Voir le jour à Chicago. Vivre à Chicago. S’éteindre à Chicago. GSH. George Stanley Halas. Trois lettres qui parent la manche gauche des Bears depuis 1984. Trois lettres qui durant plus de six décennies, sur le terrain, comme au bord, jusque dans les coursives du stade et les bureaux de la franchise, se sont appliquées à remplir la salle des trophées des Ours. Sans lui, le football professionnel n’aurait peut-être pas survécu à ses premières années. Grâce à lui, les Bears se sont imposés comme l’une des franchises à succès d’un championnat professionnel en pleine émergence. Une institution.
Un battant de l’Illinois
Quand George Halas voit le jour, le 19e siècle n’a plus que cinq années à vivre. Né de parents originaires d’Autriche-Hongrie, il grandit à Pilsen, le bien nommé quartier tchèque, dans une Chicago aux allures de melting-pot géant. Comme la plupart des grandes métropoles américaines à la croisée des deux siècles. Le nouvel El Dorado. En 1915, il rejoint l’Université d’Illinois. Joueur de baseball et de basket, c’est comme defensive end/receveur sur les terrains de foot qu’il se fait remarquer. En 1918 il aide les Fighting Illini à remporter la Big Ten. Enseigne dans la Navy pendant la Première Guerre mondiale, il rejoint la Great Lakes Naval Training Station, un vaste complexe militaire non loin de Chicago. Comme un certain Paul Brown 25 ans plus tard. Là-bas, toujours footballeur, il remporte le titre de MVP du Rose Bowl 1919. Un touchdown dans les airs et une interception de 77 yards victorieuse pour un succès 17-0 face aux Mare Island Marines de Californie.
Un bref passage par les ligues mineures de baseball, 12 matchs sous les couleurs des Yankees de New-York en 1919, puis une blessure à la hanche. Sa carrière de joueur de baseball n’aura pas duré longtemps. La même année, il revêt l’uniforme des Hammond Pros, dans l’Indiana, contre 75 dollars par match. Puis c’est le retour au pays. À Decatur, dans le cœur de l’Illinois. Devenu commercial pour la A. E. Staley Company, une féculerie, il officie également comme joueur de champ extérieur de l’équipe de baseball de l’entreprise et joueur-coach de celle de football. Mieux encore, il en a la charge presque absolue. Les Decatur Staleys. Bleu marine et orange. George choisit les couleurs de son ancienne fac.
« Il avait une poigne de fer, un large sourire, et un regard perçant, le genre de type avec qui on ne rigole pas, » se souvient Jeff Davis, auteur de Papa Bear: The Life and Legacy of George Halas.
Ses qualités de meneur et de gestionnaire font merveille d’entrée. 13 victoires et un seul revers pour débuter. Prometteur. Le 17 septembre 1920, dans un concession automobile, il représente l’équipe quand l’American Professional Football Association voit le jour à Canton, Ohio. Deux ans plus tard, elle deviendra la NFL.
« Il est le fondateur de la National Football League, tout simplement, » martèle Mike Ditka. « Des types comme George Halas, art Rooney et Tim Mara, ils sont partis de zéro et ont persévéré ; ils ont volé Paul pour payer pierre, et faire de la NFL ce qu’elle est. Sans de tels pionniers, il n’y aurait pas de football. Il y a eu de nombreuses années de vache maigre. »
Si sportivement la jeune franchise se porte comme un charme, financièrement, elle fait grise mine. À tel point que le big boss Augustus E. Staley décide d’en céder la direction à Halas en 1921, incapable de supporter financièrement une aventure sportive qui gonfle à vue d’œil. Un nouveau chapitre se dessine. George s’entoure de son pote Edward Sternaman et envoie immédiatement l’équipe dans sa douce Chicago natale, sur recommandation de son désormais ancien patron et en échange de 5 000 dollars. Une ultime saison sous le nom de Staleys couronnée par un titre de champion NFL, puis les Bears émergent de leur tanière en 1922. Un hommage aux Cubs dont George Halas est un fan invétéré et qui acceptent de leur prêter leur mythique Wrigley Field. Les Chicago Bears sont nés. Une nouvelle ère s’ouvre.
Un stakhanoviste du gridiron
Dans une entre-deux-guerres où les petits business émergeant galèrent à survivre, la jeune NFL peine. Financièrement, la situation n’est pas reluisante. C’est l’existence même de la ligue qui est mise en péril. Le salut viendra de George Halas. Évidemment. En 1925, un seul nom agite toute la sphère ovale : Harold « Red » Grange. The Galloping Ghost. La star d’Illinois. À peine son éligibilité acquise, Georgie lance une OPA sur le coureur. Les Bears tiennent enfin leur star. Celle dont ils avaient besoin. Celle que tout le football attendait. Le jour de Thanksgiving, il fait ses débuts face aux rivaux de l’autre côté de la ville, les Chicago Cardinals. Puis c’est parti pour une campagne de promotion aux quatre coins du pays. Digne d’une élection présidentielle. Les foules se massent sur leur passage, toujours plus nombreuses, pour admirer les Ours et leur prodige. Plus de doute possible, le football vient de conquérir le cœur des Américains. Pour de bon.
Promoteur du football pro, coach, receveur, defensive end, responsable des ventes de billets, patron de la franchise et plus encore. Un véritable couteau-suisse humain. M. Everything. George Halas incarne les Bears à lui tout seul. Une quintuple, sextuple, septuple fonction qu’il assurera pendant 10 ans, jusqu’à sa retraite sportive, en 1930. Entre temps, il aura marqué la décennie 1920 de son emprunte. Membre de la All-Pro Team des dix premières années d’une ligue qui grandit lentement, mais sûrement, son fait d’arme aura lieu en 1923. Face aux Oorang Indians, il arrache le ballon des bras de la légende vivante Jim Thorpe, le ramasse et file 98 yards plus loin. Un record qui tiendra jusqu’en 72. En même temps qu’il raccroche ses crampons, il se déleste de ses responsabilités de coach. Pas question pour autant de lâcher une franchise dont il devient l’unique propriétaire en 1932. Une franchise qu’il s’attelle à faire entrer dans la modernité. Terrain bâché, retransmission radio des rencontres, impression d’un journal spécial dédié à l’équipe. Il ne manque pas d’idées novatrices pour l’époque.
Mais en ces temps troubles, rien ne se déroule comme prévu. Le nouvel entraîneur Ralph Jones a beau mener les Bears à un nouveau titre cette année-là, les Ours sont englués dans une crise de 29 qui n’en finit plus de plomber l’Occident. Si tout roule sportivement, financièrement, la situation est presque désespérée. Tellement que George décide de faire l’économie d’un coach et de reprendre les rennes de l’équipe. Aux grands maux, les grands remèdes. Une situation d’exception qui durera 10 ans. Pour son grand retour aux commandes, les Bears dévorent tout sur leur passage. Ou presque. Une saison sans revers, puis une défaite crève cœur en finale, face aux Giants. Si proches de la perfection.
Redevenu entraîneur, il met sa science du jeu au service de sa franchise. Et c’est tout le football qui en profite. Il est le premier coach à imposer des d’entraînement quotidiens, à organiser des séances vidéo pour décortiquer les moindres faiblesses chez l’adversaire. Sous ses ordres, des adjoints sont placés en tribune de presse, pour prendre de la hauteur et pouvoir exploiter au mieux les failles de l’ennemi. Et ce n’est pas tout. Alors que la folie humaine se déchaîne de l’autre côté de l’Atlantique, George et Clark Shaughnessy, son ami et coach de l’Université de Chicago, vont révolutionner une T-Formation reléguée au rang de gadget par la plupart des coachs NFL. 1933 va peu à peu faire basculer les esprits. Plus besoin d’être 5 yards derrière la ligne de mêlée pour faire une passe désormais, le quarterback peu lancer le cuir d’où il veut derrière la ligne de scrimmage. La T, formation consistant à deux tight ends alignés de part et d’autre du bouclier, un QB placé juste derrière le centre et trois coureurs près à s’élancer juste derrière lui, va s’imposer comme une évidence en 1940 et être copiée par la plupart des coachs à travers la ligue. Tout ça à cause d’un match.
« Nous n’oublierons jamais la manière dont nous avons épaté la nation, avec notre T-Formation… » clame ‘Bear Down, Chicago Bears’, la fight song écrite après le titre de 1940.
Le 8 décembre 1940, les Bears et leur T atomisent les Redskins dans le match pour le titre. 73-0. Plus large victoire de l’histoire. Trois semaines plus tôt, les Ours s’inclinaient 7-3 face au même adversaire, laissant Halas hors de lui après une interférence non signalée. Moqueur, le coach des Peaux Rouges, Preston Marshall, traitait les Bears de « pleurnicheurs. » Le jour J, Halas tapissera le vestiaire de unes des journaux avec en lettres capitales « CRYBABIES. » Pas un grand parleur, plus abonné aux faits qu’aux discours passionnés, George sait comment transcender ses joueurs. Leader autoritaire, il exècre l’insubordination et le manque de respect. Ses joueurs sont prévenus, mieux vaut se tenir à carreau.
Un an plus tard, ils conserveront leur titre. Les Monsters of the Midway sont sans pitié. Leur arme favorite : la fameuse T-Formation revisitée. Des feintes, des changements directions subits, des spins moves, du mouvement partout, tout le temps. De quoi donner le tournis aux adversaires. Pour exécuter des schémas tactiques développés par les deux stratèges, il faut être un véritable athlète. Pas à la portée du premier venu. Sid Luckman, ancienne star de l’Université de Columbia, va se révéler le candidat parfait à un poste de quarterback où la versatilité est de mise. De 1939 à 1950, il va combler comme personne les attentes de George Halas.
À la vie, à la mort
Le 7 décembre 1941, la flotte américaine rassemblée à Pearl Harbor est anéantie. Le devoir l’appel à nouveau. Lieutenant commandant, il passera 20 mois sur le front pacifique au sein de la 7e flotte, sous le commandement de l’Amiral Chester Nimitz. Là-bas, il est chargé de divertir les troupes. Pendant ce temps, ses Bears conquièrent une nouvelle couronne. George est finalement renvoyé chez lui en 46, avec le grade de capitaine et honoré de la Bronze Star. De retour à Windy City, il reprend sa casquette de coach. C’est reparti pour dix ans. Et là encore, sa première année se solde par une victoire finale. Une bonne habitude.
Protecteur de ses Bears, mais pas seulement. Quand la NFL menace les Packers de déménagement au cœur des 50’s, George monte au créneau. Hors de question de laisser partir ses meilleurs ennemis loin de Chicago. Il a beau détester ses voisins de Green Bay deux dimanches par an, Papa Bears va se muer en fervent défenseur de Cheesers pour lesquels il voue un profond respect. Un grand monsieur.
« J’ai entendu dire que George Halas était le seul coach que Vince Lombardi désignait par le titre ‘coach’, » se rappelle George McCaskey, petit fils de Halas et actuel Président des Bears. « Je pense que ça en dit long sur le respect mutuel que les deux hommes se portaient. »
Une saison sabbatique en 56-57, puis il revient aux ordres pour une ultime aventure. Elle durera 9 ans et sera de nouveau couronnée de succès. Un succès moins éclatant qu’avant la guerre, mais tout de même marqué par un nouveau titre, en 63. En début de saison, il fait partie de la première promotion à rejoindre le Hall of Fame. Le 27 mai 1968, il se retire officiellement. Et pour de bon. 318 victoires que seul Don Shula parviendra à supplanter 27 ans plus tard, 6 titres record, pareils à un certain Curly Lambeau, et deux couronnes de Coach de l’Année. En 40 saisons à la tête des Ours, il n’aura connu que 6 campagnes négatives. Chaque année, 16 équipes s’entredéchirent pour décrocher le George Halas Trophy. Celui qui récompense le champion de la NFC.
Le 31 octobre 1983, il s’en va hiberner pour l’éternité. À 88 ans, il s’éteint en tant que propriétaire des Bears. Depuis sa retraite des lignes de touche, ses Ours adorés on conquis deux nouveaux titres. Sous ses ordres, sur le terrain ou dans les coursives de l’éternel Soldier Field, c’est une flopée de Hall of Famers que George Halas a biberonné : Doug Atkins, George Blanda, Dick Butkus, George Connor, Mike Ditka, Paddy Driscoll, Jim Finks, Danny Fortmann, Bill George, Harold « Red » Grange, Ed Healey, Bill Hewitt, Stan Jones, Sid Luckman, Link Lyman, George McAfee, George Musso, Bronko Nagurski, Walter Payton, Gale Sayers, Mike Singletary, Joe Stydahar, George Trafton, Clyde « Bulldog » Turner. Une usine à champions.