, il s’agit d’un fumble. »

Après visionnage vidéo, l’arbitre Walt Coleman rejoint le terrain, se tourne face à la foule, ouvre son micro et annonce son verdict.

« Le bras du quarterback… allait vers l’avant »

Rugissement dans les tribunes. On n’entendra pas la suite. La décision est renversée. Il s’agit d’une passe incomplète. Le ballon retourne dans les mains des Patriots. Chez les chemise-cravates des Raiders, c’est le coup de massue. Silence de mort au milieu du brouhaha. L’officiel appuie sa décision sur le fait que le ballon allait vers l’avant lorsqu’il a glissé des doigts de Tom Brady. Seulement, la première décision sur le terrain ayant tranché en faveur de la thèse du fumble, les arbitres avaient besoin d’une « preuve visuelle irréfutable » que le passeur des Pats n’avait pas replié complètement le bras et recollé le ballon contre son corps avant de perdre le cuir, afin de renverser la première annonce faite sur le terrain.

« Je suis environ 12 yards derrière, et probablement à 10 de Brady, » racontera Coleman 10 ans plus tard. « À un moment donné, le ballon disparaît de mon champ de vision, et je suis incapable de voir exactement ce qu’il se passe et quand est-ce que le ballon quitte la main de Brady. »

Masqué, il explique avoir opéré comme on le leur recommandait à l’époque : annoncer un fumble pour pouvoir aller à la vidéo. Ce qui était impossible en cas de passe non complétée. Face aux images, il ne lui faut pas longtemps pour revenir sur sa décision.

« Nous étions dans les deux dernières minutes de jeu, le gars de la reprise vidéo m’a bipé pour me dire qu’il fallait revoir l’action, » racontera Coleman après la rencontre. « Après avoir regardé les images sur l’écran, ça m’est apparu comme une évidence qu’il s’agissait d’une passe vers l’avant. J’ai donc décidé d’inverser l’annonce d’un fumble pour une passe incomplète ; et comme on dit, le reste fait partie de l’histoire. »

Un « easy call, » expliquera-t-il à ESPN 10 ans plus tard.

« Le plan qu’on m’a montré était de face, ce qui m’a donné une excellente vue du Déroulement de l’action. Et ce que l’on voit, c’est le bras de Brady qui part vers l’avant, Woodson qui le percute et le ballon qui s’échappe de sa main. Ce qui constitue une passe incomplète vers l’avant. C’était facile. »

Une application à la lettre de la règle. Peu importe quelle était l’intention de Brady, les images parlent d’elles-mêmes. Le coupable n’est pas zébré. N’en déplaise à un Charles Woodson remonté comme jamais face aux médias.

« C’est des conneries, des conneries je vous dit. C’est exactement mon sentiment, j’ai la conviction que cette décision est une énorme connerie. Ça n’aurait jamais dû être renversé. »

Colère légitime. Le vrai coupable se trouve dans la Règle 3, Section 22 des lois du jeu. Mais la pilule est dure à avaler pour les Raiders. Si Walt Coleman officiera dans 215 autres matchs NFL jusqu’à la fin de la saison 2015, dont 17 des Patriots, plus jamais il n’arbitrera les Raiders.

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Momentum shift

Le match vient de basculer. Incrédules, les Patriots voient leur rivaux s’enfoncer six pieds sous terre sous leurs yeux. Abattus, écœurés, révoltés. Cocktail de sensations détonnant. Les hommes de Gruden n’y sont plus. Le sentiment d’injustice est trop fort, ils ont déjà quitté le match. Et avec, ce sont leurs espoirs de victoire qui se sont envolés. Les coéquipiers de Damien Woody le sentent. Ils le voient.

« Leurs visages disaient tout, c’était ceux de gars dépités, » raconte le guard des Patriots. « Ils ne savaient pas quoi penser de la décision. À partir de là, nous étions sûr de gagner ce match, il suffisait de regarder leur expression corporelle. »

Sauvés par le gong, les hommes de Belichick enchaînent et avec 27 secondes à jouer, Vinatieri expédie les deux équipes en prolongation, de 45 yards. Bénis par les dieux du football, les Pats remportent le toss, choisissent le ballon et Tom Brady fait du Tom Brady. 15 actions, 61 yards, un 4e et 4 converti avec brio sur les 28 yards d’Oakland puis la libération. Vinatieri et son holder font le ménage autour d’eux. Face au vent, le kicker des Patriots ne tremble pas et envoie les siens au tour suivant. Les Raiders rentrent se mettre à l’abri sans un mot.

« Je n’ai jamais vu un vestiaire aussi calme, » se souvient Tim Brown. « Les gars avaient l’impression de s’être fait voler. »

À 31 ans, le Foxboro Stadium vient de vivre ses dernières émotions. Un jubilé qui restera dans l’histoire. Deux semaines plus tard, les Steelers écartés, les Pats éteignent le Greatest Show on Turf de Kurt Warner pour s’emparer du Super Bowl XXXVI à l’ultime seconde. Le premier de leur histoire. Pas le dernier. Jon Gruden vient de disputer son ultime match à la tête des Raiders. L’été suivant, il est envoyé à Tampa. En février 2003, il retrouve Oakland pour le Big Game et prend sa revanche. Depuis, la franchise californienne n’a plus jamais remis les pieds en playoffs, ni même connu une saison dans le vert. Une disette qui pourrait très rapidement prendre fin.

La Tuck Rule sera abolie le 20 mars 2013 par un vote des propriétaires. 29-1. Un refus, les Steelers. Et deux abstentions, les Redskins et Patriots. 10 ans plus tard, avec le recul, le fullback d’Oakland Jon Ritchie concède que la défaite ne peut pas être mise sur le dos d’une seule décision.

« C’est facile de mettre la faute sur une décision, mais au bout de la ligne, nous aurions dû mieux jouer. Offensivement, nous n’avons pas réussi une tentative courte qui aurait plié le match. Défensivement, nous aurions pu faire plus lorsqu’ils avaient le ballon. Nous avons raté plusieurs occasions. »

Bénéficiaires de la fameuse règle honnie, les Patriots en avaient été victimes un peu plus tôt dans l’année. Le 23 septembre. Le même jour qui allait sceller la carrière de Drew Bledsoe, le defensive end de la Nouvelle-Angleterre, Anthony Pleasant, faisait gicler le ballon des mains de Vinny Testaverde. Fumble. Non. Après visionnage vidéo, la décision était renversée. Passe incomplète. Quelques mois plus tard, sous la neige de Foxboro, alors que Walt Coleman est dans l’isoloir, Bill Belichick est serein. Il sait ce qui l’attend. Il l’a déjà vécu. Mais cette fois-ci, la chance sera de son côté. Bien conscient de la fortune des siens, Tom Brady insiste pourtant sur un point : le match n’était pas plié après l’application de la Tuck Rule. Dans les faits du moins. Car dans les têtes, la messe était dite.

« Ça a été une décision miraculeuse, et les fans des Raiders ne se privent jamais de me le rappeler. Mais nous avons été capables d’en tirer avantage et de produire les actions qu’il fallait pour l’emporter. »

Une décennie plus tard, Charles Woodson reste inflexible : « Je l’ai percuté, il a perdu le ballon, c’est un fumble. » Pourtant, même si avec le recul, la pilule ne passe pas, pas de quoi entacher son amitié avec Brady. Coéquipiers et potes à Michigan, les deux hommes évitent soigneusement le sujet.

« Brady est un de mes bons amis, » expliquait Woodson il y a un an. « Mais nous N’avons jamais parlé de cette action entre nous. Peut-être qu’un jour, je m’assiérai avec lui et lui demanderai, ‘Hey mec, tu penses que c’était un fumble, hein ?’ Généralement, nous parlons d’autres choses, un texto par-ci, par-là sur nos carrières respectives, ce genre de choses. »

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