1979, un nouveau monument émerge du smog de la Baie de San Francisco. À quelques encablures du Golden Gate Bridge et de la prison d’Alcatraz, en architecte consciencieux, Bill Walsh est en train de hisser au rang de véritable monument des 49ers jusqu’ici bien moribonds. Lentement, patiemment, l’édifice prend forme. Le début d’une dynastie. Californien pure souche, il est l’un des plus brillants stratèges que la NFL ait porté. Après avoir sillonné le Golden State du nord au sud, de l’université de Stanford à San Diego, occupant divers postes de coach assistant ou principal, il pose finalement ses valises dans la Baie. Nous sommes en 1979. Un nouvel hégémon s’apprête à prendre le pouvoir. La décennie 80 sera celle des 49ers.
La ruée vers l’or
Né à Los Angeles au début des années 30, Bill Walsh fait ses premiers pas de footballeur dans la Baie de San Francisco, en tant que running back pour le lycée de Hayward. Mais c’est bien du côté de la Cité des Anges, dans l’ombre du Memorial Coliseum des USC Trojans que se développe sa fibre footballistique. Après un bref passage au College of San Mateo, comme un certain John Madden, il est transféré à l’université de San José State. Sa brève carrière de joueur achevée, vient l’heure du service militaire. Deux ans plus tard, devenu coach assistant des Spartans, il décroche un master en éducation physique en 1959. À l’occasion d’un entretien d’embauche du côté de Berkeley, il fait forte impression auprès de Marv Levy, tout nouveau coach des Golden Bears.
« J’ai été très impressionné par sa connaissance, son intelligence, sa personnalité et j’ai décidé de l’engager, » explique simplement Levy.
De bon augure. Après des passages du côté de Cal et Stanford, il fait ses premiers pas dans le monde pro. C’est le début du voyage. Un long périple qui le mènera chez les chercheurs d’or.
Une mine d’or, c’est justement ce sur quoi les dirigeants de la franchise californienne mettent la main en attirant Bill Walsh dans leurs filets. De son passage chez les Raiders de Al Davis en tant que coordinateur offensif en 1966, il hérite de la philosophie de jeu endiablée de Sid Gillman, dont le coach et propriétaire de la franchise d’Oakland est un fervent disciple. Mais c’est en 1968, que s’opère le déclic. Après avoir un temps envisagé de quitter le monde du football pour entamer des études de droit, Walsh rejoint les tout nouveaux Cincinnati Bengals. Sous les ordres du légendaire Paul Brown, il reprend le système de Gillman et l’arrange à sa sauce. L’ingrédient magique : les passes courtes. Et il ne lésine pas sur la dose. Un nouveau style de jeu révolutionnaire vient de voir le jour. Sur la côte ouest, il allait bientôt se trouver une identité unique.
Dans l’Ohio, la relation entre Walsh et Brown est glaciale. Les tensions sont omniprésentes et les altercations ne sont pas rares. Le Californien se sent à l’étroit, coincé. Il a le sentiment que son patron lui refuse délibérément le poste de head coach qu’il convoite secrètement. Quand en 1975, Paul Brown choisit le coach de la ligne offensive pour lui succéder, c’en est trop. Bill Walsh quitte les rives de la rivière Ohio. Retour à la case départ. À San Diego, il participe au développement du futur Hall of Famer Dan Fout. Une pige d’un an avant de rejoindre la prestigieuse université de Stanford. Après deux années à la tête du Cardinal, il parcourt les quelques miles qui le séparent de San Francisco et prend les rênes des 49ers. Nommé head coach et manager général juste avant la saison 1979, il va imprimer sa patte et écraser la NFL pendant près de 15 ans. La recette du succès : une attaque savamment pensée et un goût du détail inimitable.
Une recette en or
Si son passage dans l’Ohio n’a pas été facilité par sa relation tumultueuse avec Paul Brown, elle n’a pas été négative pour autant. Loin de là. Avec le cerveau des Bengals, il développe des entraînements ultra-poussés, où rien n’est laissé au hasard. La nouveauté : des mises en situation envisageant divers scénarios ou configurations et destinées à préparer ses joueurs au mieux et réduire au minimum les imprévus. En véritable bourreau de travail, il développe sans cesse des idées nouvelles. Il n’hésite pas ainsi à prévoir les 15 à 25 premiers jeux du match, tel le script d’un film. Une pratique à laquelle recourent toutes les franchises aujourd’hui. Car son héritage ne se limite pas au jeu, mais également aux méthodes de travail. Et le maître mot est simple : la perfection.
Si c’est sur la côte ouest que le système offensif de Walsh acquiert ses lettres de noblesse, c’est bien dans l’Ohio que celui-ci voit le jour. Directement inspiré de l’attaque aérienne développée par Sid Gillman et les Chargers, le coordinateur offensif des Bengals exploite à la perfection les qualités de son quarterback Virgil Carter. Tout est histoire de timing et de précision. Dans la plus pure tradition des Raiders d’Al Davis, Bill Walsh adopte un jeu aérien vertical à son arrivée à Cincinnati. Un schéma qui sied à merveille au passeur Greg Cook. Mais quand ce dernier se blesse, le tacticien est contraint de changer de stratégie. Place aux passes latérales, courtes, rapides. La révolution est en marche.
Si la West Coast offense s’est aujourd’hui très largement diversifiée, reposant sur des routes extrêmement précises et complexes, des formations nombreuses et variées et un timing minuté à la seconde, le schéma développé par Walsh à l’origine est nettement plus épuré. Le principe est simple : mettre le ballon dans les mains des joueurs les plus explosifs le plus vite possible. Pour cela, les cinq cibles potentielles (receveurs, coureurs et tight end) doivent se mettre en action au même moment, le quarterback effectuer quatre ou cinq pas de retrait pour compenser le recul de sa ligne et lancer le cuir au millimètre près. Une histoire de timing. En recourant massivement aux passes latérales, Bill Walsh contraint les safeties et linebackers, plus lents, à jouer en couverture. De cette manière, une passe de 4 yards, peut rapidement se transformer en gain de 20. Et c’est peut-être là la véritable révolution.
« De par sa vision du jeu, il était comme un artiste peignant un tableau, et nous des sortes de forgerons façonnant un fer à cheval, » raconte plein de respect Mike Holmgren, coach des quarterbacks sous Bill Walsh.
Rapidement, le stratège développe de multiples formations, elles-mêmes avec de multiples possibilités, accrues par de nombreux ajustements et déplacements pré-snap. À une époque où posséder un jeu au sol performant fait office de priorité, la stratégie pour laquelle le Californien opte détonne. Son but, faire avancer les chaînes vite et bien. Dans ce schéma, le timing, l’engagement et la précision des receveurs sont primordiaux. De leur application, dépend la réussite de l’action. Idem pour les quarterbacks, dont Walsh attend qu’ils « attrapent le ballon pour les receveurs » explique Joe Montana. En d’autres mots, qu’ils délivrent le cuir avec une précision telle, que ce dernier arrive directement dans les mains de la cible.
« Ces détails étaient en quelque sorte les piliers du système, » explique Walsh. « Nous exigions de chacun d’être un bon receveur et d’être extrêmement discipliné. Je pense que ce sont les bases de cette attaque. »
Dans un sport en perpétuelle évolution, Bill Walsh fait figure de visionnaire. Sous son impulsion il érige au rang d’art le jeu imaginé dans l’Ohio et développé par les 49ers. À l’image de Vince Lombardi, sa quête de la perfection est le moteur de son succès. Aucun détail ne doit être laissé de côté. Tout est méticuleusement étudié. Tout ce qui est susceptible d’affecter, dans un sens comme dans l’autre, les performances de l’équipe doit être corrigé ou exploité. Au-delà de sa science tactique, c’est également son incroyable nez, son habilité à déceler et façonner les talents de demain qui interpelle. Avant-gardiste et novateur, il est également un remarquable professeur, exigeant, mais souvent juste. L’humour en prime confit même Joe Montana. L’étoffe d’un gagnant.
Une parfaite alchimie
Pourtant, à son arrivée dans la Baie, la tâche qui attend Bill Walsh n’est pas mince. Les 49ers sortent d’une saison calamiteuse. Deux succès, 14 revers. De leurs 86 derniers matchs, les Californiens n’en ont remporté que 31. Le GM Joe Thomas a réussit le tour de force de se mettre à dos la quasi totalité de l’effectif. Quant aux fans, ils se désintéressent chaque jour un peu plus de leurs Niners. Pire que la colère, c’est le désamour qui guète. C’est un chantier d’envergure qui attend le stratège. Mais l’héritier de Sid Gillman est un génie. Et ses talents offensifs ne vont pas tarder à porter leurs fruits. Trois ans après son arrivée, les Nord-Californiens décrochent leur première bague de champions face aux Bengals. Comme un symbole. Un parfum de revanche pour le head coach.
Pourtant, les deux premières saisons dans la Baie n’augurent pas d’un tel succès. Avec un bilan de 8-24, les 49ers restent empêtrés dans les profondeurs du classement. Mais à force de patience, le succès pointe enfin le bout de son nez. Malgré deux revers lors des trois premières semaines de la saison 81, les chercheurs d’or s’envolent vers le Super Bowl et décrochent un titre inespéré trois ans plus tôt. L’alchimiste Bill Walsh détenait la bonne formule, encore fallait-il trouver les bons ingrédients. L’ingrédient magique, c’est Joe Montana. Drafté au 3e tour en provenance de Notre Dame en 79, le passeur va se muer en fils prodige.
Après une déculottée face aux Cowboys en semaine 6 en 1980, Joe Montana est propulsé titulaire. En primetime, un lundi soir, le jeune passeur remonte 28 point de retard pour terrasser les Saints. L’année suivante, sous l’impulsion de leur nouveau passeur et convertis à la philosophie de Walsh, les 49ers décrochent le titre. C’est 1981, l’année de la révélation. Les Niners quittent les méandres de la ligue pour rejoindre le sommet. Un tournant. Battus lors de 23 de leurs 27 dernières confrontations avec les Los Angeles Rams, les joueurs de Walsh vainquent le signe indien. Jusqu’en 1998, ils ne concèderont que 6 petits revers à leurs voisins du sud, contre 30 succès, dont 17 consécutifs. Dans une finale NFC mémorable face aux Cowboys, le coach se joue des texans en appelant des jeux au sol à répétition en toute fin de rencontre, alors que ses hommes courent après le score. La suite de l’histoire fait partie de l’Histoire, avec un grand « H ». Joe Montana se connecte avec Dwight Clark, « The Catch ». Les 49ers filent vers le titre.
En bon chercheur de pépites, Bill Walsh drafte successivement Ronnie Lott, Charles Haley, Jerry Rice et Steve Young. En 10 saisons dans la Baie de San Francisco, le coach réalise un impressionnant 102-63-1. En 14 rencontres de playoffs, il s’offre pas moins de dix succès. Dans une décennie 80 éclaboussée de Rouge & Or, les 49ers remportent six fois la division ouest de la NFC, décrochent trois titres de conférence (1981, 1984 et 1988) et autant de Super Bowl (XVI, XIX et XXIII). Le stratège a su inculquer à ses hommes une véritable culture de la gagne. La défaite les rebute. Lors de sept de ses huit dernières saisons à la tête des Niners, la franchise remporte au moins 10 rencontres. Son attaque tourne à plein régime et enregistre une moyenne record de 24,4 points par match. Les exploits répétés de ses hommes lui valent d’être couronné coach de l’année en 81 et meilleure entraîneur de la NFC en 84.
Une troisième bague au doigt, Bill Walsh quitte San Francisco à l’issue de la victorieuse campagne 88. Après 4 années loin des terrains, il retrouve le Cardinal, le temps de deux petites saisons. Puis vient le temps de définitivement raccrocher. Mais pas question de quitter le monde du football pour autant. De 1999 à 2001, il devient manager général et vice-président de sa franchise de cœur avant d’officier en tant que consultant de 2002 à 2004. Malade, il fait finalement ses adieux au monde du football. Pour de bon.
Un héritage qui ne se dément pas
Si la paternité de la West Coast est souvent associée à Don Coryell et ses Chargers volants, c’est bien Bill Walsh qui l’a popularisée. Devenue une référence depuis 30 ans, elle connaît autant de variantes que Walsh de disciples. De Mike Holmgren et Mike Tice à Andy Reid et Steve Mariucci, en passant par Dennis Green et Brian Billick, sans oublier Jon Gruden. Ce sont des générations entières de coachs à succès que le sorcier californien à engendrées. Toutes héritières (directes ou indirectes) d’une même méthode, d’une même philosophie de jeu, d’une conception du football imaginée et échafaudée par Bill Walsh où la rigueur et la quête de la perfection règnent en maîtresses. Rarement coach aura fait autant d’émules. Une recette à succès qui a hissé les 49ers sur le toit de la NFL pendant près de 15 ans et qui s’est imposée comme la référence dans un football moderne obsédé par les airs.
Cette transmission est tout sauf un hasard. Car le succès des Niners n’est pas à mettre au seul crédit du head coach, mais bel et bien d’une équipe d’entraîneurs passionnés. Parmi eux : le coach des quarterback Mike Holmgren, qui en 96 portera Brett Favre jusqu’au Graal, celui de la ligne offensive Bobb McKittrick, le patron des running backs Sherman Lewis et le gourou des receveurs Dennis Green, qui donnera vie à l’attaque tout feu tout flamme du Minnesota en 98. Dans un rituel hebdomadaire, les quatre hommes se réunissent pour sans cesse retravailler, réviser leur cahier de jeu. Le mercredi, dans une routine bien huilée, Bill Walsh et sa double casquette de head coach et coordinateur offensif inspecte le travail de ses assistants et leur soumet une quinzaine de pages de ses propres idées, recommençant un cycle presque éternel. C’est aussi ça la méthode Walsh.
« Je me disais, ‘Et c’est reparti, on doit tout recommencer à zéro,' » confie Holmgren. « Mais c’était toujours du bon boulot. Il voyait quelque chose à la vidéo, pensait que ça pourrait fonctionner et la plupart du temps, ça marchait. »
Introduit au Hall of Fame en 1993, il quitte le monde de la NFL quelques jours après le Super Bowl XXIII en janvier 1989. Un ultime titre en poche, avec le sentiment du devoir accompli. L’année suivante, les 49ers conservent leur couronne. Le patriarche s’en est allé, mais la dynastie perdure. En 30 ans, il n’a pas seulement révolutionné une franchise, mais tout un sport. Son sport.
« Bill est le genre de personnes qui a beaucoup appris de nombreux coachs de talent. De Paul Brown, il a pris un peu de son flair et de son plan de jeu. Il a échangé avec Sid Gillman. Et bien sûr, il a également travaillé avec Al Davis et a pu voir comment on organise une franchise. Il a appris ça de Al. Il a pris toutes ces choses et a bâti une dynastie avec les 49ers et je n’ai pas assez de mots pour parler de lui et ce qu’il a apporté au football d’aujourd’hui. Nous somme à un moment crucial. Des types comme Tom Brady ont porté ce système dans une autre dimension. C’est incroyable, » confie Roger Craig, Niner de 83 à 90.
Stratège et meneur d’hommes hors pair, il inspire un respect unanime.
« Il y avait un tel dévouement chez lui que vous vouliez à tout prix gagner les matchs, pas seulement pour vous, mais aussi pour lui. C’est vraiment particulier quand un coach génère une telle aura, » explique Jerry Rice
« J’aurais foncé dans un mur de briques pour Bill Walsh, c’est le genre de respect que j’ai pour lui, » ajoute Roger Craig.
Après des années de lutte contre la leucémie, il s’éteint le 30 juillet 2007. Il avait 75 ans. Il laisse derrière lui un héritage colossal. À la franchise de San Francisco, il a donné ses lettres de noblesse. En véritable architecte, il a rebâtit les fondements du jeu. Le football moderne que nous connaissons aujourd’hui, c’est un peu le sien. Son bébé. À lui, le père de la West Coast.