[Globetrotteurs] Sebastian Vollmer : Deutsche Qualität

Des passeports étrangers ou des parents expatriés. S’il sont tous nés à des milliers de kilomètres des États-Unis, ils ont tous fini par atterrir sur les rectangles verts de la NFL. Voici leur histoire.

Non, son papounet n’officiait pas en beau treillis de GI sur une des nombreuses bases militaires yankees disséminées un peu partout sur le territoire de la République Fédérale d’Allemagne. Non, il n’est pas le rejeton d’un expatrié ricain. Sebastian Vollmer est un allemand tout ce qui a d’allemand, né en Allemagne de parents allemands et qui s’est amouraché d’un sport qui commençait gentiment à faire son trou outre-Rhin au début du millénaire. Un pionnier.

Grand é-Kaarst

Sebastian Georg Vollmer voit le jour à Kaarst, à l’ouest de la vallée de la Ruhr, dans la grande banlieue de Düsseldorf, en juillet 1984, dans ce qu’on appelle encore l’Allemagne de l’Ouest à l’époque. Bercé par les exploits allemands aux mondiaux mexicains et italiens de 86 et 90, le gamin se prend de passion pour le ballon rond dès son plus jeune âge. Si une autre balle ronde, plus volumineuse et aux teintes orangées, elle, ne le laisse pas de marbre, c’est dans les piscines qu’il signe ses premiers exploits de sportif. Il est à peine ado qu’il enchaîne avec succès les longueurs sur le dos ou au crawl. Mais à mesure qu’ils grandissent, Seb et sa testostérone, cherchent la confrontation, l’affrontement physique et l’esprit de vestiaire. Seul dans son couloir de nage, en tête-à-tête avec lui-même et le chrono, la grande brindille commence sérieusement à ronger son frein.

« Au bout d’un moment, j’ai décidé que je voulais quelque-chose de plus excitant et de plus physique, » raconte-t-il au Boston Globe en septembre 2009. « Et puis, il fallait que je prenne de la masse. »

Habitué de la NFL sauce US et même européenne grâce à la télévision et au Rhein Fire de Düsseldorf, Sebastian est depuis longtemps intrigué, séduit même, par ce sport si singulier, savant mélange de coordination, de discipline, d’une complexe approche stratégique et d’impact physique rugueux. Gâté par ses gènes, l’ado a toujours été grand. Immense même. Un long bébé filiforme qui, après plusieurs semaines passées à soulever de la fonte et s’épaissir un peu, se retrouve enrôlé par les footeux de son club de Düsseldorf. Il a 14 ans, des biscotos, découvre enfin le football vu du terrain et ne connaitra jamais la défaite avec les Panthers de Quirinus Gymnasium. 25 victoires. Zéro revers. Rendu adolescent, il intègre même l’équipe nationale et s’invite jusque dans le All-Star européen.

À l’autre bout du monde, les observateurs de plusieurs programmes universitaires ne sont pas insensibles aux performances de celui qui se transforme peu à peu en véritable colosse. Et après une apparition comme tight end au Global Junior Championships de San Diego en 2003, en compagnie du gratin européen, ce sont 8 offres de bourses d’études qui atterrissent dans sa boite aux lettres, parmi lesquelles : Indiana, Houston, Western Michigan, Delaware, New Hampshire et Louisiana Tech. Seul hic, Seb ne pige pas un mot d’anglais. Ou presque. Pourtant, malgré la barrière de la langue, Vollmer ne se dégonfle pas, fait ses petites recherches en ligne, mise sur le programme texan et, à 20 balais, lâche tout pour partir vers l’inconnu à plus de 8000 bornes de sa Ruhr natale.

« Je pense que c’était le meilleur endroit pour moi, » confie-t-il à propose de Houston. « Un environnement familial. »

Pas trop exubérant. Suffisamment respecté. Pas trop intimidant. Suffisamment compétitif. Le compromis parfait. À cause de soucis de visa, son arrivée à Houston au cours du printemps 2005 est finalement repoussée de plusieurs semaines et c’est toute sa préparation et son intégration à sa nouvelle équipe et sa nouvelle vie qui s’en retrouvent chamboulées. Sans parler qu’entre son accent allemand à couper au couteau et le texan caustique de coach Briles le clash est total et la communication se révèle parfois lunaire.

« Ouais, hors du terrain, la communication n’était pas toujours facile, » reconnaît-il dans les pages du Boston Globe. « Mais tu n’as pas le choix d’apprendre le cahier de jeux au final, peu importe la langue. » 

Cours d’anglais intensifs, bachotage en solo, Sebastian rattrape son retard aussi vite qu’il le peut. Choc des langues, choc des cultures, choc thermique, ses premiers mois sont éprouvants pour les nerfs, mais l’intégration au campus se fait avec une facilité déconcertante se souvient-il. À peine arrivé qu’il est déjà invité à un barbuc par des inconnus dont il ne comprend pas grand chose à ce qu’ils racontent. Pour son année de freshman en 2005, après une première campagne « reshirtée », celui que ses potes du vestiaire ont rapidement rebaptisé « Sea Bass » (littéralement Loup de mer, ndr) jouera 8 rencontres dans un rôle de second couteau aux postes de tackle et tight end. L’année suivante, une blessure au dos le prive de terrain toute la saison. L’occasion d’étoffer ses connaissances du jeu à défaut de pouvoir parfaire sa technique. Si la marge d’apprentissage est encore large, Sebastian ne manque pourtant pas d’atouts. 

« Pour un ado bourré de potentiel, Sebastian avait ce que beaucoup des gros gamins européens et même américains n’ont pas, un instinct de tueur en lui, » explique Jeff Reinebold, ancien coach en NFL Europe qui aura poussé pour que Vollmer décroche une bourse d’études, sur nfl.com en 2015. « Il va naturellement au bout de ses blocs et rentre littéralement dans ses adversaires. Il avait la carrure qu’on recherche et, alliée à cette mentalité de guerrier, c’était évident qu’il avait sa place, au moins au niveau universitaire en tout cas. »

À 100% physiquement et après deux années à bouffer et respirer football, Seb devient rapidement la pierre angulaire du bouclier texan côté gauche. Pour sa dernière année à Houston, il est même nommé first-team de la Conférence USA. Le couronnement d’une saison qui l’aura vu jouer avec brio le perce-muraille pour une attaque au sol vitaminée. Portée par Case Keenum, l’homme de tous les records universitaires dans les airs, c’est toute l’escouade offensive qui rayonne et tourne aux chiffres boulimiques de 575,1 yards et plus de 40 pions par match. La meilleure de tout le pays. Et son Allemand n’est pas étranger à ce succès statistique. « Tu ne peux pas faire ça sans quelqu’un pour te protéger, » résume parfaitement Kevin Sumlin, successeur de Briles à la tête des Cougars en 2008, lorsqu’on l’interroge sur les prouesses hebdomadaires de son quarterback.

Même les recruteurs les plus sceptiques un an plus tôt retournent leur veste : « ce gamin a vraiment quelque chose. »

À bonne école

Pourtant, protéger le côté aveugle du passeur le plus prolifique de tout le football universitaire ne suffit pas à lui offrir une invitation pour le Combine d’Indianapolis. Pas le temps d’être déçu, il est convié au East-West Shrine Game qui se déroulera à Houston pour la 3e année consécutive. L’occasion de se faire remarquer sous les ordres, entre autre, de Dante Scarnecchia, coach de la ligne offensive des… Patriots. Pendant une semaine, le technicien de La Nouvelle-Angleterre le bichonne, lui distille tous les conseils imaginables et prend la mesure de tout le potentiel qui sommeille en lui. Intrigué, Belichick reste prudent. Quid de sa blessure au dos ? De son niveau d’anglais ? Ses highlights universitaires ne l’impressionnent guère. Pas davantage que sa perf au Shrine Game. Est-il fait pour jouer à gauche ou à droite ?

« À mesure que nous l’avons mis à l’essai et que nous avons appris à le connaitre, toutes ces questions se sont évaporées, » explique Bill au Boston Golbe en janvier 2013.

Trois mois plus tard, bien content que son talent n’ait pas été ébruité sous les poutres en acier du pimpant Lucas Oil Stadium, les Pats ne vont pas laisser filer leur chance. S’étant privés de premier tour au jeu des trades, ils vont lâcher le dernier de leurs 4 choix de 2e tour sur ce mastodonte de 2 mètres 03 et 145 kilos.

« Ça a été une surprise pour beaucoup de monde qu’il soit sélectionné aussi haut, mais pas pour nous à Houston, » se souvient Sumlin. « J’ai répété à un tas de recruteurs qui sont venus l’observer qu’il avait une formidable marge de progression. On parle d’un gars qui n’a pas tant joué au football dans sa vie, et ça se voyait d’un point de vue technique, mais qui n’a cessé de progresser à chaque match. »

Pas intimidé par Darth Bellichick ou Tom Brady, Vollmer, premier allemand jamais drafté dans l’histoire de la NFL, impressionne même son coach de par son abnégation et sa soif d’apprendre, quand bien même il lui reste encore beaucoup à assimiler en terme d’impact physique, d’intelligence de jeu et de technique. Tellement que quand Matt Light est forfait en semaine 6 pour la réception des Titans, Bill n’hésite pas un instant à aligner son tackle germanophone rookie pour protéger le côté aveugle de son futur hall of famer de quarterback fraîchement revenu d’une saison blanche. Sea Bass conservera la confiance de son coach lors des 4 semaines suivantes jusqu’à ce qu’il soit à son tour envoyé au tapis par une blessure. Et quand c’est le tackle droit qui tombe au champ d’honneur, Vollmer joue les pistons pour la fin de saison et jusqu’en playoffs. Pas de meilleur gage de confiance.

Rattrapé par ses racines, Sebastian Vollmer se met parfois à vociférer en allemand sous les regards incrédules de coéquipiers qui ne pigent pas un mot de ce qu’il dit. Quand il s’improvise prof d’allemand particulier de Tom Brady pour le bon plaisir du site officiel des Pats, le résultat est désastreux pour le quarterback.

« Je sais pas quoi dire, » s’amuse le tackle. « T’as gagné 4 Super Bowls, des titres de MVP et tout ça. Ça doit être ta kryptonite. »

Tackle ambidextre réserviste appelé en renfort au gré des blessures pour son année de rookie, Sebastian migre définitivement sur le côté droit de la ligne dès 2010, faisant étalage de cette capacité d’adaptation qui séduit tant son coach. Vif d’esprit, capable d’analyser les situations en un éclair, il se révèle incroyablement flexible et s’ajuste aux nouveautés sans ciller. « Peu importe ce qu’on me dit de faire, je le fais, » résume-t-il sobrement. Slalomant entre les pépins physiques, le gamin de Dusseldörf s’impose sur l’extrême droite du bouclier de Tom Brady.

En février 2015, trois ans après le revers d’Indianapolis face aux Giants, Vollmer et les Patriots retrouvent le Super Bowl. Nouveau théâtre. Nouvel adversaire. Nouveau scénario renversant. Mais cette fois-ci, les joueurs de Foxboro sont du bon côté du ballon. À Glendale, Arizona, face aux Seahawks de Marshawn Lynch et Russell Wilson, Malcolm Butler enfile son plus beau costume de héros et Sebastian peut pleurer toutes les larmes de son interminable corps. Il vient de devenir le premier Allemand à poser les mains sur le Trophée Lombardi. 

Le 16 mai 2017, trois mois après avoir décroché une deuxième bague sans jouer et avec 35 kilos de moins, Sebastian Vollmer jette l’éponge sur une carrière de 8 ans marquée du sceau de la fidélité. Pas mal pour un type qui n’a découvert le football qu’à 14 balais, ne pigeait pas un mot d’anglais à 18 ans, au moment de faire ses bagages pour Houston, et n’a découvert la NFL qu’à 25 piges. Made in Germany.

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