La NFL des années 30, c’est un peu la Premier League des années 2000. Les revenus publicitaires et TV en moins. Un championnat à deux vitesses : une élite qui se bat pour le titre, et les autres. La NFL des années 30, c’est celle de quatre franchises. Quatre pachydermes qui écrasent tout sur leur passage. Les autres ? De simples figurants. Des sparring-partners tout juste bons à offrir un joli spectacle. Et encore, pas toujours. Car quand vient le temps de disputer le Graal, seuls quatre noms retentissent : Packers, Bears, Redskins et Giants. C’est bien simple, de la création de la NFL en 1933 jusqu’en 44, seuls les Detroit Lions auront eu l’audace de bouleverser l’ordre établi, poussant la malice jusqu’à renverser la hiérarchie et s’emparer du titre aux défenses et à la trompe des champions en titre de New York.
Quand David défie Goliath
Dans un championnat à deux vitesses, les autres équipes font grise mine. Et pas seulement sportivement. Les meilleurs joueurs se précipitent vers les formations les plus généreuses en billets verts. Autrement dit, celles qui gagnent. Car oui, plus on gagne, plus on génère d’argent. Et plus on génère d’argent, plus on gagne dans la NFL de l’entre-deux-guerres. Mathématiques 101. Et quand les gladiateurs des gridirons ne sont pas trop gourmands, le choix entre une franchise compétitive et une équipe au point mort est vite fait. Résultat, les meilleures formations n’ont de cesse de devenir meilleures ; quant aux autres, elles stagnent, voire régressent. Non, les Cleveland Browns n’ont rien inventé.
Un constat amer qui n’échappe pas à Bert Bell, le big boss des Eagles. Ses oiseaux de proie ont le ventre vide, et quand le proprio lorgne un gibier appétissant, il lui file entre les serres. En 1935, il n’a d’yeux que pour Stan Kostka. Mais voilà, Bertie se mange un énième râteau. Celui de trop. Un sentiment d’iniquité embaume son plumage. Un goût amer imprègne son gosier. La NFL est un univers profondément injuste qui profite essentiellement aux meilleurs. Une oligarchie impitoyable. Et il faut y remédier. Convaincu qu’il est indispensable d’offrir à toutes les franchises l’opportunité de recruter les meilleurs espoirs et d’enfin sonner les cloches aux pantouflards qui dirigent la jeune ligue, Bell dévoile son projet de draft le 18 mai, à l’occasion d’une rencontre entre dirigeants. Le but est simple : renforcer la compétitivité du championnat en instaurant une parité sportive à même d’assurer la viabilité financière de l’ensemble des franchises tout en nivelant par le haut la qualité du spectacle. Concrètement : les plus mauvaises équipes, et non les plus riches ou attractives, auront la priorité sur les meilleures recrues. Quand l’égalité des chances rencontre le ballon à lacet. Le principe séduit et la proposition est adoptée à l’unanimité le jour même.
Il faudra attendre un an pour que la première draft NFL se tienne. La révolution est en route. La fin de l’hégémonie des quatre fantastiques, pas encore. Mais le vent du changement commence à faire frémir les premières feuilles. Au loin. Si la (pas encore si grande) ligue vient d’entrer dans une nouvelle ère, la belle parité tant espérée par Bert Bell peine à s’installer. Les quatre cadors poursuivent leur domination sans partage. Il faudra attendre près de 10 ans pour que les losers patentés tels que les Cards de Chicago ou les Eagles arrêtent de faire rire. Lentement, mais sûrement, Bertie a réussi son pari. La révolution se fait également dans les têtes, et en 49, George Taliaferro devient le premier Afro-Américain jamais drafté. Il choisira pourtant de rejoindre la ligue concurrente, la All America Football Conference. Sélectionné 6 tours plus tard, Wally Triplett deviendra le premier joueur noir à être drafté et jouer dans la NFL.
La NFL, locomotive progressiste ? Pas vraiment. Surtout pas si l’on s’appelle George Preston Marshall, fondateur des Boston Braves, éphémères ancêtres des… Washington Redskins. Ça ne s’invente pas. Un choix de nom en forme de marronnier polémique de la NFL. Pour sa défense, la franchise comptait à l’époque 4 Natifs américains dans ses rangs. Si George est prêt à faire quelques concessions pour les descendants des illustres tribus indiennes, pas question d’en faire pour les Noirs. Quand bien même cela signifie se priver de talents hors normes. Il faut dire que dans les années 50, les Redskins sont les rois du Sud. Un Sud confédéré qui fleure « bon » la ségrégation et où la politique anti-Noirs de ce charmant monsieur bénéficie d’une glaçante popularité. C’était sans compter sur un maudit journaleux. En 52, la prétention du bonhomme lui monte au cerveau quand Mo Siegel du Washington Post lui lance le défie de lui offrir le privilège de choisir un joueur en fin de draft. Car il paraît que les journalistes ne s’y connaissent pas autant qu’ils le prétendent d’après le boss des Peaux-Rouges racontera Siegel. Le journaliste jette son dévolu sur le defensive end de Tennessee Tech, Flavious Smith. Joueur noir d’après des sources bien renseignées.
« Félicitations, vous venez de devenir le premier journaliste sportif à sélectionner un joueur, » s’amuse Marshall. « Félicitations, George, vous venez d’intégrer les Redskins. »
Officiellement, Flavius n’a jamais été drafté en 52. Probablement froissé, Georgio a dû tirer quelques ficelles auprès de la ligue pour faire annuler ce fâcheux épisode. Smith n’apprendra l’anecdote que bien des années plus tard. Et au passage, il s’avérera être blanc. Only in the US. Pas si bien renseignées.
Les derniers seront les premiers
Instaurer pareil événement implique bien évidemment d’en définir les termes et mécanismes. Le premier d’entre eux concerne les joueurs. Qui seront-ils ? En 35, il est décidé que chaque franchise devra soumettre à la ligue une liste de noms issus des rangs universitaires seniors qui viendront gonfler un catalogue dans lequel chaque équipe devra piocher. Pas de recruteurs à l’époque, pas de vidéos par centaines permettant de faire ses devoirs par correspondance, encore moins de Scouting Combine. Au lieu de ça, des comptes-rendus dans les journaux, des grandes tournées jusque dans les universités ou tout simplement du bon vieux bouche-à-oreille. Dans les années 50 et 60, les têtes pensantes des franchises se pointent à la draft la Billings Gazette et sa liste de All-Stars universitaires sous le bras raconte Gil Brandt, ancien dirigeant des Rams et Cowboys. Aujourd’hui, un joueur doit avoir terminé le lycée depuis 3 ans pour être éligible. S’il n’est pas précisé qu’il doit avoir été inscrit à l’université, la quasi-totalité des footballeurs se présentant à la draft est passée par la fac. Entre temps, il aura été scruté sous toutes les coutures par les scouts. Sur, comme en dehors du terrain.
Les noms alignés, ne reste plus qu’à piocher. Dans quel ordre ? Prenez le classement de la saison tout juste achevée, retournez-le, vous avez votre réponse. Ou presque. Avec l’expansion de la NFL, le risque de voir plusieurs formations à égalité bondit. Pour y remédier, la ligue instaure 4 critères successifs visant à distinguer les bilans identiques : difficulté du calendrier, nombre de victoires dans la division, puis dans la conférence et, ultime recours, tirage au sort lors du Combine. Une fois les franchises départagées pour le premier tour, s’installe une rotation tour après tour. En 2014, Jaguars, Browns, Raiders, Falcons et Buccaneers (dans cet ordre) se présentent à la draft avec un bilan identique de 4-12. Au premier tour, les Jaguars seront les premiers de la petite bande à choisir, les Bucs, les derniers. Au 2e, les Jaguars passeront en queue du quintet, cédant leur première place aux Browns, tandis que toutes les autres grimperont d’une marche. Et ainsi de suite tour après tour.
La plus mauvaise équipe aura l’opportunité de choisir le meilleur espoir, la meilleure devra gentiment attendre son tour. Derniers au classement, premiers à choisir. La draft, c’est l’occasion de rebondir presque instantanément pour les mauvais élèves. Avec elle, vient l’espoir que l’échec sportif ne rime plus inévitablement avec enlisement dans les profondeurs. Non, la draft devient l’opportunité de reconstruire sur les ruines encore fumantes d’une ou plusieurs saisons ratées. Ou de construire tout court. Quand une nouvelle franchise intègre la ligue, elle se voit automatiquement offrir le 1er choix général. En 1935, les Eagles (à la bonne heure !) perdent 9 fois sur 11 et gagnent le droit de jouer les pionniers en devenant la première franchise à drafter un joueur dans histoire du sport professionnel. Mais sélectionner un joueur ne suffit pas. Encore faut-il que le loustic soit d’accord (Coucou John Elway. Coucou Eli Manning). En jetant son dévolu sur une recrue, une équipe s’octroie le droit absolu de négocier un contrat avec lui ou de l’échanger avec et contre qui bon lui semble. Si une signature ou un échange ne peuvent être conclus, le président de la ligue débarque armé de son mégaphone pour jouer le négociateur. S’il échoue dans sa mission, le joueur sera envoyé sur la liste des réservistes et devra se passer de casque, de sueur et de tampons bien sentis pendant toute une saison. Pas la meilleure façon de débuter une carrière.
La première draft NFL se déroule le 8 février 1936 au Ritz-Carlton de Philadelphie. Dans une des grandes salles de conférence de l’hôtel, un tableau noir sur lequel sont inscrits les 90 noms des joueurs que vont se disputer les 9 franchises de la jeune et pas encore totalement rutilante ligue de football professionnel. Loin de l’immense cirque médiatique qui anime tout un week-end aujourd’hui, la première édition se veut intimiste. Les 9 tours se déroulent sur deux jours, sans la moindre couverture médiatique. En catimini.
Heisman Trophy 1935, le coureur Jay Berwanger devient le premier joueur jamais drafté dans l’histoire de la NFL. Mais le gaillard ne parvient pas à s’entendre avec Philly sur un contrat et est finalement envoyé chez les Bears de George Halas. Là aussi, c’est l’impasse et le décathlonien décide d’abandonner purement et simplement le football pour conserver son statut d’amateur et avec, ses chances de participer aux JO de 36 à Berlin. Des chances qui s’envoleront rapidement et lui feront regretter d’avoir refusé l’offre de Chicago avouera-t-il plus tard. Sur les 81 joueurs sélectionnés, seuls 24 parapheront un contrat. Des contrats nettement moins généreux que par le passé du fait d’une clause d’exclusivité qui va rapidement mettre fin à l’inflation des prix qui guettait la ligue. Ou pas. Car si la moyenne des contrats tant à diminuer et s’équilibrer, certains proprios n’hésitent pas à aligner les zéros.
En 38, Art Rooney fait sauter la banque pour attirer dans ses filets Byron « Whizzer » White. Le jeune homme a pourtant publiquement assuré renoncer à une carrière de footballeur pro pour poursuivre ses études. Le propriétaire des Pittsburgh Pirates (ceux de la NFL, pas de la MLB) s’en contrefiche, le drafte et lui offre un contrat de 15 000 dollars garantis, doublant d’un coup le plus gros montant jamais accordé. Les autres proprios voient rouge, White voit vert et revient sur sa décision. Premier choix général en 1942, « Bullet Bill » Dudley ne se posera pas autant de questions et deviendra le premier numéro un de la draft à intégrer le Hall of Fame.
Les boyscouts de la NFL
Avec la draft, la NFL vit un tournant et avec, l’émergence d’une flopée de petits génies du ballon à lacet, d’experts, de chasseurs de têtes. Une nouvelle vocation est née. Parmi eux, un gamin de New York. En 36, le nom de Truffy Leemans parvient aux oreilles des Giants grâce à un collégien en vacances, spectateur occasionnel d’une rencontre entre la George Washington University et Alabama. Fullback, halfback, quarterback, Leemans éclabousse les terrains universitaires de son talent depuis 1933. L’adolescent est sous le charme et ne perd pas un instant pour parler de son nouveau chouchou à son papounet. Le scout en culottes courtes s’appelle Wellington Mara. Son père, Tim Mara, le fondateur et propriétaire des Giants. En 36, Truffy Leemans est choisi au 2e tour de la draft par la franchise de la Grosse Pomme. All-Star, 1930’s All-Decade Team, Hall of Famer, son numéro 4 a été retiré à tout jamais. La draft vient d’accoucher de sa première star. Grâce à un ado qui reprendra bientôt le flambeau de son père. Jeune, mais déjà fourbe, Wellington est officiellement promu en charge du recrutement des Giants en 1939 et fait rapidement parler sa malice en sélectionnant Walt Nielsen, un joueur absent de la liste de noms livrés par chaque franchise. Même celle des Giants.
« Je ne crois pas avoir dit que j’avais mis tous les noms sur la liste, » commentera-t-il, un sourire au coin des lèvres.
À mesure que les années passent, la ligue n’a de cesse de se professionnaliser. Peu à peu, ce sont de véritables armées qui commencent à faire tourner les grosses écuries. Et pas seulement sur le bord des terrains. En 1946, Eddie Kotal devient le premier scout de métier embauché par une franchise NFL, les L.A. Rams. Il faudra pourtant attendre une décennie pour que les recruteurs deviennent des pions essentiels du travail de prospection. Et dire que tout est parti d’une blague. En 1956, les vidéos sont rares. À l’approche de la draft, un brin railleur, un des membres des Rams, franchise à la pointe en matière d’innovation technique comme tactique, propose de dénicher davantage de films sur un obscur prospect du Minnesota. Dick Donlin, basketteur, footballeur et sprinteur tout au plus médiocre de la Hamline University, à St. Paul. Le gamin n’a rien de spécial, pourtant le bruit court rapidement qu’il est une véritable pépite. Le coupable, un assistant bavard qui laisse fuiter une note sans équivoque : « Donlin est une vraie affaire. Un diamant brut. Tout le monde veut mettre la main sur Donlin. »
Si Eddie Kotal décroche son combiné pour se renseigner auprès des facs voisines et obtenir davantage d’images, l’étudiant en art n’intéresse pas vraiment la franchise de L.A. Mais ça, les Colts l’ignorent. Bien au contraire même depuis qu’ils ont reçu un coup de fil en provenance du Minnesota arguant que les Rams étaient « chauds » sur le cas Donlin. Ni une, ni deux, avec le 21e choix général, Baltimore met le grappin sur la tant convoitée pépite des 10 000 lacs. Les Poulains viennent même faire les malins à la table des Béliers. Donlin ne passera pas les cuts de l’été et ne jouera jamais le moindre snap. Il est définitivement temps de s’équiper d’escouades de scouts. De vrais escadrons prêts à sillonner le pays en long en large et en travers. Non, les revues de presses ne sont plus suffisantes.
« On avait pour habitude de drafter les types à partir des équipes All-American publiées dans les journaux, » raconte Ernie Accorsi, dirigeant globetrotteur et ancien GM. « Il nous suffisait de quelques images vidéos d’eux, de journaux, on compilait tous les chiffres et l’affaire était entendue. »
Si les coachs à l’époque ont souvent le nez creux, c’est un vivier de talent sans fin qui est souvent royalement ignoré, faute d’hommes de terrain. Les grands perdants : les universités noires et académies militaires. Quand en 52, le chasseur de têtes Eddie Kotal dégotte Dick « Night Train » Lane, les rivaux commencent à prendre conscience de l’importance de la détection. Sorti d’un obscur community college du Nebraska, le cornerback s’offre 14 interceptions dès son année de rookie. Un record toujours inégalé à ce jour. Et si nous aussi, nous nous mettions en quête de joyaux cachés, de diamants bruts ? Si nous aussi, nous nous dotions de notre Kotal réalisent enfin les autres franchises. Encore faut-il savoir par où commencer.
Scout qui peut !
Être scout NFL, c’est vivre football, respirer football, manger football, penser football. À la pointe de l’innovation en la matière, Wellington Mara, le scout en Pampers devenu recruteur de la franchise de son illustre père, fera des routes (aériennes comme terrestres) de la patrie de l’Oncle Sam sa seconde maison. Un vrai « bird dog » comme on dit dans le jargon. Sur le chemin du retour de sa lune de miel, Wellington n’hésite pas à ordonner quelques crochets par-ci, par-là pour aller zieuter de potentielles recrues. Pas de quoi envenimer la vie de famille assure John, l’un de ses rejetons et actuel président et copropriétaire des Giants.
« Je ne crois pas que ça dérangeait ma mère, » racontait-il à NFL.com. « Ils ont bien fini par avoir 11 enfants et sont restés mariés très, très longtemps. »
« Quand ses camarades de la Navy – il a servi durant la Seconde Guerre mondiale – débarquaient dans des ports californiens ou à Hawaï, leur premier réflexe était de se ruer dans les boîtes de nuits et autres. Mon père préférait les lycées ou les rencontres universitaires pour superviser des joueurs. »
Une véritable obsession dites-vous ? La clé du succès de ces chasseurs de têtes sans nul autre pareil. Même une fois le flambeau passé, Wellington l’octogénaire n’aura de cesse de hanter la war room de la première à la dernière seconde de la draft, allant même jusqu’à jouer les prolongations parfois. Une maladie incurable. Une maladie contagieuse. Parlez-en à Gil Brandt, le chantre de l’informatisation des données relatives aux apprentis footeux. Demandez à Steve Belichick, oui le père de, auteur de Football Scouting Methods, véritable bible du scoutisme version gridirons. Tous ces hommes partagent une même obsession : celle de l’omnipotence. Tout savoir, jusqu’au moindre détail, pour mieux choisir. Un culte de l’excellence. Une minutie de tous les instants dans laquelle Bill a grandi, admiratif.
La télévision s’immisce peu à peu dans la grosse machine. Puis vient le tour d’Internet. Autant d’outils ô combien précieux dans le processus pré-draft. Entre temps, et même bien avant l’entrée tonitruante dans l’ère médiatique tous azimuts, les franchises n’ont de cesse de perfectionner leurs méthodes de détection et d’évaluation. Pour le meilleur, et pour le pire. Muni de son IBM 360, Gil Brandt recueille, compile, ordonne des milliers de données en un catalogue soigneusement organisé. Sa machine se révèle être un outil extrêmement précieux et commence à faire des émules. Même l’orgueilleux Vince Lombardi, après s’en être pris à Brandt pour ses méthodes à l’occasion d’une draft, ravalera sa fierté et viendra se renseigner sur la façon d’utiliser pareil ordinateur une ou deux années plus tard. De 0-11 lors de leur première saison, les Cowboys de Gil vont – lentement, mais sûrement – se transformer en machine de guerre qui, passé son 7e anniversaire, enchainera 20 saisons positives consécutives. Merci IBM.
Peu à peu, c’est un véritable système de notation des joueurs qui s’institue. Des chiffres et des lettres, voilà la clé de ce barème parfois fatal.
« Cela consiste à attacher une lettre à la note chiffrée accordée au joueur, » explique Ernie Accorsi. « Sur une échelle de 9, si vous obtenez 7 ou 8, ce qui est très élevé, mais que vous êtes trop petit selon les critères de la NFL en comparaison avec la taille moyenne des joueurs à votre poste, ils mettront un ‘C’ à côté. »
Une petite lettre en guise de red flag, de signal d’alerte. Taille, poids, vitesse, puissance, explosivité, réactivité, lucidité, autant de critères secondaires qui se voient attribuer une lettre. Une simple lettre qui peut vous faire passer du 1er au 2e tour. Voire pire. Un système encore en vigueur chez les Giants aujourd’hui et que de nombreuses autres franchises utilisent sous diverses variantes. La logique derrière cela est simple et parfaitement résumée par Ernie Accorsi :
« Si vous commencez à faire des exceptions sur la taille et la vitesse, vous allez finir par vous retrouver avec une équipe petite et lente. »
À la pointe de l’innovation, les Cowboys de Gil Brandt et leur exploitation ultra poussée des données statistiques informatisées n’ont pas toujours eu le nez creux. Friands de fusées façon Bob Hayes en guise de receveurs, les Boys tombent sous le charme de David McDaniels et dans le panneau des stats. Éblouis par un 40-yard dash dans les 4.4, les Texans lâchent leur choix de 2e tour de 68 sur le TGV de Mississippi Valley State. Seulement, quand vient le temps du camp d’été, il s’avère rapidement que son 40-yard devait davantage être un 38-yard et que le TGV ressemble plus à un TER. Vieille version. Amputer le 40-yard dash de quelques pieds, une pratique courante dans les années 60-70, notamment du côté de Villanova. Al Davis en fera les frais. Dans certaines facs texanes, pas besoin de chronos, on compte avec les doigts racontera Gil Brandt, sidéré. 4.73 une fois, 4.73 deux fois. Une vraie micheline. En véritables génies, les boss de Dallas se gardent bien d’ébruiter les chiffres et envoient McDaniels à Philly en échange de Mike Ditka dès le mois de janvier suivant. À compter de ce jour, Gil Brandt exigera que les chronos soient systématiquement vérifiés. Sage décision.
Primetime show, one-man-show et show business
Lasse de se balader de sale d’hôtel en salle d’hôtel comme un vulgaire congrès de vendeurs de moquette, la draft pose ses valises au Radio City Music Hall de New York City en 2006. Elle y passera 9 années. Toujours en quête de moyens de vendre son produit, Roger Goodell décide qu’il est temps pour elle de reprendre la route. En 2015, elle retrouve Chicago et son Auditorium Theater. Une ville qu’elle n’avait plus visitée depuis 1964. Pour la première fois en 50 ans, elle quitte la Grosse Pomme. Deux petits printemps sur les rives du lac Michigan, et il sera de nouveau temps pour la draft de reprendre la route vers des contrées encore inconnues.
1960 marque un nouveau tournant. Face à la concurrence de l’American Football League (AFL), la draft devient un terrain de bataille virtuel. 20 ans plus tard, elle entre dans la modernité. ESPN n’a qu’un an, mais déjà des idées plein la tête. Son patron Chet Simmons demande au commissaire de la ligue, Pete Rozelle, le droit de diffuser l’évènement en direct. Pas vraiment convaincu de l’intérêt médiatique de la draft, le grand manitou de la NFL accepte quand même. En 88, la draft est décalée en fin de semaine et les audiences grimpent en flèche. Pas si inintéressant que ça visiblement. En 2006, NFL Network n’a que 3 ans, mais décide de s’inviter à la fête en proposant sa propre couverture de l’événement. Trois jours sous les yeux de milliers de téléspectateurs, internautes ou fans présents sur place, la petite loterie intimiste organisée dans un quasi-anonymat dans les arrières salles d’hôtels a bien grandi.
Si draft day rime avec partayyy pour des centaines de fans et de joueurs, l’enthousiasme n’est pas aussi palpable du côté des staffs raconte John Robinson, ancien coach des Los Angeles Rams. Car le gros du travail a déjà été accompli en amont. Dès le Senior Bowl, les tractations battent leur plein en coulisses. Tout ou presque est déjà fixé, les scénarios écrits. Ne reste plus qu’à réciter sa partition.
« Le jour de la draft, on s’ennuie ferme. Tu te pointes à 17h. Entre 17h et 19h je dirais que t’engloutis environ 10 tasses de café et 11 donuts. En fait, l’essentiel du boulot a été accompli avant la draft. C’est comme un père attendant la naissance de son gamin à l’hôpital. T’es assis là, sans avoir grand-chose à faire, » confiait-il au Washington Post en 2004.
Mais si les grandes lignes sont déjà bien connues en interne, certaines formations n’hésitent pas à brouiller les cartes pour jouer les fauteurs de troubles. Et à ce petit jeu, Jimmy Johnson n’était pas le dernier raconte John Wooten, ancien membre de l’encadrement des Cowboys.
« Jimmy était un pêcheur passionné, il n’hésitait pas à dire, « répandons un peu de chum (chaire, os et sang de poisson utilisés en guise d’appât, ndr), » c’était sa devise. On essayait de nouer des relations avec toutes les équipes. »
Dada des deals à la dernière seconde, Jimmy Johnson aime à tisser un vaste réseau de relations avant la draft pour mieux en tirer les ficelles le jour J. Une stratégie qui lui permettra de mettre la main sur Emmitt Smith après avoir deviné les intentions des Steelers et monté un échange express avec la franchise de Pittsburgh alors que les secondes s’égrainaient déjà.
La draft NFL entre dans une nouvelle ère, celle de la grande visibilité, celle d’un spectacle qui ne se cantonne plus aux terrains, mais aussi aux coulisses. Une ère dans laquelle Norm Michael aurait difficilement pu passer à côté de sa sélection par les Eagles. En 44, le fullback de Syracuse est drafté par Phillie au 18e tour. Il n’en portera jamais les couleurs. Pire, ce n’est que 55 ans plus tard qu’il apprendra la nouvelle. En 99, il concède amusé, « C’est la première fois que j’en entends parler, » lorsqu’il découvre son nom sur la liste de tous les joueurs draftés dans l’histoire de l’université du nord de l’État de New York. En 60, loin des caméras et des micros et par crainte de voir l’AFL piquer dans son vivier, la NFL tient une draft secrète. Tous les moyens sont bons. En pleine époque de guerre froide entre ligues, les franchises n’hésitent pas à « kidnapper » les futurs rookies, les isolant dans des chambres d’hôtel jusqu’à leur sélection officielle. Une autre époque où la NFL navigue encore dans l’ombre. Une époque de secrets. Une époque (presque) révolue.
Si le processus de détection et d’évaluation est fondamental et évite, autant que possible, les erreurs de casting, la draft se joue également le jour-J. Sous le feu des projecteurs. Et certaines franchises n’hésitent pas à pas hypothéquer plus que quelques choix pour tenter le grand virage à 180 degrés visant à remettre l’équipe sur les bons rails. Parfois pour le meilleur, mais aussi pour le pire. Le grand spectacle de la draft. Les coups de théâtre, les coups de maitre, les coups dans le vide. Une issue heureuse ou dramatique qui guette les Rams depuis l’annonce de leur décision de sacrifier des choix en pagaille pour dénicher (enfin) le digne successeur de Marc Bulg… Kurt Warner, quelques années après avoir été les grands gagnants de la course à RGIII. À l’aube du 3e millénaire, ce sont les Saints qui la jouent all-in et se délestent de tous leurs choix de 99 et deux de 2000, dont celui du premier tour, pour attirer Ricky Williams dans leur cathédrale du Superdome. On connaît la suite.
En 90, Cowboys et Vikings concrétisent l’échange blockbuster de l’histoire de la NFL. Les hommes du Nord envoient 5 joueurs et 8 choix de draft en échange de Herschel Walker et quatre choix. Dallas bâtira une dynastie, Minnie s’offrira Jake Reed et un coureur sur le déclin avec juste 3 petites saisons encore dans le moteur. En 98, les Chargers lâcheront deux choix de 1er tour, quelques sélections et joueurs supplémentaires pour piquer la 2e place des Cards et mettre la main sur… Ryan Leaf. Si la franchise du désert ne capitalisera pas vraiment, cet échange demeure l’un des plus gros ratés de l’histoire. Digne des deux microscopiques touchdowns et 15 interceptions de l’ancien quarterback de Washington State pour son année de rookie. Pendant que certaines franchises se dépouillent en vain, en 2011, Andy Reid et Bill Belichick s’amusent en s’échangeant les 193e et… 194e choix. Aucune explication rationnelle à cet échange.
Si certaines franchises jettent les choix de draft par les fenêtres, d’autres jouent les Messies. En apôtre de la draft, George Allen s’est fait roi dans l’art de transformer une place sur une liste en joueurs en chaire et en os. Le GM des Redskins aime user, et surtout abuser, des ses choix pour les troquer contre des joueurs aguerris. Un peu trop même. En 73, il échange son choix de 2e tour contre Verlon Biggs des Jets. Puis une seconde fois, avec les Rams, cette fois-ci, en échange du safety Richie Petibon. Au tour suivant, l’envie lui reprend et George troque ses choix de 3e et 4e tour avec les Bills pour le defensive end Ron McDole. Puis rebelote avec les Chargers pour mettre le grappin sur Speedy Duncan. Un choix, une paire et quatre échanges. Ni vu, ni connu. Ou presque. Il faudra un an à la ligue pour se rendre compte du tour de passe-passe. Les Redskins devront s’acquitter d’une dérisoire amende de 5000 dollars et rendre plusieurs choix. « Il n’y a jamais eu de mauvaise intention, » assurera Allen, plaidant une vie surchargée en guise d’excuse. « C’est déjà arrivé à plusieurs reprises quand Allen était coach à Los Angeles, » expliquera le commissaire Pete Rozelle, pas du tout convaincu par le plaidoyer du prestidigitateur.
Si Georgio avait le don de multiplier les choix de draft comme un charpentier bien connu de Nazareth multipliait les pains, les Redskins n’ont pas toujours été aussi futés. En 46, éblouis par les prouesses du coureur de UCLA, Cal Rossi, les boss de D.C. se délestent de leur 9e choix général pour l’enrôler. Seul hic, le halfback est encore junior et inéligible. Oups. Mais ça n’est que partie remise. L’année suivante, enfin autorisé à se présenter à la draft, il est sélectionné au 3e rang général. Nouveau hic, Rossi n’a plus envie de faire du football son métier. Mais il y a mieux. En 56, les Redskins sélectionnent Donnie Caraway au 7e tour. L’année suivante, les Bears en font leur choix du 29e tour. En 58, ce sont finalement les Giants qui l’enrôlent au 4e tour. Symbole du chaos qui pouvait parfois souvent accompagner la draft NFL. Des bégaiements inimaginables aujourd’hui.
John Wayne et la pêche au hareng
La draft NFL, c’est 80 éditions et des milliers de joueurs sélectionnés. Des stars, des anonymes. Des pépites sorties de nulle part, des ratés mémorables. Et une farandole d’anecdotes toutes plus loufoques et hilarantes les unes que les autres. En 95, le bloqueur de BYU Eli Herring informe chaque équipe qu’il renonce à embrasser une carrière NFL pour embrasser sa foi à la place. Car si le dimanche est le jour du football, c’est aussi celui du Seigneur. Pour ce mormon dévoué corps et âme, l’équation n’est pas bien compliquée. Pour les Raiders, un peu plus. Avec un joli chèque de 500 000 dollars à la clé, ils sélectionnent le tackle offensif au 6e tour. Le joueur résistera à la tentation de la cupidité, les journaux, pas à celle de se moquer des Raiders. Une fois de plus.
« Les Raiders repartent à la pêche… au Hareng (NDLR : herring signifie hareng en anglais), » titre le LA Times le 24 avril 1995.
En 2003, absorbés par des tractations avec les Ravens, Jaguars et Patriots, les Vikings en oublient l’horloge et laissent s’égrainer les 10 minutes qui leur sont accordées. Les Jags et Panthers bondissent tels des félins sur l’occasion pour se ruer devant eux et s’emparer des 7e et 8e choix. 10 minutes, pas une seconde de plus, c’est le temps imparti à chaque équipe pour annoncer son choix au 1er tour. Il tombe à 7 au suivant, puis à 5 pour les cinq derniers. Il n’en a pas toujours été de même. En 64, sans le moindre impératif médiatique, les Cowboys mettront 5h à se décider sur leur choix du 2e tour. Doublée, la franchise du Minnesota devra finalement se contenter du 9e rang. Elle sélectionnera Kevin Williams. Plus de peur que de mal. Un cas unique jusqu’à ce que les Ravens ne rééditent la prouesse en 2011. En 54, les Browns enrôlent Bobby Garrett avec le premier choix général. Star de Stanford, le quarterback est un no brainer. Pourtant, dès l’été, il est envoyé chez les Packers contre six autres joueurs. Un coup de maître pour les Cheeseheads pense-t-on. Jusqu’à ce que les hommes de la baie des Puants se rendent compte que Garrett est bègue. Ken d’Un poisson nommé Wanda un casque vissé sur la tête. S’il lance le cuir avec un certain talent et se révèle être un excellent athlète, il est incapable d’appeler les jeux. Fâcheux pour un signal caller. Même Tom Brady aurait le temps de traverser tout le terrain en courant en attendant qu’un mot débutant par un « s » daigne enfin sortir de la bouche de Bobby. Un cauchemar pour l’intéressé, un handicap rédhibitoire. Il ne jouera que 9 petits matchs.
En 72, en 17e ronde, c’est le tour des Falcons. Sous l’objectif de NFL Films, Norm Van Brocklin se dresse et beugle à ses assistants, « Veut-on le plus robuste et le plus rugueux f.d.p. de cette draft ? » Réponse affirmative et unanime. Le coach décroche le combiné et annonce, « Atlanta sélectionne John Wayne de Fort Apache. » Rabat-joie, Pete Rozelle esquissera peut-être un sourire, mais n’autorisera pas le choix. Si a 65 ans, le Duc n’aurait pas fait long feu sur un terrain, le colosse d’un mètre 93 en avait suffisamment sous le casque dans les années 20 pour convaincre USC de lui offrir une bourse d’études.
En 2012, fraîchement drafté par les Chargers, Melvin Ingram grimpe sur le podium et nous gratifie d’un handshake aussi inattendu que cocasse avec la personne la moins drôle de la NFL, aka Roger Goodell. Un enthousiasme qui tranche avec le visage de marbre de Barry Sanders en 1989 ou avec les larmes de Cedric Benson, loin d’être conquis par la décision des Bears d’en faire le 5e choix général en 2005. De 9 tours à sa création en 36, à 7 aujourd’hui, la draft en a connu jusqu’à 30 dans les années 40, quand les joueurs universitaires avaient autant de chances d’être enrôlés dans la NFL que dans l’armée. De 1957 à 59, la ligue décide que les deux premiers tours se tiendront en novembre. L’objectif : empêcher les meilleurs joueurs amateurs de filer dans la CFL voisine.
Of busts and steals
La draft NFL, c’est son lot de stars déchues et de talents sortis de nulle part. De busts et de steals. De Ryan Leaf et JaMarcus Russell d’un côté, de Tom Brady (6e tour) et Roger Staubach (10e tour) de l’autre.
Antonio Brown (6e tour), Deacon Jones (14e tour), Johnny Unitas (9e tour), Richard Sherman (5e tour), Jared Allen (4e tour), Joe Montana (3e tour), Tony Romo (non drafté), Terrell Davis (6e tour), Robert Mathis (5e tour), Bart Starr (17e tour), Shannon Sharpe (7e tour), Larry Wilson (7e tour), Donald Driver (7e tour), Raymond Berry (20e tour). Une liste non exhaustive. Coups de génie, coups de chance, tous ces joueurs ont su défier les attentes pour s’imposer comme des stars de leurs temps. Et bien au-delà parfois. Larry Wilson a révolutionné le poste de safety. Jared Allen, Robert Mathis et Deacon Jones terrorisé des dizaines de passeurs et de bloqueurs impuissants. Joe Montana et Tom Brady ont érigé autour d’eux de véritables dynasties. Joueurs ignorés à cause d’un passif médical inquiétant, de performances en déclin au fil de leurs cursus, de soucis extrasportifs, parce que membres de petites et obscures universités. Autant de raisons et d’histoires qui font la singularité et le charme de la draft. Cette loterie où il faut voir au-delà des prouesses universitaires passées et savoir jouer les devins. Cette loterie qui peut faire de vous un génie grâce à un coup du sort (Coucou Tom et Drew !).
Encore ne faut-il pas se laisser emporter par le cirque médiatique qui précède la draft et au fameux buzz, ce gazouillement, cette frénésie, cet excès qui obscurcit votre jugement. Savoir déceler les talents cachés pour les drafter sur le tard, c’est une chose ; savoir éviter les pièges, ces joueurs trop beaux pour être vrais, c’en est une autre. Le genre de choix qui peut faire basculer une franchise dans la médiocrité en un claquement de doigts. Ils s’appellent JaMarcus Russell, Tim Couch, Ki-Jana Carter, Aaron Curry, Akili Smith, Tony Mandarich, Trent Richardson, Troy Williamson, Charles Rogers, David Carr, Brian Bosworth, Vernon Gholston ou Ryan Leaf. Ils avaient tout de stars de demain. The next big thing(s). Des franchises quarterbacks en puissance, les nouveaux Barry Sanders, Dan Marino, Randy Moss ou Lawrence Taylor. Une différence qui se joue parfois à rien. En 1989, c’est le grand débat du côté de Dallas. Avec le premier choix général, les Boys ont deux options : Troy Aikman ou Tony Mandarich. En interne, on s’engueule, se déchire, avant de se ranger derrière le quarterback. On connaît la suite de l’histoire. Il s’en est fallu de rien pour que la dynastie des années 90 ne voit jamais le jour. Ou bien ailleurs.
Loin du brouhaha de ces stars ratées, « Mr. Irrelevant » attend chaque année son tour. Fébrilement. Si ses chances de marquer l’histoire de la NFL sont aussi maigres que celles de Jeff Fisher d’envoyer son équipe en playoffs ou de Tim Tebow de devenir un jour MVP, il demeure une petite attraction. Le point final d’un long weekend, riche en suspense (souvent), en surprise (parfois) et en déceptions (toujours). Le coup de sifflet final en somme. C’est en 76 que l’ancien receveur Paul Salata sort cette formule pour désigner le tout dernier joueur sélectionné. Une joyeuse liste d’illustres inconnus dans laquelle un nom saute aux yeux : Ryan Succop, le kicker des Titans, drafté en 256e position par les Chiefs en 2009. Un des rares, si ce n’est le seul, M. Sans Importance à s’être imposé durablement. Le linebacker des Rams, David Vobora, était parvenu à se faire une place de titulaire en 2009. Quant à Marty Moore (Patriots) et Jim Finn (Giants), il sont les deux seuls à avoir décroché une bague.
Être le dernier homme sélectionné, ce n’est pas juste se voir remettre un joli maillot floqué du nom « Mr. Irrelevant » par Paul Salata en personne, c’est aussi être la star d’une semaine dédiée. Un séjour tous frais payés, en famille, à Newport Beach, Californie. Tournoi de golf, régate, one-man-show en guise de bizutage et une cérémonie au cours de laquelle la star de la semaine reçoit le tant convoité Lowsman Trophy, une réplique du Heisman Trophy échappant malencontreusement le cuir. Convoité par les joueurs, mais pas seulement. La distinction, aussi anecdotique parait-elle, offre une publicité telle que les franchises n’hésitent à se faire la guéguerre pour la décrocher. Quitte à sombrer dans l’absurdité la plus navrante. En 79, les L.A. Rams ont l’avant-dernier choix et la ferme intention de le laisser filer pour s’emparer de l’ultime. Aussi, quand vient leur tour, ils laissent les secondes s’égrainer et les Steelers récupérer l’antépénultième choix. Seulement, la franchise de Pittsburgh aussi tient à M. Sans Importance et passe aussi son tour. Puis les Rams en font de même. Et les Steelers à nouveau. Il faut finalement que Pete Rozelle mette fin à la farce en imposant aux franchises de désigner un joueur.
De cette anecdote risible naitra une règle interdisant aux équipes de passer leur tour pour décrocher le dernier choix. Car oui, dans la NFL, le premier comme le dernier choix sont importants. Premiers. Derniers. Les maitres mots de la draft. Les derniers sur le terrain seront les premiers sur le podium, les champions du Big Game soulèveront le Lowsman Trophy. À vouloir être les premiers, on finit les derniers.
Cet article est apparu pour la première fois sur Touchdown Actu le 1er mai 2016.