Pour les initiés, comme pour les profanes, Madden rime avec football. Madden rime avec l’inimitable « It’s in the game » (« tzinigame » en VF) d’EA Sports. Mais avant d’être le nom, et autrefois visage, de la plus connue, car désormais seule, des franchises vidéoludiques consacrées à la NFL, John Madden est l’une des figures les plus emblématiques du ballon à lacet. Un incontournable. Comme un vieux tube indémodable. Joueur, brièvement, coach, quelque temps, et surtout commentateur, pendant près de trois décennies, sa voix a bercé des millions d’amoureux du foot version Oncle Sam. Devant leur téléviseur ou manette en main, voire les deux à la fois. John Madden, c’est un peu Monsieur Football en somme.
Un rêve brisé
Né à Austin, dans le Minnesota et non au Texas, John Madden enfile son premier casque de football alors qu’il sait encore à peine compter. Joueur talentueux dès le lycée, il est baladé d’université en université. Un bref détour chez les Ducks d’Oregon, puis un crochet du côté du College of San Mateo, comme le père de la West Coast Bill Walsh, avant de finalement atterrir dans la modeste université de Cal Poly à San Luis Obispo (rien à voir avec Pascal). Homme à tout faire sur le terrain, promené un coup en attaque, un coup en défense, il empile les diplômes en salle de classe. Son dada : l’éducation. Désigné meilleur offensive tackle de la petite conférence, il sévit également en tant que receveur de l’équipe de baseball. Deux ans après avoir bouclé sa licence et fait voltiger sa toque, John est endeuillé par le crash de l’avion de l’équipe de Cal Poly. Il perd de nombreux amis. Un drame qui le hantera éternellement. Drafté aux 21e tour par les Eagles en 58, ses rêves de football professionnel sont déjà bien minces et s’évanouissent avant même qu’il ait pu poser un pied sur le terrain. Blessé au genou durant le camp d’été, John ne foulera jamais une pelouse NFL. Du moins une armure sur les épaules et un heaume vissé sur le crâne. Car il n’est pas prêt à renoncer au football.
Originaire de l’État aux 10 000 lacs, ses hivers glacials et ses chutes de neige à n’en plus finir, John Madden s’est pris d’amour pour le soleil californien. En 1960, il devient entraîneur assistant du confidentiel Allan Hancock College, dans le comté de Santa Barbara, dans sa Californie d’adoption. Deux ans plus tard, il en prend les rênes. C’est le début de l’ascension. À l’issue de la saison 63, il devient le boss de la défense des San Diego State Aztecs où ses talents de stratège font déjà des merveilles. Dans le sud du Golden State, il officie sous les ordres de Don « Air » Coryell. C’est ce qu’on appelle être à bonne école. Son génie stratégique ne passe pas inaperçu et John quitte rapidement le sud de la Californie pour la Baie de San Francisco, son côté sombre, celui des pirates. Direction Oakland. Al Davis, fraîchement devenu co-proprétaire et manager général de la franchise, a décelé quelque chose en lui. Comme une intuition. Un choix malin qui n’allait pas tarder à porter ses fruits. C’était l’époque où Al avait encore du flaire.
The Pirate Bay
Nommé coach des linebackers, il participe dès sa première année à l’épopée malheureuse des Raiders jusqu’au Super Bowl II face aux Packers de Vince Lombardi. La saison suivante, John Rauch parti coacher les Bills, il y’a de la promo dans l’air. Et c’est finalement sans grande surprise qu’il est intronisé entraîneur en chef. Un vrai pari. Le début d’une histoire d’amour de près de 10 ans. À seulement 32 piges, il devient le plus jeune head coach de l’histoire de la ligue. En sept années, il mène les Raiders à cinq finales AFC. Cinq finales et cinq revers. La franchise d’Oakland vient d’hériter de l’image de loser des Dallas Cowboys. Toujours présents, mais jamais vainqueurs. Butant inlassablement sur la dernière marche. La plus importante. La plus haute. La plus dure.
Malgré un bilan clinquant de 12-1-1 en 1969, les hommes de Madden se pètent les dents sur les Chiefs en finale de l’AFL. Trois ans plus tard, alors que le match leur tend les bras face aux Steelers, Franco Harris brise leur rêve à l’ultime seconde. Ou presque. Un miracle. The « Immaculate Reception ». En 74, après s’être débarrassés de Dolphins pourtant doubles champions en titre, ils se prennent encore le rideau d’acier en pleine poire. Rebelote l’année suivante. Malgré une brillante saison (11-3), les Steelers brisent une énième fois le rêve des Raiders. Une sale manie. À croire qu’une malédiction s’est emparée de la franchise.
Mais à force de persévérance et de travail acharné, les efforts vont payer. Car John Madden, comme de nombreux coachs de l’époque, est un adepte de la rigueur et du perfectionnisme.
« John était un meneur d’hommes, » explique George Atkinson. « Il exigeait l’excellence de nous. Nos entraînements étaient presque plus durs que les matchs. Il exigeait la perfection. Il exigeait que nous soyons en forme optimale. Il exigeait que nous sachions exactement ce que nous faisions. Il nous préparait, et c’est ce pour quoi les coachs sont là. Il nous préparait en nous mettant dans des situations où l’on était obligés de faire des gros jeux. »
Jamais abattus, les hommes de Madden rééditent une saison exemplaire. 13 victoires, un petit revers et les revoilà sur la route du Big Game. Morts de faim, le couteau entre les dents. Les Raiders n’auront jamais aussi bien porté leur nom. Un nez adverse défoncé par le safety George Atkinson, une victoire à l’arraché et dans la controverse face aux Patriots (une histoire de pénalité, déjà à l’époque), et revoilà les Steelers qui se dressent sur leur chemin. La meilleure défense de l’histoire? Même pas peur. Les Californiens percent le rideau d’acier et filent au Super Bowl. Dans un Rose Bowl archi comble, Fran Tarkenton et compagnie ne font pas illusion guère longtemps et John Madden remporte sa première bague de champion (32-14). Une délivrance. La première et la dernière, car sa carrière touche déjà à sa fin. Ou presque. Après avoir conquis ses joueurs, John a enfin conquis le titre tant convoité.
« En tant que joueurs, nous nous battions pour lui, » ajoute Atkinson. « C’était facile de jouer pour ce type. Il nous traitait comme des hommes. Nous savions qu’il attendait de nous plus encore que juste gagner des matchs. Il nous avait préparés pour ça. »
L’année suivante, les Raiders tombent une nouvelle fois aux portes du Super Bowl. Une vieille habitude, une tradition presque. Cette fois-ci, ce sont les Denver Broncos qui endossent le costume de bourreaux. Une énième désillusion et un ulcère qui ont finalement raison de la motivation de John. En 78, malgré un bilan de 9-7 et une victoire épique sur les Chargers, la franchise d’Oakland rate les playoffs. Madden tire sa révérence, à seulement 42 balais. En 10 ans dans la Baie, il aura accumulé 112 succès et un impressionnant pourcentage de victoires de 76,3%. Jamais les Raiders n’auront connu de saison négative sous ses ordres. C’était l’époque où il faisait bon de supporter les Silver & Black. Tom Landry, Don Shula, Chuck Noll, Bud Grant. Autant de génies du coaching que Madden a croisés sur son chemin et face auxquels il possède un bilan positif. Un grand parmi les grands.
La voix du football
Son costume de head coach rangé au placard, John se coiffe du casque de commentateur. De 1979 à 2008, de CBS à NBC, en passant par la FOX et ABC, il va devenir le porte-parole du football. La voix de tout un sport. Une voix sans nul autre pareil. Reconnaissable entre mille. Arpentant les plateaux de télévision, les tribunes de presse, il délivre son savoir, sa science, sa passion, son amour du football avec un enthousiasme et une bonhomie difficilement égalables. Aux côtés de Pat Summerall, il forme un duo de choc, avec pas moins de huit Super Bowls à son actif. Comme deux bons vieux amis, les deux compères se laissent parfois entraîner loin du match, très loin même.
Véritable star du petit écran, il décroche 12 Sports Emmy Awards récompensant le Meilleur analyste d’événements sportifs. Ses inimitables « Boom! », « Whap! », « Bang! » et « Doink! » on bercé des milliers de fans. Des milliers de fans qui ont appris le football en découvrant les schémas à la main que l’ancien coach prenait toujours un malin plaisir à dessiner sur l’écran, en surimpression. Et pas toujours de façon très pertinente… Une pratique devenue incontournable aujourd’hui. Véritable emblème du Thanksgiving Day Game durant des années, il offrait une dinde à l’équipe vainqueur. Des dindes jusqu’à huit pilons parfois, façon Tchernobyl, histoire de ne pas faire de jaloux.
En 1988, il devient le nom, le visage et la voix du tout nouveau jeu de football développé par EA Sports. Aujourd’hui encore il divulgue virtuellement ses conseils à des millions de joueurs. Et c’est précisément cette dimension pédagogique qui a séduit ce vieux roublard de John. Même durant les premiers échanges, avant même le développement du jeu, Madden voyait dans ce projet un formidable outil pour tester, essayer, expérimenter de nouvelles choses.
« [Une] façon pour les gens d’apprendre ce sport et d’y participer à un niveau relativement avancé, » expliquait-il en 2012.
Naviguant d’un réseau à l’autre à mesure que ABC, CBS, NBC ou la FOX acquièrent ou perdent les droits de diffusion de la NFL, il atterrit finalement dans le siège voisin d’Al Michaels, sur ABC, pour égayer le Monday Night Football de son regard malin au propre, comme au figuré. En 2005, il rejoint NBC et achève son périple sur les quatre grands réseaux américains. Mieux encore, il aura commenté le Super Bowl sur chacune des chaînes du Big Four. Le 19 octobre 2008, John n’est pas à l’antenne pour commenter l’affrontement dominical entre les Seahawks et les Buccaneers. Pour la première fois en 476 semaines de football, les Américains n’auront pas droit à leur dose hebdomadaire de Madden. La raison ? Le volubile commentateur a une peur phobique de l’avion et ne voyage donc qu’en bus. Une façon de voir du pays et de mieux en profiter dixit l’intéressé. Après avoir sillonné le Vieux Sud de San Diego à Jacksonville la semaine précédente, l’idée de devoir quitter sa douce Californie pour s’offrir une nouvelle excursion floridienne ne l’enchantait guère. C’est le début de la fin. Entre temps, John aura rejoint le Hall of Fame, en 2006. Comme une évidence.
« Il est temps ! » Le 16 avril 2009, John Madden débranche son casque et son micro pour de bon. Après 30 ans de bons et loyaux services, la voix du football retourne dans sa Californie d’adoption et cède son siège à l’ancien receveur des Bengals, Cris Collinsworth. Sa voix s’est tue. Ou presque. L’ancien coach intervient chaque semaine dans un court segment sur KCBS, une radio de San Francisco. Car après tout, lui aussi a besoin de sa dose de football hebdomadaire. Et pas juste en tant que spectateur. Sa soif de football ne sera jamais étanchée.
« La meilleure chose quand on vieillit, c’est de connaître l’histoire, » confiait-il à Sports Illustrated en juillet dernier. « Plus longtemps tu vis, plus longtemps tu restes dans un sport, plus tu en sais et plus tu sais comment les choses ont débuté. L’autre jour, j’entendais un type parler de Kurt Warner quand il était chez les Rams. Il parlait de lui lançant des passes courtes vers ses receveurs qui revenaient sur leurs pas pour attraper le ballon. Il disait que c’était le premier tracé back shoulder fade (passe flottante lancée dans le dos de la cible, ndlr). Je me souviens que John Unitas avait l’habitude de lancer ce genre de passe à Raymond Berry. »
Plus qu’une voix, John Madden est une encyclopédie du football. Une bible humaine.
« Je collectionne les cahiers de jeu des coachs pour savoir d’où viennent les choses, et peu importe ce qui se fait dans le football, cela a généralement déjà était fait par quelqu’un d’autre auparavant. Les jeunes qui n’étudient pas l’histoire doivent imaginer que la ligue est née en même temps que Joe Montana. Voire Peyton Manning. Alors quand vous me demandez ce qu’il a de mieux quand on vieillit, la réponse est : connaître le passé, et j’en suis fier. Et c’est aussi ça que j’aime dans le Hall of Fame. »
Voix du football. Mémoire du football. Il respire football. Il vit football. Car plus qu’un sport, plus qu’un jeu, le football, c’est une vie pour John Madden. Sa vie. Celle de Monsieur Football.
Ses cheveux blancs, ses sourcils roux. Une figure inimitable. Ou presque.