Pharaon de casino dans Mars Attacks!. Coach assistant dans L’Enfer du dimanche. G.I. dans Les Douze Salopards. Lui-même dans Draft Day. Homme aux multiples visages et à l’inimitable moustache Chaque dimanche, durant 9 années, Jim Brown enfile son costume de Superman sur les terrains de football. Son rôle préféré. Celui du plus rapide. Du plus puissant. Du plus fort. Celui d’un être venu d’une autre planète. D’un être à part. Car dans la NFL des années 60, Jim Brown boxe dans une autre catégorie. La sienne.
Biberonné à la kryptonite
Big Jim voit le jour à St. Simons dans les années 30, sur l’une des îles éponymes qui forment l’archipel des Sea Islands, en Georgie. Éduqué par sa grand-mère, il vit isolé, préservé, loin du racisme qui infeste le sud des États-Unis. À 8 ans, direction le nord et Long Island. À Manhasset, la légende prend vie. À quelques encablures de la Grosse pomme, il fait aussi connaissance avec le racisme. Frontalement. Football, lacrosse, baseball, basket, athlé, il décroche pas moins de 13 varsity letters récompensant l’excellence de ses performances. Sportif touche à tout, c’est pourtant sur les terrains de football et les pistes d’athlétisme que Jim impose sa domination. Dès son plus jeune âge. Plus grand. Plus rapide. Plus fort. Sur les rectangles verts, il avale les yards à la grosse cuillère (14,9 en moyenne par course). Sur les parquets, il enchaîne panier sur panier (plus de 38 points de moyenne par match).
Le lycée achevé, Jim reste fidèle à l’État de New York. Pourtant, c’est sans la moindre bourse d’études qu’il se présente à l’université de Syracuse à l’automne 1953. Freshman, il est le seul joueur noir de son équipe. Sous les couleurs de Syracuse, il apprend. Lentement, mais sûrement. Après deux saisons à partager le temps de jeu et les yards, il est intronisé titulaire en 1956. En 8 petits matchs, il avale 986 yards et marque 14 fois. All-American à l’unanimité, il finit 5e dans la course au Heisman Trophy et carbure à une moyenne folle de 6,2 yards par course. En guise d’apothéose, il conclut la saison régulière par une véritable démonstration de force face aux pauvres Colgate Raiders. 197 yards, 6 touchdowns, 61-7 au tableau d’affichage. Un carnage. Et comme écrabouiller les défenses à coup de courses dévastatrices ne lui suffit pas, il ajoute 7 conversions victorieuses au pied pour porter son total à 43 points. Un record qui tiendra 40 ans. Car oui, ce colosse d’un mètre 88 est aussi le kicker des Oranges. Lors du Cottown Bowl face à TCU, il engloutit 132 yards, marque trois fois et passe autant de coups de pied. Mais c’est bien l’une de ses tentatives bloquées qui fera la différence. Les Horned Froges l’emportent d’un tout petit point (27-28).
Drafté par les Cleveland Browns avec le 6e choix général, son impact va être immédiat. Dans une franchise auréolée de deux titres au cours des 3 dernières années, les compteurs vont rapidement s’affoler et changer à jamais le jeu. Le Babe Ruth de la NFL diront certains. En digne héritier de son boxeur professionnel de père, il adopte un style de jeu percutant. Dévastateur. Il faut dire qu’il est bâtit pour. Plus rapide que bien des defensive backs, plus puissant que bien des linebackers et linemen défensifs, « il est sur un terrain de football, ce qui se rapproche le plus de Superman » racontera l’un de ses adversaires de longue date. Un coureur sauvage, implacable, qui casse les plaquages à la pelle, continue d’avancer avec la moitié de la défense sur le dos et est capable de prendre la poudre d’escampette pleins gaz à tout instant. Un Adrian Peterson version vintage. Le père spirituel du running back violet.
« Jim Brown était un savant mélange de vitesse et de puissance comme jamais on en a vu, » raconte Dick LeBeau, defensive back des Lions dans les années 60. « De toute évidence, les plaquages au corps ne le ralentiraient pas, il était trop insaisissable pour ça. S’il franchissait le premier rideau, il était tellement doué pour vous avoir et vous faire rater un plaquage. Vous ne saviez jamais s’il fallait vous préparer à encaisser un choc frontal ou tenter de vous agripper à ses lacets. »
Plus qu’un simple bulldozer qui dégomme tout sur son passage et envoie voler les défenseurs plus légers, Brown est un joueur explosif, capable de semer les defensive backs, d’effacer un adversaire sur un pas et doté d’une connaissance du jeu remarquable. Lorsqu’il débarque dans la NFL en 57, la ligue a 35 ans, mais la barre des 1000 yards sur une saison n’a été franchie qu’à 6 petites reprises. En 9 campagnes dans l’Ohio, Jim la dépassera 7 fois.
Jim Brown, et les autres.
Dès son année de rookie, Big Jim imprime sa marque. Peu accoutumé à user et abuser de ses jeunes joueurs dès leurs débuts, Paul Brown utilise son nouveau jouet à toutes les sauces. À peine avait-il posé un orteil du côté de Cleveland, qu’il était déjà l’un des pions essentiels de l’équipe. Un leader. Une star. Dès sa première saison, il raye des tablettes le record de yards en une rencontre : 237. Il l’égalera 4 ans plus tard. Dans un duel d’un autre âge face aux Lions en finale, les Browns du nouveau phénomène de l’Ohio se font balayer (14-59) par Bobby Layne et compagnie. Jim Brown s’offre une course victorieuse de 30 yards, mais ne peut que constater les dégâts. S’il se casse les dents à une poignée de yards de la barre des 1000 unités (942), il fait tout de même main basse sur le titre de Rookie de l’Année. À l’unanimité. Tout juste correct selon les standards aujourd’hui, ses stats, dans la NFL de 1957, lui valent de décrocher le titre de MVP dès sa première saison. Le premier de quatre. Il récidivera dès l’année suivante. Et cette fois-ci, avec la manière. 1527 yards, 17 touchdowns et une moyenne folle de 5,9 yards par course. Jim Brown vient de porter les standards dans une autre dimension. Jusque là inconnue. Et en seulement 10 petites rencontres.
« Il n’y a qu’un seul joueur aujourd’hui dont les prouesses forcent l’admiration générale, et il s’agit de Jim Brown, » commentait rétrospectivement Sports Illustrated en 1965.
1408 yards en 59. 1257 l’année suivante. 1329 en 1961. Le rouleau compresseur est en marche. Les défenses s’arrachent les cheveux pour tenter de le stopper ou tout simplement de le ralentir. Elles n’y parviendront pas. Seules les blessures à répétition qui entacheront sa saison 62 réussiront pareil exploit. Dans une NFL à 14 matchs désormais, Jim doit se contenter de 996 yards au sol. Pour la première et dernière fois de sa carrière, il doit laisser le titre de meilleur coureur à un autre. Une campagne en demi-teinte. Presque décevante. Certaines voix s’élèvent. Il serait déjà sur la fin, parait-il. Il ne lui en resterait plus beaucoup dans le moteur. Balivernes. Car Jim Brown est une espèce à part. Le Superman des gridirons. D’ailleurs, s’il bute d’un souffle sur la barre des 1000 yards, il inscrit 18 touchdowns au total et ajoute 517 yards à l’addition dans les airs. Cuit vous avez dit ? Remis à 100% et bien déterminé à faire taire ces insolentes rumeurs, il ne va pas faire les choses à moitié : 1863 yards records, 6,4 yards par course, 12 touchdowns et un inévitable titre de MVP. Portés par leur coureur les Browns signent 10 succès, mais ratent les playoffs.
Une fin en apothéose
Dans la fleur de l’âge, Jim Brown poursuit son travail de destruction. Méthodiquement. Dans la foulée de leur running back et de ses 1446 yards, les Browns retrouvent les séries après 6 saisons blanches. Dans leur Municipal Stadium de Cleveland, les joueurs de l’Ohio sont pourtant donnés largement vaincus par les Baltimore Colts de Johnny Unitas. Jim Brown n’en croit rien. « On va leur botter le cul, » aurait-il prévenu avant la rencontre. Des paroles prémonitoires. Les hommes du Maryland ne vont jamais exister. Jim Brown engloutit 114 yards. Gary Collins se charge d’attraper les touchdowns. Les Colts restent muets (27-0). Cleveland décroche le titre. Le dernier en date conquis par une équipe professionnelle majeure de la ville. L’année suivante, Jim, ses 1544 yards et 17 touchdowns sont une nouvelle fois nommés MVP. La comète Gale Sayers, phénomène rookie de l’année et deuxième meilleur coureur cette saison-là, pointe à 677 unités derrière. Un gouffre. Un océan. Un monde. Dans sa foulée, les Browns retrouvent la finale. Mais cette fois-ci, ils doivent céder face aux Packers de Vince Lombardi et Bart Starr dans le froid et la boue du Lambeau Field. La NFL vient de connaître sa première finale en couleur et son dernier match avant l’ère du Super Bowl. Quant à Jim, il vient de vivre son ultime match officiel.
Plus qu’un simple porteur de ballon, Jim Brown est un véritable couteau suisse. Receveur habile et retourneur électrique, il s’improvise également lanceur à certaines occasions. Il signera d’ailleurs 3 touchdowns à la passe au cours de sa carrière. En 9 saisons, il clôturera ses campagnes par une ultime rencontre du côté de Honolulu autant de fois. À l’exception de 1962, il est un membre unanime de l’équipe type All-Pro chaque saison. Ses grand adieux à la ligue, il les fera en grande pompe. Lors d’un Pro Bowl 1966 aux allures de jubilé. Big Jim marque trois fois, s’empare du titre de MVP de la rencontre, puis tourne le dos au terrain. Une dernière fois. Pour toujours. 12 312 yards au sol. 15 459 au total. 5,2 yards de moyenne sur l’ensemble de sa carrière. Jim est sur une autre planète. Il vient de créer une nouvelle catégorie sans nulle autre pareille.
À 30 ans, au sommet de son art, Jim choisit de tirer le rideau. De tirer sa révérence en pleine gloire. À la stupeur générale. Son nom parsème le livre des records de la ligue. Et on se demande encore jusqu’où les compteurs auraient grimpé s’il avait poursuivi pour quelques saisons encore. Machine à avaler les yards, Brown n’aura jamais manqué la moindre rencontre en 9 saisons. À 30 ans, il quitte les terrains de football pour des plateaux de cinéma qu’il a découverts 2 ans plus tôt, sur le tournage de Rio Conchos.
« Je voulais vraiment me retirer au bon moment, » explique Jim Brown 50 ans plus tard. « Trop de joueurs continuent trop longtemps. Trop de joueurs se reposent sur le sport. J’ai pris ma retraite au sommet de ma carrière. Pas parce que j’étais cassé en deux et lent. J’ai arrêté parce qu’il était temps d’arrêter et de faire autre chose. »