[Statistiques avancées] Peut-on bien drafter ?

Tout pour la chance ?

En 1930, Bert Bell, alors propriétaire d’une franchise des Eagles habituée à la défaite, propose un nouveau concept pour équilibrer son sport. Pour éviter que les meilleurs joueurs universitaires soient attirés par les meilleurs programmes professionnels, il veut mettre en place une loterie qui permettrait aux moins bonnes équipes d’avoir la priorité sur les talents les plus prometteurs.

De son idée naîtra la draft, et 6 années plus tard le premier choix de l’histoire sera choisi par sa franchise.

Mais la draft est-elle vraiment équilibrée comme il le souhaitait ? Des équipes semblent abonnées aux premiers choix pendant des années quand d’autres semblent en permanence prétendre aux Play-off. Cette différence peut-elle s’expliquer par une capacité à mieux drafter que les autres ? C’est ce que l’on va tenter de déterminer aujourd’hui.

L’Approximated Value (AV) de Pro Football Reference

Il est difficile de quantifier l’apport de joueurs jouant à des postes différents car il n’existe pas de statistiques communes. L’AV (Approximated Value) de Pro Footaball Reference essaye d’évaluer l’apport de chaque joueur en regardant les points marqués et encaissés par l’équipe et en distribuant ces points à chaque joueurs en fonction de leur temps de jeu.

Cette statistique ne peut pas être utilisée pour comparer précisément deux joueurs mais elle donne une idée générale de leur niveau. Par exemple cette année dans le top 10 on retrouve des joueurs comme Aaron Donald, Aaron Rodgers, Fred Warner ou Xavien Howard. Pour une étude comme la nôtre avec un très grand nombre de joueurs, son utilisation est pertinente.

Réévaluer la charte de Jimmy Johnson

Jimmy Johnson, entraîneur des Cowboys au début des années 90, est un des premiers à avoir quantifié la valeur de chaque choix de la draft. Sa charte, qui attribue une valeur en point à chaque pick, est encore utilisée aujourd’hui pour négocier les échanges.

Dans son modèle, le premier pick d’une valeur de 3000 points vaut 5 fois la valeur du premier pick du deuxième tour. Passé le deuxième tour la valeur de chaque pick diminue faiblement.

Mais cette estimation vieille de 30 ans est-elle en accord avec la réalité ? Pour vérifier cela on va extraire l’AV total de chaque joueur drafté entre 2000 et 2017 et le ramener au nombre de matchs joués pour avoir une échelle commune.

La courbe bleue (la courbe de tendance), semble montrer que les premiers picks ont un meilleur retour sur investissement que les choix plus tardifs. Ce qui est plutôt rassurant pour les équipes NFL. Elles arrivent généralement plutôt bien à évaluer la place théorique de chaque joueur tout au long de la draft.

En prenant l’équation de notre courbe de tendance on peut avoir une idée de la valeur attendue de chaque sélection en fonction du numéro du choix et donc attribuer une valeur à chaque pick comme dans le modèle de Jimmy Johnson. Cette valeur sera appelée xAV ou AV attendu dans la suite de l’étude.

Pour comparer ce modèle à celui de Jimmy Johnson, il est nécessaire de les mettre à la même échelle. On va exprimer (arbitrairement) chaque pick en fonction de la valeur du 33e choix de chaque modèle. En d’autres termes pour les deux modèles la valeur du 33e choix vaut 1.

Alors que notre modèle, plus lisse, prend en compte l’incertitude de la draft, celui de Jimmy Johnson est incroyablement optimiste sur la valeur des choix du premier tour. Et a, au contraire, tendance à  sous-estimer la fin de la draft. Si il est avéré que les équipes utilisent encore cette méthode, elles surestiment leur capacité à tomber juste lors du premier tour.

Noter chaque Draft

Maintenant que l’on a un modèle qui nous donne une idée de comment doit performer un joueur pour justifier sa sélection on peut déterminer quelles sélections et par extension quelles draft sont réussies. Pour cela on va créer le AVOE (AV Over Expectation, AV au-dessus des attentes). Cette donnée est obtenue par la soustraction de l’AV d’un joueur par l’AV attendue. Ainsi on sait si un joueur à performé au-delà des attentes par rapport à son numéro de sélection.

Pour être plus précis, le modèle a été modifié pour s’adapter au poste des joueurs. Une équipe n’a pas forcément les mêmes attentes quand elle draft un receveur plutôt qu’un quarterback au 3e tour. Cela évite aussi qu’une draft soit plombé par la sélection d’un joueur d’équipe spéciale. En prenant en compte cela, on obtient une valeur d’AVOE qui dépend du poste et du numéro de sélection du joueur.

Voici les 5 meilleures et pires draft du siècle selon ce modèle. Attention la simulation ne dit pas quelle équipe a sélectionné les meilleurs joueurs mais plutôt laquelle a sélectionné les meilleurs par rapport à leur numéro de draft. Par exemple, un Aaron Donald a un AVOE presque similaire à celui d’un Richard Sherman car l’écart de production de Donald par rapport aux autres treizièmes picks est similaire à celui de Sherman avec les autres 154e.

La fameuse draft de 2012 de Seattle est installée tout en haut, avec la sélection de plusieurs titulaires et all-pro en fin de processus. Celle des Broncos de 2009 comporte 2 premiers tour, 3 deuxième tour pour un total de 10 choix. A part Robert Ayers(18e) et Knowshon (12e) Moreno qui ont eu une carrière passable, l’ensemble des 8 autres joueurs a joué un total cumulé de 24 matchs. Cela renforce la crédibilité du modèle.

Prédire les succès futurs

Grâce au travail précédemment effectué, on sait maintenant quantifier la capacité des équipes à avoir le nez creux. On va regarder si cette capacité est répétable dans le temps. Pour une équipe donnée on va regarder s’ il existe un lien entre sa capacité à bien drafter sur une année et sur celle d’après. En abscisse il y a le total en AVOE pour une année donnée et en ordonnée ce même total sur l’année suivante.

Avec un coefficient de 0,05 la corrélation est presque inexistante. On obtient sensiblement la même chose si on regarde par cycle de 3 ans. Il y a certes des tendances d’équipes qui draftent plus ou moins bien. Mais globalement aucune équipe ne sort du lot. La relation entre deux drafts sur deux années consécutives est bien plus déterminée par l’aléatoire que par la compétence des équipes à correctement prédire le niveau futur des joueurs.

C’est pour cela qu’il est dangereux pour les franchises de se fier aveuglément à la charte de Jimmy Johnson qui ne capture aucunement les variations du processus de draft. Peut être que parfois un premier pick vaut bien 5 fois le 33e mais se fier aveuglément à ça serait ignorer l’incertitude de la draft. Les franchises surestiment leur capacité à bien drafter alors que c’est un phénomène fluctuant.

Conclusion

Le processus de la draft est beaucoup trop complexe et aléatoire pour que cela soit retranscrit sur la durée. Les équipes qui ont réussi à maintenir de hauts standards pendant quelques années ont toutes fini par chuter. Après 3 draft dans le top 5 des meilleures de l’année, John Schneider et Pete Carroll sont rentrés dans le rang. Peu importe le talent du staff, la réussite d’un joueur est trop soumise à de l’aléatoire pour être prédite correctement chaque année. En ce sens la draft est vraiment une loterie, personne ne peut la battre consciemment.

Bert Bell voulait la justice lors de la création de la draft, il a finalement eu l’égalité. Chaque année dans les War Room, toutes les équipes peuvent se saluer, car aucune n’est meilleure que l’autre quand il s’agit de chance.

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