À 8 semaines du Super Bowl LII, épisode 43 de notre rétrospective exceptionnelle, le Super Bowl XLIII.
Pittsburgh Steelers (AFC) vs. Arizona Cardinals (NFC) – 1er février 2009
Une histoire jalonnée de succès et d’icônes consacrées au Hall of Fame de Canton. Une histoire jonchée d’échecs et d’inconnus oubliés depuis bien longtemps. Une franchise attachée dur comme fer à sa ville et à son identité. Une franchise errante en quête d’âme. Une équipe aux ambitions assumées et portée par des meneurs accomplis. Une équipe qui se cherche et portée par un leader à bout de souffle. Les Steelers de Pittsburgh. Les Cardinals de l’Arizona. Un invité que l’on attendait. Un invité que l’on attendait plus.
A tale of two franchises
1948-2008. Depuis leurs deux années dorées de l’après-guerre, à l’époque où les Cardinals squattaient encore le Comiskey Park des Chicago White Sox et où un fullback pouvait être couronné MVP, les oiseaux se sont égarés dans une interminable traversée du désert. Sacrés face aux Eagles en 47, défaits par les Eagles en 48, les Cards s’enlisent. Après 11 saisons pitoyables, sans la moindre qualification en playoffs, les piafs prennent leurs ailes à leur coup et déménagement à St. Louis. Après 14 campagnes tout aussi ineptes, ils conquièrent coup sur coup deux titres de division, mais ne passent pas le moindre tour en séries, malgré tout le génie d’un Don Coryell nommé Coach de l’Année. 12 nouvelles saisons sans saveur, un seul détour expéditif en playoffs et les Cardinals refont leurs cartons, quittent le Missouri et s’envolent vers Phoenix. Après 6 années sans la moindre saison dans le vert, les Phoenix Cardinals deviennent les Arizona Cardinals. Nouveau nom, mêmes saisons ternes. Encore et encore. En 98, ils décrochent leur premier succès en séries depuis 51 ans et leur titre de 1947. Une éternité. Balayés par des Vikings records à la puissance de feu démentielle, ils replongent rapidement dans une médiocrité qui semble condamnée à ne jamais les quitter.
50 ans, 15 saisons dans le vert, 3 à l’équilibre, 32 dans le négatif, 4 qualifications en playoffs, un seul succès sans lendemain. La plus vieille franchise de l’histoire. La pire franchise de l’histoire. Depuis sa naissance en 1898, elle semble imperméable à tout progrès, comme vouée à patauger dans les bas-fonds pour l’éternité. Puis 2008 surgit de nulle part. 10 années après leurs retrouvailles avortées avec les séries, les Cardinals sont encore en quête d’identité. En 2007, partagé entre un Matt Leinart indigne d’un premier choix général et un Kurt Warner au crépuscule de sa carrière, à la recherche d’un dernier frisson, Ken Whisenhunt tranche en faveur du double MVP et maître à jouer du Greatest Show on Turf. La peste ou le choléra. Parti de St. Louis après avoir avoir été détrôné par Marc Bulger, Warner est dépossédé de sa place de titulaire par un Eli Manning encore rookie. Le pied à peine posé dans le désert de l’Arizona en 2005, ils destitué au profit de Josh McCown. À coup de performances affreuses, Kurt est incapable de conserver sa place. Et quand les Cards lâchent leur premier choix sur l’ancienne star de USC en 2006, ça sent le moisi. Pourtant, un an plus tard, réinvesti titulaire après la blessure du Heisman Trophy 2004, Kurt Warner retrouve ses ailes. 3417 yards, 27 touchdowns. Autant de touchdowns qu’au cours de ses 5 dernières saison. La magie est à nouveau en train d’opérer.
Confortablement installé dans son fauteuil de titulaire, le quarterback récite son jeu et renoue avec le football génial qui l’avait porté par deux fois jusqu’au Super Bowl. 4583 yards, 30 touchdowns, 14 interceptions, la meilleure évaluation de toute la NFC, Warner gave un trio de receveurs intenable et d’une incroyable complémentarité. Pour la 5e fois seulement dans l’histoire, trois hommes au-delà des 1000 yards. Les 1006 yards et 3 touchdowns de l’électrique Steve Breaston, les 1038 yards et 11 touchdowns du puissant Anquan Boldin, et les 1431 yards et 12 touchdowns du magicien Larry Fitzgerald. Tracés verticaux, courses chirurgicales, doigts de fées, acrobaties en plein trafic, chevauchées folles, numéros d’équilibristes sur les lignes, le trio se paye la totale. Au sol, c’est le choc des générations. Edgerrin James, son physique de buffle et ses 9 saisons d’expérience endossent le rôle de nounou du rookie Tim Hightower et sa longue tignasse. Dans une attaque obsédée par les airs, les deux running backs ramassent les miettes. Une misère. Après deux belles premières saisons dans l’Arizona, l’ancien Colt grappille péniblement 514 yards et croise trois fois la ligne. Athlète imposant et bon receveur, le 149e choix de la dernière draft rafle 636 yards au total et marque 10 touchdowns dans un rôle de goal line back. Près de 368 yard par match, un peu plus de 26 points de moyenne, l’attaque des Cards s’installe tranquillement dans le top 5 de la ligue.
Du muscle et du gras sur la ligne, des cerveaux bien remplis au cœur du jeu et des fusées rentre dedans dans le fond du terrain, la défense a beau ne pas manquer pas de talent, le concept de régularité lui est totalement étranger. Souvent généreuses en points, elle végète au 28e rang de la ligue et se fait régulièrement saigner, dans la victoire comme dans la défaite. 56 points en semaine 4 face aux Jets de Brett Favre, 48 à Philly fin novembre, 47 au Gillette Stadium quelques semaines plus tard. Malgré un Darnell Dockett ennemi public numéro 1 des running backs, un Karlos Dansby homme à tout faire, un Adrian Wilson Pro Bowler et le supersonique rookie Dominique Rodgers-Cromartie, la défense de l’Arizona ne fait peur à personne. Deux victoires, deux défaites, deux victoires. Irréguliers des deux côtés du ballon, les Cardinals avancent à vue, sans trop vraiment savoir où va les mener cette étrange saison. Leur chance, une piteuse NFC Ouest. En semaine 14, 7-5, il leur suffit d’un succès à St. Louis pour s’assurer le titre de division et un premier match de séries à domicile depuis 1947. Kurt Warner ne tremble pas, les Cards iront en playoffs. Battus par les Vikings une semaine plus tard, ils disent adieu à la 3e place de la NFC. En semaine 17, pour l’honneur, ils étrillent les Seahawks et balayent la NFC Ouest pour la première fois de leur histoire.
9-7. Le service minimum. En playoffs, c’est une tout autre saison qui débute. 30 points face aux Falcons, 33 à Charlotte, 32 contre Philly. Portée par un duo Warner/Fitzgerald sensationnel, l’attaque rayonne. Flea flicker, reverse pass, plongeon épique sur le pilonne orange, Larry Fitz régale. Un talent unique. Des 661 yards lancés par son quarterback, le receveur en attrape 419. 5 des 8 touchdowns de Warner atterrissent dans les mains du numéro 11. L’ancien de Pitt signe les plus belles séries jamais réalisées par un receveur et efface le Jerry Rice de 88 des tablettes. Inspirée par une attaque stellaire, la défense se découvre un talent caché pour les revirements et force 12 turnovers. 5 interceptions, un fumble perdu, au Divisional Round, Jake Delhomme vit un calvaire. Les Eagles de Donovan McNabb vaincus dans une formidable finale de conférence, les Cardinals iront au Super Bowl pour la toute première fois de leur histoire. À Phoenix, les Cardinals renaissent de leurs cendres.
À Pittsburgh, c’est une tout autre histoire. Franchise historique sacrée 5 fois et titrée 3 ans plus tôt à Detroit, les Steelers ont tout du favoris. Un jeune quarterback qui joue déjà comme un vétéran, un arsenal offensif riche, une défense en acier trempé et un jeune coach brillant, l’objectif est clair : Tampa. Le Super Bowl XL mal digéré, les Steelmen tombent à 8-8 et Bill Cowher raccroche après 15 années de frustration finalement couronnées de succès. Coach des defensive backs sacré en 2002 avec les Bucs puis coordinateur défensif des Vikings le temps d’une saison en 2006, Mike Tomlin devient le 15e coach des Steelers. À 35 ans, il perpétue la longue tradition des coachs trentenaires de la franchise. Cowher avait 34 ans en 92, Chuck Noll 38 en 69. Des 15 coachs embauchés dans l’histoire de la franchise, 10 avaient entre 32 et 38 ans. Dick LeBeau indéboulonnable dans son rôle de coordinateur défensif, Bruce Arians monte en grade et est nommé coordinateur de l’attaque. Pour sa première saison aux commandes, Tomlin renvoie les Steelers en séries, mais les hommes d’acier se font sortir chez eux par d’insolents Jaguars. Malgré l’impression d’échec, Pittsburgh est sur la bonne voie et la continuité semble assurée.
En week 6, alors que les hommes d’acier savourent leur semaine de congé, les ambitions sont déjà retrouvées. Après plus d’un mois de compétition, les Steelers n’ont perdu qu’une seule fois, chez leur voisin de Pennsylvanie. 4 succès, un revers, une attaque qui vit bien et une défense qui fait lentement, mais sûrement ses armes. Escouade la plus radine en points (13,9 par match) et en yards (237,2), elle amasse 51 sacks. Seuls les Cowboys et leurs 59 tampons sur les QBs font mieux. Si le defensive end Aaron Smith anime le pass rush en signant 60 plaquages et 6 sacks, c’est sur la ligne de linebackers que bat le cœur de la défense. LaMar Woodley et ses 11,5 sacks, le Pro Bowler et Joueur Défensif de l’Année James Harrison et ses 16 sacks, oubliez la finesse, les deux hommes emboutissent tout sur leur passage et se hissent dans le top 10 des meilleurs sackeurs de la ligue. Dans un rôle de vigie plus que de rusher, James Farrior empile 133 plaquages et décroche son billet pour Honolulu. Des plongeons majestueux, une chevelure éclatante, Troy Polamlu et ses 7 interceptions animent le fond du terrain et s’invitent eux aussi à Hawaï.
Sorti d’une saison magistrale à 32 touchdowns et 11 interceptions un an plus tôt, Ben Roethlisberger plafonne un peu en 2008. 3301 yards, 17 touchdowns, 15 ballons volés, s’il continue de commander avec autorité une attaque performante, il manque d’efficacité et replonge dans ses travers de 2006, lorsqu’il avait balancé 23 interceptions. Meilleur receveur de l’histoire des Steelers, Hines Ward signe une nouvelle campagne au delà des 1000 yards et inscrit 7 touchdowns. Derrière lui, un trio aux profils tous plus complémentaires les un que les autres : les jambes de jeu d’un Santonio Holmes drafté au premier tour deux ans plus tôt, les tracés méticuleux de Nate Washington dans le petit périmètre et les solides mains du colosse Heath Miller. Plus de 800 yards pour le premier, plus de 600 pour le deuxième et plus de 500 pour le tight end. Escouade relativement bien équilibrée, l’attaque de Pittsburgh s’appuie sur les appuis de feu du double Pro Bowler Willie Parker. Intenable depuis 3 saisons, le coureur doit pourtant renoncer à 5 rencontres à cause de pépins physiques. En 11 matchs, il parvient à arracher 791 yards et croise 5 fois la ligne. En son absence, le cubique Mewelde Moore, arrivé de Minneapolis au printemps, comble le vide avec ses 908 yards et 6 touchdowns cumulés.
Portés par une attaque balancée, verrouillés par une défense sans pitié, commandés par le Coach de l’Année, les Steelmen se baladent au retour de leur bye week. Malgré deux courts revers en guise d’avertissements à domicile, ils sont impitoyables dans la victoire. 11 semaines, 8 succès et une défense de plus en plus injouable. 4 fois dix points concédés, une seule fois 13, 9 petits pions à Baltimore, 6 à Washington et pas le moindre en clôture face aux Browns. 12-4, le titre de l’AFC Nord en poche, une semaine de congé assurée, ils s’avancent vers les playoffs avec une confiance inébranlable. En séries, c’est pourtant l’attaque qui va se réveiller et porter les hommes de Mike Tomlin jusqu’au sommet de l’AFC. Les Chargers dominés (35-24) dans une rencontre ouverte et excitante, les hommes d’acier plument leurs meilleurs ennemis de Baltimore grâce à un pick-6 de l’inévitable Troy Polamalu en fin de match. Les Steelers s’envolent vers leur 7e Super Bowl. Un de plus que les Broncos et les Patriots. Un record.
Run James, run !
Défense plus solide, conférence AFC plus relevée, les Steelers sont donnés vainqueurs par 7 points. Tight end/fullback passé au travers de tous les cuts pour intégrer les 53 et finalement être largué par les Lions 24h plus tard, Sean McHugh savoure. À Tampa, il va découvrir le Super Bowl pour la première fois. Dans le Michigan, les félins viennent d’accomplir l’impensable : 0-16. La pire saison de l’histoire. Pas assez bon pour intégrer la pire équipe à avoir foulé un terrain NFL, le coureur/bloqueur se retrouve titulaire dans une équipe à une marche de devenir la plus titrée de l’ère du Super Bowl. S’il éprouve un brin de tristesse pour ses anciens partenaires, il déguste en silence sa revanche contre un encadrement qui n’avait pas voulu de lui. Les médias se régalent. Longtemps incertain après avoir été touché en finale de conférence, Hines Ward est bien là, accueilli par un rugissement de joie de l’armée jaune de Pittsburgh au moment de l’échauffement.
D’entrée de jeu, Big Ben trouve ses aises. Entre deux courses bien contenues de Willie Parker, le quarterback décoche deux flèches. 38 yards dans les gants d’Hines Ward, 21 dans ceux d’Heath Miller. En deux éclairs, les Steelers se retrouvent déjà à un yard de l’en-but. Les Terrible Towels virevoltent. Gary Russell sur la gauche, -4 yards. Willie Parker sur la droite, 4 yards, retour à la case départ. 3rd & goal sur la ligne. Sur un bootleg, Roethlisberger pense trouver la faille et ouvrir le score le temps de quelques minutes. Le temps que Ken Whisenhunt jette son mouchoir rouge et envoie les arbitres jeter un œil aux images.
« On dirait Tim Tebow, » lance Mike Tomlin, hilare, à son joueur en attendant le verdict des officiels.
Mike Tomlin sur la ligne, le consultant radio des Cardinals en tribune, les deux hommes partagent le même sentiment : les ralentis ne semblent pas suffisamment concluants pour pouvoir renverser la décision.
« Soyez prêts. Soyez prêts, » glisse Tomlin à un des arbitres sur la touche.
« Prêts pour quoi ? » réplique l’homme zébré.
« Si vous nous enlevez ce touchdown. »
« Ne me criez pas dessus. »
« Je ne peux rien vous promettre. »
Sûr de sa décision, l’arbitre principal revient au milieu du terrain et livre son verdict. Le passeur est déclaré down by contact avant d’avoir croisé la ligne avec le ballon. Mike Tomlin contient sa colère et s’éloigne de l’officiel en hochant la tête. Pas de touchdown, pas de risque, il faudra se contenter de 3 points de Jeff Reed. Un début de match autoritaire en attaque, comme en défense. Frappé, malmené, Kurt Warner, neutralisé sur la ligne et dépossédé du ballon, est sauvé par la vigilance d’Edgerrin James, mais les Cards sont rapidement contraints de rendre le ballon et de reprendre la marée jaune. Big Ben distribue les passes rapides dans les mains de Santonio Holmes et Heath Miller, régale d’une improvisation géniale au milieu d’un pass rush désorganisé et hisse les siens jusqu’aux 7 yards d’Arizona. La défense rouge plie et finit par rompre sur une course en force de Gary Russell qui vient récompenser un drive de près de 7 minutes qui se sera étiré jusque dans les premières minutes du 2e quart-temps. 10-0. Cette fois-ci, pas de miracle pour les Cardinals.
En champion privé de ballon et frustré par un début de match manqué, Kurt Warner va répliquer avec classe. Pas besoin du jeu au sol, le quarterback arrose comme un cinglé dans les airs. Le passeur gave Edgerrin James et Steve Breaston de ballons dans le secteur court avant de dégainer. Larry Fitzgerald verrouillé par une défense déterminée à lui pourrir la vie, Anquan Boldin prend le large. Sur une rapide passe, lancé sur une crossing route dans le périmètre intermédiaire, le numéro 81 s’empare du cuir, cavale le long de la ligne et résiste à un plaquage avant de finalement être fauché par le retour in extremis de Ryan Clark, 45 yards plus loin, à un pas de la peinture rouge. Kurt Warner manque de trébucher dans les pieds de sa ligne sur le snap suivant, garde son équilibre, se retourne à toute vitesse, dompte un James Harrison bondissant et envoie une délicieuse fade pass dans le trafic vers le gros Ben Patrick. Le tight end et ses mains de fer ne tremblent pas. 10-7.
Inspirée par le réveil de l’attaque, la défense du désert se met en branle et martyrise un Ben Roethlisberger harcelé de toutes parts. Entre deux tampons à faire pleurer vos côtes et un crachin de mouchoirs jaunes, les deux équipes se neutralisent et s’échangent les punts coup sur coup. À peine le temps de remettre les mains sur le ballon, Big Ben envoie une passe contre les mains d’un lineman défensif en pleine extension, le cuir décolle à la verticale pour retomber dans les gants d’un Karlos Dansby opportuniste comme jamais. Il reste 2 minutes à jouer et 34 yards à combler aux Cards pour prendre les commandes du match juste avant la pause. 1st down. Temps mort. Nouveau 1st down. Nouveau temps mort. Les protégés de Ken Whisenhunt se retrouvent à un yard de la ligne avec 18 secondes à jouer et plus le moindre temps mort en réserve.
Deux dernières passes. Pas plus. Ou il faudra se contenter de 3 points. Snap, Kurt Warner s’attend à ce que James Harrison se rue sur lui, sait déjà à qui il va lancer le ballon et adresse une rapide passe en direction d’Anquan Boldin dans le slot. Jamais le cuir n’atteindra les gants du receveur. Descendu en douce en couverture, Harrison surgit devant lui, vole la balle sur ligne et s’envole, escorté par une nuée de défenseurs transformés en bloqueurs. Warner rembarré, le Joueur Défensif de l’Année résiste au retour du tight end, poursuit sa course folle le long de la ligne, évite Tim Hightower, envoyé bouffer le gazon par derrière, saute par dessus un partenaire et résiste aux retours conjugués, mais vains, de Steve Breaston et Larry Fitzgerald pour finalement s’écraser dans la peinture jaune moutarde le casque le premier, 100 yards plus loin. Hystérie générale. Vide sidérale. Les Cardinals viennent de se faire poignarder en plein cœur. Harrison peut bien rester étendu sur le dos, en étoile de mer, il vient de réaliser l’une des actions les plus insensées de l’histoire du Super Bowl. Spectateur amorphe dans une zone blanche où il n’aurait pourtant pas dû être en bord de terrain, Antrel Rolle s’est mué en allier malheureux de James Harrison en faisant obstacle à la remontée folle de Larry Fitzgerald. Sans lui, le receveur aurait sûrement réussi à revenir à temps sur le linebacker. À cause de lui, il est arrivé trop tard. Toutes les étoiles se sont parfaitement alignées pour les hommes en jaune. 17-7. Les Steelers rentrent au vestiaire le cœur battant. Dans l’autre vestiaire, les cœurs se sont arrêtés.
3 minutes pour l’histoire, 3 minutes pour la gloire
La bête blessée, ne reste plus qu’à l’achever. Bruce Springsteen retourné calmer sa voix en coulisses, la défense de Pittsburgh reprend son travail de sape et rentre dans le lard d’une attaque du désert hagarde. Encore sonnés par une fin de première mi-temps déchirante, les Cards avancent au ralenti et sont de nouveau sauvés par un challenge opportun de Ken Whisenhunt. Sacké et dépossédé du ballon par James Farrior, Kurt Warner échappe au désastre. Les arbitres jugent qu’il s’agissait d’une passe non complétée et annulent le fumble. Les Cardinals doivent punter. 79 yards, 14 jeux et 8 minutes 39. Les Steelers vont monopoliser le ballon sur un interminable drive qui les propulse jusqu’aux portes de la endzone. Jeu minimaliste dans les airs, courses à répétition, les Steelmen profitent de l’excès d’engagement d’Adrian Wilson sur une tentative de field goal pour récupérer 4 nouveaux essais à 4 yards de la ligne. 2 yards de Willie Parker dans la bonne direction, passe ratée, un yard de Big Ben dans la mauvaise direction, Jeff Reed ajoute 3 points et conclue la seule série offensive de Pittsburgh de toute le 3e quart. 20-7.
Pendant que l’attaque du désert bafouille son football, la défense monte en intensité, renvoie Roethlisberger 12 yards en arrière sur un sack de Darnell Dockett et les deux formations s’échangent les punts. Remonter 13 points pour remporter un Super Bowl, jamais personne ne l’a fait. Il reste 11 minutes 30, Kurt Warner et Larry Fitzgerald enfilent leurs costumes de superstars. 13,18, 6, 22, 18, 6, 3, 1. Le quarterback mitraille comme un demeuré, complète 8 passes consécutives, traverse 87 yards en moins de 4 minutes à coup de no huddle offense impossible à contenir pour une défense qui s’épuise et relâche une fade passe parfaite pour Fitz. Le receveur agrippe le ballon malgré l’excellente couverture d’Ike Taylor et libère le banc de l’Arizona. 20-14. En plus de trois quart-temps, le numéro 11 n’avait capté qu’une seule misérable passe pour 12 petits yards. En un drive, il aura attrapé 4 ballons pour 41 yards et un touchdown. La cible à abattre est toute trouvée. Si les Steelers ne parviennent pas à contenir le réveil du volcan Fitzgerald, autant tout de suite commencer à creuser leur tombe.
Survoltée, la défense bouffe Big Ben tout cru et Dockett renvoie de nouveau le quarterback en arrière pour une nouvelle perte de 10 yards qui contraint les Steelers à rendre le ballon bien trop rapidement. Malgré quelques passes réussies et une poignée de pénalités généreusement offertes par les Steelmen, les Cards choisissent de punter à 36 yards de la ligne. Ben Graham dépose un coup de pied parfait et Roethlisberger se retrouve acculé contre son en-but. Prendre un peu d’air, forcer les hommes de l’Arizona à griller leurs temps morts et décrocher quelques 1st downs, l’objectif est simple. Surtout, prendre soin du ballon à tout prix. À trois minutes 30 de la fin, la moindre erreur se payera cash. Et les Steelers vont rapidement passer à la caisse. Après une passe ratée et une course stérile de Willie Parker, Whisenhunt utilise son premier temps d’arrêt. 3e et 10, Big Ben en shotgun dans sa peinture, la pression se referme autour de lui, le passeur dégaine et trouve les mains de Santonio Holmes 19 yards plus loin. Dominique Rodgers-Cromartie frappe la pelouse de rage, Roethlisberger lève les bras au ciel de soulagement, un mouchoir jaune s’écrase dans l’en-but, juste derrière lui. Justin Hartwig est épinglé pour un holding dans la endzone. Safety. Incroyable. Improbable. 20-16. Rien n’est fait.
Lentement, le match est en train de basculer dans les mains des Cardinals. Brusquement, il va chavirer en faveur des hommes du désert. La marée jaune s’agite en tribune, s’époumone de tout son être et soudainement, se terre dans le silence. Dans un fauteuil dans sa poche, Kurt Warner vient de trouver Larry Fitzgerald dans le slot. Le receveur évite un plaquage et écrase la pédale d’accélérateur. Une ligne droite, les yeux rivés sur l’écran géant pour guetter ce qui se passe derrière lui, direction la peinture jaune, direction le Paradis. 67 yards. Fitz explose de bonheur. La cerise sur le gâteau de séries inégalées pour un receveur. 23-20. Pour la première fois du match, les Cardinals virent en tête. Il reste 2 minutes 30 à tenir pour une défense qui n’aura concédé que 3 points de tout le second acte. 2 minutes 30 pour un premier titre inespéré. 2 minutes 30 pour écrire la plus belle page de l’histoire de la seule franchise centenaire de la NFL.
« Ça aura été l’histoire de notre saison, » confiera Mike Tomlin au NY Times. « Le football sauce Steelers dure 60 minutes. Et ça n’est jamais de tout repos. »
Des regrets ou la postérité. Tom Brady l’a déjà fait, Big Ben peut le faire. 9/21, 2 interceptions. 3 ans plus tôt, à Detroit, il avait été rattrapé par l’enjeu. Dans la nuit nuageuse de Tampa, c’est un autre homme. Calme, sûr de lui, sûr de ses partenaires, prêt à danser un slow avec l’histoire.
« Je leur ai dit, ‘C’est maintenant où jamais les gars. Si on y arrive, on se souviendra de nous pour toujours.' »
Mewelde Moore fauché derrière la ligne, Chris Kemoeatu pris par la patrouille pour un holding, la première action se déroule bien mal. Les 78 yards à combler se transforment en 88. Santonio Holmes un coup, Nate Washington l’autre, Ben Roethlisberger alterne entre les deux hommes et en quatre passes, une petite course et quelques tours de magie, il bondit de 38 yards. Les Steelers utilisent leur 2e temps mort, il ne leur reste plus que 50 yards à combler et 62 secondes à exploiter le plus intelligement possible. Marquer sans donner suffisamment de temps pour répliquer. Hines Ward relégué au rôle d’appât, le go-to-guy tout désigné de cet ultime drive s’appelle Santonio Holmes. Sur le logo en plein centre du terrain, le quarterback feinte et trouve les mains du numéro 10 sur un tracé court dos aux poteaux. Le receveur se retourne en un éclair, profite de la glissade d’un défenseur, dévale le terrain comme un fou, repique vers l’intérieur pour casser un plaquage et se fait finalement reprendre 45 yards plus loin, à 5 yards de la peinture rouge sang. Pittsburgh grille son dernier temps mort, il reste 49 secondes. Sur le bord du terrain Anquan Boldin fait les cent pas.
Hut ! Big Ben lève la tête, fait glisser le ballon le long de ses doigts et expédie le cuir vers le coin gauche de l’en-but, en direction de Holmes. Raté. La passe s’enfuie entre les doigts du receveur. Deuxième chance. Hut ! Big Ben attend derrière une ligne étanche que le jeu se développe, aperçoit Santonio Holmes dans le coin de la peinture, planqué derrière trois défenseurs et balance une passe à insensée. Trajectoire parfaite, directement dans les gants. Les orteils étendus au maximum, le receveur réalise un numéro de funambule fabuleux. Les mains solides, les deux pieds dans le terrain, touchdown ! Renversant. Déchirant. Délirant. 27-23.
« Je savais que c’était un touchdown à 100%, » commentera Holmes après le match. « Mes pieds n’ont jamais quitté le sol. Je n’ai eu qu’à tendre les bras et me dresser sur mes pieds pour attraper le ballon. »
Tellement facile. Pris d’assaut par les Terrible Towels, le Raymond James Stadium bascule en pleine hystérie. Agenouillé, les gants accrochés à sa grille, le regard dans le vide, Larry Fitzgerald n’en croit pas ses yeux. Il y a quelques secondes encore, il était le héros de ce match. 20 derniers yards dans les bras de l’intenable numéro 11, 13 dans ceux de J.J. Arrington et LaMar Woodley achève tout suspense en démolissant Kurt Warner. Le ballon saute de ses mains, Brett Keisel s’en saisit. Il reste 15 secondes et plus aucun temps mort de part et d’autre. Jeu, set et match. Dénouement magistral pour l’un des Super Bowls les plus grandioses jamais disputés. Les Steelers deviennent la franchise la plus titrée de l’histoire du Big Game.
« Nous n’avons jamais cessé de croire en nous, pas une seule seconde, » expliquera Hines Ward. « Nous avons maintenu notre cap. Santonio Holmes s’est vraiment fait un nom aujourd’hui. […] Ça en dit long sur notre équipe. Nous n’abandonnons jamais. Revenir et gagner de cette manière, c’est incroyable. »
Les Cardinals viennent de passer à deux doigts d’un fabuleux destin. Pourtant, dans la défaite, ils se sont trouvés une aura, une âme, une identité, une force. Terrassés sur un ultime drive. The Drive of a Champion. Une série pour le titre, l’instinct du champion. L’instinct de Steelers habitués des grands rendez-vous. Après des décennies de médiocrité, les Cards ne font plus rire. Vaincus au bout de leurs forces, comment ne pas éprouver de sympathie pour cette équipe déterrée du désert, portée par un Larry Fitz magique et un Kurt Warner sans âge ? Une petite victoire, une maigre consolation, mais une immense désillusion. L’instinct du champion aura été plus fort.