Premier quarterback afro-américain intronisé au Hall of Fame. Premier quarterback non-drafté honoré à Canton. Seul joueur de football professionnel immortalisé à jamais par la NFL et la CFL, Warren Moon est le pionnier de toute une communauté bafouée, méprisée et incomprise pendant des décennies. Pour eux, pour lui, il a tout fait pour décrocher la Lune.
L’homme de la maison
Gamin de la côte ouest, Warren Moon voit le jour dans la Cité des Anges en novembre 1956. Musées, parcs, plage, entouré de parents aimants et déterminés à élever des gamins ouverts d’esprit et curieux malgré leurs maigres moyens, il grandit la tête bien faite et fermement vissée sur les épaules. Warren n’a que 7 ans quand son père s’éteint, emporté par une maladie du foie. De lui, il préfère garder le souvenir de celui qui le chatouillait jusqu’à faire exploser sa vessie plutôt que celui de cet homme incapable d’arrêter de boire. Le souvenir de ce père qui les faisait s’asseoir cérémonieusement devant le poste radio le soir, après avoir passé la journée à batifoler dans le jardin, pour leur faire découvrir la beauté grave de l’opéra, à lui et ses six frangines.
« Ça m’a façonné, » raconte Moon dans l’Investor’s Business Daily en 2015. « J’ai dû prendre beaucoup de responsabilités à ma charge très jeune. J’étais devenu l’homme de la maison, tout le monde au lycée me surnommait Pops (contraction courante pour désigner le père aux États-Unis, ndr) […] »
De sa mère, il tient un goût immodéré de l’ordre et de la propreté. Devenue veuve, elle entame des études d’infirmière comme une forcenée afin de pouvoir subvenir seule aux besoins les plus élémentaires de ses sept marmots. Une détermination et un courage immenses qui déteindront très vite sur son fils. Même avec un emploi du temps de fou furieux partagé entre des journées passées à s’assurer du bon entretien de l’Aéroport International de Los Angeles et des nuits de garde interminables qui se finissent aux premières lueurs de l’aube, le petit déjeuner est préparé chaque matin, le dîner sur la table tous les soirs et le linge fraîchement nettoyé et plié. Une véritable fée du logis. Une fée tout court.
Entassés dans leur petit trois pièces de Mid-Town, Los Angeles, et ses deux chambres étriquées, la famille vit à l’étroit. Une salle de bain toujours prise d’assaut par les femmes de la maison se souvient Warren dans son bouquin Never Give Up on Your Dream: My Journey, une seule petite télévision pour toute la meute, le futur quarterback ne grandit pas dans l’opulence, mais ne se sent jamais dans le besoin. Ses vêtements et ceux de ses soeurs sont rarement dernier cri, mais toujours impeccablement lavés et repassés. Surtout, très jeune, il apprend les vertus du partage et de la frugalité. Se contenter de peu. Mère profondément fière, Pat refuse la moindre aide en dehors de l’assurance-santé indispensable pour une si grande fratrie. Et encore, chaque visite chez Medicare résonne comme une épreuve pour elle. Comme l’aveu que, malgré les efforts qu’elle déploie au quotidien, elle n’est pas capable de subvenir, seule, aux besoins des ses enfants.
« Je l’ai regardée faire, la façon dont elle a su gérer tout ça » se souvient Moon sur les pages web du Houston Chronicle le 8 novembre dernier. « Mes soeurs l’aidaient, mais jamais dans mes souvenirs nous avons dû nous passer d’un repas chaud. Jamais je n’ai dû porter de vêtement sales, jamais la maison n’a été en désordre […] Elle était une source de motivation pour moi. Je voulais que ce soit à mon tour d’être capable de prendre soin d’elle. »
Petits boulots à droite à gauche, dont un job d’employé de bureau dans l’Administration des Anciens Combattants au lycée qui lui rapporte un joli pactole, toute sorte de sports pour s’épanouir, des jeux inventés de toute pièce avec ses potes, des leçons de couture, de repassage ou de cuisine avec sa mère, l’enfance et l’adolescence de Warren sont bien remplies et surtout heureuses en dépit des circonstances. Chaque dollar gagné par Warren est un dollar gagné pour toute la famille. Même chose quand ses soeurs jouent les babysitters en échange de quelques billets verts. Seul homme de la maison après la mort de son père et en attendant que sa mère ne rencontre Tom, 5 ans après la disparition de son mari, Warren manque cruellement d’une figure masculine autour de lui. Perdu au milieu de sept femmes, Pat ressent chez son fils le besoin de s’épanouir dans un environnement plus masculin où il puiserait et découvrirait des choses que jamais il ne trouverait à la maison, ce monde 100% féminin. Pour elle, la solution est évidente. Le sport. Les testostérones. L’esprit d’équipe. La fraternité du vestiaire. Elle a beau ne rien y connaître, elle sait que ce sera la meilleure école pour faire de son garçon un homme.
Warren Moon a dix ans lorsqu’il découvre le ballon à lacet avec les Trojans de Baldwin Hills, formation de Pop Warner Little Scholars, un organisme à but non lucratif invitant les enfant entre 5 et 16 ans à s’époumoner sur les terrains de sport à travers tout le pays. Après 4 années à découvrir un football d’évitement et d’amusement où il brille, il rejoint Alexander Hamilton High School, un établissement majoritairement blanc, juif et aisé, et disparaît rapidement des terrains. Pendant deux saisons, il se retrouve relégué sur la touche par un coach buté qui ne croit pas un instant en son potentiel de quarterback. Tout aussi têtu, Moon refuse de jouer à tout autre poste. Depuis tout petit, il a toujours lancé plus vite, plus fort, plus haut, plus loin que tous les autres gamins. Il a ce poste dans le sang. Dans le corps. Il le sait. Pourtant, entre une ogive qui traverse presque tout le terrain et une passe millimétrée en mouvement dans les numéros de son receveur, ses autruches de coachs tentent tout aussi désespérément qu’inutilement de le convaincre de changer de position. Un dialogue de sourds. Une perte de temps.
Après deux années à devoir se battre contre les préjugés qui collent aux crampons des quarterbacks afro-américains dans une Amérique encore déchirée par la lutte pour les droits civiques, la délivrance arrive enfin. Par hasard. Un après-midi, aux commandes de l’équipe B, sous l’oeil attentif et curieux de son coach, Warren le petit gars maigrichon décoche une bombe de 50 yards. Jack Epstein jurerait avoir vu de la fumée s’échapper du ballon dans le sillage de sa trajectoire. Sur le cul, l’entraîneur glisse à son passeur : « L’année prochaine, tu seras notre quarterback titulaire. »
Nommé partant des Yankees en 1973, il les envoie en playoffs un an plus tard, est nommé All-City pour sa dernière année de lycéen et découvre le racisme ordinaire qui gangrène l’Amérique jusque dans son exutoire préféré. Même dans une Californie pourtant en avance sur bon nombre de ses voisins. Avant un match contre Crenshaw High, il reçoit même des menaces de mort. Warren balancera 5 touchdowns ce jour-là. Un doigt d’honneur majuscule. Et déjà, un tempérament à toute épreuve. Meilleur quarterback d’une Cité des Anges saturée de gamins dégoulinant de talent, il n’est même pas convié au All-Star Game lycéen local. USC, Arizona State et d’autres programmes prestigieux lui envoient des offres de bourses d’études, mais aucune pour un poste de quarterback. Les Sun Devils veulent le transformer en safety ou en wide receiver. Car aussi insensé que cela paraisse, toutes les facs s’entêtent à vouloir le faire jouer à un poste autre que celui auquel il a brillé durant toute son adolescence. Defensive back, receveur, les chasses gardées de ces athlètes noirs vifs, rapides, puissants, bondissants, athlétiques. Beaucoup plus cérébral, le poste de quarterback convient nettement plus à un blanc dans l’imaginaire collectif d’un pays encore contaminé par le racisme et les préjugés raciaux les plus abjectes. Pire, après avoir un temps hésité à se plier à ses exigences, Arizona State enrôle deux lanceurs blancs comme neige et annule son offre de bourse.
Grand, un bras létal vissé à l’épaule, personnalité irréprochable, mental de tueur, aucun recruteur universitaire ne voit pourtant en lui un passeur digne de sa fac. Dépité, il refuse de céder comme son pote James Lofton. Quarterback All-City lui aussi, il se résigne à se convertir en receveur pour rejoindre le Cardinal de Stanford. 6e choix général des Packers en 78, il fera son entrée au Pro Football Hall of Fame de Canton en 2003. Trois années avant un Warren résolu à prouver sa valeur en tant que quarterback et qui rejoint West Los Angeles College en JUCO, prêt de ses racines, plutôt que de se travestir pour le plaisir d’un grand programme de Division I. Le début du combat. Un combat qui ne sera pas juste le sien, mais celui de toute une communauté.
Envers et contre tous
Là-bas, près de sa famille, il retrouve Jack Epstein, son mentor au lycée. Le seul à croire en lui malgré des doutes longs à se dissiper au cours des premières années. Lentement, dans le calme d’un petit campus sans prétention, entre deux chapitres de la bio de Jackie Robinson, pionnier de l’acceptation raciale dans le sport majeur US, il compile des VHS de ses exploits dans le département vidéo de l’université et les envoie direction les bureaux des coaches de la SEC ou de la Big Ten. Sur le terrain, dès sa première année, il fait voler en éclat tous les records à la passe des Wildcats. Pas de quoi retourner les vestes des scouts et coaches des gros programmes de Division I pour autant. À une exception. Ancien entraîneur de la petite université de Kent State, Don Jones vient d’être muté à Washington State et se cherche un nouveau leader offensif. Jeu de jambes, mécanique, qualités athlétiques, Warren est passé au crible et séduit le nouveau boss des Huskies. Son bras puissant, son physique robuste et sa capacité d’apprentissage, il longe toute la côte pacifique pour rejoindre l’université d’État de Washington malgré les nombreuses mises en garde.
« J’ai appelé un joueur de là-bas et il m’a déconseillé de venir, » raconte-t-il dans le LA Times en 2006. « Ma mère m’a dit de ne pas y aller. Beaucoup de gens me l’ont fortement déconseillé. »
Mais l’opportunité est trop belle pour passer à côté. Dans l’Evergreen State, pendant deux saisons faites de hauts et de bas au sein d’une attaque sans grande imagination, même ses supporters se muent en ennemis. Huées, insultes racistes, les fans des Huskies ne veulent pas de ce quarterback à la peau sombre qui gagne autant qu’il perd. Dans le huddle, au milieu de la cacophonie ambiante, dix paires d’yeux rivées sur lui qui attendent leurs ordres en guettant en silence la réaction de leur quarterback dans cet environnement aussi hostile que gerbant. En tribune, l’épreuve est presque plus éprouvante encore pour sa copine et ses amis, ensevelis au milieu d’une horde de sauvages écervelés. « Vous ne gagnerez jamais avec ce n***o comme quarterback ! » lancent les plus hystériques et retardés se souvient Warren. Malgré l’impatience des fans, James et ses kilomètres de stats compilées semaine après semaine lui maintiennent leur confiance absolue. Sur le terrain, les jours de match comme à l’entraînement, aucun autre passeur de l’effectif ne lui arrive à la cheville. Si WSU veut revivre les mêmes émois que lors du titre national de 1960, ce sera avec Warren Moon under center.
« C’était dur de supporter l’ignorance, le racisme et la frustration que les fans ressentaient, » se souvient Clyde Walker, un des amis d’enfance de Warren, dans les colonnes du Seattle Times en 2006. « Ils ne comprenaient pas. J’étais presque désolé pour certains d’entre eux. »
Un an plus tard, en 77, ils étaient certainement plus d’un à se sentir désolés à leur tour. 10 victoires, 2 revers, un titre de conférence, portés par le Joueur de l’Année dans la PAC-8 et MVP du match, les Huskies viennent de renverser les Michigan Wolverines à la surprise générale et de décrocher leur premier Rose Bowl après 17 années de disette. De zéro, Warren Moon le stupide quarterback noir bon à rien devient le héros de tout un campus. Washington State vient de renouer avec la culture de la gagne pour les 15 prochaines années. Dans l’adversité des premières saisons, comme dans la gloire de sa dernière campagne universitaire, le quarterback se forge un mental en acier trempé, insensible au concept de pression et revisite la fable du Chêne et du Roseau. S’il lui arrive parfois de plier, jamais il ne rompt.
En dépit de stats sapées par un système offensif frileux et devant lesquelles personne ne se pâmera, Warren avance vers le monde professionnel avec un joli CV et plus d’un atout dans sa poche. Au 4e tour au plus tôt, voire au 3e pour les plus audacieuses, les franchises prêtes à le recruter ne manquent pas. Seulement, comme au sortir du lycée, personne ne voit en lui un quarterback capable de lire une défense, de l’ouvrir rien qu’avec ses yeux pour mieux la déchirer à coup de passes lunaires lancées avec une aisance unique, mais juste un athlète. Un simple athlète. Un mec capable de courir vite, sauter haut et délivrer quelques tampons. Un athlète jamais assez athlétique pour être quarterback. Un bras jamais assez puissant pour être lanceur dans la NFL. Faire parler son instinct, certainement. Faire parler ses méninges, certainement pas. Insultant.
« Lire les défenses, assimiler les schémas tactiques, être le visage d’une franchise : beaucoup de personnes dans le football professionnel ne nous en croyaient pas capable, » explique Warren dans les colonnes du New York Times en 2016 à propos de la perception des joueurs noirs à l’époque.
Dans les 70’s, pendant que les lanceurs afro-américains se multiplient sur les monticules de la MLB et que les meneurs de couleur sont de plus en plus nombreux à cavaler sur les parquets NBA, la NFL traîne la patte. Son poste phare reste la chasse-gardée des Blancs. Des bons WASPS. Essayez de trouver un centre ou un middle linebacker qui ne soit pas blanc tant qu’à y être, bon courage. Les Noirs sont cantonnés à des rôles de skills players, pas de cérébraux. Quarterback, centre, linebacker, coach. La colonne vertébrale blanche de toutes les franchises d’une NFL en retard sur son temps.
En 1953, le bien nommé Willie Thrower pavait la voie des siens en devenant le premier quarterback afro-américain en NFL. 15 ans plus tard, Marlin Briscoe était le premier à être nommé titulaire. En 74, Joe Gilliam est le premier à débuter une saison à la tête d’une attaque NFL. Et pourtant. Si Warren Moon est prêt pour la NFL, la NFL n’est pas encore prête pour lui. Pas de Senior Bowl. Pas de Combine. Pas d’essai privé. À quelques semaines d’une draft où les chances de se faire royalement snober frôlent le 100%, Warren et son agent décident de prendre les devants et de traverser la frontière canadienne pour signer avec les Eskimos. Une fois de plus, l’Amérique du ballon à lacet lui tourne effrontément le dos. Une fois de plus, elle s’entête à ne pas croire en lui. Une fois de plus, elle se planque derrière des stéréotypes dépassés. Une fois de plus, elle est rattrapée par ce racisme lattant qui semble déterminé à ne jamais disparaître, même dans un sport aussi multiculturel et rassembleur que le football. C’en est trop.
« Hors de question, j’irai jusqu’en Sibérie pour jouer quarterback s’il le faut, mais jamais je ne changerai de position, » répète-t-il dans le NY Times il y a quelques années.
Ciao la NFL ! Ciao les States ! Même froid polaire l’hiver qu’en Sibérie, mais nettement moins loin, Warren traverse la frontière.
King in the North
Rejeté par son propre pays, accueilli à bras ouverts par son voisin du nord, Warren achète un manteau de fourrure à sa mère et l’embarque avec lui direction Edmonton. Des plages ensoleillées du sud de la Californie aux lacs et prairies glacés de l’Alberta. Choc thermique garanti.
Pendant 6 ans, il va enchanter une CFL terre d’asile des quarterbacks afro-américains depuis des décennies et bien en avance sur sa rivale américaine en matière de diversité. À Edmonton, il va faire une OPA sur la légendaire Grey Cup, l’un des plus vieux trophées du sport professionnel nord-américain. 1978. 1979. 1980. 1981.1982. Cinq années durant, portés par la doublette Tom Wilkinson/Warren Moon, les Eskimos règnent sans partage sur le Canada. Toujours plus de yards. Toujours plus de touchdowns. Toujours plus de sacks. Chaque année, Warren voit un peu plus grand et révolutionne un peu plus le poste de quarterback dans l’indifférence presque générale de l’autre bord de la frontière.
« J’ai passé six années dans une ligue dont la NFL ignorait presque tout, » raconte un Moon davantage en quête de visibilité que d’argent en octobre 84. « J’étais coincé dans le Nord Ouest et regardé par une audience extrêmement restreinte et essentiellement régionale. »
Pourtant, dans ce football professionnel plus feutré et qui fait la part belle au jeu aérien, Warren prend son pied. Un terrain plus long et plus large qui offre plus d’espace, 12 hommes de chaque côté du ballon qui proposent plus d’options et 3 essais au lieu de 4 qui favorisent les passes bien plus que la course.
« On ne me jugeait que pour mes performances sur le terrain, » se souvient-il dans le LA Times. « Ça fait partie de mes plus belles années de footballeur professionnel. Et le fait que nous gagnions y était pour beaucoup. »
Rookie, il devient doublure officielle de Tom Wilkinson après la blessure de Bruce Lemmerman. Dans une attaque à deux têtes, il chauffe son bras en balançant un peu plus de 1100 yards et 5 touchdowns. En 1980, c’est en tant que titulaire qu’il conquit le 3e titre consécutif des Eskimos. La saison achevée, il retrouve sa Californie natale, pose ses fesses dans les gradins des stades NFL pour admirer un football qui se refuse à lui, comme un gamin bavant devant les vitrines des grands magasins avant Noël. En 1982, du haut de son mètre 91, il devient le premier quarterback professionnel à éclipser la barre des 5000. 36 touchdowns, 16 interceptions et 5000 yards. Pile poil. Une précision d’orfèvre. L’année suivante, sa dernière dans le froid mordant de l’Alberta, il atomise son record. 5648 yards, 31 touchdowns et des adieux sur un titre de Most Outstanding Player qui sonne comme une évidence. Son contrat touche à sa fin et son exil canadien avec. Il est temps de rentrer au bercail. Mais Warren réservera toujours pour le Canada une place à part dans son coeur.
« Ils m’ont donné la chance de devenir footballeur professionnel en voyant en moi quelque chose que mon propre pays n’avait pas su voir, » raconte-t-il dans l’Investor’s Business Daily en 2015. « J’avais le mal du pays, j’avais froid, mais les victoires me faisaient oublier tout ça. Les fans étaient fantastiques, je ne les ai jamais entendus dire quoique ce soit de négatif sur moi. Je serai toujours reconnaissant envers le peuple canadien. »
En pleine nuit, Warren et Leigh Steinberg, son agent, se rendent discrètement au siège des Oilers, à Houston. Une poignée de minutes plus tard, ils sont assis autour d’un dîner dans un obscure restaurant du centre ville. Soudainement, tout le monde veut se l’arracher. Les prétendant sont au nombre de sept et redoublent d’inventivité pour le séduire. The Bachelor. Les Oilers lui promettent des champs de pétrole. Les Saints lui font faire un tour en bateau pour qu’il puisse admirer la skyline de La Nouvelle-Orléans tout en lui faisant miroiter que tout ça pourrait lui appartenir. À New York, pour rencontrer les Giants, un accueil typique : des détritus éparpillés sur le sol et deux chauffeurs de taxi qui s’échangent des droites. Le choix se réduit finalement à deux villes. Houston, son 2-14 l’année précédente, Earl Campbell dans son dos et le besoin impératif de rebondir ou Seattle, là où il a passé ses trois dernières années universitaires. Les deux franchises lui proposent un même salaire annuel record à l’époque de 5,5 millions de dollars. Impossible de les départager sur ce plan là. Un bonus de 1,1 million et la promesse de retrouver un État de Washington qu’il aime ou les 4,5 millions alignés par les rois du pétrole de Houston et des retrouvailles aussi rapides que poignantes avec Hugh Campbell, son coach à Edmonton embauché à la dernière minute. Les Oilers décrochent la rose au bec des Balbuzards. Seattle devra attendre 1997 pour enfin mettre les serres sur Warren Moon et sa fine moustache.
En 1984, rookie de 28 ans, titulaire sans jamais avoir foulé un terrain NFL et joueur le mieux payé de l’histoire, tous les projecteurs du pays sont braqués sur le quarterback. Aux commandes d’une franchise en pleine régression malgré une légende vivante dans son backfield, Warren galère et entraîne toute l’équipe avec lui. 3-13. 5-11. 5-11. Lanternes rouge de la division Centrale, Hugh Campbell est débarqué, Jerry Glanville prend la relève et la carrière NFL de Moon rejoint enfin le pas de tire de Houston direction la Lune après trois saisons éprouvantes pour le joueur et ses proches. Dans un Texas qui aime faire tout plus gros et grand qu’ailleurs, les broncas et insultent qui accompagnent ses contre-performances sont sans commune mesure avec le traitement infligé par le Husky Stadium de Washington State. À tel point qu’un jour sa famille est rapidement exfiltrée en douce des tribunes basses pour être mise à l’abris dans une loge privée. Un après-midi, à Cleveland, il doit même quitter le terrain sous escorte policière après avoir reçu des menaces de mort. Puis en 1987, le ciel jusque-là si lugubre s’éclaircit lentement, Houston renoue avec la victoire et les playoffs, et comme à l’université, les fans qui autrefois le pourrissaient et l’insultaient l’adoptent enfin.
« J’ai toujours dû tout prouver dans ma vie, » raconte-t-il quelques mois après avoir rejoint les Oilers en 84. « Mais j’en suis fier. Je peux regarder en arrière et dire que rien ne m’a jamais été donné. »
Enfin respecté par ses pairs, enfin adulé par ses fans, enfin reconnu comme un quarterback de talent par l’ensemble du foot pro, à plus de 30 ans et avec une petite décennie de retard sur le planning, sa carrière NFL peut enfin débuter. Et elle est encore loin d’être terminée. La Lune de miel durera encore plus de 10 ans.