[One-Year Wonder] Sidney Rice : Sweet Carolina

Veni, vidi, (presque) vici

Le temps d’une saison, ils y ont cru. Le temps d’un match, ils ont tutoyé la gloire avant qu’elle ne les fuit inexorablement. Brutalement parfois. Une idylle sans lendemain. Un coup d’un soir. Un one-night stand. Des one-year wonders. Ces stars aussi éphémères que des étoiles filantes.

L’AVANT

Gaffney, Caroline du Sud. Une petite ville d’une dizaine de milliers d’habitants nichée au nord de l’État. Un bled qui doit son nom à Michael A. Gaffney, tenancier d’une taverne branlante habilement érigée au croisement de deux routes stratégiques. L’une descendant des montagnes de la Caroline du Nord jusqu’à Charleston et ses maisons coloniales colorées, l’autre reliant Charlotte et la Georgie voisine. Un bouiboui autour duquel la future agglomération se bâtira lentement au fil du XIXe siècle. Si Frank Underwood, Président cynique et manipulateur de la série House of Cards, y vient au monde en novembre 1959, il faut attendre le premier jour de septembre 1986 pour que Sidney Rice voit le jour. S’il naît à Pickens, à une centaine de kilomètres plus à l’ouest, de l’autre côté de Greensville, c’est bien à l’ombre du Peachoid, ce drôle de château d’eau de 41 mètres de haut en forme de pêche qui trône le long de l’interstate 85 depuis 1981, que Sidney grandit en compagnie de sa mère et ses deux frères.

Une main le long de laquelle les modestes bâtisses aux façades de brique dépassent rarement les deux étages et au fil de laquelle se déploie l’essentiel des commerces de la ville, un musée retraçant l’histoire du coin, son triste Étrangleur de Gaffney qui tua quatre jeunes femmes entre 67 et 68 et sa funeste fusillade de 2009 qui coûta la vie à cinq malheureux, une petite ville américaine comme tant d’autres. Malgré une industrie textile en perte de vitesse après avoir animé le comté durant des décennies, mère quasi célibataire, Ida Coleman s’échine à déplacer des dizaines et des dizaines de bobines fraîchement roulées sur les métiers à tisser mécanisés de l’usine pour subvenir aux besoins de sa petite famille. « Je faisais un travail d’homme, » décrit-elle non sans une certaine fierté. Un boulot exigeant physiquement qui lui vaudra une sévère blessure au dos. Souvent absent, son mari en profitera pour demander le divorce et disparaître pour de bon. Incapable de travailler durant de long mois après son opération, Ida devra se contenter des 300 malheureux dollars mensuels auxquels son invalidité lui donne droit. Une misère. Une épreuve de plus dans la vie de cette ancienne star du basket au lycée qui aura dû renoncer à ses rêves de parquet et même de diplôme de secondaire pour découvrir les joies de la vie active à quinze piges à peine.

« J’ai toujours pratiqué tout un tas de sport, mais je n’ai jamais eu aucun soutien, » regrette-t-elle dans les pages web du Pioneer Press en novembre 2009. « Ça n’a jamais intéressé personne. »

Du noir, du doré, un soupçon de gris parfois. Sous les couleurs des Indians de Gaffney, Sidney Rice ne tarde pas à imiter sa mère et se faire une solide réputation. Lorsque Phil Strikland, nouveau coach fraîchement nommé, débarque à son premier entraînement, il scrute ses nouveaux poulains les yeux gorgés de curiosité. Il ne connait rien d’eux. Il se souvient de cette passe mollassonne lancée par un quarterback dont il ne sait pas encore le nom. Un balle destinée à finir vautrée sur le gazon. Sauf que le parpaing en question est maladroitement balancé en direction de ce receveur longiligne bourré de talent qui le saisit au nez et à la barbe de ses lacets avec une aisance bluffante. Le tacticien vient de faire la connaissance de Sidney. Senior, l’ado vit sa dernière année de lycéen.

« Je me suis dit, ‘Oh mon Dieu, il est aussi bon que ce qu’on m’avait dit !’, » confie Strikland au Pioneer Press. « Tu n’es pas sensé réussir un catch pareil. »

Très vite, le coach comprend que chaque fois que Sidney passera à côté de son match ou ne sera pas suffisamment sollicité, c’est toute l’équipe qui en pâtira. Il sera le baromètre des siens. La saison, les Indians la finiront auréolés du titre de champions d’État. Déjà sacrés un an plus tôt sur les parquets, ils conservent leur couronne et Rice s’offre un doublé pour ses adieux à Gaffney High. Pourtant, malgré sa petite célébrité, l’ado aura toujours préféré faire profil bas. L’attention, les projecteurs, toutes ces choses que tant de gamins de son âge paieraient pour avoir, ça ne l’intéresse guère. Tout ce qu’il souhaite : c’est se faire une place. Tranquillement. Modestement. Se mêler à la masse. Exister sans trop se faire voir. Le plus simplement du monde. Baseball, basketball, football, il brille sur tous les terrains. Tellement que lorsque sa mère ne peut pas régler les frais d’inscriptions, ses coachs mettent volontiers la main au portefeuille pour garantir le bien être de leur poulains et des siens. Et quand il faut filer à l’entraînement, il embarque avec eux. À défaut de pouvoir compter sur un père biologique aimant et présent, il peut compter sur trois pères adoptifs attentionnés et bienveillants.

Un gamin doué et paisible qui donne un peu de répit à Ida. Car si Sidney a tout du fils idéal, Tremell, son aîné, se révèle bien plus revêche. Talent précoce sur le gridiron, Sidney se projette vers l’avenir avec confiance et aplomb. Il n’a que six ans quand, en rentrant de l’entraînement, il lâche à sa mère que lorsqu’il sera pro, il lui achètera sa propre bagnole et sa toute première maison. « Il lui fallait un rêve pour envisager une chose pareille, » en conclut-elle. Pourtant, l’enfance de Sidney n’a rien d’un conte de fée. À l’école, impitoyables, les autres ados se moquent de ses guenilles et de ses pompes trouées, surtout entre la cinquième et la troisième où sa mère peine à joindre les deux bouts. Au collège, quand il est le seul à ne pas porter la même paire de baskets flambant neuves que tous ses coéquipiers sur le parquet, il devient la risée de tout l’équipe.

« Ça a été dur, » commente brièvement Rice. « J’ai souvent été pris à partie. »

Une sale époque. Il ne peut même pas compter sur l’aide de frangins qui le couvrent d’insultes et le malmènent sans une once de pitié à chaque défaite. Peu importe le sport. Peu importe sa responsabilité. Sidney n’a plus que ses yeux pour pleurer à chaudes larmes. Un traitement impitoyable qui alimente une colère profonde et fait naître en lui un sentiment de revanche féroce. Dans cette adversité fraternelle contre nature, il puise un instinct de compétiteur jusque-là insoupçonné. Malgré des coachs bienveillants, Sidney se méfie des hommes qui l’entourent. Y compris de ses frangins et de son beau père avec lesquels il partage pourtant leur petite bicoque. Il n’a besoin que d’Ida et de son amour maternel. Qu’elle n’ait jamais été en mesure de lui offrir une fête d’anniversaire, il s’en balance. Supportrice indéboulonnable en tribune, soutien moral indéfectible, croyante invétérée, alliée indispensable, elle lui apporte un soutien essentiel chaque fois qu’un obstacle se met en travers de sa route. Chaque fois, le même mantra : « Ne t’en préoccupe pas. Ne baisse pas la tête et va de l’avant. » Et c’est ce qu’il fait. Quand tous ses coéquipiers se foutent de ses pauvres sneakers alors qu’ils arborent tous le même model, il ne décoche pas un mot et ne dégaine pas ses poings. Il encaisse.

« Je savais que je n’avais pas d’autre choix que de faire avec, » explique-t-il au Pioneer Press. « Je ne pouvais pas rejeter la faute sur ma mère parce qu’elle faisait tout son possible. Je n’ai pas pour habitude de me plaindre, car il existe bien des gens qui sont nettement plus à plaindre que moi — et pourtant je n’avais rien du tout. […] À qui je pouvais bien m’en prendre ? Alors j’ai continué à tout donner. »

Athlète polyvalent et doué depuis son plus jeune âge, il gagne en maturité physiquement, émotionnellement et intellectuellement en troisième. Sixième homme sur les parquets, il tourne à un séduisant dix points de moyenne avant d’entrer dans la légende des Indians pour son année de senior. Menés de deux points à 1,3 secondes du buzzer, Sidney Rice se retrouve sur la ligne de lancer-franc. Le premier réussi, il manque le second, mais arrache le rebond et déclenche l’hystérie collective en passant le panier de la gagne sur le gong. « On a su à ce moment-là que ce gamin avait quelque chose de spécial, » se souvient son coach, Mark Huff. Et tout à coup, les mauvaises blagues et sales coups s’évaporent dans le cosmos. Le vilain petit canard s’est transformé en cygne gracieux et respecté à défaut d’être admiré. Cette adolescence parfois chaotique, entre brimades et privation, Sidney Rice en parle peu. Il a beau l’avoir couvé quatre années durant, coach Huff n’en a qu’une très vague idée. Même Adrian Peterson et Percy Harvin, ses futurs coéquipiers en violet et amis précieux hors terrain ne savent rien de cette enfance frugale. Ils n’en n’ont pas besoin. Ça ne le définit pas en tant que personne, quand bien même cela a forgé l’homme qu’il est devenu.

« J’aime discuter avec les gens, les faire rire. Je n’aime pas m’épancher sur mes problèmes. »

N’y voyez surtout pas de la timidité. Loquace avec les journalistes, enthousiaste avec les fans, il ne rechigne jamais à engager la conversation et y prend un plaisir authentique. Seulement, il accorde sa confiance avec parcimonie. Et c’est un euphémisme. S’il entretient de belles relations fraternelles avec plus d’un pote du vestiaire, il ne compte qu’un véritable ami. Allen Wilkins. Un des gosses qui s’était foutu de lui quand il était le seul à ne pas porter les mêmes pompes. Élevé par une mère célibataire lui aussi, il aura été son coéquipier en AAU (un organisme de sport amateur), au collège puis au lycée avant que leurs talents respectifs ne les séparent sur les bancs de la fac.

Syracuse ou South Carolina. Quand vient l’heure du choix, comme des centaines de gamins de son âge, Sidney choisit la proximité et le campus bucolique et bicentenaire de Columbia, en plein coeur de son État de toujours. S’il fait banquette pour sa première année, son impact est instantané dès qu’il se pare de la tunique grenat. Redshirt freshman, il n’a besoin que de 70 réceptions pour engloutir 1143 yards et marquer treize fois. Après trois années de disette qui auront coûté sa tête à la légende Lou Holtz, les Gamecocks de Steve Spurrier renouent avec un Bowl. Face au bras affuté et aux jambes de feu de Brad Smith, les douze catchs, 191 yards et le touchdown de Rice ne suffiront pas. Mizzou l’emporte 38-31, mais le receveur filiforme n’en finit plus de faire parler de lui.

72 réceptions, 1090 yards et dix nouveaux touchdowns. Sophomore, Rice livre une copie presque identique à celle de sa première année. Douze mois après le revers de l’Independance Bowl, les Coqs de Combat ont les crocs. Pour la deuxième fois en dix ans seulement, ils remportent le Palmetto Bowl en domptant les ennemis de Clemson. Dans une orgie offensive face aux Cougars de Kevin Kolb, Sidney ajoute huit réceptions, 139 yards et un touchdown à son pedigree, South Carolina assomme Houston et rafle son premier Bowl depuis son double succès face à Ohio State lors des deux premiers Outback Bowl du nouveau millénaire. Cette fois-ci, le gamin de Gaffney savoure. Les exploits personnels ont bien plus de saveur lorsqu’ils viennent souligner une performance collective. La page universitaire copieusement garnie, il est temps de faire du football un gagne-pain et tenir sa parole.

Calvin Johnson le cyborg en route vers le Hall of Fame. Ted Ginn Jr la fusée spécialiste des retours de punt. Dwayne Bowe le mastodonte. Robert Meachem le futur home runner de Drew Brees. Craig Davis le chanteur de pop et bust en puissance. Anthony Gonzalez l’éternel blessé et futur élu Républicain à la Chambre des représentants. Et Sidney Rice. Repêché en milieu de 2e tour, l’ancien Gamecock est le 7e receveur d’une jolie cuvée qui fera encore poireauter quelques tours Steve Smith (celui des Giants, pas le bulldog de la Caroline), Jacoby Jones, James Jones, Mike Sims-Walker et Steve Breaston. Avec son bonus de signature qui dépasse le million de dollars, il tient la promesse faite à sa mère lorsqu’il avait six ans à peine. Une baraque de près de 300 mètres carrés et une Jaguar grise. Une juste récompense pour une femme qui aura consenti tant de sacrifices pour ses enfants. Ida a beau dire qu’elle n’en veut pas, elle est immensément fière. « Il a travaillé tellement fort pour en arriver là. » En fils modèle et aimant, il lui offre même des vacances. Et chaque fois qu’elle trouve le courage d’aller braver le froid du Minnesota, un climat qui ne lui sied guère, il l’invite tous frais payés.

« C’est incroyable. La rendre heureuse me fait un bien fou, » s’enthousiasme Sidney. « Elle n’a pas eu de chance en grandissant et elle a fait tout ce qu’elle pouvait pour mes frères et moi. […] Elle mérite toutes ces choses. Elle a toujours été là pour moi depuis le début. »

En 2007, sans véritable quarterback depuis le départ mouvementé de Daunte Culpepper deux ans plus tôt, entre blessures, boat cruise scandal et envies d’ailleurs, les Vikings décident de bâtir autour d’un coureur, sans trop se soucier encore de la pièce maîtresse de leur échiquier offensif. Avec le 7e choix général, ils profitent des craintes entourant l’état de son genoux pour miraculeusement arracher le phénomène d’Oklahoma : Adrian Peterson. Un des derniers franchise running backs dans une NFL obsédée par les airs où ces bêtes préhistoriques disparaissent les unes après les autres. Lentement. Inexorablement. Au tour suivant, ils troquent quelques choix avec les Falcons pour les laisser sélectionner Chris Houston, le cornerback d’Arkansas, reculent de trois crans et complètent leur ailes avec les longs et fins segments de Sidney Rice en croisant les doigts pour que sa trajectoire ressemble davantage à celle du génial Randy Moss qu’à celle de l’affligeant Troy Williamson, savonnette supersonique draftée en 7e position deux ans plus tôt et incapable d’attraper un ballon. Un ancien de South Carolina lui aussi. Si Marcus McCauley, repêché au tour suivant, ne marquera pas l’histoire de la franchise, Brian Robison illuminera la décennie suivante de sa chevelure soyeuse et de ses skills de pêcheur de quarterbacks sur les flancs de la défense.

Pour sa première saison loin de sa Caroline du Sud natale, au sein d’une attaque portée par l’intenable doublette Adrian Peterson/Chester Taylor et dans une escouade de receveurs faiblarde, Sidney Rice grappille un peu moins de 400 yards et marque quatre fois. En semaine 10, face aux Raiders, il signe un deux sur deux dans les airs pour un scintillant 94 yards, dont 79 sur une flèche qui atterrit dans les bras d’un Visanthe Shiancoe seul au monde. En 2008, s’il croise encore la ligne à quatre reprises, Rice ne parvient même pas à effacer la barre des 150 unités. Famélique. Sans un sursaut, la saison suivante pourrait bien lui être fatale.

LE PENDANT

2009. Le conte de fée. Un running back boulimique qui démolit tout derrière une ligne offensive cinq étoiles malgré le départ de l’ancien de Harvard, Matt Birk, après dix ans de bons et loyaux services auréolés de six Pro Bowls. De la jeunesse, incarnée par l’électrique rookie Percy Harvin, et de l’expérience dans les airs, à l’image de l’ancien Ours Bernard Berrian. La meilleure défense au sol de la ligue derrière les parpaings de chaire et d’os des faux frangins Pat et Kevin Williams et un pass rush vitaminé animé par la plus belle coupe mulet d’Amérique du Nord et les gros biscoteaux d’un Ray Edwards encore plein de promesses. Si l’arrière garde, talon d’Achille d’une formation sans véritable faille, encaisse le départ de Darren Sharper, elle se réjouit des prolongations de Cedric Griffin et Antoine Winfield. Équipés de la tête aux pied, il ne manque plus qu’un quarterback de talent et de caractère pour faire voguer le longskip des Vikings jusqu’à Miami le premier dimanche de février 2010. Le 27 février 2009, le journeyman Gus Frerotte est aimablement congédié et Sage Rosenfels débarque en provenance de Houston en échange d’un coûteux choix de 4e tour. Rien de bien sexy, mais en coulisses, les pontes de Minny s’activent discrètement.

Le 28 juillet, retraité une seconde fois après une brève pige chez les Jets, l’inoxydable Brett Favre informe les Vikings de son intention de raccrocher pour de bon au plus grand soulagement de médias pas emballés à l’idée de replonger dans une nouvelle Brett mania. Le 18 août, plot twist, il débarque sur le tarmac de Minneapolis, passe avec succès les tests de condition physique, signe son bout de papier et enfile l’uniforme violet pour son premier entraînement. La saison des Vikings vient de changer. Un virage à 180 degrés. Celle de Sidney Rice, aussi. Dans le Minnesota, sans véritable star dans son arsenal aérien, l’ancien Packer renoue avec sa réputation d’antan. Celle d’un roi de l’improvisation capable d’inventer, d’étirer les jeux et de faire briller ses partenaires à coup de passes peu conventionnelles et de scrambling improbable pour un type aux tempes grisonnantes. Pas besoin de temps d’adaptation pour cet ancien ennemi juré désormais allié intime. Si les nouveaux l’accueillent à bras ouverts sans le moindre a priori, les plus anciens oublient vite les antagonismes passés. Ils sont tous réunis dans un seul but : gagner.

44 yards. Avec deux secondes à jouer et deux points de retard, Steven Hauschka pénètre sur le synthétique du Metrodome avec la gagne au bout du pied. Sidney Rice a beau avoir réalisé le plus gros match de sa jeune carrière, il tremble comme un feuille. Ses 176 yards en six petits ballons ne pèseront rien sans la victoire au bout. Le botteur des Ravens manque la cible. 33-31. « Si nous avions perdu, j’aurais été dégoûté, » lâche Rice dans les tribunes du Pioneer Press. Après six semaines, les Vikings sont toujours invaincus et après un début de saison au ralenti, le receveur commence à développer avec le passeur à la tignasse couleur neige une complicité de plus en plus instinctive.

« De mes sept années de carrière, cette saison aura clairement été la plus belle, » assure-t-il sans détour au micro de 247Sports en septembre 2018. « Quand Brett Favre a déboulé dans le centre d’entraînement et quand on a appris qu’il allait signer… Les hélicoptères tournaient en rond au-dessus des installations, c’était terriblement excitant. Le simple fait d’avoir l’opportunité de jouer avec une légende est incroyable en soi, mais en construisant et développant une relation aussi intime avec Brett, le football est tout de suite devenu plus amusant. Tout ce qu’il voulait, c’était jouer et s’éclater chaque jour, et on parle d’un type qui a 19 ans de carrière derrière lui. »

Une année surréaliste. À l’image de cette fois où Brett Favre, en violet pour la première fois de sa vie sur le terrain d’un Lambeau Field qu’il connait comme sa poche, attire Sidney à part juste avant le huddle et lui gribouille un jeu à-même la toundra grasse de Green Bay. Résultat : 13 yards et un premier essai. Si le numéro 18 est bien contenu par Charles Woodson ce soir-là, le quarterback décroche un succès majuscule et historique devant d’anciens adorateurs rancuniers. Deux semaines plus tard, après un repos bien mérité et sept victoires au compteur en huit rencontres disputées, Sidney écartèle des Lions à l’agonie. Visé neuf fois, il n’a besoin que de sept réceptions pour entasser 201 yards. S’il n’éclipsera plus la barre des 100 yards avant les playoffs, l’ancien Gamecock continue d’empiler les yards et touchdowns avec régularité et achève la saison avec 1312 unités et huit pions au compteur. Au pied du podium, confortablement installé entre la sensation Miles Austin et l’inaltérable Reggie Wayne, mais à distance respectable des 1569 yards d’Andre Johnson et à quelques yards seulement des 1348 de Wes Welker. Il est temps de passer aux choses sérieuses.

Illustre inconnu pour l’essentiel des Minnesotans, vague visage familier pour les plus renseignés des initiés, le temps d’une saison, Sidney Rice devient soudainement la coqueluche des Twin Cities. Rien de ce qu’il faisait paisiblement et dans le plus parfait anonymat quelques mois plus tôt ne passe désormais inaperçu. Qu’il croque un steak ou déguste des sushis au Seven dans le centre de Minneapolis ou qu’il fasse des emplettes au Cub Foods d’Eden Prairie, il aimante tous les regards et l’enthousiasme de fans qui n’ont plus vécu pareil frisson depuis la folle et déchirante épopée de leurs protégés de 98.

« Dès qu’ils me voyaient, ils étaient soudainement tout excités, » commente-t-il auprès de Pioneer Press en novembre 2009. « Même moi je ne me regarde pas de cette manière. […] Je me disais, ‘Qu’est-ce qui leur arrive ?’ »

Ce qui leur arrive ? Le receveur violet le plus excitant depuis Randy Moss. Le plus prolifique depuis que Nate Burleson a effacé la barre des 1000 unités d’un souffle en 2004. Ahmad Rashad. Sammy White. Anthony Carter. Cris Carter. Jake Reed. Moss. Après un trou de quelques années, la franchise du Minnesota renoue avec son culte des receveurs. Cette célébrité soudaine, il n’y était aucunement préparé. Terre-à-terre, il profite bêtement de ce qui lui arrive. Individuellement, évidemment, mais collectivement aussi. Car comme si le fait d’être devenu le joujou fétiche de la légende Brett Favre ne suffisait pas, Sidney redécouvre le plaisir presque oublié et quasi hebdomadaire de la victoire. Ce sentiment d’être intouchable, invincible presque, qu’il n’avait plus connu depuis ses années de lycéen.

Loin de la provocation et de l’arrogance de nombre de ses paires, Sidney Rice est authentiquement décontenancé par ce sursaut de popularité. Personnalité discrète, il n’est pas du genre trash talker, il ne se lamente pas du faible nombre de passes expédiées dans sa direction, ne se creuse pas le crâne en quête de la célébration la plus tordue qui soit, il ne rechigne pas à bloquer, dit poliment « monsieur » et « madame » lorsqu’il s’adresse à ses aînés et ne répugne jamais à faire des heures sup une fois l’entraînement achevé. En bon soldat, il fait ce qu’on lui demande et distribue quelques hugs et high-fives avec ses partenaires quand il agrippe une passe improbable ou fait bondir l’attaque de 45 yards dans la bonne direction. La sobriété plutôt que l’excentricité. Et le pire, c’est qu’il ne regarde pas ses collèges les plus volubiles voire totalement déjantés d’un mauvais oeil.

« Chacun son truc, » commente-t-il pudiquement. « Certains ont besoin de tout ça pour se motiver. »

En playoffs, contre Dallas, Sidney Rice le marginal va livrer l’une des plus belles prestations aériennes de l’histoire des playoffs. Face à des Cowboys à l’Ouest il n’a besoin d’attraper que six des sept ballons balancés dans sa direction pour entasser 141 yards et claquer trois touchdowns grâce auxquels il égale un record de franchise. Une performance majuscule. Le sommet de sa carrière de footeux. Dès la semaine suivante, muselé par la défense de NOLA, sans le savoir, il amorce la descente. Dans un match au scénario dantesque, les Vikings de 2009 livrent leur plus belle imitation des Vikings de 1998 et laissent filer leur billet pour le Super Bowl. Mais l’heure est encore à l’optimisme.

Trois ans après le bruyant départ du prodige Randy Moss pour la baie de San Francisco, les Vikings pensent tenir son successeur. Longiligne lui aussi. Habile dans les duels. Roi de l’ajustement malgré un léger déficit de vitesse. Un big playmaker. Le complément idéal à un Percy Harvin électrisant. L’avenir semble radieux pour une attaque qui se repose généreusement sur les épaules endiablées du glouton Adrian Peterson. Ça n’est que partie remise.

L’APRÈS

2009. 2010. Du rire aux larmes. Le grand écart. Un quarterback aux tempes grisonnantes à l’agonie, qui a rempilé à contre-coeur et dont on découvre les textos inappropriés envoyés à des employées des Jets durant sa pige new-yorkaise de 2008. Un groupe de receveurs hagard que même le retour foireux de l’idole Randy Moss ne parvient à ranimer. Un Percy Harvin qui s’écroule en plein entraînement et file à l’hosto en ambulance, assommé par des migraines devenues insoutenables. Un coach en roule libre, sans idées et abandonné par son vestiaire qui ne résiste pas aux premiers coups de froid de l’hiver. Un stade en pleine dépression qui s’écroule littéralement sur lui-même sous la pression des éléments. Le chaos. Après avoir tutoyé le Super Bowl du bout des doigts, Sidney Rice et les Northmen vont lentement s’enfoncer dans les abysses d’une saison cauchemardesque à tous les niveaux. Tout ce qui leur avait souris un an plus tôt se met soudainement à s’acharner sur eux. Intouchable, Brett Favre est rattrapé par ses 41 balais. Comme s’il ne s’était pas remis de son incompréhensible interception du Superdome. Blessé mentalement et émotionnellement. Meurtri physiquement. Le corps en compote, il tient péniblement jusqu’en semaine 12 avant de rendre les armes le 20 décembre au TCF Bank Stadium des Golden Gophers de l’Université du Minnesota, résidence d’accueils temporaire de Vikings sans toit. Découragé, le vieux Metrodome s’est affaissé. Épuisé lui aussi, il a cédé sous le poids de la neige. Double symbole d’un franchise en fin de cycle.

Pour Sidney, le calvaire a véritablement débuté à quelques rues de Bourbon Street, en janvier dernier. Dans cette finale NFC déchirante, Brett Favre n’est pas le seul à goûter au traitement viril concocté par Gregg Williams. Blessé à la hanche, il refuse de passer sur le billard par crainte que cela n’affecte ses performances sur le terrain. Fin août, il se ravise finalement et opte pour le bistouri. Il devra attendre fin novembre et une saison déjà enterrée six pieds sous terre depuis des lustres pour renfiler une tunique violette bien pâlotte. Face aux Bills, pour la der anticipée du Metrodome, il agrippe cinq ballons, claque deux touchdowns et galope 105 yards. Ses derniers frissons en Purple & Gold. La réception des Giants au Ford Field est insipide. Celle des Bears sur le synthétique gelé et tapissé de blanc des Gophers vire au carnage. Ce soir-là, Rice attrape la 6300e passe complétée du marathonien Brett Favre. La dernière d’une carrière XXL. Les os en charpie, le quarterback tire sa révérence avec une grimace en travers de la face. Deux mardis plus tard, dans un énième match reporté ou délocalisé à cause des éléments, c’est au tour de Sidney de morfler. Victime d’une commotion, il quitte le terrain de Philly prématurément. Il faudra attendre 2017 et les 1276 yards de l’Undrafted Adam Thielen pour qu’un receveur de Minneapolis franchisse de nouveau la barre symbolique des mille unités. Une première depuis les 1312 pions de Rice en 2009.

Minnesota 2009. Seattle 2013. Tout dans la tête. Loin de ses fulgurances aériennes sous la tunique badigeonnée de violet des Vikings, Sidney se fond tranquillement dans le collectif taillé sur mesure par Pete Carroll. Une défense de légionnaires, un coureur gavé aux Skittles et un quarterback intenable dégoté au 3e tour un an plus tôt. S’il reconnaît une part de chance dans le triomphe total des Seahawks, la mentalité inculquée par l’ancien coach des Trojans de USC demeure le facteur X. Celui qui a probablement manqué aux joueurs du Minnesota quatre ans auparavant.

« Certaines choses vont dans ton sens et d’autres non, » débute-t-il bêtement au micro de 247Sports. « Un des principaux points de notre parcours en playoffs de 2010 a été les turnovers, et c’est un élément essentiel dans n’importe quel match que tu disputes. Quelque chose que l’on nous martelait jour après jour à Seattle. Ils ont fait un boulot incroyable pour nous faire entrer dans le crâne l’importance des revirements en défense comme en attaque. C’est ce qui a fait la différence… Je crois que nous avons échappé six ballons (lors de la finale de Conférence NFC en 2010), alors que nous avons été en mesure de limiter ces erreurs (à Seattle en janvier et février 2014). »

Un parcours auquel il ne contribue que de façon anecdotique. Huit matchs, six titularisations, il capte à peine la moitié des spirales expédiées en direction de ses gants pour 231 yards et trois touchdowns à des années lumières de ses loopings de 2009. Blessé aux croisés fin octobre sur le synthé des Rams de St. Louis, il ne foulera plus les terrains de toute la saison et vivra le vol plané triomphal des Balbuzards vu du banc. En civil, il est les spectateur privilégie de l’avènement de la Legion of Boom sur la pelouse new-yorkaise lors du Super Bowl XLVIII.

Coupé le 28 février 2014, Sidney Rice accepte finalement de rempiler pour une saison de plus dans le nord-ouest des States mi-avril. Le 23 juillet, à quelques semaines de ses 28 piges, il choisit finalement de raccrocher pour de bon et d’épargner à un corps déjà cabossé la commotion de trop. Il a beau ne présenter aucun signe post-traumatique causé par les chocs à répétition, il préfère dire stop avant qu’il ne soit trop tard. Une décision surprise pourtant mûrement réfléchie et que les témoignages des anciennes stars des 80’s et 90’s Tony Dorsett et Herschel Walker cet été-là viendront sceller pour de bon.

« Entendre parler ces types qui habitent la même maison depuis 25 ans et qui soudainement se retrouvent à devoir appeler leur femme pour savoir quel chemin prendre pour rentrer chez eux, » explique-t-il à Heba Kanso et Shanika Gunaratna de CBS News en mars 2015. « Ayant moi-même subi de nombreuses commotions, c’est quelque chose qui m’a vraiment interpelé. »

Du courage, il lui en a fallu pour renoncer à ce pour quoi il vit depuis ses années de lycéen. Surtout dans un sport et un milieu où l’on est conditionné pour performer. Sans cesse. Sous toutes conditions. En toutes circonstances. Un milieu où l’on vous inculque que le moindre signe de faiblesse et de renoncement fait de vous un moins que rien. Pourtant, « la vie vaut plus que le football. » Aussi louable soit-il, l’instinct de compétition ne doit jamais gommer l’intégrité physique et mentale. Et ce dès le plus jeune âge.

« Tu veux retourner sur le terrain, » confirme le receveur. « Tu ne veux pas que les adversaires voient que tu es touché. C’est pour ça que beaucoup de joueurs essaient de rassurer les médecins et de leur faire croire qu’ils vont bien, ce qui n’est clairement pas le cas pourtant. Je l’ai déjà fait durant certains matchs. »

Car des traumas crâniens, Sidney Rice en a connu plus d’un au cours de ses sept années de carrière chez les pros. Après certains tampons tectoniques, il avoue avoir perdu tout souvenir durant plusieurs minutes. Des blackouts terriblement stressants. En quittant la NFL à 27 balais, il espère juste ne pas hypothéquer davantage son avenir. « Je [veux] encore être capable de fonctionner, » résume-t-il simplement. Profiter de sa famille. Profiter de ses amis. Profiter de sa vie tant qu’il est encore en pleine possession de ses moyens. Et profiter de certains de ses anciens coéquipiers aussi. Jeune retraité, il continue d’entretenir d’étroites relations avec ses potes violets Marcus Sherels et Everson Griffen. S’il a pleinement conscience des dommages subis, il ne regrette pas une seconde ses années de footeux.

« Je ne regrette pas le moindre instant passé sur le terrain, » confirme-t-il à CBS. « J’ai aimé chacune des sept années de ma carrière, j’y ai pris un pied incroyable et j’en ai terminé. Il est temps d’aider les autres désormais. »

Loin des terrains, Sidney s’est reconverti en porte-parole de la marque de whisky canadienne Crown Royal, originaire du Manitoba, de l’autre bord de la frontière du Minnesota. En tant qu’ancien sportif professionnel, il agit pour la prévention d’une consommation modérée d’alcool les jours de match et rappelle l’importance d’une bonne hydratation entre chaque verre. Une gorgée de rye, un cul-sec d’eau, une gorgée de rye, un cul-sec d’eau.

« Notre priorité est d’encourager les gens à s’hydrater généreusement, » explique-t-il plus en longueur, parfaitement briefé. « Nous voulons que les gens en tribunes soient responsables et en possession de tous leurs moyens pendant le match, mais aussi sur le chemin du retour. C’est essentiellement une question de sécurité, et vous le savez aussi bien que moi, nous voulons que les gens qui se rendent au stade se souviennent de ce moment et de leur expérience. Nous voulons qu’ils soient en mesure de profiter de toute la rencontre et de le faire de la meilleure façon qui soit. C’est pourquoi nous les encourageons à faire un pause eau entre chaque consommation qu’ils prennent durant le match. Tout les employés ne font pas attention à l’état des clients auxquels ils servent à boire. »

Héros des Indians de la grosse balle orange le temps d’une soirée gravée dans sa mémoire d’ado. Héros de Vikings abonnés aux crève-coeurs hollywoodiens le temps d’une saison mémorable. Héros à l’humilité intacte avant comme après ces moments privilégiés. A one-season wonder.

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