Le temps d’une saison, ils y ont cru. Le temps d’un match, ils ont tutoyé la gloire avant qu’elle ne les fuit inexorablement. Brutalement parfois. Une idylle sans lendemain. Un coup d’un soir. Un one-night stand. Des one-year wonders. Ces stars aussi éphémères que des étoiles filantes.
L’AVANT
Broadway avenue du nord au sud. Erwin street d’est en ouest. Deux imposants immeubles aux allures de protubérances égarées sur un paysage urbain bas de plafond. Et tout autour, un quadrillage compact d’artères mornes, égayées parfois par de rares néons, vestiges colorés d’un passé qui semble déjà bien lointain. Bienvenue à Tyler. C’est dans cette grosse petite ville texane sans grand attrait et qui doit son nom à John Tyler, dixième Président des États-Unis, que grandit Matt Flynn. Un père avocat, une mère danseuse et chorégraphe, deux frangins, deux soeurs, une famille nombreuse. Ancien quarterback des Bears de Baylor au bras canon durant deux saisons à la fin des années 60, Alvin, son paternel, l’encourage logiquement à manipuler le ballon à lacet.
À la Robert E. Lee High School, Matthew peut compter sur les mensurations de mammouth de Ciron Black, futur équipier à LSU, sur son bouclier protecteur et sur les longs segments de Brandon Pettigrew, tight end de près de deux mètres que les Lions choisiront en 20e position en 2009. En 2001, junior, Matt tourne à un peu plus de 50% de précision, balance 1650 yards, claque 13 touchdowns, se goure de mains à neuf reprises et se fait laminer au deuxième tour des playoffs par les futurs champions d’État de Mesquite High School.
« J’ai l’impression d’avoir réalisé une belle année de junior, mais pas aussi bonne que ce que j’aurais aimé, » estime-t-il dans les pages web de USA Today en 2002. « Nous n’avons pas lancé le ballon autant que nous l’aurions pu et pas mal de passes ont été échappées. […] J’attends avec impatience mon année de senior, mais nous n’aurons plus aucun receveur d’expérience, donc nous allons devoir compter sur des jeunes. »
Senior de 17 piges, Matt Flynn règle légèrement la mire, peine à développer son instinct de tueur dans les airs, mais se révèle de plus en plus dangereux dès qu’il prend ses jambes à son cou. 305 yards, 12 touchdowns, Matt a beau flirter avec le mètre 90, sa faculté à lire le pass rush, anticiper les blitz, échapper à la pression, lancer en mouvement ou bien se propulser vers l’avant pour aller gratter du terrain devient une arme des plus précieuses. Un facteur X permanent. Malgré un pied en vrac, le quarterback encaisse la douleur et porte les Red Raiders jusqu’en demi-finale. Son leader amoindri, Lee High butte sur Midland High School et Flynn a déjà la tête tournée vers l’avenir. Et il s’annonce prometteur.
Car en dépit de lignes statistiques quelconques, la faute à une attaque obsédée par le plancher des vaches plus que par les nuages, en 2003, Matt est le quarterback le plus côtés d’un État qui ne manque pas de footballeurs de talent. Mieux, il trône dans le top 20 des lanceurs les plus convoités de tout le pays, aux côtés de JaMarcus Russell, Dennis Dixon et Brady Quinn, et loin devant Joe Flacco et Kevin Kolb. La proximité de Texas Tech ou A&M. Marcher dans les pas de Peyton Manning à Tennessee. Malgré l’intérêt de 45 programmes dont des cadors comme Alabama, Flynn opte finalement pour le bayou et la cage aux Tigres de LSU.
« J’ai quitté le Texas pour LSU en 2003 après avoir été recruté puis signé en même temps que JaMarcus Russell, » explique-t-il à FOX Sports en avril 2016. « Nous avons décroché le titre de champions en tant que redshirts la première année, on s’est contenté de s’entraîner avec les recrues et de faire des signaux débiles sur le bord du terrain pendant toute l’année. Puis après ça, j’ai été la doublure de JaMarcus durant l’essentiel de ma carrière. »
Le premier titre glané sans disputer une seconde de jeu, barré par son pote JaMarcus, en quête de temps de jeu, Matt envisage plusieurs fois de demander un transfert. S’il n’a pas le moindre programme de substitution en tête, il prend tout de même des cours supplémentaires durant son année de junior dans la perspective d’un éventuel changement de décors. Il ne quittera jamais Baton Rouge finalement.
En 2005, sa patience et sa fidélité à l’imposant campus couleur brique de LSU sont récompensées. Après un timide 4 sur 10, 99 yards et son premier touchdown en jaune et mauve l’année précédente, il profite de la blessure de Russell pour démarrer son premier match sous la tunique des Tigers. Et pas n’importe lequel. Les numéro 9 de Miami d’un coté, les numéro 10 de LSU de l’autre. Dans un Beach Bowl à sens unique, entouré par un casting de luxe, Matt livre une prestation léchée et les hommes de Les Miles flanquent une volée aux Hurricanes (40-3). Épaulé par un Joseph Addai des grands jours au sol et la doublette Craig Davis-Dwayne Bowe dans les airs, le quarterback balance 200 yards et deux touchdowns pendant que la défense portée par le golgoth Glenn Dorsey et les gros biscoteaux de LaRon Landry se charge d’éteindre Devin Hester, Synorice Moss & Co. « J’ai fait un super match et ma confiance est montée en flèche, » se souvient le gamin du Texas. Confiant au point qu’il se sent soudainement capable de battre JaMarcus à la régulière et de le destituer de son trône de titulaire. Confiant au point de remiser ses projets de transfert au placard pour de bon. Trop confiant peut-être, car jamais il ne parviendra à supplanter le natif de Mobile, Alabama. En 2006, un an après avoir lancé plus de 450 yards et sept touchdowns, son pote et rival de nouveau opérationnel, Matt devra se contenter de 20 passes, un grosse centaine de yards, deux petits touchdowns et la deuxième interception de sa carrière universitaire dans un rôle de portier qui s’assure de ramasser le popcorn quand la séance est terminée.
Au printemps suivant, l’horizon, jusque-là barré par l’ombre imposante du presque double mètre de Russell, se dégage enfin. Adversaires pour un même poste, mais alliés dans le vestiaire et sur le terrain, Matt Flynn est parmi les premiers à être mis dans la confidence.
« Une semaine avant l’annonce officielle, il m’a dit qu’il allait se présenter à la Draft, » se souvient Matt. « Il m’a regardé dans les yeux et m’a dit : ‘Après ma famille, tu es la seule personne a qui j’ai dit que j’allais faire le saut vers la NFL.’ J’ai toujours profondément respecté JaMarcus pour m’avoir dit les choses ainsi. »
JaMarcus Russell parti écrire son histoire de plus gros bust que la NFL ait connu, Matt Flynn se retrouve enfin aux commandes de l’attaque des Tigres du Bayou. Le nouveau Raider, Dwayne Bowe, Craig Davis et LaRon Landry tous partis dès le premier tour de la Draft 2007, malgré tous ces départs, la meute de Les Miles amorce la campagne 2007 au deuxième rang national. Protégé par son pote du lycée Ciron Black, solidement épaulé par les 1100 yards et treize touchdowns du fullback, senior, capitaine et futur Charger Jacob Hester, Matt exploite au mieux un groupe de receveurs dynamiques et talentueux. Les grands segments de Brandon LaFell, l’explosivité de Trindon Holliday et Demetrius Byrd, et le physique d’Early Doucet. Si la précision du lanceur fait toujours la gueule, il décoche plus de 350 passes, entasse près de 2500 yards, ne dépasse que deux fois la barre des 300, claque 21 touchdowns et commet onze interceptions dans un rôle de game manager a qui on en demande pas trop qui lui sied comme un gant.
Malgré deux défaites en triple prolongation face à Kentucky et Arkansas qui mettent un temps leurs chances de titre en péril, les félins de LSU maintiennent leur place dans le top 5. Matt Flynn blessé et absent pour le match du titre de la SEC face aux Longhorns de Colt McCoy, Jamaal Charles, Brian Orakpo et Earl Thomas, les Tigres s’en remettent une nouvelle fois au sophomore Ryan Perrilloux, éphémère lanceur des Argonautes d’Aix-en-Provence en 2016, pour être couronnés rois de la jungle du sud-ouest pour la troisième fois de leur histoire. Ils joueront le titre. Le 7 janvier 2008, au Superdome de La Nouvelle-Orléans, presque à la maison, LSU attend les numéro un d’Ohio State. Malgré une interception qui sème le doute dans le troisième quart-temps, Matt Flynn expédie 174 yards, distribue quatre touchdowns et décroche le titre NCAA pour son dernier match universitaire. La boucle est bouclée. Une trajectoire incroyable pour ce gamin dont la patience aura fini par payer.
« Partir au sommet, c’est difficile de trouver les mots pour expliquer ce que ça représentait pour moi, » confie-t-il à FOX Sports. « J’ai vécu tant de choses au cours de ma carrière là-bas. Jamais je n’ai voulu partir, j’aimais LSU. De ce point de vue là, ma persévérance a vraiment fini par être récompensée. Même maintenant c’est difficile de décrire ce que ça représente pour moi. Mais après ça, tout s’est passé tellement vite. »
En dépit un palmarès collectif bien fourni, Matt ne fait pas frémir grand nombre de recruteurs. Simple pion dans une formation de LSU taillée pour gagner, il n’a pas l’étoffe d’un grand. Un yes man, un winner, un leader, un type biberonné au succès, oui. Mais qu’en sera-t-il quand il faudra se sublimer face à l’adversité ? Les observateurs sont sceptiques quant à sa faculté à progresser pour devenir un passeur professionnel viable, un joueur capable de faire basculer un match, de sublimer les mecs autour de lui, pas juste de contrôler une avance acquise par ses coéquipiers. L’intérêt est maigre. Très maigre. Même après le East-West Shrine Game, dernière levée de rideau avant le Combine, aucune formation ne le convie à une visite privée.
« Mon pro-day a été bon, » se souvient-il. « Un coach m’a fait lancer le ballon et m’a emmené manger un morceau après. Rien de fancy, comme ces types que l’on vient chercher en jet privé pour aller visiter le quartier général ou je ne sais pas trop quoi. Mais j’étais confiant durant la draft et j’estimais que j’étais le meilleur quarterback disponible. »
Troisième ou quatrième tour pour les plus optimistes. Fin de week-end pour les plus prudents. Non—drafté pour les plus sceptiques. Matt ne sait absolument pas à quoi s’attendre. Mais à mesure que les choix défilent, il ne tarde pas à réaliser qu’il est probablement bien le seul à penser être le meilleur de cette promo.
Matt Ryan à Atlanta en troisième position. Direction Baltimore en milieu de premier tour pour Joe Flacco. Le soleil de Miami pour Chad Henne en fin de deuxième. Las hauts fourneaux de Pittsburgh pour l’ancienne star des Ducks d’Oregon Dennis Dixon au cinquième tour. Une flopée de types tombés dans l’oubli au milieu de tout ça. Puis, au septième et ultime round, Matt Flynn. Le douzième quarterback des treize heureux lanceurs de la cuvée 2008. Après avoir lâché leur choix de deuxième tour sur Brian Brohm, MVP du Orange Bowl 2007 avec Louisville, les Packers viennent chercher un second quarterback en toute fin de Draft pour épauler un Aaron Rodgers qui s’apprête à vivre sa première saison de titulaire après que la légende Brett Favre ait filé à New York. Green Bay. La baie des Puants. Le Wisconsin. Le froid. La neige. Une destination qui n’enthousiasme pas du tout le gamin du Vieux Sud chaud et moite.
« J’ai grandi au Texas, je suis allé à la fac en Louisiane. Je suis un gars de chaleur, » explique-t-il à Cameron DaSilva. « Avant la Draft, je m’étais dit, ‘Ok, j’ai pas vraiment envie d’aller à Green Bay ou Buffalo.’ Je me souviens que quand j’ai vu Brian Brohm partir chez les Packers, je me suis dit, ‘Parfait, Green Bay est rayé de la liste !’ »
Pourtant, quand la franchise fondée par Curly Lambeau décroche le téléphone, le soulagement est immense. Il n’y croyait plus. Et s’il va devoir s’acheter quelques cols roulés, la fierté et la joie se mêlent sans une once de retenue. À Green Bay, Matt Flynn se glisse dans la peau de l’élève. Témoin privilégié de l’ascension du padawan Aaron Rodgers au rang de maître. Dans l’ombre grandissante de l’ancien de Cal, le passeur apprend et progresse comme jamais tout au long de son long apprentissage. Brian Brohm vaincu à la régulière, il endosse le costume de doublure. Drafté en 2008, il devra attendre le 19 décembre 2010 pour démarrer son premier match NFL. Après sa première interception dans un match pour du beurre dans l’Arizona en clôture de la saison passée, l’ancien de LSU en profite pour enfin lancer son premier touchdown. Et mieux encore. Malgré une défaite à Foxboro, Matt Flynn complète 24 de ses 37 passes, arrache 251 yards et claque trois touchdowns. Aaron Rodgers réparé, il retrouve le banc et regarde le numéro 12 aller décrocher le Super Bowl XLV. Spectateur privilégié, aux premières loges, il se contentera de mettre un genou au sol pour sceller la mise à mort des Falcons au deuxième tour. Sa seule action de tous les playoffs.
LE PENDANT
Sur la lancée de leur campagne triomphante de 2010, Aaron Rodgers dans la fleur de l’âge et au sommet de son art, les Packers marchent sur la concurrence. Après treize rencontres, le goût amer de la défaite leur est inconnu. Seul le parfum entêtant de la victoire embaume leurs dimanches. Pendant que A-Rod balance ses 350 yards et trois touchdowns hebdomadaires, Matt Flynn se la coule douce sur le banc. En semaine 4, les Broncos débités en petits morceaux (49-23), il balance une passe dans les nuages et s’agenouille deux fois pendant qu’Aaron parade sur le bord du terrain. Les Vikings annihilés (45-7) mi-novembre, il réussit ses deux passes, avance de 38 yards puis abrège les souffrances des Violets en s’accroupissant religieusement. Un mois plus tard face aux Raiders, il foire ses deux lancers et s’agenouille en repentance après une énième boucherie (46-16). Vaincus pour la première fois de l’année à KC sept jours plus tard, Rodgers se venge sur les Bears le dimanche suivant en balançant cinq touchdowns. Matt Flynn entre sur le champ de bataille le temps de compter les cadavres, d’encaisser un sack et de mettre le genou à terre à deux reprises.
Quatorze victoires, un seul revers. À l’aube du dernier match de la saison régulière, leur place en tête de la NFC acquise, les Packers se préparent à accueillir les Lions sans le moindre enjeu. Si ce n’est de balayer la Division Nord pour la première fois depuis sa création en 1967. Côté Detroit, le ticket pour les playoffs déjà composté, une victoire dans le frigo à ciel ouvert de Green Bay leur offrirait la cinquième place de la conférence. Aaron Rodgers, Greg Jennings, Charles Woodson, Clay Matthews. L’exemption de premier tour déjà dans la poche, une flopée de titulaires sont mis au repos pour éviter toute blessure. L’occasion pour Matt Flynn de prendre les commandes de l’attaque de Green Bay. Pour la deuxième fois seulement. Et déjà pour la dernière.
« Ça a été un tournant dans ma carrière, » se rappelle Matt Flynn en avril 2016. « Depuis l’université, ne n’avais pas joué le moindre match d’importance. C’était mon dernier match selon les termes de mon contrat. Le vent soufflait si fort que la bâche couvrant le terrain se décrochait. »
Dans un Lambeau Field plein à craquer, balayé par les rafales et tacheté de flocons épars, le thermomètre se maintient difficilement au dessus de zéro. Dans l’oreillette de son casque, un guest d’un soir. Aaron Rodgers, transformé en coordinateur offensif le temps d’un match. Ou plutôt en relais de Joe Philbin dans les oreilles de Matt. Sur la première action du match, l’ancien de LSU se rassure en trouvant les mains toujours fiables de Donald Driver, avant de caler à deux reprises puis de dégueuler le ballon sur un sack de Sammie Lee Hill. Matthew Stafford ne se fait pas prier et trouve rapidement les mains gantées de Titus Young dans le coin gauche de l’en-but. Départ foireux pour la doublure. Calamiteux pour les Packers. Sur le coup d’envoi de Jason Hanson, l’expérimenté Pat Lee laisse rebondir le cuir sur la ligne de un. Rapide, le ballon ricoche sur lui dans la endzone avant de rouler de nouveau en dehors. Le cornerback s’en saisit, le rapatrie dans la peinture et s’agenouille pour geler le jeu. La bulle au cerveau. Safety (0-9). Sur le banc, Rodgers ne fait plus le pitre et Flynn se demande quand il va revoir le ballon.
Gains timides dans les airs, courses maigrichonnes de Ryan Grant, les Packers remontent le terrain au ralenti et échouent aux portes de l’en-but. Il faudra se contenter de trois points. Encore endormi, Matt Flynn profite d’un fumble de Kevin Smith au milieu du terrain sur un tampon de Desmond Bishop pour enfin arrêter de snoozer. James Jones, Jermichael Finley, Jordy Nelson, il passe son arsenal en revue et conclut en beauté dans les mains du dernier. Une passe rapide pour profiter du marquage distant et l’ancien de Kansas State fait le reste comme un grand. Après un rapide échange de punts, Megatron s’invite aux festivités et les Lions recreusent l’écart. Pas pour longtemps. Matt Flynn lit le blitz des rois de la savane, balance une rapide screen pass dans les paluches de Ryan Grant, le running back prend le périph, dépose toute la défense de Détroit, résiste à la patrouille et croise la ligne 80 yards plus loin.
Stefan Logan a beau déglutir le ballon après une jolie remontée sur le coup d’envoi qui suit, deux passes plus tard, Matt Flynn se goure de mains et se fait intercepter par Alphonso Smith. Les Lions se font enfler par les zèbres sur un touchdown 100% valable de Titus Young. L’erreur de Flynn ne coûtera finalement que trois pions. 16 longueurs dans les bras de son tight end, une DPI sur Driver et l’élève enfile le costume du maître. Sur un free play, profitant d’un hors-jeu de la défense, Matt appelle un snap rapide et dégaine une merveille de passe dans le coin gauche. Ajustement, jeu de pieds, impact physique, mains soyeuses, Jordy Nelson sort la totale 37 yards plus loin. Touchdown. Jason Hanson se manque de 39 yards. Mason Crosby l’imite de 47. À la pause, Green Bay mène 24-19 après un premier acte riche en événements. Après une entame chaotique, Matt a su trouver un semblant de tempo.
Interception de Matthew Stafford, punt foireux de Tim Masthay, le casse-croûte de l’entracte pas encore digéré les deux attaques bafouillent. Le quarterback des Lions remet un peu de sérieux en remontant la moitié de terrain des Packers à toute berzingue et trouve de nouveau Titus Young dans la endzone sur un play calling astucieux. Cette fois-ci, les arbitres sont d’accord et les joueurs du Michigan repassent devant pendant deux minutes. Le temps pour Matt Flynn et Jordy Nelson de faire l’amour à la défense de Motor City. Sur une play action, le quarterback fait fi de la pression du pass rush et décoche une ogive vers le numéro 87 qui résiste au marquage et claque un touchdown de 58 yards. Le trio Brandon Pettigrew, Matthew Stafford et Calvin Johnson sort le gyrophare, fait chanter la sirène, brûle les feux et traverse le terrain à fond la caisse, la conversion à deux points est réussie et Détroit reprend vite trois points d’avance dans un match de dingos (31-34).
Les escouades offensives reprennent leur souffle, les deux équipes échangent les punts et on attaque déjà les dix dernières minutes. Les Packers tâtent le terrain au sol puis Matt Flynn fait feu dans les mains de Donald Driver dans le trafic et le vétéran prend se fait la malle pour croiser la ligne 35 yards plus tard. Dans le casque du lanceur, Aaron Rodgers s’en donne à coeur joie.
« C’est Aaron qui appelait les jeux pendant ce match, ce qui était incroyable et super amusant, » se souvient le titulaire d’un jour. « Quand j’étais dans le huddle ou même ailleurs, il faisait des blagues et me faisait rire. Quand j’ai lancé mon cinquième touchdown, il m’a regardé en me lançant un de ces regards. Puis il m’a dit d’aller chercher le sixième si je pouvais. »
Et il ne va pas se faire attendre bien longtemps. Échange de punts désormais traditionnel et Matthew Stafford fait briller Tony Scheffler. Un délice de réception à une main en haute altitude pour venir cogner aux portes de la endzone, puis le tight end agrippe le 41e touchdown à la passe de la saison de l’ancien de Georgia. Son cinquième de l’après-midi. Il reste 2 minutes et 39 secondes. James Jones, Brandon Saine, Jordy Nelson, Flynn distribue les passes comme une institutrice distribue les punitions. Une ogive de 40 yards sur la droite qui va titiller les flocons avant d’atterrir dans les gants de Jones, une course du Khuuuuun pour (presque) du beurre et voilà le sixième. Une passe éclair dans les bras de bras de Jermichael Finley. Hystérie collective en tribunes, accolades viriles, handshakes personnalisés, pendant que le tight end s’offre un bain de foule frisquet Matt file savourer sur le banc sous le regard malin de Rodgers.
Stafford a beau bondir de 43 longueurs en trois passes, Sam Shields brise les rêves de comeback et scelle l’issue du match le plus prolifique en yards de l’histoire de la NFL. 520 yards et cinq touchdowns pour le passeur des Lions, 480 et six touchdowns pour Matt Flynn. Jamais un quarterback de Green Bay n’avait dégainé autant de yards et de touchdowns dans les airs. Pas même Brett Favre. Des chiffres hallucinants pour une rencontre à l’enjeu modeste dont personne n’attendait grand chose. La cote du futur agent libre vient de grimper en flèche. Timing parfait. Deux semaines plus tard, les Giants rejouent un vieux conte en venant punir les Packers dans leur antre du Lambeau Field. Matt a porté le tunique verte et jaune pour la dernière fois. Il est temps d’aller voir ailleurs.
L’APRÈS
Le nord ouest venteux et pluvieux ou le sud est chaud et humide. Très vite, deux destinations se dessinent pour celui qu’une seule rencontre aura suffi à propulser au rang de passeur le plus convoité du mercato sauce gridiron. Seattle ou Miami. Après une première date avec des Seahawks qui plafonnent à 7-9 depuis deux ans, il prend un vol de nuit direction Ocean Drive pour y retrouver son ancien coordinateur offensif dans le Wisconsin, Joe Philbin, fraîchement nommé à la tête des Dolphins. S’il repart bredouille de ses deux visites, sans la moindre offre sur la table, le téléphone ne va pas rester muet bien longtemps.
« Dès le lendemain j’ai reçu des offres de contrat de la part de chaque, » explique Flynn en 2016. « Entre la durée proposée et la situation là-bas, Seattle était une évidence. Jamais de la vie je n’aurais eu un contrat pareil à Green Bay. J’étais certain d’avoir les qualités et le savoir pour être titulaire. »
Pourtant, malgré les 26 millions de dollars sur trois ans alignés par les Seahawks, jamais il ne démarrera une rencontrer sous l’uniforme grisâtre des piaffes. Andrew Luck et RGIII en duel de titans aux deux premières places, Ryan Tannehill en 8e position à Miami, Brandon Weeden pour perpétrer une bien triste tradition du côté de Cleveland, Brock Osweiler direction les Rocheuses, puis au troisième tour, en 75e position, Russell Wilson. L’ancien transfuge de NC State débarque en provenance de Wisconsin dans le but d’instaurer de la concurrence au poste de passeur. Après Bruce Irvin et Bobby Wagner, un quarterback. Les observateurs sont sceptiques et déversent leur venin sur un casting qu’ils jugent douteux. Surtout après avoir signé un gros chèque sur Matt Flynn quelques semaines plus tôt. L’histoire se chargera de leur donner tort.
Le 11 août, Russ joue ses premiers snaps en présaison face aux Titans. Deux semaines plus tard, il est titulaire face aux Chiefs. Deux jours plus tard, il est officiellement nommé quarterback partant. Un camouflet pour un Matt qui sera passé à côté de son été. Et de ses deux premiers matchs sous le gris des Seahawks. Tout juste 100 yards cumulés en 26 passes, pas le moindre touchdown, une interception et une évaluation qui tourne autour de 55. Pendant ce temps là, Russ entasse les ratings à trois chiffres, empile plus de 455 yards en trois matchs de préparation et marque cinq fois. Malgré un sursaut d’orgueil et une prestation brève, mais léchée face aux Raiders pour clore l’été, il est trop tard. L’ancien de LSU a raté le coche. Si Tarvaris Jackson ne se plaint pas de faire banquette, Matt Flynn fait la gueule. Pro Bowler dès sa première saison, Wilson vient de faire une OPA sur le poste de QB pour la décennie à venir. Au printemps suivant, la doublure à 26 millions demande un bon de sortie. Le board de Seattle ne se fait pas prier et Matt Flynn trace au sud, direction le bourbier d’Oakland en échange d’un choix de 5e tour et d’une autre pick conditionnel. Il quitte le nord-ouest des States en ayant lancé que 68 pauvres yards.
« Je pense que ça va être un quarterback solide, » s’enthousiasme le GM Reggie McKenzie dans les pages du San Francisco Chronicle en avril 2013. « Maintenant, à quel point peut-il être bon ? Nous le découvrirons, mais je pense qu’il a ses chances pour devenir un bon et solide quarterback. Il n’a pas disputé beaucoup de match, alors c’est ça qui l’attend, montrer ce qu’il peut faire. »
Touché à l’épaule durant son bref passage dans l’État de Washington, il passe son été à Pensacola, Floride, à panser ses maux. En vain. « Je n’ai jamais été en pleine possession de mes moyens à Oakland, » regrette-t-il. Doublure de Terrelle Pryor lors des deux premiers matchs après une piètre pré-saison, simple figurant à Denver en semaine 3, il profite d’une commotion de son rival pour balancer 227 yards, un touchdown et une interception dans une défaite face à la piteuse arrière-garde de Washington. Le lendemain, il relégué remplaçant du remplaçant. Il vient de trouver son poste de prédilection.
« C’est comme ça, » se contente de commenter le coach Dennis Allen au micro de John Breech de CBS Sports. « Matt n’a pas bien joué et nous devons passer à autre chose. »
Quinze jours plus tard, il est remercié alors que la saison n’a que cinq semaines. Échec total. Il quitte la baie de San Francisco pour une autre contrée hostile pour un passeur, Buffalo, où EJ Manuel et Thad Lewis viennent tous deux de signer au FC Infirmerie. Une semaine éreintante pour lui et sa femme. En avion, en bagnole, le couple enchaîne les heures de vol et les bornes entre Oakland, Baton Rouge et le nord de l’État de New York. Tout ça pour rien. Barré par le remplaçant du remplaçant, Jeff Thuel, il est de nouveau congédié le 4 novembre. Ce soir-là, il s’offre une dernière bouffe avec ses gardes du corps.
« Les mecs de la ligne offensive et moi étions au resto et regardions le Monday Night Football entre Green Bay et Chicago, » se souvient-il dans les pages web de FOX Sports. « C’est dans ce match qu’Aaron se brise la clavicule. Je me souviens m’être dit,’Tiens, ça pourrait être une opportunité pour moi.’ »
Huit jours plus tard, la queue entre les jambes, il retrouve les larges rues tracées à la règle de Green Bay. Là-bas, il endosse encore le rôle de doublure de la doublure. Rodgers out pour le reste de la saison, Seneca Wallace sur le flanc, il doit assurer les arrières de Scott Tolzien. Après avoir orchestré un joli comeback face aux Vikings pour décrocher un nul en prolongation, il est titularisé pour le raout de Thanksgiving. Face à des Lions qui l’avaient, bien malgré eux, projeté sur le devant de la scène, Matt Flynn vit un calvaire. Une interception, un fumble perdu, un safety concédé, il bouffe le gazon à sept reprises et les Cheesheads sont transformés en fondue (10-40). La gueule de bois guérie, « il retrouve le plaisir de jouer au football, » remonte un déficit de 23 points et plante quatre touchdowns pour l’honneur face aux Cowboys mi-décembre. Prolongé un an, il passe 2015 à chauffer le banc pour Aaron Rodgers dans l’indifférence générale avant de reprendre son tour des States. Entre deux déménagements, il en profite pour épouser Lacey, sa copine depuis la fac, une ancienne cheerleader des Golden Girls de LSU et accessoirement Miss Louisiane 2009.
« En l’espace de deux ans, ma femme et moi avons vécu dans onze endroits différents. Que ce soit des appartements, des condos ou des maisons. Et comme nous avions des bulldogs nous avons dû faire tous ces déménagements par la route, c’était complètement dingue. »
La Nouvelle-Angleterre, Nouvelle York, La Nouvelle-Orléans, plein de nouvelles destinations, mais pas de nouvelles opportunités. Doublure de Garoppolo le temps que Brady purge sa suspension, il est finalement coupé en plein été pour être remplacé par la terreur Ryan Lindley. Titulaire avec les Jets pour le dernier match de présaison face aux Eagles, il est coupé deux jours plus tard.
« C’était le seul mec disponible, » concédera sans pincettes Todd Bowles dans les colonnes du Daily News en août 2015. « On est comme tout le monde, on veut toujours trouver mieux, mais Matt est un très bon quarterback. »
Pas suffisamment visiblement. À NOLA, blessé, Luke McCown lui refourgue son costume de doublure de Drew Brees. Pour la première fois de sa carrière, il ne disputera pas la moindre action. Une saison pour du beurre qui enterre définitivement sa carrière de footballeur. Plus jamais il ne lancera un ballon dans la NFL. Après l’hôtel Hilton de l’aéroport d’Oakland, l’appart-garage de Seattle, la maison de campagne de Buffalo ou encore la baraque de Baton Rouge, il est enfin temps de poser ses bagages pour de bon.
« Pour rien au monde je ne troquerais quoi que ce soit de ma carrière NFL, » insiste-t-il au près de FOX Sports en 2016.« Je me suis tellement amusé. J’y ai passé huit années, dont six à Green Bay. Les années là-bas ont été spéciales. Je suis tellement reconnaissant envers tous les gens qui m’ont permis de vivre ça. Je me suis éclaté dans la NFL. Grâce à tous ces voyages, ces hauts et ces bas, je suis devenu plus fort en tant que personne. […] Je ne crois pas qu’il n’y ait jamais eu de moment ennuyeux durant ma carrière. »
S’il n’est pas encore prête à faire le deuil de ses années de footeux, il pense déjà à l’avenir. « Je pense que je pourrais devenir agent, » s’amuse celui qui aura apposé sa signature en bas de sept contrats, sans compter les structurations. Si on lui proposait une offre, il signerait les yeux fermés. Pour un dernier frisson. Une dernière chance. Une opportunité qui ne présentera jamais. De retour dans sa Louisiane d’adoption, retraité des terrains de trente balais avec près de 20 millions de dollars dans les poches, il pêche, chasse, se garde en forme et s’amuse avec son fils de sept mois. Sa reconversion professionnelle, il n’a pas tardé à l’opérer en créant MyHy, une boîte qui conçoit des boissons énergisantes sur mesure pour les athlètes. Pas de sucre, du 100% bio, un concentré d’électrolytes destiné à réguler l’hydratation selon la sudation du client. Un concept dont il est le premier à apprécier les bienfaits.
« Je pensais qu’être joueur de football professionnel imposait des horaires insensés, » raconte-t-il à Maggie Heyn Richardson de 225 Magazine en mai dernier. « Tu te lèves tôt, bosses toute la journée et rentre tard chez toi. Mais je n’avais jamais réalisé à quel point avoir trois gamins en-dessous de cinq ans et un business à faire tourner était bien plus épuisant encore. »
Footballeur, l’hydratation a toujours été problématique. Régulièrement incapable de maintenir un niveau d’eau suffisant dans son corps, il se mettait soudainement à voir flou, à être étourdi et se sentir subitement faible, quand bien même il ingurgitait les mêmes quantités d’eau et de boissons énergisantes que ses coéquipiers. De quoi lui donner des idées une fois sa carrière achevée. Une carrière étonnante. Au goût d’inachevé. Ponctuée d’innombrables échecs, mais dont on retiendra éternellement cette performance de dingue un après-midi neigeux. Ça et qu’il est le type qui, bien malgré lui, a lancé l’incroyable ascension de Russel Wilson. Une sorte de Drew Bledsoe du pauvre. A one-garbage-game wonder. A one-free-agency wonder.