À 36 semaines du Super Bowl LII, épisode 15 de notre rétrospective exceptionnelle, le Super Bowl XV.
Oakland Raiders (AFC) vs. Philadelphia Eagles (NFC) – 25 janvier 1981
Lorsqu’il pénètre sous la voute du Superdome le 25 janvier 1981, Jim Plunkett est bien plus que le quarterback des Oakland Raiders. Bien plus qu’un ancien phénomène de Stanford. Bien plus qu’un ancien numéro 1 de la draft qui avait fait scintiller les yeux du board des Boston Patriots. Bien plus qu’un talent déchu transformé en vulgaire monnaie d’échange. Le 25 janvier 1981, lorsque ses semelles foulent le synthétique de La Nouvelle-Orléans, il est le porte-étendard de l’Amérique hispanique. Des Latinos. Plus, il est le symbole des minorités. Lui, quarterback issu d’une famille multi-ethnique qui a su hisser les Raiders sur la plus grande scène du sport US. Une première. Un symbole de la diversité. Un pionnier.
Monts et Vermeil
Depuis son départ pour la baie de San Francisco en 75 en échange d’une salade de choix de draft 5 étoiles, Jim Plunkett n’est plus que l’ombre du Rookie de l’Année 1971. Les 49ers rapidement lassés, il est envoyé de l’autre côté, à Oakland. Là-bas, il doit se contenter d’un ingrat rôle de doublure. Aucune passe en 78, 15 en 79, puis les astres s’alignent enfin. Pourtant, des Raiders, on n’attend pas grand chose. Le ventre mou. Un bilan à l’équilibre tout au plus, mais guère mieux. De Jim Plunkett, on n’attend de lui rien de plus qu’assumer gentiment son rôle de doublure. Mais voilà, après un début de saison mi-figue mi-raisin, Dan Pastorini se pète la jambe et offre gracieusement sa place de titulaire à un Jim qui commençait tranquillement à prendre la poussière sur le banc. Un coup du destin dont va rapidement profiter le Heisman Trophy 70. À 33 ans, il débute sa reconquête de la NFL par un naufrage. 5 interceptions et une volée face aux Chiefs. Un mal pour un bien dira-t-on. Des 11 matchs suivant, il n’en perdra que 2. Ses (presque) 2300 yards, 18 touchdowns et 15 interceptions suffisent aux Californiens pour s’offrir un ticket en seconde classe pour les playoffs. Wild Card Round. Pour aller au Big Game, il leur faudra gagner 3 fois.
Au sein d’une attaque plutôt équilibrée et calfeutrée derrière une ligne offensive en or massif, Plunkett peut compter sur deux as du ciel. Cliff Branch, ses 858 yards et 7 touchdowns, déjà sacré lors du Super Bowl XI, d’un côté ; et Bob Chandler, ses presque 800 yards et 10 touchdowns de l’autre. Au sol, les deux futurs Hall of Famers Gene Upshaw et Art Shell jouent les perce-murailles pour une doublette Mark van Eeghen/Kenny King qui se partage près de 1600 yards. À Oakland, on ne partage pas que les yards d’ailleurs. Groupe soudé qui vit bien ensemble, les hommes de Flores aiment passer du temps ensemble. Sur comme en dehors du terrain. Et ce n’est pas la perspective d’un Super Bowl qui va leur faire changer leurs bonnes habitudes.
« Nous étions une équipe unie, » explique l’ancien linebacker d’oakland, Rod Martin. « Les jeudi soirs, pendant la saison régulière, nous sortions tous ensemble. Il n’était pas question de changer notre routine à quelques jours du Super BOwl. Nous sommes sortis, mais au lieu d’une seule soirée de camaraderie, nous avons préféré plusieurs soirées. Flores ne nous a imposé un couvre-feu que deux jours avant le Super Bowl. »
Bande de potes joyeux en dehors du terrain, ils n’en oublient pas leur objectif. Et quand Rod Martin rentre à l’hôtel chaque soir, il branche son projecteur et s’impose une séance d’heures sup’ à décortiquer le jeu de Philly.
S’ils scintillent en attaque, ils brillent de mille feu de l’autre côté du ballon. En défense, les Raiders auront rarement aussi bien porté leur nom. Les rois des turnovers et des ballons volés. Une escouade ultra physique, qui vous rentre dans les côtes sans une once de pitié, à l’image de John Matuszak, futur monstre balafré et difforme du film Les Goonies, et de son double mètre, ses 127 kilos et sa barbe d’ermite. Derrière lui, un trio de linebackers à faire saliver bien des coordinateurs défensifs : Ted Hendricks, Rod Martin et Matt Millen. Un futur Hall of Famer, un Pro Bowler et un phénomène rookie qui se reconvertira en l’un des pires GM de l’histoire quelques décennies plus tard. Au fond de cette défense à se pisser dessus, la sentinelle Lester Hayes, ses 13 interceptions et son titre de Défenseur de l’Année. Pour leur planter un touchdown, il faut traverser un véritable champ de mine. Au premier tour, les Oilers d’un Ken Stabler qui, il y a encore un an, était un Raider, sont écrasés sans vergogne. Une semaine plus tard, les Californiens arrachent un succès improbable au Cleveland Municipal Stadium avant de venir à bout des Chargers d’Air Coryell dans une joute offensive réjouissante qui leur ouvre grandes les portes du Super Bowl.
Après avoir offert aux Bruins de UCLA un Rose Bowl qui les fuyait depuis une décennie, Dick Vermeil quitte la douceur californienne en 76 pour se poser sur les rives du Delaware. Là-bas, il devra se passer de choix de 1er tour de draft pendant 3 ans… Merci aux prédécesseurs. En 78, il hisse les Eagles en playoffs pour la première fois depuis leur sacre de 1960. 18 interminables années de nullité et de gâchis. Un petit tour et puis s’en va. Un an plus tard, ils franchissent le premier obstacle avant de se faire plumer par les Buccaneers. Malgré les échecs, les oiseaux de proie grandissent et apprennent. C’est plein d’ambition qu’ils attaquent la campagne 1980. Leur terrain de jeu favoris ? Les airs, évidemment. Emmenés par un Ron Jaworski aérien, ils ne perdent qu’un seul de leurs 12 premiers matchs. 3529 yards, 27 touchdowns et seulement 12 interceptions, le quarterback pilonne à tout va et dégage le terrain pour l’infanterie. Malgré des pépins physiques, l’explosif et polyvalent Wilbert Montgomery conquit près de 800 yards au sol et plus de 400 dans les airs.
Pendant que l’attaque tourne a plein régime et cavale à une moyenne de 24 points par matchs, la défense, elle, est la plus hermétique de la ligue. Charlie Johnson le nose tackle qui intercepte, Claude Humphrey et ses 14,5 sacks, Jerry Robinson et Bill Bergey, la doublette de linebackers à tout faire, et une flopée de defensive backs qui rôdent dans les airs, à l’affût du moindre ballon égaré. Pas de terreurs, pas de véritable star, mais un groupe homogène, complet, sans talon d’Achille. En semaine 12, les hommes en vert font vivre un calvaire à Jim Plunkett. Le passeur est sacké 8 fois et les Raiders s’inclinent 10-7. Le jour J, à La Nouvelle-Orléans, les Californiens sauront à quoi s’attendre. Au premier tour, la troupe de Dick Vermeil écrabouille des Vikings de Bud Grant en fin de règne avant de dompter des Cowboys de Tom Landry en route vers une série noire. Trois finales de conférence, trois revers.
Des missionnaires chez les Saints
Emmenés par Tom Flores, un autre pionnier de la cause hispanique dans le football sauce ricaine, les Raiders deviennent la première franchise wild card à se hisser jusqu’au Super Bowl. Un petit exploit qui ne suffit pas à distraire la presse de LA grande question : en cas de succès des Raiders, le Commissaire Pete Rozelle donnera-t-il le trophée à Al Davis en personne ? Roger Goodell et Robert Kraft n’ont rien inventé. L’été précédent, le Commissioner avait rejeté la demande de déménagement à L.A. formulée par le propriétaire des Raiders, ce qui avait valu à la ligue d’être poursuivie pour violation des loi sur la concurrence. Un combat que la NFL perdra finalement. En 1982, les Silver & Black quitteront la baie pour le sud de l’État. En attendant, à l’approche du Super Bowl, les relations entre les deux hommes sont glaciales. Une guerre froide qui boost la confiance des hommes en noir. Pas question de s’amuser, ils sont en mission.
« Le Coach nous a dit que La Nouvelle-Orléans était une ville fun, et nous a conseillé de sortir et d’en profiter, mais de ne pas oublier ce pourquoi nous étions là : gagner le Super BOwl, » raconte Rod Martin.
L’échauffement tout juste achevé, les festivités d’avant-match à peine entamées, Jim Plunkett est déjà cramé. Surexcité, le quarterback s’est donné comme un petit fou. Dans un Superdome flanqué d’un gigantesque nœud doré célébrant la fin de la crise des otages en Iran 5 jours plus tôt et irradié de ferveur, les choses démarrent au quart de tour. Dans un duel de défenses 3-4 inédit, Ron Jaworski se fait intercepter par Rod Martin sur la première action du match. 30 yards et 7 actions plus tard, Jim Plunkett trouve les mains de Cliff Branch pour combler les 2 derniers yards. Un rapide échange de punt et Philly pense répliquer avec la manière, mais la passe triomphante de 40 yards du lanceur vert est annulée à cause d’un mouvement illégal sur la ligne avant le snap. Raté. Les hommes de Dick Vermeil doivent de nouveau dégager.
Sous pression, Jim Plunkett attend, attend, attend qu’une cible se démarque. Toujours rien. Le pass rush se rapproche. Le quarterback se déporte en dehors de la poche et lâche le ballon vers Kenny King en bord de terrain. En mouvement dos au jeu, le running back attrape le cuir au nez de Herman Edwards, se retourne en un éclair et écrase l’accélérateur jusque dans la peinture. 80 yards plus loin. Escorté par ses coéquipiers. Le plus long touchdown aérien jamais marqué lors d’un Super Bowl. 14-0. Oakland se détache. Plunkett est dans un grand soir. Son soir. La réplique est timide. Ron Jaworski distribue les passes et Tony Franklin réduit l’écart au pied. La mi-temps pointe déjà le bout de son nez à l’horizon et Philly s’offre une opportunité en or de revenir avant la pause. Après un field goal raté de Chris Bahr, les Eagles remontent le terrain dans la direction opposée et viennent cogner aux portes de l’en-but californien. 3rd down. Il leur reste 11 yards à combler. Rodney Parker parvient à semer Odis McKinney et se retrouve seul dans la peinture, mais Jaworski a le bras trop lourd et sa passe se perd sous la coupole du Superdome. Avec 54 secondes à jouer, il faudra se contenter de 3 points. De 28 yards, Franklin expédie le ballon contre les bras de géant de Ted Hendricks et ses 201 centimètres. Fanny.
La Chute des Aigles verts
Après 30 minutes de jeu, Tom Flores n’a pas grand chose à dire à ses hommes. Tout fonctionne à la perfection. Jim Plunkett joue un football merveilleux. Son plan de jeu se déroule sans accro. Il faut dire qu’il n’en est pas à son premier Super Bowl. Joueur sous les couleurs des Chiefs lors du Super Bowl IV, il devient le premier homme à coacher un Big Game après en avoir disputé un.
Le premier acte aura été à sens unique. Le second le sera aussi. D’entrée de deuxième mi-temps, les Raiders tuent le suspense. Plunkett distribue les passes comme un boxeur distribue les pains sur un ring. 13 yards par-ci, 32 par-là, puis 29 pour expédier Branch dans la peinture. 21-3. Philly a beau tenter de répliquer instantanément, Ron Jaworski balance sa deuxième interception dans les bras de Rod Martin, les hommes de Tom Flores avancent au pas et Bahr enquille de 46 yards. Les Californiens semblent être hors d’atteinte. Et quand les Aigles parviennent à réduire l’écart, c’est pour mieux voir les Raiders s’échapper de nouveau.
Dans les premières minutes de l’ultime quart-temps, les Eagles se redonnent une maigre bouffée d’espoirs. Propulsés par une passe de 48 yards vers Charlie Smith, ils remontent de leur ligne de 12 jusque dans l’en-but. 12 jeux et 88 yards achevés par le tight end Keith Krepfle. À peine le temps d’y croire, les Raiders remontent jusqu’aux 17 yards de Philadelphie. Si les Verts font front et leur claquent la porte de la endzone au nez, Bahr ajoute trois nouveaux points et scelle les débats pour de bon. 27-10. La défense de la baie de San Francisco baisse le rideau. On ne passe pas. Les deux dernières possessions des joueurs de Pennsylvanie se finissent de la même manière : un turnover. Un fumble de Javorski et le linebacker Rod Martin s’offre un triplé inédit au Super Bowl : 3 interceptions. MVP-esque. Contributeur discret durant toute la saison, joueur de soutien plus que playmakers, le linebacker a choisi de prendre les projecteurs à deux mains pour mieux les braquer sur lui. Harassé par un pass rush endiablé, dépossédé d’un jeu au sol qui lui aurait enlevé un brin de pression, Javorski, quarterback au meilleur ratio TD/INT durant la saison, aura cédé sous les coups de boutoir. Contraint de lancer 38 fois le ballon. Bien plus qu’il ne l’aurait souhaité. Un record pour un Super Bowl.
Pete Rozelle et Al Davis ravalent leurs égos et enterrent la hache de guerre le temps d’une cérémonie des plus cordiales. Mais pas la moindre poignée de main. Glaciale, pas vraiment. Chaleureuse, encore moins. Disons tiède. Jim Plunkett, Tom Flores, les joueurs, toute l’organisation. Le Commissaire de la ligue déverse un flot de louange à la face d’un Al Davis qui jubile intérieurement en même temps qu’il saisit le Trophée Lombardi.
« C’est un formidable accomplissement pour l’ensemble de l’organisation et félicitations à vous pour avoir réussi à rassembler pareille équipe, » reconnaît un Pete Rozelle élogieux à l’égard d’Al Davis.
Élogieux, le patron des Raiders l’est aussi envers ses protégés.
« C’est un drôle de groupe, » raconte-t-il. « Ils ont joué leur jeu, tout simplement. Ils sont uniques. Peu importe où se trouvait Philadelphie sur le terrain, ils ont attaqué sans relâche, de chaque côté du ballon. »
Le Petit Poucet et sa wild card aux allures de Golden Ticket de Willie Wonka décrochent le Graal. Une première dans l’histoire du Big Game. Le Petit Poucet. Cendrillon dans la langue de Shakespeare. Cinderella. The Cinderella Super Bowl.