[Undrafted] Adam Vinatieri : l’autodidacte

Sous-estimés, méprisés, oubliés, recalés. Les revanchards de la NFL. Les non-draftés.

À 46 balais, il s’accroche au terrain comme il se sera accroché à son rêve pendant tant d’années. Comme un acharné. Car pour enfin enfiler un uniforme NFL, il en aura bavé. Alors autant en profiter jusqu’au bout. Tant que l’envie est encore intacte. Tant que le corps en est encore capable. La barbe blanche, la tignasse d’albâtre, Adam fait durer le plaisir.

Jusqu’au boutisme pathologique

Né à Yankton, South Dakota, alors que l’année 1972 vit ses derniers jours, élevé à Rapid City, dans l’ombre des Black Hills, où ses parents emmènent vivre leurs 4 gosses en 77, Adam Vinatieri grandit au rythme d’une nature hérissée de pics blanchâtres et camouflée derrière une nuée de sapins à l’air sombre. Tout gamin, à peine est-il capable de supporter les températures glaciales du Midwest que son père l’empoigne par le bras et l’emmène chasser. Il n’a que 5 ou 6 ans se souvient-il. Le nez dégoulinant, les joues rouges écarlates, des stalactites au bout des cils, il tente tant bien que mal de résister au vent mordant qui le saisit de la tête aux pieds. Jusqu’aux extrémités les plus éloignées de ses orteils congelés. De l’Alaska glaçante à l’Afrique suffocante, des steppes infinies du Canada arctique aux épaisses forêts du Dakota. Une routine qui les accompagnera, lui, son père et ses deux frangins, bien au-delà de leurs jeunes années. Une tradition familiale et masculine. Très tôt, la chasse aux trophées devient une addiction. Plus qu’un simple passe-temps, une lubie.

Chez les Vinatieris, pas de peinture, pas de musique, pas de théâtre, le sport règne en maître absolu dans la petite famille. « Nous inscrivions les enfants dans tous les sports possibles, » se souvient le père, Paul, dans les colonnes du New-York Times en février 2002. « Soccer, basketball, football, lutte, tennis, baseball. Les maintenir occupés en permanence pour que jamais il ne s’attirent d’ennuis. Ils étaient bien trop fatigués pour ça. » Ballon rond, ballon à lacet, lutte, saut à la perche, Adam enchaîne les succès sous les couleurs de la Central High School de Rapid City. Surtout, il développe une confiance inébranlable en ses qualités d’athlète se souvient son coach de l’époque : « C’était notre punter, notre kicker et notre quarterback. Il tenait vraiment à ce rôle de leader et excellait sous pression. » Sportif en herbe bourré de promesses, Adam cravache en classe en revanche. En primaire, on lui diagnostique même un trouble de l’apprentissage qui transforme le simple fait de lire ou d’écrire en véritable épreuve et le contraint à faire classe à part. Des souvenirs encore douloureux pour le quadragénaire concède-t-il à ESPN en 2016 : « J’haïssais ça. Ça me rendait fou. »

Un temps découragé, Vinatieri reprend peu à peu goût à l’apprentissage lorsque ses parents l’envoient finir ses trois dernières années de primaire dans une classe spécialisée, sous l’aile de Marcy Farrand, une institutrice d’une patience folle qui occupera à jamais une place à part dans le coeur du vieux gamin aux tempes couleur neige. Travailler deux fois plus dur plutôt que broyer du noir et stérilement s’apitoyer sur son sort. Surtout qu’Adam se révèle être un gosse particulièrement brillant se souvient Marcy. De ces années de galère à devoir redoubler d’effort pour surmonter ses troubles, il hérite d’une rigueur incroyable. « J’étudiais deux fois plus longtemps et deux fois plus dur que n’importe qui d’autre. » Dans ces années de frustration juvénile, il se forge une détermination à toute épreuve. Rien ne peut l’arrêter. Tout est question de volonté. Un trait de caractère récurent chez les gens confrontés à des troubles de l’apprentissage dans leur enfance explique Farrand.

Sous les couleurs du lycée de Central High, ses soucis d’apprentissage enfin gommés, il découvre le football sous tous ses angles. Quarterback mobile dans une attaque adepte de l’option play, linebacker en défense, punter et kicker sur équipes spéciales, Adam ne quitte jamais le terrain. Passeur dans l’âme, il vibre au rythme des exploits de Dan Marino et de Dolphins en quête de réconciliation avec leur glorieux passé. Des matchs de ses préférés, il n’en voit guère à la téloche pourtant. « Dans le Dakota du Sud, on voit surtout les Broncos, les Vikings ou les Chiefs. » Mais s’il vénère le quarterback et se révèle d’une efficacité redoutable dans l’option offense prônée par Kim Nelson, son coach se rappelle de lui comme d’un gamin trop petit et frêle pour attirer l’attention des grosses écuries universitaires. Un bon joueur de lycée, tout au plus, mais pas l’arsenal physique et technique pour passer le cran supérieur.

À 18 ans, athlète touche-à-tout, ado brillant ayant su surpasser ses handicaps pour se hisser parmi les tout meilleurs élèves de son lycée, il est accepté à l’Académie Militaire de West Point, qu’il rejoint durant l’été 91. Là-bas, il pense renouer avec la tradition militaire de la famille, héritée de Félix Vinatieri, son arrière-arrière-grand-père, ancien chef d’orchestre du corps d’armée commandé par un illustre diplômé de la célèbre école militaire de l’État de New-York, un certain Général George Custer, héros tragique de la bataille de Little Big Horn lors des guerres indiennes ayant ensanglanté les États-Unis au XIXe siècle. Il ne tiendra que deux semaines au sein de la Compagnie Delta. D’abord découragé par le traitement impitoyable réservé aux recrues, les exigences de travail aberrantes fixées par ses supérieurs et le discours cassant du Général Norman Schwarzkopf, puis finalement convaincu d’abandonner par les mots d’un autre officier : il n’est pas prêt à se laisser déshumaniser pour une cause plus grande que lui. « Je m’aime comme je suis, » se dit-il tout simplement. « […] J’ai travaillé comme un forcené pour devenir qui je suis et vous essayez de tout ruiner. » Hors de question. Il décampe.

De retour à Rapid City, il doit essuyer la rage de Chad, son grand frère. « Un Vinatieri n’abandonne jamais ! » lui assène-t-il, convaincu qu’il vient de gâcher une formidable opportunité qu’aucun autre membre de la famille n’a jamais eu la chance d’effleurer. Stoïque, Adam encaisse sans ciller. Prouver aux autres qu’ils se trompent, il l’a fait toute sa vie. Et s’il le faut, il le refera. Du haut de ses 18 piges, il empoigne le téléphone et relance South Dakota State, programme de Division-II lui ayant offert une bourse de scolarité couvrant 80% de ses frais quelques mois plus tôt, au sortir du lycée. Si le coach, Mike Daly, tient toujours à ses services, il ne peut plus lui en offrir que 50%. Sans vraiment d’autre solution de repli, Adam accepte. Lorsqu’il débarque sur le campus de Brookings, lucide, il prend rapidement conscience que l’avenir de sa carrière de footballeur passe par un seul poste : botteur. Ça, ou rien.

« Je n’ai jamais choisi de devenir kicker, c’est le destin qui a choisi pour moi, » confie-t-il à Amanda Cherrin de Sports Illustrated en 2005. « […] Je fais 1m83 et 90 kilos, et malheureusement, aucun linebacker universitaire n’est aussi petit. Même chose pour les quarterbacks. »

Pourtant, le mariage de raison ne relève pas du simple concours de circonstances ou du bête choix par défaut. Footeux depuis ses 5 ans, Adam a grandi un ballon rond au bout du pied. Et quand en 5e année (équivalent du CM2), sa petite équipe de foot Pop Warner se cherche un buteur, il se porte naturellement candidat pour un essai. De loin le meilleur de tous les prétendants, sans le savoir encore, à tout juste 10 printemps, le futur Iron Man de la NFL vient d’amorcer une interminable carrière de serial kicker. Piètre 4e option au poste de quarterback très rapidement reconverti en punter et frappeur à temps plein des Jackrabbits par son coach, personne ne rivalise avec lui de toute la conférence durant sa première saison et, vert de rage, Adam est à deux doigts d’être transféré à Wyoming, en Division-I, lorsque son entraîneur ne lui accorde que 5% de bonus en plus sur sa bourse d’études. Vinatieri se ravise finalement, reste dans son Dakota natal, mais se retrouve vite éjecté sur le banc après une série d’échecs à répétition, battu par un lineman qui, tout aussi rapidement, ne se révèle guère plus brillant que lui. Adam retrouve sa place et un semblant de mojo dans les vents tourbillonnants et les rafales de neige du South Dakota le temps de son année de junior avant de sombrer pour sa dernière saison sur le campus de Brookings. Suffisant pour convaincre Mike Daly et un certain Trent Baalke, son assistant de l’époque, d’aller vanter ses qualités auprès des franchises NFL malgré un pedigree famélique. Un lobbying désespéré.

Cours particuliers, coach particulier

Avril 1995. Un 27 sur 53 gênant en 4 saisons chez les Jackrabbits. Un 4 sur 12 abyssal pour sa dernière année. « Mes stats universitaires n’étaient pas géniales, » concède-t-il 20 ans plus tard au Indy Star. Doux euphémisme. Une piteuse carrière universitaire comme seul CV. Un râteau aussi prévisible que la neige en hiver de la part de la NFL. Toutes les voies sont bouchées. Aucune solution. Sans grande surprise, personne ne veut de lui. Même le coup de fil de son coach auprès de Brad Seely, entraîneur des équipes spéciales des Panthers, se solde par un énième vent. À court d’options, découragé, mais pas encore abattu, Adam entasse tout ce qu’il a dans son pick-up et se tape les 17 heures de route qui le séparent de la Virginie. Là-bas, l’attend sa seule chance de salut. Un petit bonhomme crispé, vissé sur un fauteuil roulant à perpétuité. Doug Blevins, le gourou des kickers, qu’il aura harcelé des semaines durant avant d’enfin le faire céder. Il faut dire que quand il se décide enfin à glisser la VHS dans son lecteur, la puissance et la vitesse d’exécution de la jambe d’Adam ne laissent pas le spécialiste de marbre.

« La balle explosait littéralement de son pied, » confie-t-il à Jeff Eisenberg de Yahoo Sports en 2018. « Il était capable d’expédier la balle un kilomètre plus loin, mais n’avait aucune idée de la direction dans laquelle elle allait aller. Il avait la vitesse et la puissance de frappe, mais pas la mécanique. C’est comme s’il avait une pièce d’artillerie fixée à sa jambe sans savoir comment ni l’armer ni viser avec. »

L’attirail est là, ne manque plus que le mode d’emploi. Arrivé sur le pas de la porte du coach à 2h du matin, à bout de forces, il s’effondre sur le petit lit improvisé sur la banquette arrière de son pick-up. Demain, les choses sérieuses commencent. Pour la première fois, le kicker autodidacte va pouvoir profiter des conseils avisés d’un spécialiste. Le début de sa vraie formation. Son va-tout.

« Rendu-là, j’étais déterminé à faire tout et n’importe quoi pour trouver un moyen d’intégrer la Ligue, » reconnaît-il à l’Indy Star en 2014.

Né avec une paralysie cérébrale, Blevins n’a jamais enfilé le moindre uniforme de football, ni frappé dans le moindre ballon. Pourtant, il connaît le subtil art du kicking comme personne et vient d’être engagé par la NFL’s World League, la future NFL Europe. Et en dépit d’une carrière universitaire peu flatteuse, le talent brut de Vinatieri lui saute immédiatement aux yeux. Tous les jours, sur un terrain du lycée d’Abingdon, Virginie, Adam frappe le ballon. Encore. Encore. Et encore. Sans relâche, sous le regard acéré de son prof particulier, planqué derrière la visière de sa casquette et les verres teintés de ses lunettes de soleil, il perfectionne sa technique. Harmoniser le mouvement de ses bras et de ses épaules sur les coups d’envoi, contrôler le balancement de ses hanches et affermir ses appuis sur les field goals, chaque détail est scruté et corrigé. Chaque séance s’achève sur le même scénario : 47 yards et le Super Bowl au bout des crampons. De la science-fiction à l’époque pour celui qui deviendra bientôt l’un des buteurs les plus clutchs de l’histoire. Pendant 8 mois, partagé entre le terrain, la salle de muscu du lycée local, son petit une pièce et son job de barman au Abingdon’s Martha Washington Inn pour remplir le frigo, Adam commence à prendre la mesure de toute l’étendue du talent qui sommeille en lui. Surtout, dans la simplicité de ce quotidien routinier, il définit les contours d’un jeune homme humble, volontaire et aidant. « Un mec bien, » se souvient Blevins.

Au printemps 96, Adam traverse l’océan direction Amsterdam. Un exil pour mieux revenir. Un exil pour apprivoiser en douceur un football pro d’une exigence de tous les instants pour les cogneurs de ballons. À un poste où l’on ne foule le terrain parfois que 5 ou 6 fois par match, mais sous une montagne de pression digne des plus grandes fosses sous-marines, Adam Vinatieri se trouve un exutoire. Un moyen d’évacuer tout ce stress inhérent à ce rôle aussi ingrat que grisant. Deux moyens même : le golf et la moto. Il découvre la petite balle blanche sur le Vieux Continent, « un sport de riche pour lequel je n’avais ni assez d’argent pour me racheter des clubs ni assez de temps pour véritablement jouer, » raconte-t-il dans Sports Illustrated en 2005. Son deux roues, lui, ne l’a jamais vraiment quitté. Le plaisir des cheveux au vents, solitaire sur une route déserte, le fait planer depuis de longues années déjà. Lui et l’asphalte. Lui et le ballon. En tête-à-tête.

12 semaines, 10 matchs, un nouveau continent, une nouvelle ligue et une carrière en jeu. Un rôle de punter à temps plein, un 4 sur 4 sur les conversions et un seul petit échec en 10 field goals tentés devant 30 000 paires d’yeux braquées sur lui, à des milliers de kilomètres de son Dakota du Sud, Adam donne un peu plus de relief à son CV.

« Ça m’a offert une chance de me montrer à un plus large public, » lâche-t-il au Indy Star. « Et j’avais besoin de cette exposition. »

Surtout, à Amsterdam, sa jambe new-look après 8 mois de travail acharné séduit instantanément Al Tanara, coach assistant des Admirals et ancien disciple de Bill Parcells, alors technicien des Patriots, à Texas Tech. Tanara en glisse un mot à Mike Sweatman, patron des équipes spéciales de La Nouvelle-Angleterre, et les deux hommes se mettent rapidement d’accord pour suggérer Vinatieri au head coach afin de le mettre en concurrence avec Matt Bahr, vétéran de 17 ans arrivant bientôt à expiration et chouchou de Parcells depuis le sacre des Giants en 1990. De retour chez l’Oncle Sam après avoir été convié au camp d’entraînement des Pats, un soir de veille de match de présaison, le coach entraîne Adam à part et lui annonce que, le lendemain, il aura la charge de tous les coups de pied. « Je veux voir si tu as ce qu’il faut en toi, ou si tu n’es bon qu’à ramasser tes affaires et foutre le camp, » se souvient le kicker auprès d’ESPN en 2016. Du Parcells dans le texte. Précis, puissant, motivé et jeune, Vinatieri sort vainqueur de son duel estival avec le quadragénaire Matt Bahr. Le jour de l’annonce des 53, il décroche son téléphone et appelle immédiatement Blevins : « Un kicker a été libéré à New England aujourd’hui, » raconte-t-il à Yahoo Sport. « Et oh mon Dieu ça n’est pas moi ! » Quelques jours plus tard, il débarque chez son gourou avec une copie de son contrat et une liste de tous les mecs lui ayant dit qu’il n’aurait jamais sa place dans la NFL. Sous le regard hilare de Blevins, il fait chauffer le fax et envoie un exemplaire de son précieux sésame à chacun d’eux. Douce revanche.

« Comme des dizaines de gamins, Adam m’a dit un jour, ‘Je veux devenir joueur dans la NFL,’ » se remémore son ancien coach au lycée dans les colonnes du New-York Times en 2002. « Je lui avais répondu, ’Et bien tu en es certainement capable si tu y crois jusqu’au bout.’ C’est ce que je leur réponds tous. »

Une fois de plus, Vinatieri aura prouvé à ses détracteurs qu’ils avaient tort. À force d’abnégation et de travail, il aura su combler son déficit de talent naturel. Son coach acquis à sa cause, il conquiert définitivement le vestiaire et les fans en semaine 16, à Dallas, lorsqu’il rattrape la fusée Herschel Walker à la course sur un retour d’engagement de 70 yards qui prenait la direction de la endzone. « Tu n’es pas un botteur, tu es un joueur de foot, » lui lance son coach. Quelques semaines plus tard, rookie venant de souffler sa 24e bougie, il se retrouve sous la coupole du Superdome de La Nouvelle-Orléans pour le plus grand match de sa vie. Le Super Bowl XXXI. Ce soir là, ils étaient 106 à être en uniforme, prêts à en découdre. 23 ans plus tard, ils sont 105 à avoir raccroché. Il n’en reste qu’un. The last man standing.

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