Parti de loin, et pourtant de si proche, Victor Cruz n’aurait sans doute jamais pu avoir cette carrière en NFL sans une volonté et un talent hors du commun. Non drafté dans la ligue, il en est maintenant devenu l’une des figures au poste receveur. Mais que de chemin parcouru avant d’enfin trouver son Eden…
Le petit homme Cruz
Lorsqu’il naît le 11 novembre 1986 à Paterson dans le New Jersey, à seulement 20 kms du stade qui s’appelait encore le Giants Stadium, personne ne pouvait encore s’imaginer que Victor Cruz serait l’une des coqueluches des G-Men trois décennies plus tard, quand bien même le jeune Victor s’enthousiasmait plutôt pour les Cowboys de Jerry Jones et qu’il porte maintenant le numéro 80 en l’honneur de Cris Carter, un ancien Eagle.
C’est que la vie n’a pas vraiment commencé sous les meilleurs auspices pour Victor. Son père, Mike Walker, pompier de son état à Paterson, est marié et a déjà des enfants de deux autres femmes lorsque son fiston vient au monde. Leur relation sera d’ailleurs pendant longtemps inexistante puisque le futur receveur des Giants ne fait la connaissance de celui-ci qu’à l’age de sept ans, en même temps qu’il rencontre son frère aîné, Malik Walker. Les deux frères deviennent vite inséparables et c’est même leur père commun qui les inscrit tous deux au football à l’âge de 10 ans. Conscient du danger et voulant minimiser les risques au possible, ce dernier affuble d’ailleurs souvent Victor et Malik d’une double protection, les empêchant du coup de se sentir au mieux sur le terrain et limitant leur champ d’expression…
Née à Puerto Rico, la mère célibataire de Victor Cruz, Blanca, après avoir vécu à Paterson chez ses parents avec son fils au premier étage d’un petit immeuble, se décide à déménager dans le 4e arrondissement lorsqu’arrive une petite fille dans la famille, Arelis.
Si le gain de place entre une maison et un appartement partagé est appréciable, le quartier est un véritable nid à problèmes, où le taux de criminalité est le double de la moyenne nationale. D’ailleurs, Blanca envoie Victor à des cours de karate et de taek won do dès l’age de 7 ans pour « lui apprendre à se proteger ». Et puis, surtout, cela l’éloigne du sport qu’elle ne veut vraiment pas que Victor fasse : du football… Trois petites années plus tard, c’est bien sur les terrains de Paterson, avec casques et protections, et non dans un dojo que l’on retrouve Victor.
Côté protection, mais dans les rues cette fois, c’est surtout le semblant de maturité precoce de Victor qui va le sauver des dérives « naturelles » que l’on peut trouver dans un tel repères de trafics et de violence, où l’on entend des fusillades dès que la nuit tombe et où il n’est pas rare de ne plus s’étonner de l’absence de son voisin de classe le lendemain.
Malgré les tentations et quelques inévitables longues soirées à trainer dehors avec de mauvaises fréquentations malgré le couvre-feu maternel, Victor ne craque pas et ne met pas le doigt dans l’engrenage infernal de business illégaux et dangereux. L’un des facteurs pour que ces mêmes connaissances le laissent également tranquille ? La réputation qu’a commencé à se construire Victor sur les terrains de foot des environs.
Cruz toujours
Difficile à croire maintenant mais le Victor Cruz âgé de 12 ans domine tous ses adversaires physiquement. A son poste de running-back, ses 10 cms de plus et sa vitesse de course font de lui l’arme ultime de la Paterson Catholic High School.
En 2003, à 17 ans, il mène les Cougars à un bilan immaculé de 11victoires en 11 matches et au titre de champion de division 1 paroissiale (la Bergen-Passaic Scholastic League). Ces performances, Victor les réalise néanmoins maintenant au poste de receveur où, avec 42 receptions, 731 yards et 19 touchdowns, il est élu All-State malgré son physique (1m75, 75 kilos) devenu plus commun.
Jugé trop petit et trop lent par les scouts des universités de Division 1-NCAA, Victor reçoit tout de même une offre de bourse par l’Université du Massachussets (U-Mass), au niveau inférieur, qui décide de parier sur son talent. Arpenter un campus universitaire, Victor sera le premier à le faire dans sa famille et cela rend Blanca pas peu fière. Le jeune homme doit cependant améliorer ses résultats au SAT’s pour espérer pouvoir porter un jour le maillot cramoisi des Minutemen.
Pour cela, et avec le soutien de Don Brown, le coach de U-Mass qui prend les choses en main pour son inscription, il s’en va étudier à la Bridgton Academy dans le Maine, une école susceptible de l’aider à atteindre son objectif scolaire tout en lui permettant de continuer à pratiquer le football, dans une ville où il n’y a « que de la neige et un seul feu tricolore à un carrefour ».
Les deux heures obligatoires d’études chaque soir ne l’empêche pas de briller sur le terrain où il est, comme il l’était à Paterson, le meilleur receveur de son équipe et un joueur capable de produire des réceptions acrobatiques dignes des félins les plus élastiques.
Au niveau académique, c’est seulement au bout de six essais aux SAT que Victor est admis à U-Mass où il debarque au printemps 2005, pensant un peu trop surement que le plus dur est fait et que son statut d’athlète va maintenant lui permettre de se reposer quelque peu sur ses lauriers…
Et ce qui doit arriver ne manque pas d’arriver puisque, en trois semestres, Victor se voit suspendu deux fois de l’équipe pour résultats scolaires insuffisants. Ayant pris l’habitude de ne pas aller en cours, il se retrouve à la portée de toutes les distractions possibles et imaginables sur un campus universitaire. Mais, à l’automne 2006, c’est surtout à la porte de U-Mass que Victor Cruz se retrouve, bourse suspendue et avenir mal engagé.
Contraint de revenir à Paterson, c’est honteux qu’il se terre chez sa mère, soucieux de ne pas se faire remarquer des voisins qui pensent qu’il est en train d’écrire son destin en grand chez les Minutemen. La seule solution pour repartir là-bas ? Trouver une institution publique capable de lui fournir des cours et des crédits de base qu’il pourra ensuite transférer à U-Mass.
« J’ai dû devenir l’homme de la famille. Je ne devais ne compter que sur moi pour ne pas gâcher les opportunités qui m’avaient été données. Je devais étudier et travailler. Il y avait toujours de la lumière au bout du tunnel et je devais mettre tout pour y arriver »
Avec Blanca qui travaille avec encore plus d’ardeur comme conseillère clientèle à Benjamin Moore, une manufacture de peinture, pour pouvoir financièrement aider son fils, Victor prend des cours de toutes sortes au Community College local, le Passaic County Community College : d’été, du soir ou même en ligne.
Mais le jeune homme prend également conscience que sa vie pourrait très bien ne pas comporter de football du tout et il doit se résoudre à aller gagner quelques dollars de plus en vendant des t-shirts dans un magasin du mall du coin. Sans doute l’idée de créer sa propre marque lui est-elle venue à cette epoque et que la ligne « Young Whales » (lancée en collaboration avec un autre joueur de NFL, Nate Collins, et dont le nom est un jeu de mots à propos des flambeurs au casino) n’est que l’aboutissement d’une idée germée à cette epoque.
D’un dur retour à la réalité, cette expérience de vie se transforme en bénédiction étonnante lorsqu’il rencontre Michael Strahan, alors l’énorme star de l’équipe des Giants, en session shopping dans ce magasin « Image » du Westfield Garden State Plaza de Paramus. Présenté par son patron comme un joueur de foot local brillant et travailleur mais dont les notes ne suivent pas, le defensive end lui conseille de continuer à travailler et surtout de ne jamais renoncer. « Je jouais à Texas Southern. Texas Southern, mon gars ! Si t’es vraiment bon, tu seras repéré » lui assène le futur Hall Of Famer. Comme Cruz l’indique dans son autobiographie « Out of the Blue », cette rencontre est le point de départ de sa nouvelle vie sportive. Mais cette année-là sera également le point de départ de sa nouvelle vie d’homme, de fils et de fiancé…
L’Eden de Cruz
1er mars 2007, le frère de Victor, Malik, retrouve leur père de 49 ans mort à côté de son lit, du sang s’échappant de la bouche et des seringues posées sur sa table de nuit. N’étant aucunement connu comme un consommateur de drogues, le suicide paraît être une option crédible dans ce fait divers. Quelques mois auparavant, c’est ce même pere qui, en leader moral, avait rappelé à Victor de faire les bons choix, d’éviter de trainer dans la rue autant que possible et de bien choisir les gens avec qui il traine, suite à une échauffourée dans un night-club au cours de laquelle des tirs sont échangés. La soirée avait cruellement rappelé à Victor que l’expérience la plus traumatisante de sa vie a été la mort d’un de ses amis les plus proches d’une balle perdue alors qu’ils n’avaient tous deux qu’une dizaine d’années.
Plus cruel encore pour Victor, le fait qu’il s’est disputé avec son père quelques semaines auparavant à propos de sa grande sœur et qu’ils ne s’étaient plus parlés depuis. La fiancée de Victor, Elaina, dira de ce moment, dans un reportage sur ESPN, qu’il est celui où « Victor Cruz est né », le joueur lui répétant : « je ne peux plus échouer, je ne peux absolument plus échouer ».
C’est donc motivé et concentré comme jamais qu’il parvient à retourner sur le campus de U-Mass où durant les deux années d’éligibilité qu’il lui reste, il va mettre la Conférence All-Colonial à feu et à sang, de couleur cramoisie évidemment ! En position de slot receiver sur les jeux à 3 receveurs, ou à l’exterieur quand l’équipe n’en comporte plus que deux, Victor torture les défenses adverses et parcourt 1931 yards, en ayant attrapé 131 ballons et marque 11 touchdowns, ce qui le place en 4e position All-Time à U-Mass en seulement 2 saisons. Cela lui vaut également d’être élu deux fois dans la All-Colonial First Team.
Peu aidé par le niveau relativement faible de son université, Victor n’est cependant pas invité à la Combine en 2010 à la fin de son cursus. Il doit donc attendre deux pro days , l’un à U-Mass et l’autre à Boston College, pour pouvoir démontrer aux scouts des équipes NFL que sa petite taille (1m83) et sa vitesse plutôt moyenne (il court le 40-yard dash en 4″52 et 4″47 à Boston) sont compensées par ses courses précises, son explosivité sur des plus petites distances, une détente sèche d’1m05 et sa capacité à attraper des ballons dans toutes les positions.
Victor est plutôt confiant sur ses chances d’être sélectionné lors de la draft 2010. Il étudie bien toutes les équipes, note tous leurs besoins et qui elles possèdent comme receveurs, afin d’essayer de prévoir où il pourrait atterrir. Mais son nom ne sera jamais prononcé sur la scène du Radio City Hall, malgré les 27 receveurs choisis par les équipes cette année-là, de Demaryius Thomas à Tim Toone, le « Mr Irrelevant » de la promo. L’espoir de rejoindre les rangs pros n’est cependant pas complètement perdu lorsque les New York Giants l’appellent dès le lendemain pour l’inviter à leur camp d’entrainement. Le reste fait maintenant partie de la (grande) histoire de la franchise…
La salsa du Géant
Le 3 août 2010 marque ses débuts sous le maillot bleu des G-Men, lors d’un match de pré-saison face à une équipe des Jets comptant dans ses rangs des clients comme Antonio Cromartie. Victor Cruz y explose en inscrivant 3 touchdowns en 6 réceptions pour 145 yards. Malheureusement pour lui, Victor se blesse gravement 2 mois plus tard, en se rompant un tendon. Sa saison est terminée et sa place au sein du corps de receveurs des Giants n’en est que plus fragilisée la saison suivante, son absence l’ayant relégué en 4e position dans l’ordre de préférence des coaches.
« Cela a toujours été important pour nous que Victor reconnaisse mon héritage, ainsi que celui de sa grand-mère, afin que tout le monde sache d’où il vient » Blanca Cruz, mère de Victor Cruz
Sa ténacité et son talent pousse Tom Coughlin à le titulariser tout de même dès la 3e semaine de la saison 2011 pour un match de division toujours attendu face aux Eagles. Mis au défi par le coach des quarterbacks, Mike Sullivan, de faire quelque chose de spécial pour honorer la communauté hispanique et sa culture, Victor Cruz profite d’une longue échappée de 60 yards vers la end-zone adverse pour penser à honorer sa grand-mère. Et quoi de plus normal qu’une salsa pour le faire puisque c’est cette même abuela qui lui a appris ces pas chaloupés en bas de son immeuble alors qu’il n’était encore qu’un enfant ?
Le gimmick devient la nouvelle folie de New York et, bientôt, de toute la NFL. Cruz, aidé par l’attention portée à Hakeem Nicks par les adversaires, explose le record de la franchise avec 1539 yards en cumulé et des actions d’éclat, comme ce touchdown de 99 yards face (encore) aux Jets en semaine 15 lors du match de Réveillon de Noël. Avec ses 9 touchdowns sur la saison, il parvient à qualifier les Giants pour les playoffs, chose qu’ils n’avaient plus faite leur défaite au premier tour en 2008 face aux Eagles, un an seulement après avoir gagné le Super Bowl XLII face à New England.
Et c’est face à ces mêmes Patriots que les Giants de Victor Cruz remportent de nouveau un Super Bowl lors de cette saison 2011, au cours duquel il marque le premier touchdown du match. Une année à marquer d’une pierre blanche également puisqu’il devient papa d’un petit Kennedy.
Mais l’année magique de 2011 se transforme en année tragique dès la suivante avec la mort de sa grand-mère, à laquelle il était très attaché, qui ne le verra donc pas glaner sa première (et seule) sélection pour le Pro Bowl au terme d’une saison terminée de nouveau avec plus de 1000 yards en réception. Et la carrière de Victor Cruz semble prendre un tournant déterminant lorsqu’en 2014, il se blesse de nouveau gravement au genou face aux Eagles lors d’une défaite humiliante 27-0.
Sa blessure est tellement importante qu’il ne foulera plus les terrains de la ligue pendant 1 an et demi. Son genou réparé, c’est ensuite son mollet gauche qui le fait souffrir en 2015 et tient ses dirigeants dans l’expectative quant à la date de son retour alors que, dans le même temps, Odell Beckham Jr le remplace dans le cœur de nombreux fans suite à ses exploits incroyables et ses réceptions mémorables. Il est finalement placé sur la liste des blessés en novembre quand il ne fait plus aucun doute qu’il ne pourra pas jouer de la saison.
Mais avec un tel parcours et une telle ténacité pour réapparaître lorsque l’on ne l’attend plus, qui a vraiment été surpris de revoir une petite salsa dans la end zone des Cowboys la semaine dernière ?
Seulement 34 yards mais 6 points de marqués à 4 minutes du terme d’un match gagné d’une seule petite unité. Pas de doute, Victor Cruz est bien de retour !