[One-Year Wonder] Ickey Woods : le souffle court

Every Sunday he's shufflin' !

Le temps d’une saison, ils y ont cru. Le temps d’un match, ils ont tutoyé la gloire avant qu’elle ne les fuit inexorablement. Brutalement parfois. Une idylle sans lendemain. Un coup d’un soir. Un one-night stand. Des one-year wonders. Ces stars aussi éphémères que des étoiles filantes.

L’AVANT

Fresno. Une ville sans gratte-ciel pour titiller les rares nuages nichée dans la vallée de San Joaquin qui tient son nom des frênes blancs qui poussent sur les flancs tranquilles des montagnes environnantes. Fresno dans la langue de Cervantes. C’est dans ce quadrilatère géant tracé à la règle et à l’équerre jumelé avec Châteauroux qu’Elbert Woods grandit. En plein coeur d’une Californie où règne un climat désertique chaud alternant entre des hivers courts et humides et des étés aussi interminables qu’atrocement secs. Dans une ville où la violence règne, Ickey — blase qu’il doit aux soucis de prononciation de l’un de ses petits frères — apprend la vie à la dure. Entre la pauvreté et un climat toxique où le danger guette à chaque coin de rue. Un danger qu’il incarne en personne dans les couloirs de son bahut, même lorsqu’il devient père de famille à seize piges seulement, les responsabilités de la paternité ne bouleversent pas le tempérament agressif parfois de l’ado.

« J’ai toujours été un gamin imposant, j’étais le cancre de la classe, » concède-t-il à Don Pierson du Chicago Tribune en 1989. « Je faisais juste déambuler et envoyer valdinguer les autres élèves parce que j’étais le plus grand. »

Après avoir fait ses classes à la Edison High School de sa ville natale, il ne prend même pas la peine de répondre aux questionnaires que lui envoient les différents programmes universitaires intéressés par son profil de running back physique à défaut d’affoler les radars par sa pointe de vitesse. Mais quand les Rebels se montrent insistants, Ickey se résout à laisser femme et enfant derrière lui, tracer vers l’est et traverser la frontière séparant le Golden State du Nevada. Là-bas, il rejoint les Rebelles de UNLV, la seule fac à lui avoir accordé une bourse d’études.  Son bon de sortie. Son ticket doré pour une vie meilleure, loin de la violence des quartiers les plus désoeuvrés de Fresno. En 1984, freshman « sans autonomie, paresseux et peu fiable » d’après les bons mots de son coach, il n’est qu’un simple figurant dans une attaque emmenée par l’électrisant et virevoltant Randall Cunningham. Vegas remporte onze de ses treize matchs et décroche le California Bowl face aux Toledo Rockets dans une rencontre maîtrisée de bout en bout (30-13) où Ickey s’offre enfin du temps de jeu après de longs mois à cirer le banc. Il n’a besoin que de huit ballons pour cavaler 53 yards et croiser la ligne une fois. Car sous la flemme et la mauvaise volonté, se dissimule un semblant de talent. Peut-être bien plus même.

L’année suivante, orphelins d’un Cunningham drafté au 2e tour par les Eagles, les Rebels patinent et Woods reprend racine sur le banc. S’il est en uniforme presque chaque semaine, il n’a même pas besoin de le laver et encore moins de le repasser. Vissé sur la ligne de touche, Ickey doit se contenter de sept ballons faméliques pour péniblement arracher 23 malheureux yards et s’offrir un touchdown totalement anecdotique. En 1986, après le 5-5-1 de la saison précédente, UNLV signe un timide 6-5, mais Ickey se voit enfin confié quelques lignes de dialogue dans une attaque encore balbutiante qui galère à réciter son script. Entre ciel et terre, il accumule 325 pions et marque à quatre reprises. Un maigre bilan aux allures d’amuse-gueule. Car après trois saisons poussives, le running back va tout déglinguer pour ses adieux au Strip et ses casinos bardés de néons. 1658 yards emboutis à une moyenne endiablée de 6,4 unités par course et un dizaine de touchdowns, aucun running back n’engloutit autant de terrain en 1987. Mieux, d’un souffle, que Thurman Thomas et loin devant le futur glouton texan Emmit Smith. Le nom d’Ickey, jusque-là illustre inconnu, se met soudainement à clignoter sur les radars des recruteurs NFL. Face aux Pacific Tigers, les voisins de Sacramento, le natif du Golden State cavale pour 265 yards en 36 courses. Intenable, Woods claque neufs rencontres au-delà des 100 yards et trois au-dessus des 200. C’est alors qu’il vit sa plus belle année d’apprenti footeux qu’un coup de fil glaçant vient refroidir l’atmosphère.

« Je ne sais pas comment c’est arrivé, » explique-t-il au Chicago Tribune en janvier 1989, deux ans après les faits. « Ils m’ont appelé au téléphone. Tout ce que je sais c’est qu’il a reçu 19 balles dans le corps et que sa gorge a été tranchée. C’est tout ce que je sais. »

Il, c’est Andre Horn, son meilleur pote. Lui aussi a grandi dans les rues gangrénées de Fresno. Mais là où Ickey à trouvé dans le football une échappatoire à la misère et la violence qui l’ont contraint à grandir plus vite que prévu, Andre s’est laissé embarquer dans un gang dans l’espoir de trouver un but à sa vie. Au lieu de ça, il en aura précipité la fin. Pour Woods, une raison de plus de tout miser sur ce sport salvateur. Ce sport qui ne va pas tarder à lui donner plus qu’un but, mais aussi un salaire grâce auquel se bâtir un avenir solide et sûr. C’est bientôt le jour de la Draft.

Si Gaston Green est le premier coureur à entendre son nom retentir en milieu de premier tour et que John Stephens et Lorenzo White lui emboitent rapidement le pas, Ickey doit patienter jusqu’au 31e choix général et 4e du deuxième round pour que les Bengals décident de miser sur lui pour redonner vie à un jeu au sol salement amoché par les pépins physiques rencontrés par James Brooks en 87. Neuf choix plus tard, les Bills iront extirper le futur Hall of Famer Thurman Thomas de son Vieux Sud natal pour lui faire découvrir les rives venteuses et frisquettes du Lac Erie. Jamais un joueur de UNLV n’avait été sélectionné aussi tôt dans l’histoire de la Draft NFL. Un petit exploit pour un type qui ne semblait pas vraiment taillé pour le football en débarquant sur le campus de Vegas. Physiquement, certainement, mais pas dans sa caboche cabossée par une enfance à la dure.

Depuis qu’ils ont effleuré le Trophée Vince Lombardi du bout des doigts face aux Niners lors du Super Bowl XVI, les Bengals ont bien changé. Forrest Gregg est parti coacher des Packers lancés à la poursuite de leur glorieux passé. Ken Anderson, le MVP et Joueur Offensif de l’Année en 81 a raccroché les crampons après quinze années de fidélité avec la franchise de l’Ohio. Cris Collinsworth, petit rookie plein d’énergie est devenu un vétéran usé et sur le déclin. Ancien coach assistant de Bill Walsh, le daron de la West Coast Offense, sur le banc des 49ers en 1981, Sam Wyche connait ses premiers émois de head coach. Arrivé à la tête des Bengals en 84, il souffle le tiède et le froid. Malgré un joli 10-6 deux ans plus tôt, Cincy manque les playoffs. La saison suivante, les félins miaulent plus qu’ils ne rugissent et ne récoltent que quatre pénibles succès. Portés par l’imposant Boomer Esiason en attaque, les Bengals sont dans l’impasse. Mais contre tout attente, propulsés par un jeu au sol survitaminé, ils ne vont pas tarder à éteindre tous les doutes et s’inviter à la table des favoris.

LE PENDANT

Rookie moustachu de 22 piges, les cheveux aux épaules et les oreilles percées de « S » doublement barrés à la verticale, Ickey s’éclate. Loin de sa Californie natale, dans un Ohio nettement plus terne, industriel et maussade, son enthousiasme et ses pas de danse sont contagieux. Insouciant, performant, il est le symbole des ces Bengals qui rugissent de nouveau. Chaque fois qu’il croise la ligne, la même chorégraphie. Les bras écartés du corps, légèrement tombants au niveau des hanches. Dans un angle à 90 degrés précis, il récite sa partition. Deux déhanchements et mouvements de bras synchronisés vers la droite, puis la même chose vers la gauche avant d’attaquer le bouquet final. Tout en sautillant sur un pied, il brandit la gonfle à bout de bras, vers le ciel, et la fracasse au sol avant d’agiter ses deux indexes en se trémoussant dans tous les sens et en beuglant « Woo ! Woo ! Woo ! » Le Ickey Shuffle. Un rituel virevoltant, loufoque, venu au monde par la magie de la spontanéité et incroyablement communicatif qu’il partage toujours face au public et entouré de ses coéquipiers, se contrefichant royalement de la pénalité de 5 yards pour « célébration préméditée » que ne va pas manquer de lui flanquer la No Fun League. Pourtant, derrière les apparences débonnaires trompeuses de ces pas de danse, Ickey ne ressent pas grand chose.

« Je ne ressens pas énormément d’émotions lorsque je joue, » confie-t-il au Chicago Tribune. « Je ne fais que mon travail. »

Pourtant, il ne rechigne pas à embrasser sa nouvelle célébrité pour le bonheur des plus jeunes. Aux petits malades de l’Hôpital pour Enfants de Cincinnati ou bien à Mickey Mouse en personne sur la patinoire du show Disney on Ice, toutes les occasions sont bonnes pour faire quelques démonstrations de sa chorégraphie fétiche tant qu’elles permettent d’illuminer les bouilles des plus jeunes de ses fans. Et quand il n’est pas devant les caméras, il bosse comme un acharné, ingurgite le playbook offensif, travaille sur les ajustements qu’il pourrait apporter à son jeu. Le gamin désintéressé et fainéant de Vegas a bien changé. Endurci par la vie et ses tragédies.

« Mon meilleur ami et un de mes demi-frères ont été tués, j’ai commencé à réaliser que la vie peut nous être enlevée à tout moment. Alors tu te mets à vivre au jour le jour, à profiter de chacun d’eux et à ne pas trop te projeter vers l’avenir. »

En 1988, élève et employé modèle, Woods éclipsera la goal-line quinze fois. Symbole de la saison de dingos des Bengals, c’est une véritable Ickeymania qui s’empare de tout le petit monde du ballon à lacet. Bien au-delà du périph de Cincy. Chanson, t-shirts, spots de pub, le Ickey chicken au menu d’un resto de Cincinnati et même un milkshake à son nom. La NFL est dada de ce gros bonhomme de près d’un mètre 90 au regard rieur et au style parfois confus, mais terriblement efficace.

Car cette joyeuse hystérie collective ne se résume pas seulement à quelques déhanchements et beuglements. Enfoui sous son attirail qui fleure bon les 80’s, épaulières démesurées et épaisse protection autour du cou de rigueur, Ickey carbure à un 5,3 yards de moyenne inégalé dans une ligue où les légendes Eric Dickerson, Herschel Walker et Roger Craig dictent leur loi. Intégré peu à peu dans la sauce offensive crémeuse de Sam Wyche, il  n’a besoin que de 203 ballons pour engloutir 1066 yards et mettre la pâtée à la gazelle Marcus Allen, la fusée Bo Jackson, l’autre phénomène rookie Thurman Thomas ou le presque retraité Tony Dorsett. Seul son coéquipier James Brooks, l’éclair retrouvé de ce one-two punch d’enfer, tient la distance avec un 5,1 de moyenne grâce auquel il empile 931 yards en seulement 182 courses et ajoute huit touchdowns. Une renaissance trippante après une campagne 1987 sapée par les blessures. Lightning and thunder. La vivacité du mètre 78 de Brooks et la délicatesse de déménageur du mètre 88 et des cent kilos noueux de Woods.

Pourtant, l’ancien Rebel doit attendre la semaine 4 et la réception des voisins de Cleveland pour enfin se débarrasser de son costume de figurant. Après avoir dû se contenter de trois vieux ballons lors de chacun de ses deux premiers matchs NFL et avoir été mis à la diète lors du précieux succès acquis à Pittsburgh sept jours plus tôt, Ickey porte treize fois la gonfle, amasse 62 yards, signe ses deux premiers touchdowns chez les pros et les Bengals enchaînent un quatrième succès consécutif. La semaine suivante, s’il est bien contenu par la défense des Raiders, il croise une nouvelle fois la ligne et commence à prendre ses aises dans la peinture. Le 9 octobre, sera le jour de son avénement. Face aux Jets, gavé de ballons (30), il engloutit 139 yards, marque deux fois de plus et inaugure sa célébration maison. Même le vénérable Paul Brown, fondateur septuagénaire et proprio iconique de la franchise, est converti par sa femme à cette danse fantaisiste qui n’appartient pourtant clairement pas à sa génération.

« C’était une saison de rêve, » se souvient Ickey dans SI en 1997. « La seule chose qui comptait c’était de marquer et de gagner le Super Bowl. »

Un voeu pieu qui ne se réalisera malheureusement pas. La faute à une bande de chercheurs d’or californiens bien décidés à ne pas lâcher le filon découvert en 1981, après le premier titre de leur histoire soufflé à la truffe des… Bengals. Bill Walsh et Dieu Montana sont toujours là. Si l’imposant Dwight Clark a rangé ses crampons, l’intenable et boulimique Jerry Rice a pris la relève sur les ailes de l’attaque tandis que le rookie d’alors Ronnie Lott est devenu un vétéran impitoyable. Coiffés pour cinq petits points en 1981 (21-26), les Tigres de l’Ohio rendent de nouveau les armes avec bravoure (16-20). Sur la pelouse du Joe Robbie Stadium de Miami, il n’y aura pas de Ickey Shuffle, pas de grognements hystériques, pas de joie communicative, mais des larmes et un immense sentiment de vide.

Intenable face aux Seahawks en ouverture des séries : 126 yards, 5,48 yards de moyenne et deux touchdowns. Plus laborieux, mais ô combien précieux face aux Bills en finale de conférence : 29 courses, 102 yards et deux touchdowns. Impuissant en finale : 20 courses et 79 yards à 3,95 yards de moyenne dans un match où l’attaque n’aura jamais su trouver la faille, devant se contenter des cannes de feu de Stanford Jennings sur un retour de 93 yards pour enfin croiser la ligne et prendre un éphémère avantage. À 34 secondes de la fin, Joe Montana se chargera d’écrabouiller les rêves d’Ickey et de toute la meute de Cincy.

L’APRÈS

Deux semaines. La saison 1989 n’a que deux semaines quand le ligament croisé antérieur du genou gauche d’Ickey rend l’âme. En deux petites rencontres, il n’aura même pas eu le temps d’effacer la barre des 100 yards cumulés, mais aura marqué deux fois. Deux Ickey Shuffles. Les deux derniers avant longtemps. Il ne refoulera plus un terrain de football avant octobre 1990. Un dizaine de matchs, six titularisations et un train de sénateur. 268 yards à 4,2 unités de moyenne tristounets, six touchdowns pour retrouver un peu le sourire, un titre de division centrale après une année blanche en 89, un bain de sang face aux rois du mazout au premier tour (41-14 face aux Houston Oilers) puis la déception. Ickey a beau livrer son plus beau match de la saison (73 yards en 11 courses), Boomer Esiason est à côté de ses pompes, pris à la gorge par une défense des Raiders qui ne concédera que 182 yards en tout. La franchise de Cincinnati dit adieu aux playoffs pour les quinze prochaines années.

L’été suivant, c’est au tour du genou droit d’Ickey Woods de partir en trompette. Une mauvaise blague qui lui coûte les sept premiers matchs de la saison. De retour aux opérations, il est méconnaissable. En neuf rencontres, il empile 97 yards faméliques à 2,69 yards de moyenne. 77 d’entre eux face aux Steelers et Raiders. Le reste, une misère absolue que seuls quatre touchdowns viennent délicatement adoucir. En mai 1992, le gamin de Fresno est coupé. À 26 piges, au chômage après seulement 37 matchs, les genoux en compote, il raccroche. Un coup dur moralement qu’il peine à digérer durant les premiers mois avant de se faire une raison.

Cinq ans plus tard, devenu commercial pour Buckeye Foods, Ickey Woods fait du porte à porte pour vendre de la bouffe surgelée dans les rues pavillonnaires de Cincinnati après avoir jonglé entre des jobs de vendeur de bagnoles ou de systèmes de sécurité pour remplir la bouche de ses six rejetons. Retraité des terrains, reconverti dans un job peu reluisant quand on a goûté à la célébrité, il n’entretient pas la moindre amertume pourtant. Pas de déception. Pas de regrets. Pas de science-fiction contre-productive non plus.

« Je ne me demande jamais, ‘Et si ?’, » explique-t-il à Pau Gutierrez de Sports Illustrated le 15 décembre 1997. « Tout arrive pour une raison. »

Fataliste. Résigné à accepter le destin qui lui a été réservé, il regrette davantage sa piètre situation financière. La faute à un agent aux conseils douteux. Une expérience amère qui lui donne des idées de reconversion. « Les gamins aujourd’hui ont besoin de personnes plus compétentes pour les représenter, » estime Woods. Si sa boite n’est pas encore sortie de terre, elle a déjà un nom : Ovations Management. En attendant que son nouveau bébé voit le jour, il continue de vendre du boeuf, du poulet, des palourdes et autres crevettes congelées pour nourrir sa marmaille, quitte à lâcher un petit Shuffle pour conclure une vente si ses genoux le veulent bien. Un numéro de cirque auquel il se plie volontiers.

« Je n’y vois rien de dégradant, » s’empresse-t-il d’assurer à Sports Illustrated. « C’est ce qui m’a rendu célèbre. Avec une femme et six enfants, je ferais n’importe quoi pour mettre de la nourriture sur la table et des vêtements sur le dos de mes bébés. »

Des gosses qu’il chérit plus que tout. Dans les moments les plus heureux, évidemment, comme dans les plus tragiques. Le mercredi 11 août 2010, il fait une chaleur moite et suffocante à Sharonville, une banlieue verte aisée du nord de Cincinnati. À seize piges, gamin pétri de talent sur les terrains, doué en classe et ayant fait ses preuves sur équipes spéciales au cours de son année de junior, Elbert Jovante Woods est promu au poste de cornerback titulaire en défense. Certains observateurs imaginent déjà le jeune cornerback dans un programme de Division I. Mais ce jour-là, après une journée d’entraînement, il commence à sentir une raideur dans sa poitrine. Soudainement, assailli par l’humidité ambiante, il s’effondre dans la maison familiale. Une crise d’asthme. Un mal qui avait été diagnostiqué dès ses deux ans et avec lequel il avait appris à vivre. Depuis une crise aiguë qui l’avait contraint à passer quelques jours à l’hosto lorsqu’il avait treize balais, les attaques s’étaient faites de plus en plus rares.

Lorsqu’Aubry, le plus jeune de la fratrie découvre son frangin étalé au sol, il prévient immédiatement son père. Emmené à l’hôpital de toute urgence, son cerveau est privé d’oxygène pendant près de trente interminables minutes. Le samedi, après trois jours sous assistance respiratoire intensive, les test effectués à son cerveau ne révèlent pas le moindre signe d’activité. Une demi-heure plus tard, à 20h30, l’ado est officiellement déclaré mort. Ce samedi matin là, c’était le jour de la photo d’équipe des Vikings. En l’absence de Jovante, un de ses coéquipiers au premier rang tenait son maillot à bout de bras. Tous comptaient bien le revoir en uniforme au plus vite. Quelques heures plus tard, il s’endort pour toujours.

« Les gamins l’aimaient tous comme un frère, » raconte Bill Leach, le coach, dans les pages web de The Enquirer. « C’était un super gosse. Il n’y a pas assez de superlatifs pour le décrire. »

Ickey est effondré. Perdre son gamin si tôt, c’est inconcevable.

« […] Jamais dans mes pires cauchemars je n’aurais imaginé que l’asthme puisse me l’enlever, » confie l’ancien Bengal au site Allergy & Asthma Network. « Ça m’a brisé le coeur. Ça m’a déchiré au plus profond de moi car il n’était pas juste mon fils, c’était aussi mon ami. On passait notre temps ensemble. Le perdre a été comme perdre une partie de moi-même. »

Proprio et coach des Cincinnati Sizzle, une équipe de football féminine, Ickey Woods prend brutalement conscience d’une chose qu’il ignorait purement et simplement : l’asthme tue. Une froide réalité dont il ne savait rien quand bien même la maladie fait partie intégrante de sa famille. Jovante, sa femme Chandra, son ainée Allegra et lui-même, tous souffrent d’asthme depuis des années. Tous souffrent d’une condition potentiellement létale. Un mois plus tard, encore ébranlée par le drame qu’elle vient de vivre, la famille créé la Fondation Jovante Woods. Sa vocation : sensibiliser la population à la dangerosité de l’asthme dans un État ou un enfant sur six est victime de troubles respiratoires et amasser des fonds pour aider la recherche.

« Nous nous battrons jusqu’à ce que nous trouvions un remède à l’asthme ou du moins un moyen de mieux le traiter, » insiste Ickey. « Ça me tient à coeur plus que tout. C’est ce pour quoi je me réveille chaque matin. Nous ne pouvons plus laisser des gens mourir à cause de l’asthme. Je veux faire en sorte que les gens n’aient pas à vivre l’épreuve que nous avons eu à vivre. »

À quelques jours du Super Bowl XXIII, tourné vers l’avenir et sa vie d’après, il disait vouloir boucler ses études en travail social, retourner à Fresno et y ouvrir une maison d’accueil pour les ados laissés à eux-mêmes, comme lui. La vie se sera d’elle-même chargée de l’investir d’une nouvelle mission. Héros d’une saison sous les rayures oranges des Bengals, Ickey s’est mué en héros d’une vie au prix d’une perte immense. One-year wonder sur le gridiron, one-life wonder au quotidien.

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