Le temps d’une saison, ils y ont cru. Le temps d’un match, ils ont tutoyé la gloire avant qu’elle ne les fuit inexorablement. Brutalement parfois. Une idylle sans lendemain. Un coup d’un soir. Un one-night stand. Des one-year wonders. Ces stars aussi éphémères que des étoiles filantes.
L’AVANT
Salt Lake City. L’ombre intimidante des montagnes Wasacht et ses sommets badigeonnés de blanc, les six tours hérissées de pointes du Temple Square, son Grand Lac Salé, ses hivers frais et brumeux, ses étés doux et humides et son armée de mormons. C’est dans le sanctuaire de l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours, que Scott Mitchell voit le jour alors que le reste des States est en pleine révolution hippie. C’est pourtant à Springville, sur les rives d’une autre flaque d’eau locale, le lac Utah, que le gamin grandit. Dans cette petite ville-dortoir d’à peine 10 000 âmes à l’époque, encaissée dans le creux des Rocheuses, Scott se découvre vite un talent pour une foultitude de sports. Leader talentueux, il décroche les titres d’État sur les rectangles lacérés de blanc et les monticules sablonneux. Senior il est couronné MVP de tout l’Utah avec le ballon à lacet et la baballe aux coutures rouges coincés dans sa paluche gauche. Bardé de récompenses individuelles comme collectives, quarterback le plus courtisé de tout l’État, il défie toute logique et snobe les voisins de Provo pour rejoindre l’autre place forte locale, les Utes de Utah.
« Quand les recruteurs venaient m’observer au lycée, j’ai toujours cru que finirai à BYU un jour, » confie-t-il à Brad Rock de Deseret News en 2018. « Je suis né et ai été élevé pour aller à BYU. Il n’existait aucune raison sur Terre pour que je n’aille pas là-bas. »
Tout ça à cause d’une prière et d’un coup de fil inspiré un aprèm de 1987, à quelques jours du signing day. En plein recueillement, Scott Mitchell le jeune mormon dévoué et tiraillé entre les Cougars de BYU et le Cardinal de Stanford est soudainement interrompu par la sonnerie du téléphone. À l’autre bout, Jim Fassel, coach des Utes. Il ne veut pas entendre ce qu’il à dire, mais décroche tout de même. Alors que le stratège déblatère son monologue, ailleurs, presque sourd aux mots de l’entraîneur, le quarterback en herbe se sent soudainement happé par une impression de chaleur et un sentiment de plénitude. Un signe divin. « C’est là que j’ai décidé d’aller à Utah. » Pas de promesse de temps de jeu, pas de schéma taillé sur mesure, pas de casting séduisant autour de lui, pas question de retrouver là-bas des potes et anciens coéquipiers, juste un sentiment de bien-être. Un feeling. Le temps d’un instant.
« Pour qu’un gamin de 18 ans moi dise non à BYU, aille à l’encontre de tous et tout, et le fasse avec conviction qui plus est, c’est que ça a été un moment d’une profonde intensité. Ça a été marquant à ce point dans ma vie. »
Marquant au point de lui faire retourner sa veste. Lui, le gosse aux liens de parenté avec LaVell Edwards, le légendaire coach des Cougars pendant près de quatre décennies, sacré en 1984 et qui aura donné son nom au stade de BYU. Lui, le gamin qui a grandi au rythme des exploits des hommes en bleu nuit. Lui, qui était destiné à faire perdurer la tradition du programme en matière de passeurs. Quarterback U. Marc Wilson, premier choix des Raiders en 1980, Jim McMahon l’iconique passeur des Bears au bandeau blanc et l’immense Steve Young, un autre gaucher. Le lendemain de ce coup de fil mystique, Scott et Fassel se retrouvent en tête-à-tête dans un resto de Springville. Au-dessus du coach, un portrait de LaVell Edwards, témoin privilégiée de cette trahison.
Lorsqu’il débarque sur le campus de Salt Lake City durant l’été 1987, Scott Mitchell découvre une équipe aux ambitions modestes : rebondir après leur piteux 2-9 de la saison précédente. Enlisé dans la médiocrité, le programme n’a plus accroché de titre de conférence depuis 1964. Le dernier Bowl des Cougars remonte à la même année. La plupart des types qui composent l’effectif de Jim Fassel n’étaient même pas encore nés à l’époque. Le Moyen-Âge.
Après une première saison timide où Scott joue tous les matchs, mais partage la garde de l’attaque, le quarterback explose en 1988. Portés par leur géant d’un mètre 99, les Utes décrochent six victoires dont deux succès majuscules face aux rivaux de BYU et Utah State pour clore la campagne. Face aux Cougars, Mitchell dégaine l’artillerie lourde, balance plus de 380 yards, claque deux touchdowns, l’attaque des Utes passe 58 pions aux joueurs de Provo et met fin à une série de neuf défaites face aux rivaux de Brigham Young. Véritable tour de contrôle au coeur de l’escouade offensive des Rocheuses, Mitchell décoche 533 passes, en complète plus de 60%, empile 4322 yards, marque 29 fois et se trompe de mains à 15 reprises. Des stats dignes des standards NFL qui laissent la concurrence à des années lumière derrière lui. Le lanceur de Duke et futur bust des Packers Anthony Dilweg pointe à 500 yards derrière lui. La star de UCLA Troy Aikman doit se contenter de 2771 unités. Pendant qu’à l’autre bout du pays Barry Sanders affole les compteurs en cavalant 2628 yards sous le orange d’Oklahoma State, Scott Mitchell s’impose, le temps d’une saison, comme l’artilleur universitaire le plus prometteur du pays. Septième attaque la plus prolifique de la Division I, les Utes galèrent pourtant à enchaîner les victoires, la faute à onzième défense (sur 105) la plus perméable de tout le premier échelon universitaire US.
Détrôné par la gâchette de Houston et Heisman Trophy, une première pour un quarterback afro-américain, Andre Ware en 1989, Mitchell se maintient tout de même dans le peloton de tête des meilleurs canonniers de NCAA. Loin des 46 touchdowns du passeur des Cougars texans et à une seule unité du voisin de BYU Ty Detmer, il lance 31 touchdowns, mais ne parvient toujours pas à faire décoller un programme qui doit se contenter de quatre maigres succès. S’il se mue en monstre statistique dans l’attaque Air Coryell des Utes, Mitchell manque d’instinct de tueur et ne parvient pas à imposer sa poigne sur les rencontres lorsque l’adversité l’impose. À 20 piges et avec une dernière année d’éligibilité, Scott se retrouve face à un dilemme. Rester une saison de plus sur le campus sous les ordres d’un nouveau coach après le départ de Fassels ou faire le grand saut.
« J’ai réfléchis, il me restait encore une année, mais il y avait beaucoup de trous dans l’effectif et il y avait beaucoup de doutes sur le tour que ma dernière année là-bas pourrait prendre, » détaille-t-il au Deseret News en juin dernier. « Je ne sais pas si j’étais prêt pour la NFL, mais ça a plutôt bien marché au final. »
Après avoir passé sa vie dans l’Utah, il est temps d’aller voir ailleurs. Plus de trois décennies après son passage à Salt Lake City, il trône encore en tête de l’essentiel des catégories statistiques pour un quarterback. Le plus de yards dans les airs, le plus de touchdowns à la passe, même le futur premier choix général de la draft 2005, Alex Smith, ne parviendra pas à le dépasser.
Jeff George en pole du côté d’Indianapolis pour mettre enfin un terme à la valse des quarterbacks. Les futurs hall of famers Cortez Kennedy et Junior Seau dans le top 5. La star des Cougars de Houston Andre Ware à Detroit, un an après avoir mis le grappin sur Barry Sanders, pour essayer de relancer une franchise qui n’a plus connu les playoffs depuis 1983. Emmitt Smith le boulimique en direction de Dallas en milieu de premier tour. Puis en 93e position, milieu de quatrième tour, Scott Mitchell. Après quatre saisons sans séries et sans bilan positif, les Dolphins de Don Shula décident de mettre un peu de pression sur les épaules du roi Dan Marino, toujours en quête d’un titre qui s’obstine à se refuser à lui.
Huit passes tentées, deux complétées, un interception, quelques genoux au sol. Durant ses deux premières années chez les pros, Scott endosse le rôle de figurant hors-champ. Derrière un Dan Marino qui ne laisse aucune miette il apprend et attend son heure. Elle viendra en 1993. En semaine 5, face aux Redskins, les Dolphins décrochent leur troisième victoire de la saison, mais perdent leur légende de quarterback, abandonné par son tendon d’Achille. Next man up. Après deux premiers matchs maîtrisés et couronnés de succès, Scott Mitchell éparpille la défense de Kansas City. 344 yards, trois touchdowns et un pas de plus vers les playoffs. S’il mitraille dans le vide pour ses deux sorties suivantes, les Fins s’en sortent avec net revers à NYC, mais une précieuse victoire à Philly. Touché à son tour, il laisse le rookie Doug Pederson et le vieux roublard Steve DeBerge assurer l’intérim pendant quatre matchs. De retour aux opérations en semaine 14, Mitchell et sa gâchette imprécises foirent l’opération playoffs et les Dolphins restent à quai malgré un valeureux 9-7 compte tenu des circonstances. Sept matchs, 1773 yards, 12 touchdowns, 8 interceptions. Une fiche statistique honorable, mais qui va rapidement prendre de la valeur. Car sur le marché fermé des quarterbacks, l’inflation n’est jamais bien loin.
LE PENDANT
Après trois années passées à réchauffer le banc pour le postérieur de Dan Marino le natif de l’Utah en a sa claque et, flairant le bon alignement des planètes, décide d’aller voir ailleurs. Surfant sur son intérim réussit de 1993, agent libre le plus courtisé du marché ce printemps-là, il part en quête d’un challenge, de temps de jeu et d’un joli chèque. Dans une ère de la free agency encore au stade embryonnaire, Scott Mitchell emboîte le pas du Ministre de la Défense Reggie White un an plus tôt, et devient l’un des premiers joueurs à décrocher le pactole. Trois ans, 11 millions de dollars, une fortune pour l’époque. Mieux payé que Joe Montana, Dan Marino, Warren Moon et une flopée d’autres stars nettement plus accomplies que lui. Dans une guerre d’enchère à cinq équipes qui fait exagérément monter sa côte, Detroit met le tapis et rafle la mise. Adieu Ocean Drive, les immeubles art déco et les hivers éternellement doux, Scott déboule dans une ville en jachère, où on se les pèle et où la violence parasite le quotidien d’habitants de plus en plus démunis pour la grande majorité. Si la carte postale donne envie de chialer, sportivement parlant, le pari est diablement excitant. Aucun concurrent pour le poste de quarterback, Barry Sanders et ses jambes de feu flanqué dans son dos, et la triplette Herman Moore, Johnny Morton et Robert Perriman sur les ailes pour agripper ses spirales de gaucher. Seule ombre au tableau, les attentes immenses placées en lui. Le revers de la médaille de ce juteux contrat presque inédit pour une NFL des 90’s où un gros pactole implique inévitablement de grosses responsabilités.
« T’as intérêt à chier des lingots d’or, » lâche vulgairement Mitchell dans les pages de Sports Illustrated en 2015. « Tu dois marcher sur l’eau. Quand je suis arrivé à Detroit, ils venaient de faire les playoffs et c’était une de ces équipes dont on dit qu’elle est à un quarterback de tout rafler. »
Ce quarterback, ce doit être lui. Des attentes hors-norme pour une franchise où il ne fait historiquement pas bon être artilleur en chef. Surtout, en dépit de toute le talent qui parsème le roster des fauves, les trous à combler pour s’asseoir à la table des prétendants légitimes ne se limitent pas à celui de quart-arrière. Pour sa première campagne aux commandes de l’attaque du Michigan, Mitchell n’impressionne pas, ne dépasse pas une seule fois la barre des 250 yards, plafonne le plus clair du temps autour des 200, fait toujours autant preuve d’une imprécision chronique et les Lions peinent à enchainer. Pire, le quarterback se pète un doigt au Lambeau en semaine 9 et ne rejouera plus de la saison. Grâce à un joli mois de décembre et à un Dave Krieg plus inspiré que Scott, la franchise de Detroit composte son billet pour les séries, mais tombe sur un os dès le premier tour. Barry Sanders est rayé du plan de match par la défense de Green Bay et finit la rencontre dans le négatif. Treize courses, -1 yard.
Revanchards, les Lions entament la saison 1995 par trois défaites qui font retomber les ambitions. Si Scott Mitchell et son armada de stars en attaque sonnent la révolte le lundi soir face aux 49ers de Steve Young devant un Silverdome plein à craquer, les fauves sont incapables de confirmer. Malgré les prestations parfois léchées de son passeur – comme ce dernier dimanche d’octobre où il dissèque l’arrière garde des Packers, entasse 250 yards, distribue trois touchdowns et donne une leçon à Brett Favre – la généreuse et ambitieuse attaque aérienne de Wayne Fontes cherche encore la bonne partition. Malgré un revers à Atlanta sept jours plus tard, le quarterback monte en puissance et toute l’équipe avec. Face aux Vikings de l’Undrafted John Randle, Mitchell met les petits plats dans les grands, empile 410 yards et trouve quatre fois la peinture dans une orgie offensive salivante. Malgré un Barry Sanders moins élastique et électrique qu’à son habitude, les félidés enchaînent sept succès consécutifs et s’offrent une place de dauphins dans la NFC Centrale synonyme de playoffs.
« Nous avons le meilleur coureur de la ligue, ce qui permet à tout le monde d’être impliqué et nous rend nettement plus difficile à arrêter, » s’enthousiasme Mitchell dans les pages du Washington Post le 30 décembre 1995. « Qui est-ce que vous allez bloquer en priorité ? Vous ne pouvez pas tous nous contenir. »
4338 yards, 32 touchdowns, 12 interceptions. Jamais un passeur des Lions n’avait réalisé pareille saison. Il faudra attendre les 5038 yards et 41 touchdowns de dingo de la grosse Berta Matthew Stafford en 2011 pour que son nom soit effacé du livre des records de la franchise du Michigan. Bien intercalé entre les 4413 yards et 38 touchdowns du MVP Brett Favre et les 4228 unités et 33 touchdowns de l’Undrafted Warren Moon, l’ancien Utes vient de connaître la plus belle année de sa vie de footballeur. Une belle aventure qui, tradition oblige, prend fin prématurément. À Philadelphie, dans un Veterans Stadium bouillant, les Lions sont émasculés. Pendant que Rodney Peete épluche la défense de la Motown et lui passe 58 points, Scott vit un calvaire. Sa quatrième interception en début de troisième quart-temps lui sera fatale. Envoyé sur le banc, il regarde d’un oeil penaud Don Majkowksi et sa coupe mulet courir désespérément après le score. Si l’ancien Packer entretient un temps l’espoir en dégainant trois touchdowns, ses deux interceptions scellent l’issue d’un match déjà plié depuis trois plombes. Le frisson vient de passer. Les sifflets qui s’étaient tus une saison durant ne vont pas tarder à de nouveau résonner sous la voûte du Silverdome de Pontiac.
« Soudainement, je me suis retrouvé dans la peau du premier gars à avoir l’opportunité de profiter de la free agency, » explique Scott, avec le recul des années. « Si vous regardez ce que j’ai accompli à Detroit, quand je jouais et que j’étais en pleine possession de mes moyens, j’ai été extrêmement productif. J’étais un très bon joueur. Mais il y a une espèce de tendance à vouloir minimiser ce que j’ai réellement accompli là-bas. Je ne sais pas vraiment d’où ça vient, si c’est juste à cause de toutes les attentes, oui si les gens étaient jaloux, ‘Ce gars ne méritait peut-être pas tout l’argent qu’il a reçu,’ ou, ‘Il n’a pas joué assez longtemps pour prouver qu’il valait autant.’ Je ne comprends pas trop. »
« Mais je sais que mes performances ont été bien meilleures que les gens n’aiment à le dire, et que les attentes étaient probablement un peu fantaisistes… J’ai l’impression, qu’avec suffisamment de temps, nous aurions pu réaliser quelque chose de grand à Detroit. »
Coupable idéal des maux d’une franchise épouvantablement mal gérée, Scott Mitchell doit se battre contre ses propres fans et même ses coéquipiers parfois. Comme son bloqueur côté gauche qui, réunissant des souvenirs confus, confit avoir volontairement laissé la porte ouverte côté aveugle lors d’une dérouillée dominicale à Milwaukee face aux Packers pour se venger de son gros nul de quarterback. Si deux décennies plus tard il admet avoir probablement romancé cet épisode dans sa tête, cela n’en demeure pas moins le testament d’une défiance chronique à l’égard de ce quarterback payé à prix d’or. Et malgré tout le talent qui a permis à Scott de se hisser jusque dans la NFL et d’y enfiler le costume de titulaire, il n’a pas les épaules assez solides pour affronter pareils ennemis. Très vite, en dépit d’un physique imposant et d’un bras canon, il va être rattrapé par ses lacunes.
L’APRÈS
En 1996, après trois saisons dans le vert et trois excursions expéditives en playoffs, malgré un effectif talentueux et taillé pour jouer les premiers rôles à condition d’y ajouter un peu d’amour, les dirigeants de Detroit choisissent inexplicablement de dégraisser. Willie Clay et ses huit interceptions, le All-Pro Lomas Brown et ses six Pro Bowls et une poignée d’autres titulaires clés sont gentiment conviés à aller voir ailleurs. La franchise vient de renoncer à toute ambition et de poser les briques de plus de deux décennies de nullité abyssale. Blessé, orphelin de son tackle All-Pro et planqué derrière une ligne offensive déplumée, Scott manque deux rencontres, mais serre les dents durant toute la saison pour continuer à jouer malgré la douleur. Abandonnés par une défense incapable de forcer de revirement et qui prend l’eau de toute part, les Lions ne décrochent que cinq succès Scott balance un peu moins de 3500 yards, claque 19 touchdown, se trompe de mains à 14 reprises, enchaîne les mauvaises décisions, empile plus de parpaings qu’un maçon, clôt la saison sur une hideuse série de défaites où il enchaîne les boulettes et Wayne Fontes est foutu à la porte après huit années marquées par des éliminations chroniques dès le premier tour des playoffs. Bobby Ross et son jeu restrictif, à l’ancienne, débarquent à Motown et Mitchell tire déjà la gueule.
« Je me retrouvais avec un coach qui avait sa propre philosophie de jeu, une philosophie qui ne marchait pas avec les joueurs que nous avions, » explique le quarterback dans les pages web du Detroit Free Press en 2015. « C’était la recette d’un désastre annoncé. C’était Bobby Ross, un adepte du jeu au sol tous azimuts, du avançons-quatre-yards-à-la-fois, alors que nous étions davantage armés pour une spread offense tout en vitesse et en verticalité. Les joueurs que nous avions n’étaient pas faits pour le style de jeu qu’il voulait imposer. »
Malgré un léger sursaut en trompe l’oeil en 97, Mitchell et sa bedaine de moins en moins discrète galèrent et il devient la cible idéale de fans de plus en plus impatients. Le quarterback a beau titiller des 3500 yards et la vingtaine de touchdowns, il lance 14 interceptions et les Lions doivent leur qualif en playoffs à la saison de timbré de Barry Sanders. Stratosphérique, la mobylette entasse 2053 yards au sol et porte toute l’attaque sur ses épaules. Au premier tour, à Tampa, l’ancien de Utah signe un lamentable 10 sur 25 pour 78 pauvres yards. Pas le moindre touchdown à se mettre sous la dent, évidemment, et une interception histoire de d’écoeurer pour de bon les derniers fans qui croyaient encore un peu en lui. En 1998, après une fessée au Lambeau Field et une défaite en prolongations face aux Bengals pour la première de l’année au Silverdome, Bobby Ross envoie Scott Mitchell sur le banc avec le bonnet d’âne pour laisser le petit rookie Charlie Batch faire ses preuves. Déjà dans le collimateur de plus d’un vétéran du vestiaire pour son style de jeu académique sans une once d’originalité, de fantaisie et d’ambition, le coach se fait un ennemi à vie en la personne de Scott. Rétrogradé en bout de banc, remplaçant de la doublure Frank Reich, il ne disputera plus le moindre down sous le bleu de plus en plus pâle des Lions.
Après cinq années passées à se faire conspuer par ses propres fans à chaque fois que son nom était annoncé en début de partie, même en 1995, Scott en a sa claque ce cette franchise ingrate qui n’a que rancoeur et reproches à son encontre. Voué à ne jamais être apprécié à sa juste valeur et systématiquement jugé à l’aune des 11 millions investis sur sa pomme, un Kirk Cousins avant l’heure, il décampe. Pourtant, les fans ont raison de lui en vouloir. Estampillé agent libre le plus convoité après sept rencontres potables, il n’aura jamais su exploiter une attaque bardée de talent. Trop orgueilleux pour le reconnaître, sur les rives du lac Michigan, il aura épuisé toute les limites d’un talent somme toute limité et quitte The Motor City avec un piètre bilan de 27 victoires et 30 revers en 57 titularisations. Bien loin des ambitions folles placées en lui malgré tout le talent qui suintait de cet effectif.
« Nous étions une excellente équipe de football, » insiste-t-il dans les pages web de Sports Illustrated en juin dernier. « Ça demeure l’une des plus grandes frustrations de ma vie, j’aurais aimé qu’ils nous laissent plus de temps. Gagner le Super Bowl et collectionner les victoires en playoffs ça n’a rien d’aisé vous savez. Je sais bien que Tom Brady donne l’impression que c’est facile, mais ça a pris cinq années, cinq ou six peut-être, à Peyton Manning pour enfin gagner un match en playoffs, et j’aurais tout simplement aimé qu’ils conservent ce groupe ensemble plus longtemps pour nous donner une vraie chance, car je pense que nous en étions capables. J’en suis convaincu. Et je le répéterai jusqu’à mon dernier souffle. »
La rancune tenace, le mormon se barre de Detroit et s’offre une pige insipide du côté de Baltimore. Choix personnel du fraîchement nommé Brian Billick pour prendre les commandes d’une attaque taillée pour jouer les premiers rôles dans les années à venir, il livre deux premiers matchs lamentables, entre interceptions à go-go et imprécision maladive, est expédié sur le banc manu militari et devient spectateur des perfs d’un Tony Banks guère plus convaincant.
« Être envoyé sur le banc par coach Billick a été terrible à encaisser, » concède-t-il au Baltimore Sun en 2007. « J’ai toujours pensé que je faisais partie de la solution, pas du problème. »
Il ne lancera plus jamais la moindre passe sous le plumage violet des Ravens et filera dans l’Ohio dès le printemps suivant, pour la première saison du nouveau millénaire. En 2000, désormais sous le pelage rayé de noir des Bengals, Mitchell retrouve les Lions lors de la dernière semaine de présaison. De l’autre côté du terrain, sur le banc adverse, il guète sa proie. Se rôder une dernière fois pour la saison qui s’ouvre dans une semaine, il s’en carre. Peaufiner ses automatismes avec ses nouveaux coéquipiers, il s’en tamponne. Assurer son rôle de doublure du troisième choix général de la draft 99, Akili Smith, le cadet de ses soucis. Tout ce qui l’intéresse, c’est se venger de Bobby Ross.
« Dans ma tête, j’avais prévu que sur une action donnée, j’allais prendre quelques pas de recul et lancer le ballon directement sur Bobby Ross, » raconte-t-il dans un live Youtube animé par ses anciens coéquipiers Herman Moore et Lomas Brown. « J’étais on ne plus sérieux. J’avais la rage. »
Le moment venu, il se défilera pourtant. Cette année-là, titularisé à cinq reprises, il échoue à quelques unités des 1000 yards, se contente de trois touchdowns et balance huit interceptions dans une saison anecdotique aux allures de tournée d’adieu pour un joueur dont la médiocrité devient de plus en plus difficile à dissimuler. Comme la bedaine qui enfle lentement sous son maillot floqué du numéro 19. Les Bengals ne décrochent que quatre succès et Mitchell ressemble de moins en moins à un option crédible. En 2001, dépossédé de son poste de titulaire par l’arrivée de Tim Hasselbeck à Seattle, Jon Kitna débarque aux rênes d’une attaque de Cincy qui fait peau neuve. Si les rookies Chad Johnson, Rudy Johnson et T.J. Houshmandzadeh devront attendre quelques saisons pour imprimer leur marque, Dick LeBeau, nouveau coach des Bengals, fait du ménage et Scott est renvoyé sur le banc pour de bon. Des douze passes qu’il lancera pour sa dernière année de footballeur professionnel, seules quatre feront mouche. Trois d’entre elles finiront dans les mains gantées de la défense adverse.
Non-conservé par la franchise de Cincinnati, mais pas résolu à raccrocher les crampons pour autant, Scott continue de s’entraîner et de se maintenir en forme – forme toute relative pour ce beau bébé au bedon de plus en plus élastique – matin, midi et soir en attente de l’inévitable coup de fil. Celui d’une équipe dans la panique ou d’une formation en quête de sagesse pour couver son nouveau poulain. Pendant deux ans, il va suer tous les jours pour entretenir son corps de trentenaire. Pendant deux ans, le téléphone va demeurer affreusement muet.
« Tu en arrives presque à vouloir être blessé, pour enfin admettre que tu n’es tout simplement plus capable de jouer, » raconte-t-il au Baltimore Sun en 2007. « Durant ma dernière année, en 2001, j’ai contacté chaque équipe NFL en leur offrant de me déplacer en personne et à mes frais pour des essais. Rien. »
Un matin, alors qu’il se prépare pour sa séance quotidienne, il réalise soudainement que c’est fini pour de bon. Que plus jamais il n’enfilera son jockstrap et son casque.
« Le pire souvenir de ma vie, sans le moindre doute, c’est quand j’ai réalisé que je ne rejouerai plus jamais au football professionnel de ma vie, » tranche-t-il auprès de KLS Sports en mars 2020. « Ça a été un sentiment absolument déchirant. Ça a été une impression définitive, absolue, un sentiment de plus jamais. J’ai passé douze années dans la NFL et deux autres années à me maintenir en forme en pensant que j’aurais une dernière opportunité. »
Ce matin-là, comme chaque jour, il dispose savamment les cônes et place les filets aux allures de cibles dans ce parc transformé en terrain d’entraînement. Une routine si ancrée en lui depuis deux ans, mais qui lui apparait soudain d’une futilité sans fin.
« Écoute Scott, tu as fait tout ce qu’il t’était possible de faire au cours des deux dernières années. Tu as passé des coups de fil, envoyé des lettres, rencontré des équipes en personne, tu as vraiment usé tous les moyens et il n’y a rien d’autre que tu puisses faire, » se dit-il intérieurement. « Tu ne joueras plus jamais, c’est terminé. »
Écroulé au sol, il passe trente minutes à sangloter comme un enfant à qui l’on vient de retirer le jouet fétiche. Les larmes épongées, il fait lentement son deuil et se tourne vers l’avenir. Sa reconversion. Une perspective vertigineuse pour un type qui, de son propre aveux, ne sait rien faire d’autre que jouer au football. S’il devient coach de l’équipe de flag de son fils de quatre ans pour ne pas totalement oublier son amour de toujours, il se lance dans différents business, d’abord en Floride, puis dans son Utah de naissance. En novembre 2009, devenu coach de son ancien lycée de Springville, il porte ses jeunes poulains jusqu’en finale d’État, mais échoue dans la quête du titre.
Retraité des terrains, Scott se laisse dangereusement aller et prend du poids à vue d’oeil. Beaucoup de poids. D’un peu plus de 110 kilos à son poids de forme à l’époque où il foulait les synthétiques de la NFL, le colosse de deux mètres grimpe à plus de 165 kilos. Apnée du sommeil, pression sanguine élevée, depuis ses 35 ans les effets secondaires d’une vie occupée et stressante, et d’un régime alimentaire peu recommandé se font ressentir. En 2014, lorsque son père meurt de complications liées à l’obésité et au diabète, il réalise que s’il veut continuer de voir ses cinq enfants grandir il doit agir au plus vite. Quelques mois plus tard, devant les caméras de l’émission The Biggest Loser sur NBC, l’ancien mal-aimé des Lions de 46 piges perd plus de 55 kilos.
« Je parlais avec ma mère et elle m’a dit, ‘C’est amusant, je viens de voir cette pub avec Dan Marino et il a perdu 10 kilos grâce à Nutrisystem.’ Et elle ajoute, ‘Scott, tu as perdu 50 kilos, tu es meilleur que Dan Marino.’ C’est vrai, Dan Marino serait ma doublure dans The Biggest Loser. »
En quelques semaines, le bedonnant quarterback retraité au ventre gonflé et aux bourrelets tombant fond à vue d’oeil et retrouve une allure plus saine. Une métamorphose physique, mais aussi dans la tête.
« Le chiffre magique est autour de 300 livres (135 kilos, ndr) : une fois que tu dépasses les 300 livres, tu n’est plus costaud, tu est gros, » concède-t-il dans les pages du Salt Lake Tribune en septembre 2014. « J’ai beaucoup fait le yo-yo au cours des 14 dernières années. Tu repousses les choses. Tu te dis, ‘J’ai vraiment bien mangé, c’était délicieux,’ ou, ‘Pas besoin de faire de sport aujourd’hui,’… Quand tu atteins un certain poids, tu finis par jeter l’éponge. »
Devant les caméras de NBC, l’ancien passeur ne se contente pas de suer à grosses goûtes, il retape les fondations même de son quotidien et prend la mesure des épouvantables habitudes qu’il avait prise au fil des années. Adieu les petits déj’ graisseux et sirupeux à 1600 calories. Désormais, il engloutit l’équivalent de 1800 calories en une journée complète et plus un seul repas. Devenu président d’une compagnie développant des programmes informatiques de gestion pour les entreprises dans l’Utah après avoir longtemps exploré une carrière dans l’immobilier en Floride, il peut enfin de nouveau se sentir bien dans sa peau et dans ses fringues. Il peut de nouveau se regarder dans le miroir sans honte et sans malaise. De la même manière qu’il jète sur sa carrière un regard fier bein que marqué par les regrets. Car si pour bien des fans des Lions il est le symbole du début des tracas, le temps d’une saison, il aura représenté l’espoir. Celui d’un avenir meilleur.
S’il reconnaît avoir vécu son rêve de gosse, impitoyable avec lui-même, il ne peut effacer le sentiment d’échec. Celui de ne pas être un hall of famer. Celui de ne pas avoir remporté de Super Bowl. Malgré les regrets, le temps d’une saison il aura été une star. A one-season wonder.