[One-Year Wonder] Vince Young : Remember the Titan

Le dernier Madden sur PC, c'est lui !

Le temps d’une saison, ils y ont cru. Le temps d’un match, ils ont tutoyé la gloire avant qu’elle ne les fuit inexorablement. Brutalement parfois. Une idylle sans lendemain. Un coup d’un soir. Un one-night stand. Des one-year wonders. Ces stars aussi éphémères que des étoiles filantes.

L’AVANT

Houston. Six centre villes, deux Chinatowns, un quartier des musées, le gigantesque Memorial Park qui s’étend sur près de six kilomètres carrés, la NASA, une industrie pétrochimique fleurissante avec vue sur les puits de pétrole qui pullulent à l’horizon sur le golfe du Mexique, des laboratoires de recherche médicale en pagaille, une passion pour le sport dévorante, des notes d’espagnol à tous les coin de rue et des effluves de bouffe tex-mex à chaque carrefour. C’est dans ce mastodonte urbain cosmopolite et en expansion constante taillé pour son talent précoce que Vince Young vient au monde. Dans la quatrième ville la plus peuplée des States, privé d’un père qui purge sa peine derrière les barreaux, il est élevé par sa mère et sa grand-mère. Deux femmes aimantes qui se débattent tant bien que mal avec la drogue et l’alcool, fléaux de toute une communauté aux allures d’échappatoires quand rien ne semble tourner rond. C’est grâce à elles, malgré les démons qui les rongent, que Vincent échappe à l’appel de la rue, de sa violence, de ses dérives, de ses drames. Ou presque. En 1991, il a sept piges et circule tranquillement à vélo lorsqu’il est violemment percuté par une bagnole dans son quartier craignos d’Hiram Clarke, un recoin de Houston infesté par le crack et gangréné par la criminalité. Un véritable ghetto. L’un des pires quartiers de toute la métropole. Le guidon enfoncé dans l’estomac, Bubba, son petit surnom, frôle la mort. Il passera de longs mois à l’hôpital. Un épisode traumatique grâce auquel le môme va se forger un tempérament de battant à toute épreuve. Car la vie a visiblement décidé de ne pas lui rendre la tâche facile.

Entre deux coupures de courant qui s’éternisent et une douche froide, quand le robinet ne refuse tout simplement pas de cracher son liquide providentiel, Vince apprend davantage à survivre qu’à vivre. Remis de son accident, il fait ses premiers pas de footeux à la Dick Dowling Middle School. Un collège à 99% noir où un paquet de ses potes à peine entrés dans l’adolescence préfèrent traîner avec les Hiram Clarke Boys, un gang de rue de ce rectangle déshérité de Houston, plutôt que d’essayer de s’extirper de ce bourbier aux allures de cimetière à ciel ouvert en trimant en classe. La plupart d’entre eux n’atteindront jamais l’âge adulte, fauchés par des balles vengeresses pour des raisons souvent absurdes. Il n’a que dix ou onze ans quand quelqu’un se met à tambouriner furieusement à la porte de la baraque familiale. Quand sa « Momma » ouvre, un type en sang s’écroule dans le salon. Du sang partout. Il vient de recevoir « quatre ou cinq balles. » C’est le petit copain d’une de ses deux soeurs. Un an plus tard, c’est son oncle qui se réfugie chez eux après avoir volé on ne sait trop quoi aux mauvaises personnes. Un déluge de balles s’abat sur le bloc 4700 de Tidewater Drive. Le tonnerre, puis plus rien. Les chargeurs vides, les tireurs invisibles ont rebroussé chemin. Un jour comme un autre dans ce bout de Texas qui ressemble encore au Far West des westerns.

Il ne vent pas de drogue pour arrondir ses fins de mois. Il ne traîne pas dans la rue comme la plupart de ses potes. Mais il se sent « dériver » selon ses propres mots. Cent billets verts en échange d’une ratonnade. « Tentant quand on a le ventre creux, » concède rétrospectivement l’ado devenu adulte. Vince a treize piges quand il a le malheur de se retrouver mêlé à une baston générale entre deux groupes rivaux, les Browns et les Six Nines. En pleine pause lunch, la cafétéria du bahut se retrouve transformée en véritable arène de gladiateurs. Un pugilat. Un champ de bataille où les plateau repas, chaises, droites, high kicks et lames de couteaux volent dans tous les sens. Filles, garçons, membres de gangs ou pas, jeunes ou moins jeunes, élèves, profs, agents de sécurité, aucune distinction n’est faite. Le sol blanc vire rapidement au rouge. Les ados se vautrent dans des mares de sang à lever le coeur. Le chaos. Les sirènes des flics ne tardent pas à se faire entendre alors que la robe d’une professeure s’embrase. Le calme revenu, des dizaines d’ados alignés, menottes aux poignets, la sentence tombe : « OK, c’est terminé. On va appeler les mères de chacun d’entre vous. » Et merde se dit Vince.

« Quand je me suis retrouvé menotté, je n’ai pas eu peur d’aller en prison. Je n’ai pas eu peur de la police. J’ai eu peur de ma maman, » confie-t-il sans pudeur dans les pages web de The Players’ Tribune.

Débarrassé des menottes, quand il se retrouve nez-à-nez avec elle dans la voiture quelques minutes plus tard, pas de cris, pas de hurlement, pas de sermon, mais un constat glaçant. « Laisse-moi te dire une chose mon fils. Tu vas finir finir en taule, estropié ou mort si tu continues à vivre comme ça. » De retour à la maison, fessé comme jamais, puni durant toute la durée de sa suspension du collège par une mère tétanisée par l’idée de voir son fils happé par le tourbillon de violence qui rôde sans cesse autour de lui, Vince se répète en boucle les mots de Felicia et prend la mesure du dilemme qui s’offre à lui. S’il veut se sortir de ce quartier aux allures de cul-de-sac où atteindre l’âge adulte relève du miracle, il doit changer à tout prix. Et le changement va s’opérer au lycée. Titulaire indiscutable aux commandes de l’attaque des Marlins de Madison High School durant trois ans, l’apprenti quarterback va vite devenir une véritable star locale. Un phénomène comme on en a plus vu depuis longtemps. Le salut par le sport.

« À Houston, impossible d’allumer une télévision sans voir la tronche de Vince Young, » se souvient Rodrique Wright, futur coéquipier de Vincent à la fac, dans les pages web du Dallas Morning News en 2005. « On en entendait presque plus parler que les Texans. Il était comme une sorte de LeBron James de Houston à la fin du lycée. »

Une tunique majoritairement blanche, un bleu délavé, de discrètes touches de rouge. Floqué du numéro dix, en honneur de Felicia, sa madre née le 10 juin, sous un maillot aux allures de contrefaçon de l’uniforme des Oilers de Houston, le quarterback empile des chiffres de glouton et prend un pied d’enfer.

« Enfiler le casque ? Me retrouver avec mes potes ? Engloutir toutes ces lignes blanches ? Avoir le ballon entre les mains ? Inscrire des touchdowns ? C’était le truc le plus cool qui soit, mec. »

Sur les terrains balafrés de blanc, il s’accorde un répit. Le temps de quelques heures, il met la vraie vie sur « pause ». Pas d’oncle si perché qu’il bégaye. Pas de mère qui noie son chagrin dans l’alcool. Pas de potes fauchés par les balles. Pas de bide qui crie famine faute de pouvoir se payer un casse-dalle digne de ce nom. Dès qu’il enfile son armure et pénètre sur le terrain, son terrain de jeu, plus de stress, plus de peur, juste du plaisir. Après deux premières saisons à parfaire ses atouts, apprivoiser un corps d’athlète en avance sur son âge et dompter les exigences d’un poste qui le place sous le feu des projecteurs, il va exploser. Senior intenable, Vince le Jeune rafle 3819 yards en attaque, inscrit le total délirant de 59 touchdowns et est couronné Joueur Offensif de l’Année dans sa catégorie. Son bras, ses jambes, peu importe l’arme, il porte une attaque qui turbine à plus de 50 pions par match et se hisse jusqu’en demi-finale d’État. Dual-threat bercée aux exploits de son idole Steve McNair et capable de faire payer le moindre dixième de seconde d’incertitude, il ne lâche que quatre passes dans les mauvaises mains et fait parler la poudre au sol avec une moyenne absurde de plus de dix unités par course grâce à laquelle il éclipse aisément la barre des 1200 yards et coupe 24 fois la ligne. 

Plus qu’un simple type sur un poster ou un type qu’il adule à travers sa petit lucarne au signal branlant, Steve McNair incarne une opportunité. Un but. L’opportunité, il la décroche à seize piges, lorsqu’il est convié au rassemblement organisé par le quarterback de ceux qu’il faut désormais appeler les Titans du Tennessee. Pourtant, dans le coeur de Vince, il reste le numéro 9 de ces Oilers au maillot bleu ciel et rouge qui ressemble tant à la tunique des Marlins qu’il étrenne tous les vendredis soirs durant la saison. Le Steve McNair de l’Astrodome et ses sièges jaunes et rouges. Le Steve McNair de son année de rookie. Ce jour-là, en 2000, au milieu d’une cinquantaine d’autres apprentis quarterbacks, quand le signal caller des Titans se pointe vers lui pour le saluer, l’ado ne peut s’empêcher de lui glisser qu’il était là le jour de son premier match à l’Astrodome. « Ah bon ! » s’enthousiasme l’ancien d’Alcorn State. « Ouais, on s’est introduit par une porte dérobée avec mes potes, » avoue vite Vincent. Une entrée secrète dont il connaissait l’existence à force de vendre des cuisses de poulet à l’occasion du rodéo annuel. Il connait le stade comme sa poche. Une anecdote qui amuse le joueur qui se prend vite d’affection pour VY. Privé de père, l’ado, lui, trouve en Steve la figure paternelle qui lui a toujours fait défaut chaque fois qu’il levait les yeux vers les gradins après un touchdown. Seul homme dans un environnement familial essentiellement féminin. 

Désormais, chaque fois qu’une question le tracasse, il n’a qu’à décrocher le téléphone pour appeler son nouveau « Pops » de substitution. Matin, midi, soir ou même en pleine nuit. Quand McNair débarque en ville durant la saison morte, il emmène Vince au resto ou à toute sorte d’événements que jamais l’ado n’aurait pu se payer. Besoin d’un nouveau t-shirt, de nouvelles pompes, il n’a qu’à faire glisser la carte de crédit généreusement garnie du Titan dans le terminal. « Donnez la facture à mon fils, » se contente-t-il de dire. À 17 piges, Young parade dans downtown Houston, coincé derrière le volant d’une Bentley qui ne lui appartient pas. Une bouffée d’air frais inespérée après une enfance jalonnée de drames et d’épreuves en tout genre. La vie sur les bons rails, Bubba quitte le lycée avec 12 987 yards d’attaque au compteur et un statut de star que bien des joueurs universitaires voire pros lui envieraient. Il a réussi. Il a trouvé son ticket doré vers une vie meilleure.

Brian Robison le futur pêcheur de quarterbacks des Vikings. Kasey Studdard, guard des Texans de Houston pendant cinq saisons. Lyle Sendlein, centre chevelu et barbu des Cardinals huit années durant. David Thomas, tight des Pats puis Saints sacré en 2009. Selvin Young, bloqueur clé lors du sacre de 2006. Rodrique Wright, éphémère pass rusher des Dolphins reconverti en coach défensif à UTSA. Justin Blalock, guard des Falcons de 2007 à 2014. Aaron Ross, cornerback couronné deux fois sous le bleu des Giants. En 2002, Vince Young opte pour les Longhorns de Mack Brown et une nouvelle garde dégoulinante de talent.

Redshirté pour sa première année de freshman, Vince se glisse très vite aux commandes de l’attaque des Longhorns. En 2003, doublure de Chance Mock lors les cinq premières rencontres de l’année, il s’empare du poste de titulaire pour les sept dernières pendant que le junior est gentiment prié d’aller potasser ses mock drafts sur le banc. Pendant ce temps-là, le bizut texan décroche six succès dans une saison que les cornus achèvent au cinquième rang national malgré un revers pour la der de l’année sur la scène du Holiday Bowl. 1155 yards à la passe, 998 au sol, 18 touchdowns au total, s’il est encore un passeur perfectible, qui manque d’automatismes et de spontanéité, son instinct de playmaker est redoutable dès qu’il cale le ballon sous le bras et décampe au-delà de la ligne de mêlée. Le complément parfait à un Mock moins mobile, mais plus adroit qui continue à dégoter du temps de jeu dans une rotation qui permet à UT d’exploiter au mieux les qualités des deux hommes. Face à Nebraska, Vince n’a besoin que de quatorze courses pour passer 163 yards aux Cornhuskers dans une spread offense encore bancale qui ne lui permet pas vraiment d’affiner sa mécanique de lancer ou de développer sa vision du jeu et des espaces dans les airs, mais qui sublime des facultés d’athlète délirantes qui lui doivent d’être couronné Freshman Offensif de l’Année dans la Big 12.

Junior au physique d’adulte et aux capacités athlétiques insensées, Vince va s’imposer comme l’un des phénomènes de la scène universitaire à coup de comebacks hebdomadaires qui vont vite devenir sa marque de fabrique. Du haut de son mètre 96 et fort des ses plus de 100 kilos, le natif de Houston fait des merveilles malgré une technique un brin douteuse. Improvisateur hors-pair capable d’échapper à la pression comme un Eli Manning un soir de Super Bowl dans l’Arizona, d’étirer le jeu à n’en plus finir pour trouver une improbable brèche et de se taper un sprint de plus de 60 yards, semant des défenseurs bien plus taillés pour la haute vitesse que lui, Young peut vous décortiquer en profondeur sur des lancers aussi peu académiques qu’étonnamment efficaces. Une mécanique de passe contre nature sur laquelle son bras droit finit presque à l’horizontale, mais qui ne l’empêche pas de décocher quelques ogives royales. Battus seulement par les ennemis jurés et numéro deux d’Oklahoma dans un Red River Showdown qui leur échappe depuis 1999 et où ils ne plantent pas le moindre pions, les Texans passent l’année entre la cinquième et la neuvième place et s’offrent les Wolverines de Michigan dans un Rose Bowl dantesque, portés par un Vince Young insaisissable qui cavale 192 yards au sol, en ajoute presque autant dans les airs et inscrit la bagatelle de cinq touchdowns, dont quatre rien qu’avec ses guiboles. Un match à l’image de sa saison. Car si Vince prend de plus en plus confiance et commence à maîtriser son bras, il demeure un passeur lambda coincé dans le corps d’un coureur sensationnel. Le quarterback n’efface la barre des 200 yards dans les airs qu’à deux reprises, dans des rencontres où il flirte avec les 300 unités et où il est confortablement centenaire au sol. Pourtant, Young prévient, « on se revoit l’année prochaine ! » Le rendez-vous est pris. Et ils ne vont pas le manquer.

En 2005, malgré du mouvement en défense, le head coach Mack Brown et le coordinateur offensif Greg Davis préparent sereinement une campagne placée sous le signe des ambitions retrouvées. Car il n’est plus question de se cacher. Matures, talentueux, parfaitement huilés, les cornes acérées, les Longhorns visent le titre. Numéro deux en ouverture de la saison, numéro deux à quelques heures d’un Rose Bowl qui déterminera le champion national, les joueurs d’Austin vont assumer leur statut de bout en bout. Imbattables. Invaincus. InVinceable. Le quatrième titre de l’histoire du programme au terme de sa neuvième saison parfaite. Portés par un Vince Young qui s’épanouie bien davantage dans l’attaque shotgun à trois receveurs concoctée par ses coach pour remplacer une I-formation plus conventionnelle et nettement moins adaptée à sa mobilité, les Longhorns sont injouables. Le passeur éclipse confortablement les 1000 yards au sol pour une deuxième année consécutive et s’envoie enfin en l’air. Malgré les départs des Cedric Benson et Derrick Johnson vers la NFL, UT a su conserver l’essentiel de son ossature tout en injectant du sang neuf bourré de talent. À l’image de la gazelle Jamaal Charles, freshman d’une élégance et d’une vitesse folles qui empile plus de 1000 longueurs en attaque et score treize fois. De l’autre côté, une armée de futurs pros. Brian Robison et Orakpo en pass rushers increvables sur la ligne défensive, Cedric Griffin et Aaron Ross pour verrouiller les ailes et Michael Huff en patrouille dans le fond du terrain.

Boulimiques en attaque à l’exception d’un duel suffocant face aux numéro 4 d’Ohio State début septembre (25-22), les Longhorns plantent au moins 40 pions à chacune de leurs sorties. Même face à des équipes classées comme Colorado (42-17) ou Texas Tech (52-17). Ils en passent 60 à Louisiana-Lafayette en ouverture de la saison. 62 à Baylor et 66 à Kansas coup sur coup. En finale de la Big 12, ils atomisent les Buffaloes des Rocheuses 70-3. 

« À Texas University, nous ne nous contentons pas de coller des fessées, » s’amuse Young sur theplayerstribune.com en 2020. « Nous prenons notre pied à coller des fessées. Ça fait une sacrée différence. Ça n’était pas un boulot. Nous n’avions pas la moindre pression. C’était une opportunité. C’était une bénédiction. »

Galvanisés par un Vince Young qui plante douze fois au sol, catapulte plus de 3000 yards et 26 touchdowns avec sa Grosse Berta, les joueurs d’Austin se hissent sans trembler jusqu’au match pour le titre. Dans un Rose Bowl de Pasadena en ébullition, les attendent des Trojans que de nombreux observateurs désignent comme la meilleure équipe de l’histoire du foot universitaire. De quoi titiller l’égo des Longhorns. À commencer par un Vince Young qui n’arrive toujours pas à digérer que le funambule Reggie Bush lui ait ravi le Heisman Trophy. Un duel de titans s’annonce face à un autre Heisman, le gaucher Matt Leinart, sacré en 2004. Une scène mythique, deux programmes historiques, des stars aux quatre coins du terrain, pas un nuage à l’horizon dans la nuit californienne, la NCAA s’apprête à vivre l’un des plus grands chapitres de son histoire. La veille pourtant, conscient de l’enjeu immense pour le programme d’Austin, Vince et son pote running back Selvin Young sont détendus dans leur chambre d’hôtel. Ils ne changent rien à leur routine habituelle.

« On a mangé des céréales en regardant les Looney Tunes et on s’est couché tard. »

Les Froot Loops digérés, dans un chassé-croisé électrique sous les caméras de tout un pays pour le quatrième jour de 2006, Vince Young va livrer le match de sa vie. Remonté, survolté, il va entasser 467 yards d’attaque dont 200 rien qu’à la force de ses cuisses démesurément larges. Il reste 19 secondes. USC ne mène plus que de cinq points après que le numéro 10  Texan ait une nouvelle fois fait parler ses jambes sur un touchdown de 17 yards. Son deuxième de la soirée déjà. 4e et 5 yards à parcourir. La victoire ou la défaite. Larmes de joie ou larme de tristesse. Dans le huddle, le passeur de 21 ans est terrorisé, mais hors de question de le laisser paraître. Plus que dix paires d’yeux, c’est toute une ligne, tout un stade où 94 000 aficionados se sont massés, tout un pays figé derrière sa petite lucarne qui le scrute la bave aux lèvres. Shotgun. Hut ! Coup d’oeil à gauche, coup d’oeil à droite. La ligne se désagrège, du gazon à perte de vue. Sur un quatrième essai de la mort qui tue, dans un dernier quart d’heure dantesque, Vince s’échappe sur la droite, file dans le coin, croise la ligne neuf yards plus loin et bondit par dessus le caméraman pour célébrer au milieu d’une nuée de journalistes, fans et tout un tas de personnes random. Quelques minutes plus tard, sous une pluie de confettis, il savoure dans les bras de son padre. Steve McNair. « J’avais enfin un père en tribunes pour me voir jouer […]. » Texas décroche son premier titre depuis 1970 au terme d’une finale stratosphérique d’intensité. 

Le lendemain, Bubba embarque dans un vol direction Vegas et l’une des suites les plus secrètes et prisées du MGM Grand. Un traitement de star pour un type qui ne gagne pas un centime pour ses prouesses de footeux raconte-t-il dans un long papier sur le site The Players’ Tribune en février 2020. Là-bas, l’attendent Derek Jeter, Michael Jordan et Tiger Woods. Chacun défile devant lui pour le féliciter en l’étreignant comme un vieil ami. Ils étaient tous au match la veille. Le gamin d’Hiram Clarke vient de basculer dans une autre dimension. Et après une nuit en amoureux dans l’intimité de leur chambre d’hôtel avec sa future femme, il prend enfin la mesure de l’exploit accompli à peine 24h plus tôt.

« C’était l’hystérie, » se souvient sa mère dans les pages de Sports Illustrated en 2017. « On ne pouvait même pas aller au restaurant. On pouvait à peine se rendre aux toilettes sans être assaillis de toute part. »

MVP du Rose Bowl, All-American, Vince décroche un Davey O’Brien Award récompensant le meilleur quarterback du pays aux allures de gros lot de consolation pour celui qui convoitait tant le Heisman Trophy. Titulaire vaincu à deux reprises seulement en 32 matchs, il quitte le campus aux toitures rouge brique d’Austin confortablement installé dans le top de tout un tas de catégories statistiques aériennes comme terrestres et avec le sixième meilleur pourcentage de victoires de l’histoire de la NCAA. Surtout, en trois années accomplies marquée du sceau de la progression constante, plus que l’histoire d’un programme au passé déjà chargé, il aurait marqué de son emprunte tout le football universitaire.

Le 30 août 2008, sous les yeux d’un Colt McCoy devenu titulaire indiscutable et d’un Darrell K Royal–Texas Memorial Stadium plein à craquer, son numéro 10 est retiré à jamais. Après avoir longtemps laissé planer le doute sur son avenir et avoir un temps envisagé de rempiler pour une dernière année à Austin, conscient qu’à un Heisman Trophy prêt il ne pourra guère faire mieux qu’une année 2005 stratosphérique, Vince Young décide de se présenter à une draft 2006 dont il sera inévitablement l’une des grandes attractions. Lui et deux petits gars de USC aux yeux encore rougis.

LE PENDANT

À quelques semaines de la draft, désespérément en quête d’un quarterback, les Titans font successivement défiler dans leurs installation les trois passeurs les plus convoités de la cuvée 2006. Vince le champion, Matt Leinart le monstre de régularité et le flegmatique passeur de Vanderbilt, Jay Cutler. Visite du centre d’entraînement, un steak dans le même diner, les mêmes questions sur le cahier de jeu, les trois hommes subissent exactement le même traitement. Copier-coller. Et un constat l’emporte vite. Des trois, VY est le moins séduisant, le moins convaincant, le moins complet, le moins prêt. Seulement, il est Texan. Et dans l’esprit de Bud Adams, propriétaire des Titans aux origines profondément enracinées dans son Lone Star State d’adoption, c’est un détail qui compte. Peu importe les désidératas de son coach.

Un pass rusher au moteur qui ne s’enraye jamais, un coureur capable de défier les lois de l’apesanteur et un quarterback capable de tout faire. Mario Williams parti chez les Texans, Reggie Bush enfile la toge des Saints avant que Vince Young ne débarque chez les Titans de son idole de toujours et père adoptif, Steve McNair, malgré un Wonderlic de six sur cinquante préoccupant selon certains observateurs. L’opportunité de rester dans son Texas de toujours était si belle pourtant. Seulement, quatre ans après sa venue au monde, la franchise de Houston n’est pas encore prête à admettre l’évidence : David Carr n’est pas l’homme de la situation. Matt Leinart parti dans le désert de l’Arizona avec le dixième choix, Jay Cutler soufflé en onzième position par les Broncos, ils seront les trois seuls quarterbacks d’une cuvée de gros busts à être sélectionnés au premier tour. Suivra une flopée de second couteaux. De Kellen Clemens à Bruce Gradkowski, en passant par le regretté Tarvaris Jackson ou le chevelu Charlie Whitehurst.

À Nashville, VY débarque dans une franchise qui a choisi d’envoyer son père dans le nid des Corbeaux de Baltimore après dix années de fidélité malgré le déménagement de Houston au Tennessee, un titre de MVP partagé avec Peyton Manning en 2003 et un titre effleuré du bout des doigts dans un final ahurissant face aux Rams de l’Undrafted Kurt Warner en 1999. Un héritage presque logique, mais une tâche des plus ardues. Car malgré un CV universitaire long comme le bras, une aura de winner incontestable et un statut de numéro trois de la dernière Draft, Vince Young n’a pas grand chose d’un quarterback professionnel type. Un coureur remarquable, mais un passeur médiocre comme le soufflent les moins complaisants. Armé d’un bras canon à la précision variable, capable de laisser sur place n’importe quel défenseur ballon sous le bras, il doit se défaire d’une mécanique hideuse à retaper de fond en comble. Seulement, plutôt que de gommer ses défauts, corriger ses mauvaises habitudes et combler ses lacunes, le coordinateur offensif Norm Chow choisit de mettre en valeur ses aptitudes, de simplifier le plan de jeu en réduisant ses lectures et ses options de passe pour lui laisser davantage de champ pour improviser et déguerpir dès que le terrain se dégage ou que la pression se resserre. Une stratégie de l’instant qui va rapidement le faire heurter un mur. Celui de ses propres faiblesses.

Recruté contre la volonté de son propre coach, Vince Jeune déboule dans un vestiaire où les alliés sont rares. « Leur relation est partie du mauvais pied dès le départ, » raconte Bo Scaife, tight end de Tennessee et ami du joueur, à Sports Illustrated. Quand bien même Jeff Fisher, ancien de USC, joue la carte de l’union sacrée et assure qu’ils sont tous fans de Vincent, la défiance est bien là chez certains membres du staff. Tapie dans l’ombre. Même quand le head coach lui « remet les clés du Hummer » en semaine 4. Et ce n’est pas son manque criant de maturité qui va arranger son cas. Au premier rang, la main sans arrêt tendue vers le plafond à poser mille et une question un jour, il disparait dans l’anonymat du dernier rang le lendemain, le regard barré par la visière de sa casquette de baseball comme un ado boudeur. Et quand Chow et le vétéran de dix ans Kerry Collins le titillent, il leur sort qu’il est « le seul dans la pièce avoir le numéro de téléphone du propriétaire. » Ambiance.

« Il a clairement été gâté, » constate amèrement le coordinateur offensif. « Il n’avait pas l’air d’avoir l’intention de fournir ce supplément d’effort qui fait des quarterbacks des joueurs à part. Il ne s’appuyait pas sur Kerry. Ça n’était pas un sale gamin, ça non, il n’avait que 23 ans. Il était… choyé, dorloté ou peu importe quelle autre façon de le dire. »

Un comble pour un type qui aura dû passer les quinze premières années de sa vie à se battre. Moins surprenant venant d’un mec qui aura toujours surfé sur un potentiel athlétique hors-norme sans jamais véritablement se plonger dans les méandres des playbooks, des audibles et de tous les ajustements qu’imposent en général le poste de quarterback. Car Vince n’est pas un bosseur. Vince fait partie de ces joueurs tout simplement talentueux.

Doublure de Collins pendant les trois premières semaines, le bizut profite de ses quatre premières passes dans la NFL en ouverture face aux Jets pour dégainer sa première interception. Sept jours plus tard, dans une boucherie à San Diego, il inscrit son premier touchdown dans le garbage time. Les seuls points de Titans qui en mangent 40 ce jour-là. Privé de terrain le dimanche suivant, il est promu titulaire pour le réception de Dallas alors que les hommes de Jeff Fisher courent toujours après leur première victoire de l’année. Un pari perdant. Du surplace au sol, 155 yards, deux interception et un touchdown anecdotique dans les airs. Tennessee se fait laminer. Des fourmis dans les jambes, VY trouve quelques ouvertures la semaine suivante face aux Colts, mais se trompe une nouvelle fois de paluches et doit se contenter de 63 pauvres yards dans les airs malgré un premier touchdown au sol chez les pros. En dépit d’une imprécision chronique, le moustachu en chef lui maintient sa confiance et les Titans trouvent enfin le moyen de gagner.

En semaine 10, dans un duel père-fils face aux Ravens, Vince éclipse la barre des 200 yards pour la première fois, mais il est incapable de trouver la peinture, se fait intercepter une fois et les Titans perdent d’un point face à un McNair impérial de maîtrise qui plante un triplé et 373 yards malgré quelques maladresses. Le fossé est immense entre les deux hommes. Conscient qu’il n’a pas les épaules ni le bras d’un leader capable de porter son équipe à lui tout seul, le numéro 10 se glisse dans le costume confortable du game manager. S’il voit des fantômes et pilonne dans le vide face à Philly, il affute son jeu et gagne en précision à mesure que la saison avance et la franchise de Nashville enchaîne six victoires de suite. Un déplacement auquel il a bien failli ne jamais participer d’ailleurs. En route vers l’aéroport, Vincent réalise qu’il a oublié ses papiers. Demi-tour, il fourre ses cartes dans ses poches et reprend la direction du tarmac. En chemin, bloqué derrière une procession funéraire, il prend soin de prévenir son coach qu’il aura deux ou trois minutes de retard. Ce n’est pas la première fois que l’avion est maintenu au sol quelques minutes de plus pour laisser un joueur retardataire embarquer. Mais pas cette fois-ci.

« Je suis sûr que Fisher l’a fait exprès, » lâche un Vince Young plein de mépris dans les pages de Sports Illustrated en 2017. « À l’instant où je me gare, je les vois refermer la porte. Je peux entendre le reste de l’équipe crier. »

McNair dépêchera un jet privé pour le faire rallier Philadelphie dans les temps. Fisher invoquera le règlement intérieur. Young n’en croira pas un mot. « Là d’où je viens, c’est comme aller dire de se faire foutre. » De rares touchdowns, quelques interceptions et une bonne dose de yards au sol. Jeff Fisher commence à cerner son poulain et le laisse de plus en plus improviser et utiliser ses jambes quand ses premières lectures sont neutralisées. 69 yards et un touchdown face aux Giants dans un match brillant où il empile 249 yards dans les airs et marque deux fois. 78 longueurs contre les Colts, puis 86 unités et un nouveau touchdown à la maison, à Houston. Celui de la gagne. En prolongations. Shotgun. Un coureur flanqué sur sa droite, deux receveurs à gauche pour faire diversion, un autre sur l’aile opposée. Hut. Vince recule de quelques pas, laisse le blitz se rapprocher, exécute une rapide feinte puis décampe. Il échappe à un premier bras accrocheur, franchit la ligne d’avantage, sème un linebacker trop lent, cut rapidement à droit pour mieux repiquer vers l’intérieur entre deux defensive backs et s’enfuit à mille à l’heure dans la endzone, 39 yards plus loin. Incroyable. Scotchant. Du VY dans toute sa splendeur. Assourdissant quelques instants plus tôt, le Reliant Stadium est sur le cul pendant que le numéro 10 fracasse son casque sur le gazon et célèbre comme un fou. Chez lui. Dans son jardin.

La veille de Noël, à Buffalo, tout espoir de disputer les playoffs enterré, Vince marque deux fois dans les airs, une fois au sol et entasse presque 250 yards d’attaque dans une prestation léchée chargée de promesses. Malgré un revers pour du beurre face au Pats, il boucle l’année avec un ultime touchdown à la course. 2199 yards, douze touchdowns et treize interceptions à la passe. 552 yards et sept touchdowns de plus au sol. Malgré des chiffres lambda dans les airs, les Titans sauce Vince Young remportent huit matchs dans la foulée d’un passeur dont la mobilité continue de faire des ravages même face à des défenses plus malines, plus rapides et plus physiques qu’en NCAA. Rookie Offensif de l’Année, Bubba est convié à la sauterie hawaïenne de fin de saison en compagnie de Peyton, Carson Palmer et Philip Rivers.

Quand le camp d’été 2007 débute sous le cagnard de Nashville, Vince Young est titulaire indiscutable et sa tronche de minot est placardée sur les millions de jaquettes de la version 08 de la franchise NFL d’EA Sports. Un an après Shaun Alexander, la Madden Curse s’apprête à faire une nouvelle victime.

L’APRÈS

Norm Chow flanqué à la porte, Vince Young perd un allié précieux dans le vestiaire et sa relation déjà tiédasse avec Fisher vire rapidement au glacial. Plus de plaisir, plus de « fun », poussé à bout par un coach contre lequel il entretient bien plus que de la rancoeur, le jeune quarterback perd peu à peu le goût du jeu. Beau-père entiché d’un beau-fils qu’il méprise de tout son être, le coach entre en guerre avec son joueur. Quand les deux hommes s’enferment entre quatre murs pour s’expliquer et se font la promesse mutuelle que rien de ce qui ne se dira ne fuitera, c’est pour que Vincent découvre leur échange étalé mot pour mot dans la presse dès le lendemain. La version de Fisher, évidemment. La confiance est brisée. Quand il se pointe en avance à un meeting, c’est pour mieux découvrir qu’il a été annulé et que le moustachu est parti à la pêche avec Kerry Collins. Tout le monde s’est bien gardé de le prévenir. Un climat toxique qui ne tarde pas à se faire ressentir sur le terrain. Semaine après semaine, le goût du jeu, le plaisir simple et authentique des premières années s’épuise, s’étiole, s’effrite.

« Jouer dans la NFL, ça n’est pas aussi fun que jouer avec ses potes du lycée. Ce n’est pas aussi fun que le football universitaire. Ce n’est plus un simple terrain de jeu. Peut-être que ça n’est pas sensé l’être, » disserte-t-il dans les pages web de The Players’ Tribune« Le fait est que j’ai eu toutes les peines du monde à retrouver le même bonheur de jouer une fois rendu dans la NFL. »

En 2008, en ouverture de la saison, malgré une victoire face aux Jaguars à la maison, Vince Young balance deux interceptions et récolte les huées du LP Field. Touché au genou ce jour-là, il s’engueule avec Jeff Fisher sur la touche. Le lendemain, au lieu d’aller faire examiner son ligament au Saint Thomas Sports Park, quartier général de la franchise, il part en trombe de chez lui, rouge de colère. S’il laisse son portable derrière lui, il embarque une arme à feu pour laquelle il détient un permis en bonne et due forme et qu’il prétend traîner avec lui en permanence. Murica. Morte de trouille, Felicia contact les Titans. Informé, Jeff Fisher lâche un coup de fil aux psys des Titans avant de composer le 911. Vince et Bo Scaife auront beau expliquer qu’ils sont allés gober des ailes de poulet ensemble pour décompresser, le gun bien au chaud et déchargé dans la boîte à gants, quand le quarterback se pointe au centre d’entraînement de Nashville à la demande Fisher, un négociateur et huit flics sur les rotules l’attendent. Quand le négociateur lui demande si tout va bien avec sa voix suave et apaisante, le quarterback doit contenir son bouillonnement intérieur.

« Je lui dit, ‘Mec, arrête de me parler,' » explique-t-il à Greg Bishop de SI« Et je regarde Fisher l’air de dire, ‘Tu peux arrêter tout ce cirque, toute cette histoire de suicide.’ Et il reste assis là à ne rien dire. J’ai l’impression que ça le faisait marrer. Il y avait un cameraman de la TV planqué dans les bois, ça ressemblait à un vulgaire coup monté. »

Entre parano et frustration, Vince Young perd les pédales. Surtout, il perd son poste. Sur le flanc pendant trois semaines à cause de son genou, il voit le vieux Kerry Collins lui chiper sa place à mesure qu’il empile les victoires, bien aidé par un rookie supersonique en provenance d’East Carolina. Chris Johnson, ses dreads et ses dents en or. Dix victoires consécutives où, en dehors du succès inaugural face à Jacksonville, Vincent ne voit pas le terrain. Après un premier revers face aux Jets de Mark Sanchez, il balance une passe de 54 yards avant d’exécuter deux génuflexions dans une démonstration de force chez des Lions en route vers l’histoire. Il doit attendre un dernier match sans enjeu et sans relief pour tâter mollement le ballon. Quelques passes sans conviction, quelques yards sans passion au sol et un revers sans grande importance. Deux semaines plus tard, les Titans sont éliminés d’entrée par les Ravens sans que VY n’effleure une seule fois le cuir. Clap de fin sur une saison merdique. Lunettes de soleil sur le nez, chemise à fleur ouverte sur un bide qui s’arrondit, il se barre à Cancún dans l’espoir d’oublier. Et 2009 ne fait que commencer.

À peine arrivé au Mexique pour des vacances dont il rêve depuis des semaines, une coupure, un répit, le téléphone sonne. « Pops est parti. Il est mort. » Le 4 juillet aurait dû être un jour de célébration. Un jour de communion. Un jour de joie. Un jour de fête. Un jour de détente. Le 4 juillet sera un jour de deuil. Le corps transpercé de cinq balles de Steve McNair vient d’être retrouvé dans son appartement de Nashville. À côté de lui, gît celui de Sahel « Jenni » Kazemi, 20 ans. Entre problèmes financiers et suspicion d’adultère à l’égard de Steve, cette gamine qu’il fréquentation clandestinement depuis quelques temps s’est donnée la mort après l’avoir abattu. Il avait 36 ans. Pour Young un vide immense. Impossible à combler.

« J’ai eu l’impression que tout s’effondrait autour de moi, » confie-t-il. « J’avais l’impression de me retrouver seul putain. »

Habité par l’esprit de son père, il reprend les commandes de Titans en perdition et est nommé Comeback Player of the Year par le site web Sporting News. De 0-6 quand il récupère son poste de titulaire, il décroche huit succès et Tennessee finit à l’équilibre pendant que Chris Johnson réécrit l’histoire. 14 touchdowns, 2006 yards et des lignes droites de folie. CJ2K. En semaine 12, face aux Cards, Vincent dégaine 387 yards, mais son esprit est ailleurs.

« En tant qu’être humain, je n’ai plus jamais regardé le foot de la même manière depuis la mort de Pops en 2009, » raconte-t-il de sa propre plume en 2020. « Ce que les gens ne comprennent pas, c’est que je n’ai pas juste perdu un mentor ou un ami. J’ai perdu un père. Les héros ne sont pas supposés mourir. Et jusqu’à aujourd’hui encore, p**ain qu’est-ce que tu me manques, Pops. C’est un vide qui ne sera jamais comblé. »

Tourmenté quand bien même il le dissimule autant que possible, VY achève cette brève saison avec un peu moins de 1900 longueurs dans les airs, près de 300 au sol, une douzaine de touchdowns cumulés et sept interceptions dans un rôle de gestionnaire imprévisible. Mais comme chaque fois avec Jeff Fisher, chaque note positive, chaque signe d’encouragement, chaque lueur d’espoir, est invariablement suivie d’un joli doigt d’honneur. Et le tempérament bouillant du quarterback ne va pas aider.

En 2010, après un début de saison poussif où il manque un match, livre quelques belles prestations comme face aux Raiders ou à Dallas, et passe à côté de son match contre les Steelers, les Titans sont 5-4 et encore en vie. Toujours aussi peu affuté dans les airs malgré cinq années à traîner son imposante carcasse sur les terrains NFL, le lanceur de 26 piges a perdu son coup de rein d’antan. Ce pouvoir d’accélération si létal qui avait fait sa force. De plus en plus contraint à un rôle de pocket quarterback où il se sent vite à l’étroit, il stagne et peut de moins en moins se dissimuler derrière l’excuse de son déficit d’expérience. Et la patience de son meilleur ennemi semble arriver à expiration. En semaine 11 face à Washington, quand il s’étire un tendon dans le pouce droit, Jeff Fisher refuse de le renvoyer sur le terrain malgré l’insistance de son joueur. Fou de rage, Vince balance son casque et ses épaulières, expédie son maillot en tribunes et fonce au vestiaire. Alors qu’il s’apprête à quitter le stade, le head coach l’intercepte. « Tu abandonnes ton équipe, » lui lance-t-il. « J’abandonne ton p**ain de cul, » lui balance le numéro 10. La grande classe.

Pendant ce temps-là, sur le terrain, Rusty Smith prend la relève, lance une interception, les Titans perdent de trois points et disent adieu aux playoffs. Banni des rencontres d’équipe la semaine suivante puis envoyé sur la réserve des blessés, Vince Young ne portera plus jamais les couleurs de Tennessee. La franchise, elle, ne gagnera qu’une seule fois lors des six semaines suivantes. Le calvaire achevé, Fisher est prié d’aller voir ailleurs. Ça aura au moins servi à ça. Des années plus tard, conscient de l’immaturité de son comportement, VY se fendra d’une lettre d’excuse à laquelle le coach, trop orgueilleux, ne donnera jamais de réponse.

« Je lui pardonne, » confesse Vincent. « J’ai encore des regrets. Mais j’imagine qu’il n’en a rien à foutre de moi. »

Une rapide pige de trois matchs dans la Dream Team éclatée des Eagles en 2011, le temps de balancer un peu moins de 900 yards, quatre touchdowns et neuf interceptions, et Vince squatte les camps d’entraînement des Bills durant l’été 2012 puis des Packers l’année suivante avant un pit stop express du côté de Cleveland. Jamais il ne lancera le moindre ballon en saison régulière pour aucune des trois équipes. En mai 2014, il est aimablement remercié par les Browns, quelques jours après qu’ils aient mis la mains sur une starlette texane d’un autre genre. Un certain Johnny Manziel. Autre personnage, même destin. En juin, il se surprend lui-même en envisageant la retraite. Pendant dix jours, il se barre à Dubaï chez un ami boursicoteur. Là-bas, en même temps qu’il observe Abboud gérer son business, il noircit deux cahiers entiers d’idées diverses et variées. Il prépare sa reconversion.

« Il était là, dans un pays qui n’existait même pas il y a 40 ans, » raconte son pote. « Pour un type qui lâchait le football pour repartir à zéro, c’était la métaphore parfaite. Il a réalisé que, oh p**ain, tout est possible. »

Tout est possible, y compris une dernière opportunité dominicale. Car chaque fois que Vince fait le deuil de sa carrière, c’est pour mieux raviver ses espoirs dès le lendemain, incapable de véritablement tourner la page. Et si…

De retour à Austin, Vince Young prend la mesure du gigantesque marasme financier dans lequel il s’est enlisé au fil des années et commence à comprendre pourquoi les franchises NFL semblent l’éviter si soigneusement. Des années de mauvaises gestion malgré des chèques de paye à cinq ou six zéros. Malgré les 35 millions de dollars accumulés, sans compter les contrat publicitaires, les papiers de sa faillite personnelle sont déjà remplis. Ses dettes se chiffrent entre un et dix millions de billets verts. La faute à des gens malveillants ayant abusé de sa confiance. La faute à des amis un brin profiteurs. Comme ce pote à qui il achète deux bagnoles. La faute à des escrocs ayant usé de sa signature à son insu pour financer des prêts dont il ignorait l’existence. Comme cet acteur d’Hollywood qui lui pique 600 000 balles pour partir son affaire. Vince connaît le bonhomme, mais n’a jamais entendu parler de son entreprise. La faute aussi à un conseiller financer et un oncle embauché en guise de manager aux conseils douteux qui ont dû profiter de sa naïveté pour s’en mettre plein les poches. La faute à un manque cruel d’éducation. La faute à des dépenses absurdes. Comme cette note de 15 000 dollars pour un repas à la Cheesecake Factory. « Le repas le plus cher de ma vie, » concède-t-il en se souvenant de ses coéquipiers en train de siffler des shots d’un cognac à plus de 5000 balles la bouteille pendant que d’autres partaient avec des bouteilles de vin hors de prix à la main.

Ses payes, ses trophées, ses cinq bagnoles, sa grosse baraque de Houston, son steak house d’Austin. Le fisc le dépuille de tout ce qu’il possède. Après trois années passées à se faire exproprier de ses biens et à remettre ses finances non seulement dans le vert, mais aussi en conformité avec la loi, Vince entend parler d’une opportunité. Le football est derrière lui depuis longtemps déjà, mais il n’y a pas encore totalement renoncé. Si certaines écuries canadiennes ou d’Arena Football League sont intéressées par ce nom ronflant, peu importe le niveau du bonhomme, la NFL reste muette, elle. En attendant, ses dettes épongées grâce à son pote Abboud, un diplôme de UT en poche, il se dégote un job de commentateur pour le réseau local des Longhorns et donne des conférences sur le campus en échange de quelques billets. De nouveau dans le vert, il investit même dans une petite compagnie de poids lourds et se lance modestement dans l’immobilier après avoir décroché sa licence en décembre 2016.

Mai 2017. À 34 piges, bedonnant, à plus de 3000 bornes des siens, loin de son Texas, loin de la NFL, vautré sur un sofa cheap, Vince Young découvre un autre football. Un autre football grâce auquel il espère remettre sa vie sur les bons rails, 40 mois après avoir fait banqueroute. Ruiné par des dépenses insensées et un train de vie que même son compte en banque de footballeur plein aux as n’était pas capable de tenir. À Saskatoon, dans les grandes plaines mornes de l’Ouest canadien dont il n’avait jamais entendu parler avant que le coach Chris Jones ne lui passe un coup de fil, il renoue avec les vertus de l’humilité et avec un football professionnel auquel il a tourné le dos depuis trois ans déjà. Trois années d’errance. Trois années au cours desquelles il s’est mollement distancié du ballon à lacet. Mollement seulement, car s’il n’a presque pas maté le moindre match, il ne peut s’empêcher d’entretenir un goût d’inachevé à l’égard de ce sport qui lui a tout apporté et tout pris à la fois.

« Parfois je vois un quarterback jouer et je me dis, ‘Ce mec est bidon et je suis là, dans la cuisine, en train de retourner un poulet,’ » confie-t-il non sans mal à SI.

Quand il voit un bust n’ayant pas accompli un quart du dixième de ce qu’il a réalisé sur les terrains NFL comme Blaine Gabbert être signé par des Cardinals désespérés en échange de plusieurs centaines de milliers de dollars, il ne peut s’empêcher de l’avoir mauvaise. « […] Je déteste balancer des noms, mais [Ryan] Fitzpatrick joue encore au football ??? Personne n’a lancé plus d’interceptions, mais on continue à le payer ? C’est quoi ce bordel ? » Chaque soir, quarterback remplaçant de Roughriders qui le surnomment Barbe Grise, épuisé par de longues et intenses journées de préparation grâce auxquelles il peut expugner toute sa frustration, Vince s’écroule dans son petit lit deux places sans prétention. À quoi bon s’infliger ça ?

« Pour finir ma carrière comme je le veux, » explique-t-il à Greg Bishop de Sports Illustrated. « Avant ça, la NFL m’a claqué la porte au nez. Des équipes m’ont claqué la porte au nez. Des propriétaires m’ont claqué la porte au nez. Je n’ai pas arrêté parce que je le souhaitais. Maintenant, je ne pourrai blâmer personne d’autre que moi-même. »

Deux semaines plus tard, Vince rentre finalement aux States. Nouvel échec. Énième échec. Ultime échec. Idolâtré par tout une fac, admiré par tout un État, estampillé star de demain, l’ischio-jambier en vrac après un comeback avorté dans une CFL qui fait la part belle au jeu aérien et où il avait déjà été adopté par ses nouveaux fans, Vince Young est enfin prêt à tourner la page. Ou presque. « Peut-être rejouerai-je au football un jour, » ne peut-il s’empêcher de souffler. « Sait-on jamais. » Le 1er février dernier pourtant, toujours retraité des terrains, il est nommé assistant spécial au sein du département sportif des Longhorns. Là où tout a commencé. Là dont il avait été viré en 2019, la faute à des retards à répétition et de piètres résultats professionnels. Une seconde chance. La boucle est bouclée. Là-bas, il rejoint un autre assistant spécial a voir marqué l’histoire d’Oilers devenus Titans. Un autre natif du Texas. Le Heisman Trophy 1977 et NFL MVP 1979. Earl Campbell.

« J’imaginais qu’il jouerait treize ou quatorze saisons dans la NFL, » confesse Greg Davis, coordinateur offensif des Longhorns en 2006, à Sports Illustrated en 2017. « Je ne comprends toujours pas comment ça a pu finir comme ça. »

Douze ans après son triomphe de Pasadena et après un passage chaotique dans la NFL, Vince Young n’a rien perdu de sa superbe à Austin. « L’un des meilleurs joueurs de foot universitaire, » maintient son coah de UT, Mack Brown. Un type sélectionné sur le podium de la Draft 2006. Un type sacré Rookie Offensif de l’Année. Un type double Pro Bowler. Un type qui aura raflé 31 victoires en cinquante titularisations chez les pros. Un type qui a claqué des high five au Tigre, à MJ et Derek Jeter. Un type qui compte parmi ses potes Snoop Dogg, Jamie Fox, Oprah et Matthew McConaughey, un ancien de Texas et dada des Longhorns dont le père a été drafté par les Packers en 1953. Un type qui aura tutoyé la gloire pendant une nuit de janvier en Californie. Un type qui aura tutoyé son rêve pendant un an avant de rentrer dans le rang. Lentement. Inexorablement. Comme s’il était devenu une star trop vite. Trop tôt. Du titre universitaire à son premier Pro Bowl. Une année de rêve. A one-year wonder.

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