Les destins des plus grands quarterbacks se jouent parfois à rien. Si Peyton Manning avait été adoubé roi des Colts dès sa sélection comme premier choix de la draft en 1998, on peut se souvenir qu’il a fallu un énorme plaquage du linebacker des Jets, Moe Lewis, sur Drew Bledsoe pour qu’un quarterback, seulement choisi en 199e position de la draft 2000, n’arrive à la tête des Patriots et ne les emmène à quatre victoires au Super Bowl lors des 15 saisons suivantes. Encore loin de comparer Dak Prescott à Tom Brady, on pourra quand même peut-être se rappeler d’ici quelques années que le #4 des Cowboys est arrivé aux commandes de l’America’s Team suite à la blessure au dos de Tony Romo, survenue lors du match de présaison face aux Seahawks en août dernier.
Pourtant, si la surprise est la réaction première face au début de saison record de Dak Prescott, la vie du quarterback semble n’avoir été qu’un long chemin vers le poste, certainement l’un des plus scrutés du sport américain.
Le bijou du Bayou
C’est à Haughton, petite ville du Nord-Ouest de la Louisiane, qu’a éclot ce destin si particulier en juillet 1993 et que Margaret « Peggy » Prescott élève ses trois fils : Tad, Jace et le petit dernier Dak, diminutif de son nom 2ème prénom « Dakota » qu’il utilise depuis que ses camarades de classe se sont moqués de son vrai prenom « Rayne ». Séparée peu de temps après la naissance de Dak du père des enfants, un homme noir prénommé Nathaniel, Peggy doit faire face au regard de la société du Sud des Etats-Unis sur ses enfants issus du métissage, étant elle-même de descendance indienne.
Sans grande ressource financière, avec Peggy qui accumule pourtant les heures de travail dans un restaurant routier des alentours, la famille mono-parentale vit dans le trailer park de Pine Creek Estates de Princeton, à un lancer de ballon de Haughton, Tad et Jace partageant une des deux chambres tandis que Dak dort dans celle de sa mère.
Avec leurs gabarits imposants, les frères de Dak sont des titulaires et des petites stars de la Haughton High School. Tad est un defensive end de talent, capable de réaliser des sauts périlleux arrières, et Jace est un offensive tackle d’1m95 et 165 kilos qui finira par jouer en NCAA chez les Demons de Northwestern State en Louisiane, non sans avoir appris à Dak à lancer un ballon de foot. Mais, pour talentueux qu’ils aient pu être, leurs confrontations fraternelles sur les terrains de rue, qu’ils soient de football ou de basket, ont engendré un monstre supérieur de volonté en la personne de Dak, habitué ainsi depuis tout jeune à affronter des joueurs plus grands et plus forts que lui. « Ils m’ont construit. Ils savent quel homme ils ont créé » juge-t-il d’ailleurs. Et Peggy en rajoute une couche en lui lançant « Si tu ne peux pas jouer avec les grands, reste sous le porche », une véritable incitation à se dépasser lorsque le match se déroule sous ses yeux…
Les postes de running back et de linebacker sont donc pour lui le meilleur moyen d’exprimer cette intelligence de jeu et cette résilience face à l’adversité lors de ses premières années sur les terrains. En arrivant au collège, par contre, le poste de quarterback semble correspondre totalement à cet alliage de puissance et d’intelligence qui caractérise son jeu.
« Ce que nous avions et que n’avons plus eu depuis Dak, c’est ce côté « Je suis un vainqueur ! ». Nous allons gagner quoi que les autres en disent, quel que soit le niveau de l’équipe d’en face, nous allons gagner. Vous ne pouvez pas enseigner cela. C’est en vous ou ça ne l’est pas. Et c’est en lui » Jason Brotherton, coach des receveurs a la Haughton High School
Né en pleine gloire des Cowboys dans les 90’s, qui remportent trois Super Bowls entre 1992 et 1995, il suit les goûts footballistiques de son père et devient un fan dévoué de la franchise à l’étoile dorée. Peggy devient alors elle-même une fan de la franchise de Jerry Jones, alors que ses deux autres fils ne jurent que par les Oilers et les Saints. Lors de la longue interview qu’il accordée à CBS lors du 4e match de pre-saison (qu’il ne jouait pas puisque, titulaire, il était conservé pour le début de saison), il déclare d’ailleurs : « Je ne sais pas si je vais un jour réaliser que je joue pour l’équipe que j’ai toujours supportée depuis tout petit ». Mais, avant d’arriver à ce poste, c’est en tant que quarterback des Haughton High School Buccaneers qu’il commence à se faire connaître dans la bourgade du bayou.
Le staff de l’équipe le connait depuis le temps, trainant à l’entrainement avec ses frères alors qu’il n’avait encore que 6 ans. Mais, une fois atteint l’âge de 17 ans, son 1m83 et ses 102 kilos interpellent les coaches. Néanmoins, c’est son état d’esprit de gagneur invétéré qui en fait un leader né pour l’equipe. Que ce soit avec son meilleur ami sur un jeu vidéo quelques minutes avant de disputer un match ou dans une bagarre post-défaite face à un lineman à qui il rend 15 cms et 30 kilos, le jeune homme déteste perdre et, surtout, se donne à fond pour éviter d’en arriver là.
Lors d’un match pouvant faire remporter le District à Haughton, il en fait encore la démonstration. Les Buccaneers perdant de 4 points à 1 minute de la fin, il mène un drive de 80 yards en 47 secondes, sans utiliser de temps-mort, en complétant 11 passes sur 12 dont un « 3rd & 18 ».
Malgré tout cela, son statut de mini-star ne dépasse pas vraiment les frontières de sa ville, où les gens l’idolâtrent et où les jeunes filles se ruent sur lui avant qu’elles ne soient gentiment chassées par Peggy. Les scouts ne sont pas réellement impressionnés par son niveau et les multiples essais qu’il passe se révèlent infructueux, avec des coaches universitaires se référant beaucoup plus à la notoriété du nom qu’au niveau du joueur pour justifier leurs choix.
Un Mississipi, deux Mississipi, trois Mississipi…
De l’Alabama au Texas en passant par le Mississipi ou la Louisiane, les réponses sont toujours les mêmes, malgré des camps d’entrainement satisfaisants et les 25 vidéos que la Haughton High School envoie pour que Dak soit recruté au niveau supérieur n’aboutissent qu’à deux réponses positives, l’une de TCU et l’autre de Mississipi State. Mais quand l’université texane décide de recentrer son choix sur des prospects plus locaux, il ne reste plus alors que les Bulldogs pour que Dak puisse réaliser son rêve.
Un peu hésitants sur le niveau du joueur, sur sa capacité à lancer ou à courir, les coaches de MSU rentrent totalement dans le « projet Dak Prescott » suite à leur Big Dawg Camp, sorte de camp de recrutement de l’université. Entouré d’une soixantaine des meilleurs joueurs locaux, Prescott fait montre d’un leadership sans pareil dans la salle de musculation, en les encourageant et en montrant l’exemple alors qu’ils ne sont même pas encore des coéquipiers.
Autant dire que lorsque Dan Mullen, le coach, le prend à part dans son bureau pour lui montrer les bagues de champion qu’il a pu gagner à Florida en 2006 et 2008 et pour lui demander si cela l’intéresserait d’en gagner une pour MSU, la réponse ne se fait pas attendre.
Fait aggravant, le bureau de Mullen est orné de photos des quarterbacks avec lesquels il a pu travailler dans le passé : Alex Smith et, surtout, Tim Tebow, l’idole de Dak. Du numéro #6 à la Haughton High School, Dak en changera même pour le #15, celui qu’arborait l’ancien vainqueur du Heisman dans le Swamp de Gainesville. Le nouveau changement de numéro, du #15 des Bulldogs au #4 des Cowboys, sera lui la conséquence du drame qui a touché Dak lors de son année sophomore.
Fan absolue de football, celle que ses enfants surnomment « John Madden » pour ses critiques acérées et acerbes de leurs actions, Peggy Prescott apprend peu de temps après l’arrivée de Dak à MSU qu’elle souffre d’un cancer du colon de stade IV, le plus avancé et celui où la maladie s’est déjà propagée à des organes éloignés comme les poumons ou le foie. Décidant qu’il était pour l’instant plus important pour son fils de se concentrer sur son entrée aux affaires sur le campus, elle ne lui dit rien pendant les deux premiers mois. Et quand vient le temps de lui apprendre la terrible nouvelle et que Dak n’a qu’une envie, celle de rentrer à la maison pour passer le plus de temps possible avec elle, elle lui indique qu’il se doit de rester à MSU, « l’endroit où (il) desire le plus être et où (elle) desire le plus qu'(il) soit ».
Un an et demi plus tard, le 3 novembre 2013, au lendemain d’une défaite contre South Carolina où Dak a lancé 3 interceptions et perdu un fumble, Dak se trouve dans le bureau des coaches lorsqu’il reçoit un appel de son père lui annonçant que sa mère est décedée le matin même dans sa maison de Haughton. De cette épreuve, il gardera un tatouage à son poignet : « M.O.M », comme « Maman » mais également comme « Mind. Over. Matter », un mantra qu’entonnait souvent Peggy au cours de sa chimiothérapie signifiant la capacité qu’a l’esprit à contrôler la perception de la douleur. Et un doigt pointé vers le ciel après chacun de ses touchdowns…
Si sa mère est enterrée le mercredi suivant, il est hors de question pour Dak de manquer le match du weekend, comme il l’affirme haut et fort à son coach dans l’avion le ramenant de la cérémonie alors que celui-ci lui énonce comment il compte s’organiser en son absence sur le terrain. Ce match, contre Texas A&M, les Bulldogs le perdront mais Dak y lancera pour 149 yards et deux touchdowns et courra pour 154 yards.
« Mon gars, je vais te dire : Rookie, c’est juste un nom – juste un nom qu’on te donne dans la ligue. Soit tu peux y arriver, soit tu ne peux pas » Dez Bryant sur Dak Prescott
Et quoi de plus beau que d’honorer sa mère, et les sacrifices qu’elle a réalisés, en réalisant une carrière universitaire fantastique. Sous le maillot de MSU, Dak Prescott va, en effet, faire fructifier tout son potentiel de footballeur, détenant 38 records d’équipe à la fin de son cursus. Dangereux au sol comme dans les airs, il accumule 11897 yards en 4 saisons, le 3e total de l’histoire de la conférence SEC.
Les 7242 yards à la passe sur les 26 matches de ses deux dernières saisons, combinés aux 56 touchdowns qu’il envoie, en font l’un des meilleurs joueurs universitaires de la nation. Il en récoltera même une 8e place au Heisman Trophy de 2014 (remporté par Marcus Mariota, dont le portrait est ici). Fait marquant de cette saison, il remporte avec MSU le match face à la Louisiana State University de Les Miles, dans son état d’origine, une première depuis 1991 pour les Bulldogs. Ayant également oublié d’être bête et toujours poussé par cette éthique de travail inculquée par Peggy, il sort de MSU avec deux diplômes, l’un en psychologie de l’éducation et l’autre en Leadership, évidemment !
Mais, tout comme le passage du lycée à l’Université n’avait pas été des plus simples, sa draft par les Cowboys lui vaut également quelques sueurs froides…
Ça passe à Dallas
Possédant des qualités similaires à celles de Donovan Mc Nabb, d’après Jon Gruden dans son « QB Camp », les scouts NFL sont impressionnés par sa puissance du haut du corps, sa force de bras et sa solidité mentale mais restent perplexes devant une technique un peu « robotique » et les nombreux coups reçus au cours de sa 4e année, faute d’une ligne offensive performante.
D’ailleurs, être resté aussi longtemps à l’université joue en sa défaveur car les équipes ont trop d’éléments négatifs « sur vidéo ». Les Bears, intéressés, decident de ne pas le sélectionner au 4e tour, une fois le contrat de Brian Hoyer signé. Les Cowboys, eux, à la recherche du successeur de Tony Romo et qui viennent également de prendre un running back rookie prometteur, Ezekiel Elliot, en 4e position, décident de miser sur Dak. MVP du Senior Bowl, Prescott a surement amené les coaches de l’équipe texane à se poser des questions sur lui puisqu’ils étaient responsables de l’équipe adverse lors de ce match de gala de fin d’année universitaire.
Si la première rencontre avec Romo est un peu étrange, puisque Prescott l’a critiqué ouvertement dans le passé sur son compte Twitter en grand fan des Cowboys qu’il est, le #7 des Cowboys l’encourage dans les media suite à ses bonnes performances en présaison. Maintenant que Prescott est devenu l’un des favoris pour le titre de rookie de l’année, qu’en sera-t-il de son futur lorsque Romo reviendra frapper à la porte pour récupérer son poste de titulaire ?
Pas facile pour les dirigeants d’écarter celui qui n’est maintenant plus qu’à 8 unités du record de passes tentées sans interception pour commencer sa carrière. Le détenteur actuel du record ? Tom Brady, arrivé à son poste grâce à une blessure…enfin, tout le monde connaît la suite.
Le rédacteur de ces lignes prend sa bye-week en semaine 7, rendez-vous dès la semaine 8 pour un nouveau portrait…