Terrifiant. Méchant. Intimidant. Vicieux. Sauvage. Les adjectifs ne manquent pas pour tirer le portrait de l’un des linebackers les plus sauvages que la NFL ait connue. Si les grizzlis règnent en maîtres (ou presque) dans les forêts de l’Est canadien, Dick « The Bear » Butkus sème la terreur sur les terrains professionnels. L’Ours de l’Illinois.
Petit Ours deviendra grand
Dernier rejeton d’une meute de neuf oursons d’origine lituanienne, Dick voit le jour à Chicago, alors que la guerre fait encore rage de l’autre côté de l’Atlantique. En bon South-Sider, il se découvre une rapide passion pour les Cardinals. Avec son père et ses frangins, il devient un habitué du Comiskey Park. Ironie de l’histoire, c’est sous les couleurs des rivaux jurés du nord, les Bears, qu’il se fera un nom. Montagne de muscles d’un mètre 91 et Illinoisais pur et dur, il rejoint l’Université de l’Illinois une fois le lycée terminé. En bon casanier. Home sweet home. Des deux côtés du ballon, il met à profit ses mensurations de mammouth : centre en attaque, linebacker en défense. Et il ne va pas tarder à faire connaître son nom bien au-delà des frontières de son Illinois natal. Il faut dire que le gamin ne manque d’ambition. En dernière année de primaire, il sait déjà ce qu’il veut faire.
« Être un joueur de football professionnel, » expliquera-t-il plus tard. « J’ai travaillé dur pour y arriver, comme l’exige la société. On dit qu’il fait être féroce, je l’ai été. Dur, je l’ai été. »
Dès lors, tous ses choix sont dictés par ce rêve. Lycée, job d’été, université et même amis. Tous n’ont qu’un but : l’emmener vers la NFL. S’il décide de faire quelques kilomètres de plus chaque jour pour aller à la Chicago Vocation High School, ça n’est pas par hasard. Le programme de foot y est dirigé par un ancien de Notre-Dame. Fullback reconnu dans tout l’état, il commence déjà à inspirer la crainte de l’autre côté du ballon. En défense. Son pré carré. Dès le lycée, il apprend à arrache le ballon des bras de ses adversaires. Un talent qu’il n’aura de cesse de parfaire tout au long de son apprentissage.
Le lycée achevé, il est temps de se trouver une fac. S’il est séduit par le programme mis en place par le nouveau coach Pete Elliott du côté d’Illinois, c’est probablement davantage pour des raisons extra-sportives qu’il choisit l’Université de l’Illinois. Une fois n’est pas coutume. Dick envisage d’épouser son amour d’enfance. Seul hic, Notre-Dame ne fait pas preuve d’un enthousiasme débordant envers les joueurs mariés. Adieu les Figthing Irish. Bonjour les Fighting Illini. S’il brille sur les terrains, on ne peut pas en dire autant dans les sales de cours. Et l’intéressé le sait parfaitement.
« Si j’étais assez intelligent pour être docteur, j’en serais un, » raconte-t-il. « Mais je ne le suis pas, alors je suis joueur de football. »
Tout simplement. Et à ce petit jeu. Il se débrouille plutôt bien. All-American et 1963 et 1964, meilleur joueur de la Big Ten en 63 et meilleur joueur selon l’Association des Coachs de Football Américain la saison suivante, il est finaliste du Heisman Trophy ces deux années-là. Un petit exploit pour un joueur de ligne/linebacker. Son rêve se rapproche un peu plus. Tout son talent explose à la face du monde durant son année de junior. 145 plaquages, 10 fumbles forcés. Le titre de la Big Ten en poche, une 3e place nationale et un succès sur Washington au Rose Bowl. Rarement Butkus aura aussi bien conjugué réussite personnelle et collective. Après trois saisons à défendre l’honneur des Fighting Illini, il quitte la fac avec pas moins de 374 plaquages au compteur. Son numéro 50 mis sous verre pour l’éternité, il demeure aujourd’hui encore l’un des plus grands joueurs a avoir foulé les terrains universitaires. En 1985, est créé le Dick Butkus Award, récompensant le meilleur linebacker du pays tous niveaux compris. Du lycée, jusqu’à la grande ligue.
« Si chaque équipe universitaire avait un linebacker comme Dick Butkus, tous les fullbacks ne tarderaient pas à faire moins d’un mètre et à avoir des voix de sopranos, » écrivait Dan Jenkins dans Sports Illustrated. « Dick Butkus est une espèce de brute bien particulière dont le talent est de remodeler des coureurs de drôle de façon… Butkus ne fait pas que percuter, il écrase et compresse les adversaires avec des bras non seulement larges, mais extrêmement longs.
Drafté au premier tour par les Broncos de l’AFL et les Bears de la NFL, le choix est vite fait. Choisir les ennemis de ses Cards chéris ou quitter sa venteuse Chicago, choix cornélien. Mais pas tant. Dick choisit The Windy City. Il ne portera jamais d’autre couleur que le bleu nuit des Bears. La machine à plaquage Butkus et la comète du Kansas Gale Sayers, les Ours font coup double et s’assurent de belles années des deux côtés du ballon. Du moins on le pense. Car si les deux joueurs vont briller individuellement, la franchise de Chicago n’en fera pas autant. Pourtant, elle détient avec Butkus de quoi bâtir une équipe redoutable.
« Le football est tout pour lui, » explique Dan Jenkins à propose de Butkus. « Quand un entraînement est annulé à cause du mauvais temps ou je ne sais quoi d’autre, il se fâche, il est presque découragé. Il vit pour le contact. »
Si certains observateurs pensent qu’il lui faudra un temps d’adaptation pour s’acclimater à un jeu plus rapide et plus intense, le middle linebacker des Bears, Bill George, en route vers le Hall of Fame, n’en croit pas un mot. Butkus était près dès le premier jour.
« À la seconde où je l’ai vu sur le terrain (lors du camp d’entraînement), j’ai su que ma carrière était terminée, » se rappelle George. « Personne n’a jamais eu l’air aussi bon avant ou depuis. »
U so mean
Pour son baptême du feu face aux 49ers, il donne le ton avec 11 plaquages en solo. Dès sa première campagne pro, Dick s’impose comme le boss de sa défense. Meilleur plaqueur et meilleur intercepteur de son équipe, il enregistre également le plus de fumbles forcés comme recouverts. Une bonne habitude qu’il gardera tout au long de sa carrière. Si les ours raffolent du miel, Dick a un péché mignon : les fumbles. Il en fera d’ailleurs sa spécialité. Si un autre emblématique Bear, Charles « Peanut » Tillman, s’était spécialisé dans l’art de les forcer, Dick a peu d’égal quand il est question de recouvrir les ballons échappés. Dès sa saison de rookie, il en récupère 6. Lorsqu’il se retire en 73, il compte 27 fumbles recouverts. Un record alors. Mais Butkus est également un maître en matière d’arrachage de cuirs. C’est d’ailleurs là sa plus grande force. Chaque fois qu’il vous mettait la main dessus, mieux valait serrer le ballon fort contre vous sous peine de le voir gicler de vos bras. Mais aucune statistique en la matière n’existait à l’époque.
Chef de meute des Monsters of the Midway, il sera le meilleur plaqueur de son équipe pendant 8 saisons d’affilée. En 67, il rafle 18 sacks. Un record personnel.
Rapidement, Dick Butkus s’assure une réputation de défenseur redoutable. De joueur intimidant. À tel point qu’il apparaît en couverture de Sports Illustrated en 1970 sous le titre « The Most Feared Man in the Game. » Tout est dit. Cette année-là, il signe l’une des plus belles saisons de sa carrière : 132 plaquages, 3 interceptions et 2 fumbles recouverts. Au sein d’une franchise moribonde, une autre image, moins reluisante celle-ci, lui colle à la peau : celle d’un joueur vicieux. Méchant. Il dézingue les coureurs avec une fureur sans égal. Il les saisit et les balance au sol comme de vulgaires jouets. Car après tout, ils ne sont pas grand d’autre que cela pour lui. Des jouets. Des amuse-gueules. Il inspire la peur. Et ça n’est pas l’ancien running back des Packers, MacArthur Lane, qui dira le contraire.
« Si j’avais le choix, je préférerais me retrouver nez à nez avec un grizzly, » raconte-t-il. « Je priais pour pouvoir me relever chaque fois que Butkus me plaquait. »
Campé sur ses jambes, genoux fléchis, prêt à bondir sur sa proie, la tête engoncée entre ses immenses épaulières, l’Ours de l’Illinois ressemble à une montagne infranchissable. Mais une montagne qui bouge. Et vite. Très vite. Trop vite. Capable de courir d’un côté à l’autre du terrain en un éclair, il colle aux basques des tight ends et running backs quand il est envoyé en couverture. Joueur d’instinct, leader féroce et puissant, il semble habité d’une colère qui le rend redoutable. Mais une colère qui ne doit rien au hasard.
« Quand j’allais sur le terrain pour m’échauffer, je faisais tout mon possible pour me mettre en colère, » expliquait-il. « Si un type dans l’autre équipe rigolait, je me faisais croire qu’il se moquait de moi ou des Bears. Je trouvais toujours quelque chose pour me mettre hors de moi. Et ça marchait systématiquement. »
En 1973, après seulement 9 saisons, l’Ours de l’Illinois dit stop. Les blessures ont eu raison de lui. Son genou blessé deux ans plus tôt ne s’est jamais vraiment réparé. Pour la première fois de sa carrière, il quitte un match, assailli par une douleur trop dure à supporter. Clap de fin. 7 fois All-Pro, 8 Pro Bowls, 48 succès, 74 revers et 4 nuls (!!), Dick n’aura que trop rarement goûté au parfum du succès. Une fin de carrière précipitée et en eau de boudin. Convaincu que les Bears ont tout fait pour le faire jouer quand bien même il aurait dû être sur la table d’opération en train de se faire réparer un genou mal en point, le linebacker poursuit la franchise. L’équipe de George Halas avait pris la sournoise habitude d’empêcher ses joueurs de consulter un médecin indépendant, extérieur au club, afin d’obtenir un autre avis. Quant à Butkus, ils n’hésitaient pas à le gaver d’antidouleur pour l’envoyer sur le terrain à tout prix et s’assurer un stade rempli par la même occasion. Business is business. Mais ça n’est pas vraiment du goût de l’intéressé. Ses relations avec le mythique propriétaire deviendront d’ailleurs glaciales. Cela ne l’empêchera de devenir commentateur radio pour ses Bears en 85 et de voir son numéro 51 disparaître à jamais du vestiaire.
Des tribunes de presse aux écrans noirs en passant par des shows TVs divers et variés, l’Ours de l’Illinois et sa moustache ont beau avoir quitté les terrains, il sont loin d’être partis en hibernation. Seulement, le plus redoutable plaqueur de tous les temps selon NFL.com a décidé de rentrer les griffes et de s’adoucir. Trop tard pour ses adversaires pendant 8 saisons. Le mal est déjà fait.