À 40 semaines du Super Bowl LII, épisode 11 de notre rétrospective exceptionnelle, le Super Bowl XI.
Oakland Raiders (AFC) vs Minnesota Vikings (NFL) – 9 janvier 1977
They’re back… in purple. Pour la quatrième fois de leur histoire, les Vikings de Bud Grant sont au Super Bowl. Aucune franchise n’a fait mieux. Trois fois dans le passé, ils se sont inclinés. Super Bowl IV. Super Bowl VIII. Super Bowl IX. Aucune franchise n’a (encore) fait pire. Plus qu’un titre à aller chercher, c’est une malédiction à briser.
Bizuts vs. Jusqu’au-boutistes
Maîtres (presque) incontestés de la NFC Centrale depuis près d’une décennie, les Violets ont conquis trois des quatre dernières couronnes NFC. En 75, pas encore découragés par leur double revers historique au Big Game et portés par un Fran Tarkenton MVP et plus fringuant que jamais, ils s’imposent 12 fois avant de voir leur parcours stoppé net par les Cowboys de Tom Landry et Roger Staubach, en route vers le Super Bowl X. Là encore, pas assez pour ébranler leur incroyable abnégation. L’année suivante, il faudra attendre le dernier jour d’octobre pour que les Vikings tombent enfin. 6 victoires, un nul, une défense qui ne concède que 10 points de moyenne et qui éteint des Steelers champions en titre, une attaque capable de se contenter du minimum une semaine avant d’entrer en fusion 7 jours plus tard, les Northmen sont toujours animés de la même ardeur et attaquent la campagne 76 à pleines dents.
Malgré ses 37 printemps, Fran Tarkenton n’a rien perdu de sa superbe. Passes réussies (3186), yards (41 802), touchdowns lancés (308), en 16 saisons, il aura réécrit le livre des records. Lui, le pionnier. Le quarterback qui savait aussi courir. Le quarterback qui savait surtout passer. Bien épaulé au sol par un Chuck Foreman roi du spin-move au sommet de son art et dans les airs par un Sammy White Rookie Offensif de l’Année, le vétéran est l’âme d’une franchise qui vit bien en apparence, mais est au bord de la dépression. Une nouvelle défaite serait fatale.
En dépit d’un revers étriqué face aux Bears puis d’une défaite accrochée au Candlestick Park de San Francisco, le plan d’attaque des Vikings se déroule à merveille. Portés par une défense qui ne concédera que 10 points ou moins 8 fois durant la saison, ils dégoûtent les meilleurs attaquants semaine après semaine. Deuxième meilleure défense de la saison, les Purple People Eaters n’ont rien perdu de leur appétit vorace. Au premier tour, c’est l’attaque qui se charge de déchiqueter de pauvres Redskins avant que la défense ne démantèle les Rams de Los Angeles, 7 jours plus tard. Les jusqu’au-boutistes du Super Bowl sont de retour, pour tenter de jouer un mauvais tour.
À l’autre bout du pays, dans la douce baie de San Francisco, les Raiders aussi sont des abonnés des playoffs. Et des déconvenues. Eux, aussi. Depuis la cinglante défaite du Super Bowl II et l’arrivée au pouvoir de John Madden un an plus tard, la franchise d’Al Davis n’a raté les séries qu’une fois. 6 postseasons, 5 revers aux portes du Big Game. Une sale habitude. Les Silver & Black ont hérité de la malédiction des Cowboys. Celle des gentils losers. Toujours présents, jamais gagnants. Depuis 8 ans, une seule franchise aura conquis un meilleur bilan qu’eux… les Vikings. Emmenés par un Ken Stabler chirurgical, les Raiders ne s’inclinent qu’une fois. Une bonne vieille fessée face aux Pats (17-48) en début de saison histoire de ne pas se voir trop beau trop tôt. Plus de 2700 yards, 27 touchdowns, le passeur pilonne à feu nourri, bien soutenu par une infanterie emmenée par les plus de 1500 yards du surpuissant fullback Mark van Eeghen et du compact Clarence Davis. La deuxième meilleure attaque de la ligue, tout simplement. Une formation en roue libre, sûre de ses forces. Pour John Madden, pas besoin de long discours pour motiver ses troupes. Même le jour le plus important de leur vie. À quelques secondes de disputer le Super Bowl XI.
« John savait trouver les mots justes, » se souvient le linebacker Phil Villapiano. « Il savait quand on avait besoin de se faire passer un savon, il savait quand on avait besoin de quelque chose de plus cérébral, il savait quand on avait besoin de quelque chose de différent. Nous étions tous agenouillés, et il a dit, ‘Les gars, jusqu’à votre dernier souffle, ce jour restera le plus grand jour de votre vie. Allez !’ J’espérais un peu plus que ça, mais c’était parfait. »
Malgré un front seven qui doit faire face aux blessures et glisser d’une 4-3 à une 3-4 en cours de saison, la défense peu s’appuyer sur un redoutable groupe de linebackers. Derrière, le dernier rideau défensif grouille de talent et d’aficionados des plaquages XXL. Une agressivité démesurée au goût de certains. Dangereuse même. Un an plus tôt, Lynn Swann en aura fait les frais en finale de l’AFC avant de se muer en MVP surprise deux semaines plus tard. Au premier tour des playoffs en 76, George Atkinson ne fait rien pour se débarrasser de cette sale réputation en éclatant le nez d’un Russ Francis qui lui rend près de 20 centimètres et 30 kilos, avant d’éteindre de nouveau le pauvre Lynn Swann en finale de conférence. Un « criminel » aux yeux de Chuck Noll.
S’il ne reste que 4 rescapés de la défaite du Super Bowl II, les Raiders traversent les playoffs comme de vrais grognards. Après un comeback spectaculaire face aux Patriots, ils assomment les doubles champions en titre de Pittsburgh avec autorité (24-7). Après deux semaines d’une préparation idyllique, les Raiders sont irradiés de confiance. Rien ne peut leur arriver.
« À moins que notre bus ne s’égare et ne tombe dans un ravin en route vers le ROse Bowl dimanche, ce match sera à sens unique, » prévient le coach assistant Al LoCasale.
Pour la première fois de l’histoire, les deux meilleures équipes de chaque conférence à l’issue de la saison régulière iront en découdre sur le scène géante du Super Bowl. La logique a été respectée. Le sera-t-elle jusqu’au bout ?
Cavalier seul
À Pasadena, dans un Rose Bowl baigné de soleil et débordant de ferveur, ils sont 103 438 à s’être massés. La 3e plus grosse affluence de l’histoire du Big Game. Devant 81 millions de téléspectateurs records, qui d’Oakland ou Minnesota brisera la malédiction ? D’entrée de jeu, la légendaire maladresse des kickers au Super Bowl resurgit. Sur la première série offensive, les Raiders remontent le terrain jusqu’aux 12 yards des Violets. L’occasion d’ouvrir le score leur tend les bras, mais la tentative d’Errol Mann vient s’écraser contre le poteaux. Pas de quoi inquiéter Stabler.
« T’inquiète pas John. Il y a plein d’autres points qui nous attendent, » lâche le quarterback à son coach.
Comme bien souvent, l’enjeu l’emporte sur le jeu, les défenses prennent le dessus sur les attaques, et les punts se succèdent. Fred McNeill surgit devant un Ray Guy qui deviendra un jour le premier punter à entrer au Hall of Fame, bloque le dégagement, une première de toute la carrière du punteur, et rend le ballon aux Vikings à 3 yards de l’ouverture du score, avant que le coureur violet Brent McClanahan ne dégueule le cuir aux portes de la peinture jaune. Une occasion en or de gâchée. Ou plutôt le plaquage le plus important de la carrière de Phil Villapiano. Sur une 2nd & goal à 3 yards de la ligne, le linebacker identifie le Jumbo package des Vikings. Un bloqueur en plus, pas de receveur. Une formation à partir de laquelle ils ne lancent qu’une poignée de jeux différents. Presque enivré, possédé parce qu’il voit se déployer devant lui, il beugle comme un fou.
« On les a les gars, on les a ! »
Hut ! Villapiano transperce la ligne à toute vitesse, détruit McClanahan et offre le ballon à son pote Willie Hall. Quand il rejoint le banc, célébré par tous ses coéquipiers, John Madden est hilare et se fend d’une blague des plus inhabituelles pour lui, le grand stressé des jours de match.
Ken Stabler le gaucher remonte 90 yards en sens inverse, bien aidé par une échappée de 35 yards de Clarence Davis et un Dave Casper aux allures de savonnette qui glisse entre les doigts des défenseurs. Ils n’iront pas plus loin que les 7 yards, mais cette fois-ci, Mann règle la mire. Après 15 minutes 48 de jeu, le score est enfin ouvert. Et il ne va pas tarder à gonfler. Un rapide 3-and-out, des passes ajustées, des courses appuyées et la doublette Stabler/Casper comble le dernier yard dans les airs. 10-0. Des deux côtés du ballon, les Silver & Black ont trouvé la cadence. Si Chuck Foreman déniche des ouvertures au sol, la voie des airs est bouchée, Fran Tarkenton est sans solution, jamais sacké, mais sans cesse harassé par un pass rush insatiable. Le ballon revient vite dans les mains californiennes. Mis sur orbite par un long retour de 25 yards, les Raiders font de nouveau parler leur alternance et Pete Banaszak finit le travail au sol. 16-0, grâce à la maladresse de Mann.
Dans un match qui ressemble de plus en plus à leurs précédents rendez-vous ratés avec le Super Bowl, les Vikings font du surplace en attaque. Pas le moindre point et un seul premier essai. À la pause, les Northmen sont restés muets. Tétanisés. Paralysés. Pour la quatrième fois de leur histoire, ils auront passé la première mi-temps à creuser leur tombe. Une défense et des équipes spéciales qui forcent des turnovers et offrent des opportunités, une attaque qui s’applique à les ruiner. Une sale impression de déjà-vu. En face, les Raiders et leur passeur gaucher ont déjà englouti 288 yards. Un record.
All-Madden mode
Après un aimable échange de punts, Errol Mann souffle le chaud et des 40 yards, ajoute 3 points. Profitant de l’indiscipline des Raiders, Fran Tarkenton trouve enfin un semblant de tempo, enchaîne les passes et envoie Sammy White dans l’en-but. 19-7. L’espoir revient. Allan Page fait reculer Stabler de 11 yards, les hommes de John Madden sont contraints de se dégager et les Vikings sont de nouveau à l’attaque. Le momentum est en train de changer de camp. Brièvement. Willie Hall intercepte Tarkenton, Fred Biletnikoff se détend pour attraper une ogive de 48 yards et Banaszak s’offre un doublé aux allures de coup de poignard. 26-7.
« On est tombé sur eux le mauvais jour, » lâchera Bud Grant. « La prochaine fois, on les jouera un mercredi. »
Les Vikings ont un genou et demi à terre. Willie Brown l’inusable vétéran de 14 ans va les achever sur une interception fatale retournée 75 yards plus loin.
« Il regarde et lance… intercepté par Willie Brown des Oakland Raiders sur les 30, 40, 50… Il va aller jusqu’au bout ! Old Man Willie ! Touchdown Raiders ! » beugle le commentateur attitré des Californiens.
Willie en avait rêvé. Il l’avait confié à Gene Upshaw. Quelques années plus tôt, l’ancien Packer et Cowboy Herb Adderley avait retourné une interception 60 yards lors du Super Bowl II, face aux… Raiders. Dans son rêve, il remonte le terrain bien plus loin encore. Du rêve, à la réalité. Le Rose Bowl exulte de bonheur. Mann se foire de nouveau. Les joueurs de Minneapolis sauvent le semblant d’honneur qu’il leur reste en ajoutant 7 points anecdotiques. 32-14. Pour la dernière fois lors d’un Super Bowl, le soleil brille encore dans le ciel bleu de Pasadena vers lequel les Raiders lève les bras, ivres de joie. Fred Biletnikoff n’a peut-être pas éclipsé la barre des 100 yards dans les airs, mais il est couronné MVP, un cas unique pour un receveur dans l’histoire du Big Game. La meilleure équipe de la saison est couronnée. Oui, la logique aura été respectée jusqu’au bout. Et les Raiders n’auront jamais douté du destin glorieux qui les attendait.
« Nous savions que les Vikings avaient déjà perdu, » se souvient Willie Brown. « Le mercredi précédent, de part la façon dont nous nous sommes entraînés, l’intensité, notre connaissance parfaite des consignes, de ce que nous avions à faire, le match était plié d’avance. C’était joué. »
34-96. Score sans appel. En 4 Super Bowls, jamais les hommes de Bud Grant n’auront fait la course en tête. Des pertes de balle, un jeu au sol anémique, des Purple People Eaters submergés, une attaque incapable de capitaliser sur les quelques revirements arrachés par la défense, à chaque fois, le scénario aura été le même. « Nous n’avons pas d’excuses, » concède un Fran Tarkenton au crépuscule de sa carrière. Pour le tacticien des 10 000 lacs, un cauchemar de plus. Pour John Madden, un rêve qui restera marqué à jamais. Le rêve californien. California Dreamin’.
« Le Super Bowl XI est à nous, et dans 10 ou 20 ans, il le sera toujours. Jamais je n’enlèverai la bague du Super Bowl XI de mon doigt. C’est quelque chose que je chérirai éternellement. »