Le Texas. Ses Républicains. Ses cowboys. Ses rodéos. Son pétrole. Et son équipe de football. La seule, l’unique. Car dans les années 90, les Cowboys règnent sans partage sur le Lone Star State. Leur royaume s’étend même bien au-delà des frontières de l’État. À coup de bagues, de stars et de records, les Boys ont reconquis l’Amérique. Et avec, leur surnom d’America’s Team acquis à la fin des années 70. La décennie 90 rime avec succès. L’apogée, l’apothéose pour les Dallas Cowboys. La décennie 90, c’est celle de la franchise de Dallas. Tout simplement. Et pourtant, au moment de quitter les 80’s, les gauchos texans sont en piteux état.
(Im)pitoyable Dallas
1988, première alerte. Son éternel feutre gris vissé sur le sommet de son crâne, Tom Landry vit sa dernière saison sur le banc des Cowboys. Le premier coach de l’histoire de la franchise aura tenu 28 saisons. 28 campagnes faites de hauts, comme les deux bagues de champions glanées en 71 et 77, et de bas. De très bas même. Le fond du trou, les Cowboys vont l’atteindre en 88. Après un début de saison moyen, les hommes de Landry s’effondrent, irrémédiablement. Une course effrénée vers les abysses. Dix revers consécutifs et un piteux bilan de 3-13. L’unique coach que la franchise ait jamais connu s’en va. Les belles performances de Michael Irvin n’auront pas suffi. C’est pourtant grâce à lui que l’équipe « reviendra à la vie » assure le président et GM de l’époque Tex Schramm. Des paroles prémonitoires. Mais il faudra encore attendre.
Plus qu’une page qui se tourne, c’est un tome entier de l’histoire des Cowboys qui se clôt. À l’issue de cette saison cauchemardesque, un homme d’affaires tout droit venu de l’Arkansas voisin achète la franchise en déliquescence. Il s’appelle Jerry Jones. C’est le début d’une nouvelle (longue) histoire. Sa première décision : se débarrasser de l’iconique Tom Landry. La NFL, Dallas. Des univers impitoyables. Jimmy Johnson intronisé, les Cowboys se tournent vers l’avenir. Et avec le premier choix général, ils ont de quoi le rendre radieux. Et ils ne se trompent pas. Troy Aikman, prodige de UCLA, avait déjà attiré l’œil de Landry avant qu’il soit évincé, son successeur tombera lui aussi sous le charme du blondinet.
La franchise ne redevient pas compétitive du jour au lendemain pour autant. Loin de là. Très loin de là même. C’eût été trop facile. Cinq revers en autant de rencontres, il faut faire quelque chose. Vite. Le message est reçu, les Cowboys envoient Herschel Walker dans le Minnesota en échange de cinq vétérans et huit choix de draft. Un échange de mammouths sans grands effets. Mieux qu’en 88, les Texans concluent la saison 89 avec un bilan record de 1-15. Le pire de leur histoire. Un petit succès qu’ils doivent à un autre quarterback rookie, Steve Walsh, venu à la rescousse d’un Troy Aikman blessé en cours de saison. Une campagne marquée par le double affrontement houleux face aux Eagles. Insultes, boules de neige, joueurs visés délibérément par les défenses. Fans, staffs, joueurs, tous offrent un spectacle déplorable. La naissance d’une rivalité. Une vraie. Vite, il est temps de tirer un trait sur la décennie 80.
Malgré l’échec sur le terrain, les Cowboys ont entamé avec détermination la refondation de leur équipe. Troy Aikman, le centre Mark Stepnoski et le full back Dary Johnston sont rapidement rejoints par Emmitt Smith en 90, puis le defensive tackle Russell Maryland et le bloqueur Erik Williams l’année suivante, et enfin Darren Woodson en 92. Des recrues pleines de fougue et habitées par une soif de victoire sans fin, qui rejoignent Michael Irvin, Charles Hailey, Nate Newton, Ken Norton Jr. et Jay Novacek. Les ‘Boys tiennent leur colonne vertébrale. En 1990, les Texans gagnent 7 fois, Emmitt Smith est nommé rookie offensif de l’année, Jimmy Johnson meilleur coach. L’espoir renaît. L’année suivante, ils retrouvent l’enivrant parfum des playoffs pour la première fois depuis 85 grâce à leurs 11 succès. L’aventure s’arrête rapidement face aux Lions. La première victoire en série de la franchise de Detroit depuis 1957, et sa dernière en date… Le duo Irvin et Smith fait déjà des étincelles en attaque. Troy Aikman a trouvé ses deux nouveaux jouets fétiches : le premier, un receveur frappé du #88 ; le second, un tight end/cowboy du Wyoming. Prometteur. Sur les ruines encore fumantes des saisons 88-89, Jimmy Johnson et Jerry Jones sont en train de bâtir une machine de guerre, conditionner pour tout gagner. Ça n’est plus qu’une question de temps.
Une dynastie à Dallas
Aikman-Smith-Irvin. Un trio de choc. The Triplets. Aikman, le cerveau, Smith, le corps et Irvin l’âme. À eux trois, ils sont les Dallas Cowboys. Tex Schramm avait vu juste, c’est bien Michael Irvin qui va faire renaître de ses cendres la franchise texane. Mais pas tout seul. Le receveur joue avec une énergie et une passion difficilement égalables. Virevoltant, habité et authentiquement amoureux de son équipe, il dégage une énergie positive qui galvanise tous ses coéquipiers. Car derrière le trio offensif de stars, les petites mains, plus discrètes, ne sont pas en reste. Dans une saison 1992 aux faux airs de revanche sur une décennie à oublier, les Cowboys emportent tout. Véritable écurie montée pour gagner : une ligne offensive de géants, un jeune quarterback insolent, un coureur infatigable et une défense possédée et incroyablement athlétique. C’est une nouvelle histoire qu’ils veulent se bâtir.
13 succès, un rideau défensif hermétique, un Emmitt Smith galopant comme jamais, une popularité qui ne cesse de croître à mesure que les victoires s’amassent et les revoilà en playoffs. Face à eux, leur meilleur ennemi. Les 49ers. Ceux-là mêmes qui les avaient battus dans une finale de conférence de légende en 1981. L’histoire n’aurait pu être plus belle. Dans un Candlestick Park aux allures de champs de bataille, recouvert de boue, les Texans tiennent leur revanche (20-30). Passage de flambeau. La décennie 80 fut celle des Niners, la décennie 90 sera la leur. Elle sera aussi celle d’une nouvelle rivalité au sommet de la NFC. Au Rose Bowl de Pasadena, la défense fait vivre un calvaire à des Bills maudits. 9 turnovers, un récital du MVP de la rencontre Troy Aikman et une fessée magistrale : 52-17. Les hommes de Dallas décrochent le Graal tant convoité. Jimmy Johnson devient le premier coach à remporter un titre universitaire (avec les Miami Hurricanes) et NFL. La méthode Johnson a fait ses preuves. Une fois de plus.
« Jimmy était un maître manipulateur. Il n’avait pas besoin de vous crier dessus, de vous rabaisser pour que vous fassiez ce qu’il voulait. Il utilisait vos plus grandes craintes pour vous motiver, » expliquait le lineman offensif Nate Newton.
La saison suivante est presque la copie conforme : 12 succès, un billet pour les playoffs, un titre NFC acquis face aux 49ers et un Super Bowl conquis contre les mêmes malheureux Bills. Bis repetita. Repeat. Les Cowboys n’ont peur de personne. Une insolence totale. À la limite de l’arrogance. Des Bad Boys. Ils sont pas moins de onze à clore leur saison par un séjour aux frais de la ligue du côte d’Honolulu. Un record. Emmitt Smith a beau avoir manqué les deux premières rencontres, il décroche un troisième titre consécutif de meilleur coureur. La routine. Une saison ouverte sur des bisbilles contractuelles et conclue sur un double titre de MVP, de la saison et du Super Bowl. Tout baigne pour les Texans, rien ne semble pouvoir se mettre en travers de leur chemin. Ils ont trouvé la recette du succès. Et pourtant.
Quelques semaines après le Super Bowl XXVII, Jimmy Johnson annonce l’impensable. Il se retire. Lassé de ses prises de bec toujours plus fréquentes avec l’omniprésent et omnipotent Jerry Jones. Ou plutôt l’inverse. Car visiblement, plus que le propriétaire, le coach est une personnalité… particulière.
« C’était un enfoiré, mais c’est ce qui faisait de lui un coach remarquable, » explique Jeff Pearlman, journaliste d’ESPN et du New York Times. « Peu de compassion, peu de considération pour ses joueurs. Était-ce choquant qu’il soit renvoyé ? Je dirais oui, car peu de propriétaires se débarrassent d’un coach qui leur rapporte deux Super Bowls. Mais Jerry était fatigué de Jimmy — de son attitude, de sa suffisance, de sa prétention, de sa cruauté. Il en avait marre. »
Quand eux égos se rencontrent… Quelques jours plus tard, le propriétaire engage Barry Switzer, en provenance des Oklahoma Sooners. Le futur septuple All-Pro Larry Allen est drafté pour consolider la ligne. Ils sont pas moins de 112 376, un record, à se masser dans le mythique stade Azteca de Mexico pour voir les Cowboys affronter les Oilers en présaison. Les changements de l’intersaison ne semblent pas ébranler la machine à gagner de Jerry Jones. Ou presque. Le titre de la NFC Est est une formalité. Comme de tradition, ce sont à nouveau les 49ers qui se dressent entre eux et les portes du Super Bowl. Mais cette fois-ci, l’histoire ne se répétera pas. Un 21-0 fatal dans les 15 premières minutes aura raison de leurs espoirs. Malgré une tentative de retour digne d’un champion, les Cowboys ratent la marche menant au Big Game (28-38). Fin de cycle ? Pas encore.
« How Bout Them Cowboys ! »
1995 commence par un tour de force. Jerry Jones parvient à arracher Deion Sanders des mains de leur meilleur rival, les 49ers. Les quelques fans qui commençaient à manifester leur agacement, voire leur scepticisme, se taisent rapidement. Regonflés à bloc, portés par le cornerback All-Pro et des Triplés toujours aussi affutés, les Cowboys amassent 12 succès et une nouvelle couronne dans la NFC Est. Emmitt Smith inscrit 25 touchdowns au sol et décroche un quatrième titre de meilleur coureur. Euphoriques, ils ne font qu’une bouchée des Eagles (30-11) avant de s’offrir un huitième titre NFC aux dépens des Packers de Brett Favre (38-27). Au Super Bowl XXX, ils retrouvent d’autres habitués, les Pittsburgh Steelers. Un succès 27-17, et les revers des Super Bowls X et XIII sont vengés. Un an après son arrivée Barry Switzer imite Jimmy Johnson en ajoutant un titre NFL à un palmarès déjà garni d’une couronne universitaire.
La domination des hommes de Jerry Jones semble vouée à durer éternellement. Et pourtant. La saison suivante marque un coup d’arrêt et sonne comme le début de la fin. Entre blessures et soucis extrasportifs, la franchise texane vit une campagne tourmentée. Jay Novacek, la soupape de sécurité de Troy Aikman est contraint de mettre un terme à sa carrière à cause d’une grave blessure au dos. Michael Irvin est suspendu pour les cinq premières rencontres de la saison, reconnu coupable de possession de narcotiques. Et ça n’est pas terminé. En décembre, le defensive tackle Leon Lett est suspendu un an après avoir échoué à un contrôle antidopage. Irvin et le tackle Erik Williams sont suspectés d’avoir agressé une cheerleader des Cowboys. Une histoire montée de toutes pièces par la jeune femme qui passera 90 jours derrière les barreaux, mais qui agit comme une distraction de plus dans une saison qui n’en manque déjà pas. Sur le terrain, malgré les blessures de Charles Haley et Emmitt Smith, les joueurs de Switzer décrochent leur sixième titre de division consécutif. Après une démonstration face aux Vikings au premier tour (40-15), les ‘Boys sont surpris par des jeunes Panthers, qui ne vivent alors que leur deuxième saison. La dynastie est à son crépuscule.
Bilan négatif, indiscipline et péripéties extrasportives diverses et variées, la saison 97 tourne au fiasco. Durant la présaison, le coach Switzer est arrêté en possession d’une arme à l’aéroport. Le reste de la campagne se déroulera dans la même veine. Les plus belles années de la génération dorée de Dallas sont passées. La dynastie s’écroule. Lentement, mais sûrement. Et avec c’est toute une culture de la gagne, savamment inculquée, qui s’estompe. Prédateurs implacables des années 90, franchise à l’appétit vorace, les Cowboys sont rentrés dans le rang. Rééditant saison décevante sur saison décevante. Pourtant, l’Amérique n’attend que leur réveil pour à nouveau se prendre d’amour pour cette franchise si singulière. Et si l’heure du réveil avait sonné ? À l’heure où ESPN annonce déjà la naissance des New Triplets. Et si la triplette formée par Romo-Murray-Bryant permettait à la franchise de Dallas de renouer avec les sommets ? Avec son glorieux passé. De reconquérir son titre d’America’s Team. L’avenir nous le dira. En attendant, la légende des Cowboys des années 90 perdure. Comme un doux rêve. Un beau souvenir. Si proche et pourtant si lointain.