Il est grand. Il est blond. Il est dégarni. La finesse, ça n’est pas vraiment sa tasse de thé. La précision, qu’est-ce donc ? Vous aimez les quarterbacks sexys, les virtuoses, les magiciens. Oubliez-le. Jetez plutôt un œil du côté du Minnesota. Non, Terry Bradshaw n’est pas un aristocrate du ballon rond. Pas un aristocrate tout court. Fidèle à ses origines rurales jusque sur les prés carrés, il est un joueur rustre, sans fioriture. Il bombarde à tout va. Parfois n’importe comment. Sauf quand le jeu ( et l’enjeu) en vaut la chandelle. Car s’il n’est pas un homme de la haute, il est un homme des grands rendez-vous. Sous aucun prétexte il ne les raterait. Et jamais il ne les rate.
L’enfant du bayou
Deuxième rejeton de la fratrie Bradshaw, Terry grandit dans un environnement où discipline, rigueur et travail sont maître mots. Pas question de prendre les choses à la légère. Né dans le bayou louisianais, c’est dans l’Iowa, loin de ses parents et frangins, qu’il passe sa petite enfance et bâtit, lentement, mais sûrement, son rêve : devenir joueur de football professionnel. Il a encore tous ses cheveux sur le sommet de son crâne qu’il y pense déjà. Ado, il retourne à Shreveport, sa ville natale. Auprès des siens. En 65, l’apprenti quarterback mène son lycée au titre en triple A. Plus que ses prouesses sur le gazon, ce sont ses exploits sur le terrain d’athlétisme qui lui doivent d’attirer sur lui les projecteurs. Encore lycéen à Woodlawn, il établit un nouveau record national au lancer du javelot : 74,68m ! Un véritable exploit qui lui doit les honneurs de Sports Illustrated. Que les plus sceptiques soient rassurés, Terry en a dans le bras. S’il peut réaliser pareil lancer avec un javelot, imaginez ce qu’il pourrait faire avec un ballon ovale.
Le lycée achevé, il décide de rejoindre Lousiana Tech. C’est l’amour fou. Terry Bradshaw se dévoue corps et âme pour son université. Que cela soit avec ses frères de la Tau Kappa Epsilon ou au sein de l’Association des Athlètes Chrétiens, il se forge une âme de leader, de prêcheur. Après avoir joué les doublures de la future star de Duck Dinasty, Phil « Roxie » Robertson, il prend les commandes des opérations du côté de Ruston. 2890 yards, le meilleur quarterback universitaire du pays conclut son année de junior par un succès en roue libre face à Akron lors du Rice Bowl. Pour sa dernière année, il doit se contenter de 2314 yards dans les airs. Il faut dire que Terry ne dispute que 19 rencontres cette année-là et quitte souvent les rencontres avant la fin lorsque le score est acquis. Les Bulldogs prennent soin de leur joyau.
Avec une solide réputation derrière lui et un bras à la puissance phénoménale, Bradshaw est le premier joueur sélectionné lors de la Draft 1970. Adieu le bayou, les moustiques et les crocos, direction la ville de l’acier. Un droit que les Steelers ont acquis à pile ou face. La franchise de Pittsburgh avait réussi le même exploit que les Bears : finir la campagne 69 sur un bilan de 1-13.
Sur les bords de la rivière Ohio, les premiers pas de Terry dans le monde pro vont être lents. Et maladroits. Pas vraiment le départ idéal. Après une première saison à partager le temps de jeu avec un autre Terry, Hanratty, Bradshaw est intronisé titulaire. Et les choses ne se passent pas vraiment comme prévu. Interception après interception, le passeur vit un début de carrière catastrophique. 24 en 1970 alors qu’il partage la tâche. 22 l’année suivante. Terry conclut ses deux premières saisons avec 46 ballons volés et seulement 19 petits touchdowns au compteur. Raillé par les médias pour ses performances, il l’est également pour ses origines rurales et son manque d’intelligence de jeu. Cauchemardesque. Mais en travailleur invétéré, Terry fait le dos rond et lentement, mais sûrement s’adapte aux standards pro. Un long apprentissage pour ce colosse d’un mètre 91 et presque 100 kilos.
Le grand blond avec quatre bagues aux doigts
Bien aidé par une défense d’acier et la doublette de déménageurs formée par Franco Harris et Rocky Bleier, Terry va se muer en machine à gagner. Et surtout à gagner quand ça compte. Avec son bras de mammouth, pas toujours d’une précision chirurgicale, mais tout aussi redoutable pour autant, il écœure des défenses qui ne savent plus où donner de la tête. En 1972, en playoffs face aux Raiders, la puissance de son bras s’allie à la chance pour jouer l’un des plus mauvais (ou meilleurs, c’est selon) tours de l’histoire au joueur d’Oakland. Bradshaw, sous pression et avec une poignée de secondes au compteur, fait de son mieux pour étirer le jeu et balance une passe improbable dans le trafic. Le cuir ricoche à pleine vitesse contre un défenseur et atterrit dans les bras de Franco Harris. Le coureur et Rookie Offensif de l’Année file à toutes enjambées jusque dans la peinture jaune. Les Raiders sont à terre. Les Steelers sont à une marche du Super Bowl. The Immaculate Reception. Terry vient d’écrire l’histoire. Les Hommes d’Acier buteront sur les Dolphins au tour suivant. Leur rendez-vous avec le Big Game attendra.
Après un début de carrière chaotique, Bradshaw se voit même dépossédé de son rôle de titulaire par Joe Gilliam en 74. Mais le Canonnier Blond va reconquérir son bien en cours de saison. Pour le plus grand bonheur des Steelers. Car après quatre campagnes à patauger dans des eaux plus troubles encore que celles du bayou louisianais, Bradshaw a fini son apprentissage. Pourtant, il peine encore à convaincre. Son coach, comme les observateurs. Même ses coéquipiers. À tel point que quand il appelle un power sweep (une course) sur une 3e et 30, deux de ses linemen menacent de lui balancer un pain dans la tronche. Et ses exploits à venir n’y changeront pas grand-chose, Terry restera un éternel incompris. Un joueur au bras phénoménal, aux mensurations idéales, mais à qui il manque un petit quelque chose. Une touche de glamour.
Le géant blond va de nouveau se muer en bourreau des Raiders. Cette fois-ci en finale de l’AFC. le lanceur expédie la passe de la victoire dans les bras de Lynn Swann dans le quatrième quart-temps. Super Bowl nous voilà ! Face aux Purple Peole Eaters et au magicien Fran Tarkenton, les Steelers s’en remettent à leur défense en fer forgé pour décrocher la première bague de leur histoire (16-6). Le passeur livre une performance minimaliste (seulement 9 passes sur 14), mais plie le match avec un touchdown tardif dans la dernière période. Les joueurs de Pittsburgh on enclenché le mode victoire. Et ils ne sont pas prêts de le désactiver. Aux commandes d’une écurie parfaitement huilée, Terry se sent comme un cavalier juché sur son fier destrier. Une sensation grisante.
« Imaginez-vous perché sur un cheval de race. Vous êtes assis et vous avez cette sensation de pouvoir. C’est ce que je ressentais en tant que quarterback de cette équipe. C’était une superbe ballade. »
La saison suivante, bien décidés à conserver leur bien, les Steelers se présentent à nouveau au Super Bowl. Bradshaw ne complète encore une fois que 9 passes pour 209 yards. 161 d’entre eux atterriront dans les gants de Lynn Swann. Le MVP de la rencontre signe le touchdown de la gagne en fin de partie sur un missile longue distance de l’artificier en chef Terry Bradshaw. Malgré leurs efforts, Roger Staubach et les Cowboys ont plié sous les coups de boutoir de la machine à gagner de Pittsburgh. Terry a beau avoir dompté deux futur Hall of Famer, la reconnaissance se fait encore attendre. Ses deux bagues, il les doit à Franco Harris et Lynn Swann paraît-il. Lui, il n’y est pas vraiment pour grand-chose. Derrière un jeu au sol en mode rouleau compresseur et une défense hermétique, il est relégué à un rôle de figurant. Mais un figurant qui gagne. Et Terry s’en contente largement. L’année suivante, le passeur manque 4 rencontres à cause de blessures au poignet et au cou. Les Steelers sont encore au rendez-vous des playoffs. Mais pas pour longtemps. Terry a beau écarteler les Baltimore Colts au premier tour (40-14), il perd ses deux coureurs millénaires et est impuissant en finale de conférence face aux Raiders. Pas de triplé. Une campagne mi-figue, mi-raisin en 77, et revoilà les Hommes d’Acier.
Pas vraiment abonné aux performances XXL et aux chiffres ronflants, il fait enfin grimper le compteur en 78. 2915 yards, 28 touchdowns, 20 interceptions (sa marque de fabrique), 14 victoires, deux petits revers, deux démonstrations en playoffs et un nouveau duel au sommet face aux Cowboys pour conclure la saison, il est nommé MVP. Dans un remake du Super Bowl X face aux Cowboys, il remet les texans et leur linebacker Thomas « Hollywood » Henderson à leur place. « Il est tellement con qu’il ne serait pas foutu d’épeler CAT même si on lui mettait un C et un A sous le nez, » avait déclaré le défenseur avant le Big Game. 318 yards (un record alors), 4 touchdowns et un succès à l’arraché (35-31) plus tard, Terry ne sait peut-être toujours pas épeler CAT, mais il sait comment épeler M-V-P. Harassé. Sacké. Dépossédé du ballon. Malmené pour une défense texane survoltée pendant toute la rencontre, Bradshaw a su laisser passer l’orage pour finalement enfiler sa troisième bague aux doigts.
« Je ne pense pas qu’aucun autre quarterback aurait pu faire ce que Bradshaw nous a fait, » confiait le defensive end des Cowboys, Harvey Martin. « On l’a sonné, presque mis hors course à un moment donné, mais il est revenu. Il a mérité le titre de MVP et tout ce qui lui est arrivé après de match. »
26 touchdowns et 25 interceptions plus tard (digne d’un Eli Manning à ses plus belles heures), Terry Bradshaw complète sa collection de breloques devant un Rose Bowl plein à ras bord en janvier suivant. Dans une joute plus disputée qu’il n’y paraît (31-19), le passeur s’offre 309 yards et deux touchdowns pour disposer des L.A. Rams. Le Canonier Blond fait encore parler son bras pour sceller l’issue du match sur une bombe de 73 yards dans les gants de John Stallworth. Terry est au sommet de son art. Celui de pilonner les défenses sans une once de pitié
« En vérité, le quarterback devrait représenter 1/22e de l’équipe, mais ça n’est pas vraiment comme ça que ça marche » explique Chuck Noll en 1980. « Terry représente bien plus que ça pour nous. Il est celui qui nous fait avancer. C’est le leader, notre moteur. »
Après six saisons à tutoyer les sommets, vient le temps de la disette. Deux campagnes vierges, achevées dès le mois de décembre, puis des pépins physiques. Ça commence à sentir le roussi. Bradshaw lutte avec une épaule douloureuse. Tellement douloureuse que le passeur doit se faire injecter une dose de cortisone avant chaque rencontre pour supporter la douleur. Dans une saison écourtée pas la grève, il parvient tant bien que mal à mener ses Steelers en playoffs. Deux touchdowns. Deux interceptions. Un petit tour et puis s’en va. Le grand blond vient de vivre son dernier match de séries.
Opéré de l’épaule à la fin de la saison, il regarde les 14 premiers matchs de la campagne 1983 à la TV. Pour son retour en décembre face aux Jets, il entend un « pop » en lançant un touchdown vers Calvin Sweeney. Son épaule vient de rendre l’âme. Terry quitte le terrain et ne reviendra jamais. Il vient de lancer la dernière passe de sa carrière. 212 touchdowns. 210 interceptions. La précision n’aura jamais été son fort, mais il aura su se muer en homme des grands rendez-vous. Bien soutenu par un jeu au sol endiablé et une défense féroce, il aura été le leader d’une véritable dynastie. Celle du rideau d’acier.