
Le temps d’une saison, ils y ont cru. Le temps d’un match, ils ont tutoyé la gloire avant qu’elle ne les fuit inexorablement. Brutalement parfois. Une idylle sans lendemain. Un coup d’un soir. Un one-night stand. Des one-year wonders. Ces stars aussi éphémères que des étoiles filantes.
L’AVANT
L’ombre enneigée des monts San Gabriel en toile des fonds. Un mercure qui flirte régulièrement avec les vingts degrés même au creux de l’hiver. C’est à Corona la bien nommée, immense banlieue résidentielle coincée entre la vallée de San Bernardino à l’est et les faubourgs d’Anaheim à l’ouest, que grandit Matt. Chez les Kalil, le football n’est pas qu’un passe temps ou un rituel dominical, c’est une religion. Centre d’Arkansas puis Arizona au tournant des 80’s, Frank, le patriarche, est drafté au onzième tour en tant que guard par les Bills en 1982. S’il ne disputera pas le moindre snap dans la NFL, il se frottera aux gros bas de sa rivale de l’USFL. Deux ans chez les Wranglers, dans un Arizona qu’il connait bien, puis deux autres années avec les Houston Gamblers avant de raccrocher en même tant que l’ambitieuse ligue périclite. Pourtant, les débuts de footballeurs de Matt sont chaotiques. « Épouvantables, » même pour reprendre la prose de son padre. Car à dix piges, il a beau déjà être plus grand et plus gros que tous les autres gosses, il ne pige rien au jeu.
Conscient du potentiel physique de ses deux rejetons, Frank s’entête et se met à leur inculquer sa passion et sa connaissance du football. Patiemment, dans le Butterfield Park adjacent à leur baraque, il leur enseigne le placement des mains, le positionnement des pieds, à fléchir ou non les jambes quand il le faut, à rester droit et imposer sa loi. Pendant que d’autres gamins se lancent le cuir autour d’eux, les deux frangins se tapent des séances de basiques bien nettement moins ludique. Pour Matt et Ryan, pas de ballon, juste les fondamentaux. Le travail de l’ombre. Un travail qui commence à porter ses fruits. Si bien que quand son fiston zieute sur un autre poste que lineman offensif, Frank se fâche tout rouge.
« Quand je suis arrivé à Servite, j’ai essayé de jouer tight end durant mon année de freshman, » raconte-t-il au site officiel des Colts en 2012. « Mon père a débarqué sur le terrain et lâché, ‘Non, il joue tackle gauche.’ Disons que ça a mis fin à mon rêve. »
Même chose avec les parties de basket ou les trips de ski avec ses potes. S’il veut fouler les terrains de la NFL un jour, il doit préserver son corps. Ne pas l’exposer. Pourtant, quand bien même Mark prend les débuts du plus jeune de ses fils à coeur, jamais il ne l’a forcé à devenir joueur de football.
« Notre père nous a remarquablement bien élevés mon frère et moi, » développe Matt. « Il ne nous a clairement pas forcé à jouer au football. C’est un choix que nous avons tous les deux fait. Il a toujours été clair sur le fait que nous pouvions pratiquer n’importe quel sport que nous voulions. Si nous voulions joueur au football et que nous voulions de son aide, soit ce serait à sa manière, soit il ne nous aiderait pas. C’est ce qui nous a rendus meilleurs tous les deux. Nous voulions joueur au football parce que nous aimons ce sport. »
Complices, les deux frangins partagent leur temps libre, leurs potes et leurs conneries. Comme ce jour où ils jouent littéralement avec le feu. Aux commandes d’une voiture télécommandée, les ados s’amusent à tracer leurs noms et initiales sur le bitume avec l’essence de la bagnole miniature. Sans que Matt ne s’en rende compte, un peu d’essence se répand sur son t-shirt, son bras et dans son dos. Quand la flamme vient dangereusement flirter avec le plus jeune des Kalils, la réaction est immédiate et le gamin s’embrase.
« […] Il a dû sprinter à toute vitesse vers l’arrière de la maison, » s’amuse Ryan dans les pages du Charlotte Observer en 2016. « Heureusement, nous avions une piscine et il a juste eu à plonger directement dedans. Des brûlures superficielles. »
De quatre ans son cadet, Matt débarque à Servite High School, à Anaheim, l’année où Ryan décroche son diplôme. Le tackle déboule au lycée avec Chris Gallippo et DJ Shoemate, deux de ses anciens coéquipiers chez les Corona Chargers, de quoi ne pas trop se sentir déboussolé par ce nouvel environnement.
« Le fait qu’ils aient tous les trois choisi de rejoindre Servite témoigne du lien fort qui les unissait, » se réjouit rétrospectivement le head coach Troy Thomas dans les pages web d’ESPN en 2012. « Ils l’ont fait afin de rassembler le plus de chances possible de réussir d’un point de vu académique, spirituel et athlétique. »
Tempérament placide, s’il ne bronche pas quand son père lui dit quoi faire, Matt n’en est pas de même face à la concurrence. Comme ce jour de 2007 face aux Swordsmen. Au moment du coin toss, les joueurs de St. Paul of Santa Fe Springs refusent de serrer les mains. Manque de fair play flagrant. Erreur de jugement notoire.
« Je me sentais désolé pour eux, je vous jure, » se souvient son coach de l’époque Troy Thomas dans les pages web du Orange County Register en 2012. « Il y avait des mecs étalés sur le dos. Matt ne s’est pas contenté de les bousculer l’un après l’autre. Il a vraiment pris ça pour une attaque personnelle, il a pris ça pour un manque de respect à l’encontre de ses coéquipiers. Il était furieux. »
La partie de bowling achevée, les Friars l’emporteront 33-0. Ils ont voulu jouer aux durs, ils ont réveillé la bête.
« C’est le genre de truc qui vient me chercher, » confirme Kalil. « Déjà que j’ai systématiquement envie de trucider le type aligné en face de moi. C’est juste comme ça que je suis. Si un mec essai de me battre en duel, s’il me passe et s’en prend à mon quarterback, ça dégoupille un truc en moi. »
L’instinct protecteur. En 2008, le site web spécialisé Rivals, le place au huitième rang des recrues lycéennes les plus talentueuses. Quand vient le moment de choisir sa destination, il a l’embarras du choix, mais choisit évidemment de marcher une fois encore dans les pas de son grand frère et de rester dans sa Californie du Sud natale. À USC, Matt rencontre deux anciens coéquipiers de son père avec la horde des Razorbacks d’Arkansas. Pete Carroll, coach des Trojans, et Patt Ruel, gourou de la ligne offensive. Il y retrouve aussi ses potes d’enfance Chris Gallippo et DJ Shoemate. Malgré une réputation à l’image de sa carcasse, solide, il est redshirté pour son année de freshman. Pas vraiment le scénario espéré. Un contre-temps qui le fait même s’interroger sur son véritable potentiel. Est-il aussi bon qu’on le dit ? Est-il aussi bon qu’il le pense ?
Titulaire pendant deux saisons au sein de l’attaque des Trojans, il envoie même Tyron Smith côté droit et fait une OPA sur le flanc gauche de la ligne. Côté aveugle, il ne concède qu’un tout petit sack. Pour sa dernière année sur la scène verdâtre du Coliseum, muraille infranchissable, il n’en accorde pas le moindre. Planqués derrière une ligne offensive en béton armé, Matt Barkley, Marqise Lee et Robert Woods dynamitent les défenses adverses. 162,6 yards au sol par match, 456,8 au total tous les samedis et 429 pions majuscules en douze matchs couronnés de succès à dix reprises. Tackle de l’un des programmes les plus prestigieux de tout le pays, joueur bourré de promesses à qui l’on promet monts et merveilles, suivant les conseils de nombreuses proches, à commencer par son père et son frangin, Matt décide de renoncer à sa dernière saison pour sauter à pieds joints dans le grand bain de la NFL.
« J’avais accompli tout ce que je pouvais à USC. J’étais All-American. J’ai gagné le Trophée Morris (récompense remise par leurs paires aux meilleurs linemen défensifs et offensifs de la PAC-12, ndr). J’ai accompli tout ce que je voulais accomplir là-bas. Je suis convaincu que c’était le moment idéal pour aller voir ailleurs et apporter mes qualités à l’échelon supérieur. »
Des heures de vol à travers tout le pays pour visiter ses courtisans. Son autographe gravé des milliers de fois sur des cartes à son effigie. Après une semaine d’entraînement aux côtés de futurs draftés, eux aussi, à l’IMG Academies de Brandenton, en Floride, il file à Cleveland pour un essai privé. Avec le 4e choix général, les Dawgs font partie des prétendants les plus sérieux. Encore faut-il qu’il sorte du podium. Et à en croire l’essentiel des mocks draft, cela n’arrivera pas. Le consensus général l’envoie dans le Minnesota dès le troisième choix général. Dans ce processus facilement pesant pour des gamins de tout juste 20 ans, Matt peut compter sur les conseils de son grand frère. Son pionnier. De Servite à l’avant-Draft en passant par USC, il aura déblayé le terrain pour lui tout au long de sa carrière d’apprenti footeux. Deux fois titré sous le sang et or des Trojans et All-American en 2006, Ryan fut un temps projeté en fin de premier tour, avant d’échouer en Caroline du Nord en fin de deuxième. 59e homme d’une cuvée 2007 à se pâmer, portée par Joe Thomas, Megatron, Adrian Peterson, Beast Mode, Patrick Willis ou encore Darrelle Revis. De ce contre-temps, et malgré les spéculations qui entourent son nom, Matt retient une leçon simple : « Tu ne sais jamais où tu vas atterrir. » Ni où, ni quand. Rester modeste à tout prix.
En attendant, il continue de consacrer près de deux heures et demi de son quotidien à un entraînement intensif. Son régime alimentaire est lui aussi méticuleusement dosé. 6500 calories. Pas une de plus. Pas une de moins. Indispensable pour maintenir ses 140 kilos. Son poids de forme. Car les observateurs ont beau parler de lui comme le meilleur tackle gauche à se présenter à la draft depuis Joe Thomas en 2007, le consensus est tout aussi affirmatif concernant son principal point faible. L’un des seuls. Son déficit de force brut. Souvent vulnérable face au bull rush, pass rush agressif qui lui vaut régulièrement de se retrouver sur le cul ou dans les pattes de son propre quarterback, il sait qu’il doit encore perfectionner sa technique s’il veut se hisser parmi le gratin des bloqueurs NFL. Car en dépit du flot d’éloges que l’on débite à son sujet, Matt Kalil n’est pas du genre à prendre quoi que ce soit pour acquis.
« Je ne suis pas ce genre de personne, » confirme-t-il au Orange County Register à quelques jour du D-Day. « Je joue toujours avec de la pression sur les épaules, avec quelque chose à prouver. J’ai toujours eu pour objectif de jouer au plus haut niveau. »
Et son but va bientôt être atteint. Après Mark Sanchez en 2009, pour la seconde fois en trois ans, un gamin d’un bahut d’Orange County est sélectionné dans le top 5 de la Draft NFL. Comme Carson Palmer en 2003. L’usine à talent du sud de la Californie carbure toujours autant, quand bien même elle finit souvent par accoucher de déceptions. Andrew Luck parti dans l’écurie des Colts, Robert Griffin III envolé du côté de la Maison Blanche, les Vikings se permettent même de troquer leur place sur le podium avec Cleveland tout en mettant le grappin sur le type qu’ils convoitaient depuis le début, quand bien même les futurs ratés Justin Blackmon et Morris Claiborne aient été un temps envoyés dans l’État aux 10 000 lacs. Un trade up lunaire grâce auquel les Browns cèdent trois choix de milieu et de fin de Draft pour sélectionner le futur bust Trent Richardson. Pour le staff des Vikings, le choix de la raison. Un évidence même.
« Il n’y a pas eu beaucoup de débat, » révèle Jeff Davidson, coach de la ligne offensive, au Pioneer Press en avril 2012. « […] C’est évident que ce type savait jouer au football. »
Et pour de nombreuses années espère-t-on du côté de Minneapolis. Un an après que Ryan ait décroché le contrat le plus lucratif de l’histoire pour un centre, la famille Kalil est une nouvelle fois à l’honneur.
LE PENDANT
Si sur le papier, Christian Ponder ne ressemble pas vraiment au quarterback du futur pour la franchise des Twin Cities, Matt Kalil a tout l’attirail du left tackle moderne pour passer la prochaine décennie dans le Minnesota. Deux mètres sous la toise, de longs bras, de larges mains, une mobilité bluffante pour un type de son gabarit, un jeu de jambe précis, une passion inébranlable pour ce sport, une intelligence de jeu, une lignée de footeux talentueux dans son arbre généalogique, un caractère bien trempé sur le terrain et une technique léchée, bien que perfectible face à des athlètes bien plus agressifs et percutants que dans les rangs universitaires. Car s’il est un type plaisant et paisible en civil, boosté à l’adrénaline du terrain, il se transforme en machine de guerre.
« C’est parfaitement exacte, » raconte-t-il au site officiel des Colts à quelques semaines de la Draft 2012. « J’aime clairement imposer ma volonté à mon adversaire, ne pas le lâcher d’une semelle du moment où le premier ballon est mis en jeu jusqu’au coup de sifflet final. C’est mon style de jeu. Je ne dirais pas que je suis méchant, je pense juste que je suis un joueur agressif. J’aime définitivement aller au bout de l’action, du snap au coup de sifflet, et comme je l’ai dit, imposer ma loi à mon adversaire en lui en faisant en gros comprendre que je suis sur le terrain et que j’y serai jusqu’à la fin du match. C’est de ça que je tiens cette attitude je pense. »
Épaisse barbe autour d’un menton au courbes douce, plus de deux mètres, près de 140 kilos, Matt semble taillé pour le Minnesota lorsqu’il descend de son Ford F-150 flambant neuf. Ne manque plus que la chaude chemise à carreaux et la hache au bout du bras, près à débiter les pass rushers de la NFC Nord comme du petit bois. Car dans le fond, il a beau être un gamin de la côte ouest, de cette Californie torride, au soleil éblouissant, au culte du corps, il est un col bleu dans l’âme. Un travailleur qui ne s’identifie pas du tout dans le clicher du Californien, une image qui « ne représente pas du tout [sa] personnalité. »
« Je suis discret, » renchérit-il dans les pages du Pioneer Press en avril 2012. « J’aime traîner avec mes amis, j’aime profondément jouer au football autant que je le peux… Je prends aussi plaisir à être un coéquipier modèle et à prendre soin de ma famille. C’est comme ça que j’ai été élevé. »
À peine arrivé dans le Minnesota, il passe de longues heures à Winter Park à développer sa complicité et ses automatismes avec Ponder, 7e choix général un an plus tôt, pendant qu’un peu plus loin, un autre rookie s’affute pour sa première saison chez les pros : Harrison Smith, la bonne pioche de la fin du premier tour.
« J’ai un bon feeling avec [Christian Ponder], » se réjouit Matt. « C’est un honneur de protéger son côté aveugle. Je pense qu’il a hâte lui aussi. […] Évidemment que je retire une certaine fierté du fait de protéger mon quarterback. J’aime le challenge de ne pas avoir la moindre aide… C’est ça que j’aime… Me retrouver en un contre un face au defensive end. »
Car en blindant le côté gauche de leur ligne, les têtes pensantes des Vikings espèrent bien pouvoir donner plus de liberté offensives à leurs tight ends au lieu de constamment devoir rameuter du renfort sur le flanc gauche et peut-être permettre à l’ancien passeur de Florida State de franchir un cap. Le jeudi 26 juillet, Matt paraphe un contrat de quatre ans et 20 millions de billets verts et s’offre le droit de se coltiner Jared Allen pendant tout l’été en guise de découverte de la NFL. De quoi s’ajuster rapidement à la vitesse, la technique et la puissance des rushers pros. Et ça tombe bien, car le gros bonhomme a faim de football. Il n’a plus enfilé son armure depuis novembre dernier. Une chose est sûre, Kalil ne se défilera pas face au meilleur chasseur de quarterbacks de la saison passée. Pas impressionné, il est même prêt à en venir aux mains s’il le faut pour prouver sa valeur et son état d’esprit de guerrier.
Collectionneur de bagnoles télécommandées, dont un model de près d’un mètre qui peut tracer à plus de cent bornes à l’heure, il se montre nettement plus avare en ce qui concerne les pénalités. Rookie à la discipline de fer, il ne commet pas le moindre holding, se fait épingler deux fois pour des faux départs et voit deux autres fautes techniques être déclinées ou annulées par un flag adverse. Six pénalités seulement et deux sacks concédés face aux plus féroces pass rushers de la NFL. Seize matchs, seize titularisations. Un cas unique pour un tackle rookie des Vikings depuis l’octuple All-Pro Gary Zimmerman en 1986 et le double Pro Bowler Todd Steussie en 94. 976 snaps en attaque, 130 de plus sur équipes spéciales, véritable boulimique, il participe à l’intégralité des action offensives de la franchise de Minneapolis. Un bilan aussi flatteur que prometteur pour Matt. Verrou côté gauche, il aura permis à l’insatiable jeu au sol des Violets d’amasser 2634 yards. Autant que l’ancien record de franchise de 2007. Année de rookie d’un certain Adrian Peterson. En 2012, AP entre dans l’histoire de la NFL en fracassant la barre des 2000 pions et en échouant à huit longueurs du record du binoclard Eric Dickerson. S’il porte à lui seul les Vikes jusqu’en playoffs, il ne pourra rien faire au premier tour face aux Packers.
Fin janvier 2013, le « Gros nounours, » dans la vie de tous les jours d’après les propres mots de Christian Ponder est convié au Pro Bowl pour remplacer Trent Williams qui a eu la bonne idée de se blesser en se castagnant en boîte. À Hawaï, il retrouvera Jared Allen, Jerome Felton, Chad Greenway, Adrian Peterson, Kyle Rudolph et un autre rookie, Blair Walsh. Mais pas de trace de son aîné. Pro Bowler un an plus tôt, le centre des Panthers n’est pas conviée à la petite sauterie de fin de saison en 2012.
L’APRÈS
En août 2013, Jerry Hugues lui fait vivre un calvaire. Le pass rusher des Bills rafle deux fois le scalp de Christian Ponder et le Matt Kalil infranchissable de sa saison de débutant est méconnaissable. Les signes précoces et avant-coureurs d’un sophomore slump. S’il démarre chaque rencontre, ne manque pas le moindre snap, n’est pas épinglé pour le moindre holding et ne récolte que cinq pénalités, touché au genou, il peine à s’imposer physiquement et concède quatre sacks. La saison achevée, il passe sur le billard. En 2014, bis repetita. En pire. Le genou amoché, il vit un véritable naufrage. Attrapé par la patrouille douze fois, il encaisse la bagatelle de douze sacks. Plus qu’aucun autre joueur de ligne offensive. Pour leur première saison au TCF Bank Stadium, les Vikings du rookie Teddy Bridgewater soufflent le chaud et le froid et le tackle gauche polarise de plus en plus la frustration des fans. Surtout face aux Packers, lorsqu’il concède trois pénalités. Après la rencontre, le ton monte lorsqu’un fan vient lui dire ce qu’il pense de sa prestation du jour. Remonté, Matt envoie valdinguer la casquette du supporter avant de se barrer sans demander son reste, téléphone vissé à l‘oreille. Une altercation qui témoigne du manque de confiance et de patience du joueur, enlisé dans une inquiétante spirale négative. Irréprochable depuis ses débuts en 2012, il est sanctionné trois fois pour avoir agrippé le maillot ou le plastron d’un défenseur adverse.
En 2015, son genou plus vaillant, il entasse un gros millier de snaps pour la quatrième année consécutive, retrouve un semblant de discipline (neuf pénalités), colmate légèrement les trous (six sacks) et échappe à l’étape printanière au bloc opératoire. En pleine santé, revanchard, motivé comme jamais, il réalise un été plein et les Vikings se mettent à rêver. Aurait-on retrouvé le Matt Kalil incisif et infranchissable de 2012 ? Tous les feux sont au vert. Puis c’est la tuile. En août, le bloqueur s’écroule et doit quitter l’entraînement sur un pied. Floqué de son numéro 75 pour le succès en ouverture à Nashville et pour la grande première triomphante au US Bank Stadium face aux Packers, le temps d’encaisser un sack et de déclencher un mouchoir jaune, il est envoyé sur la réserve des blessés quelques jours plus tard. Un cartilage pété dans la hanche, il ne rejouera pas de l’année. Il n’enfilera plus jamais la tunique violette. Il va de nouveau devoir passer sur le billard. Un an après avoir levé l’option sur la cinquième année de son contrat de rookie, le board de Minneapolis jette l’éponge. Matt se sentait en pleine possession de ses moyens pourtant, prêt à en découdre. Il devra le faire ailleurs.
« Mes deux premières années dans le Minnesota ont été bonnes, mais je n’ai jamais progressé comme j’aurais dû, » confesse-t-il au Charlotte Observer en 2016. « Je ne sais pas exactement à quoi cela peut être attribué, mais ça n’est pas juste aux autres. Une partie de la responsabilité me revient. »
Flairant la belle opportunité et la belle histoire, les Panthers lâchent l’artillerie lourde pour le faire venir. Cinq années et 55 millions, dont pas moins de 24 garantis. Un gros pactole et un gros contrat pour un type méconnaissable dont les seuls véritables faits d’arme remontent à 2012. Un pari à haut risque. En Caroline du Nord, Matt retrouve Ryan, son quintuple Pro Bowler de frangin. Deux frères sur la même ligne offensive. Une première depuis Dave et Doug Widell dans le haras des Broncos entre 90 et 92 ; et Jay et Joel Hilgenberg dans la paroisse des Saints en 1993. Après des années à se courir après, des Chargers de Corona en ligue de jeune aux Trojans de USC en passant par les Friars de Servite High, les voilà enfin réunis. Carolina tient aussi son Matt-Ryan.
« C’est l’opportunité d’une vie de pouvoir enfin jouer avec mon grande frère, le type qui avait toujours deux années d’avance sur moi, » se réjouit Matt dans les pages du Charlotte Observer.
Absent d’une grande partie de la saison passée, Michael Oher devrait migrer sur la droite de la ligne en 2017 s’il finit par revenir au jeu. Un déménagement qui laisse le champ libre à Matt. L’opération cure de jouvence peut débuter. Son rêve de passer toute sa carrière dans le Minnesota digéré, Matt est prêt à écrire un nouveau chapitre de sa vie de sportif. Mais pas seulement. Après cinq années dans l’État aux 10 000 lacs, désormais marié à une ancienne Miss Minnesota, il a hâte de découvrir une Caroline du Nord que Ryan a fait sienne depuis près d’une décennie. Il a aussi hâte de redécouvrir son frère. Pro Bowler respecté, farceur dans le vestiaire, homme réfléchi et prévoyant impliqué dans un projet de remake ciné avec la star des parquets Blake Griffin, il n’a pas grand chose à voir avec Matt le chasseur instinctif, l’adepte des grands espaces, des échappées en motoneige et des tête-à-têtes solitaires avec la nature. Un grand type réservé qui ne se pose pas tant de questions avant d’agir.
Pour sa première année à Charlotte, titulaire indéboulonnable, mais loin d’être irréprochable, il dispute 100% des actions en attaque. La saison n’a même pas un mois qu’il a déjà concédé quatre sacks. Lors d’un revers cinglant face aux Saints, il se plante complètement de protection, se barre à droite lorsqu’il est sensé blinder à gauche, ouvre un boulevard pour Cam Jordan et le defensive end s’en va croquer tout cru Cam Newton. Repoussées à distance de la peinture, les Panthères doivent se contenter de trois points. Ce jour-là, et une semaine après en avoir concédé sept face aux Bills, il accorde onze pressions. Pas de quoi inquiéter Matt pourtant.
« Évidement que se gourer de sens ça ne facilite pas les choses, » concède-t-il à ESPN. « C’est un simple détail. […] Certaines petites erreurs se sont transformées en grosses erreurs, mais si on élimine ces petites maladresse, on sera pas loin de la où on veut être. »
Coordinateur offensif, Mike Shula se veut lui aussi confiant sur son tackle gauche de 27 piges. Malgré les petits ratés de son nouveau poulain, il préfère retenir le positif et l’apport indéniable du tackle gauche en matière de protection comme de jeu au sol. « Bâtissons sur les bonnes choses et corrigeons les erreurs, » préfère-t-il philosopher. Quand la saison s’achève, Matt Kalil aura concédé six sacks, limitant considérablement l’inquiétante hémorragie du début de saison, et collectionné dix mouchoirs jaunes. Après une campagne 2017 honorable, le tackle prépare 2018 avec enthousiasme, mais un genou capricieux. Il a beau disputer les deux premières rencontres de préparation, le toubib recommande une intervention chirurgicale. Placé sur la réserve des blessés le 2 septembre, il ne rejouera plus jamais au football. Le 14 mars 2019, il est libéré par les Panthers. Signé par les Texans trois jours plus tard, il passe l’été à Houston avant d’être poliment remercié le 1er septembre. Clap de fin. Pour une fois il aura devancé son aîné. Après avoir annoncé sa retraite le dernier jour de 2018, Ryan rempile quelques mois avec les Jets avant d’atterrir sur la réserve des blessés une dernière fois le 16 novembre 2019. Pour lui aussi, il est temps de dire stop.
En mars 2020, reconverti en Stéphane Plaza californien, Matt débourse 3,812 millions de dollars sur une maison centenaire au style colonial surplombant la gorge d’Arroyo Seco, dans les alentours de Pasadena. Deux mois plus tard, il la refourgue en échange de 4,425 millions. Une plus-value de 613 000 billets verts. Car même loin des terrains, Matt Kalil continue d’avoir le chic pour flairer les bons coups et se remplir intelligemment les poches. Surfant sur une année de rookie pleine de promesses sans lendemain, il aura amassé un pactole de plus de 20 millions de dollars en sept années d’une carrière bien plus brève qu’il ne l’avait anticipé. Une carrière qui se résume à une année d’exception et six années de lente déception. A one-season wonder.