Quatre fois 15 minutes. Deux fois 30. Un match de football, c’est 60 minutes de jeu effectif, entrecoupées de multiples poses tactiques et techniques. Entrecoupées de pub diront les profanes et mauvaises langues qui ne saisissent pas les subtilités du jeu et ne savent apprécier à leur juste valeur les dix mille ralentis que nous proposent les diffuseurs. Le 25 décembre 1971, les Chiefs et Dolphins se sentent bien sur le terrain. Tellement qu’ils décident d’offrir aux fans un peu de rab. Beaucoup même. Une prolongation. Puis une seconde. C’est Noël après tout. 82 minutes et 40 secondes. Le match le plus long de l’histoire de la NFL.
Mano a mano
Pour leurs grands adieux au vieux Municipal Stadium de Kansas City, les Chiefs de l’iconique Hank Stram, le seul coach que la franchise ait connu, accueillent les Dolphins de Don Shula. Après un décevant 7-5-2 aux allures de gueule de bois post-victoire au Super Bowl en 70, les joueurs du Missouri redressent la barre. Portés par une défense presque identique à celle qui avait conquis le titre deux ans plus tôt, ils s’offrent le meilleur bilan de l’AFC. 10-3-1. Le même que leurs visiteurs du jour. Seuls les Cowboys et Vikings font mieux. Pour la première fois depuis 5 ans, ils s’emparent du trône de leur division. Une éternité pour une franchise forte d’un bilan de 87-43-3, le meilleur de l’histoire de l’AFL.
À côté, les Dolphins font figure de bizuts. Arrivés depuis 6 ans dans une AFL en pleine expansion, ils tentent de se faire une place. Lentement, mais sûrement. En l’an deux de l’ère Don Shula, les Floridiens retrouvent les playoffs avec un espoir simple : passer un tour cette fois-ci. Neuf ans plus tôt, en 62, les Dallas Texans de Stram et les Houston Oilers s’étaient entredéchirés 77 minutes et 54 secondes durant pour s’emparer du titre de l’AFL. Le match le plus long de l’histoire du football pro alors. L’année suivante, les Texans déménageaient dans le Missouri et devenaient les Chiefs.
Au soir de Noël, les deux équipes ouvrent les hostilités des séries 1971. Le majestueux écrin des Chiefs est plein à craquer, le ciel nuageux, la température digne d’un début de printemps. Des conditions idéales. Et ça tombe bien, car les joueurs ne sont pas prêts de quitter le terrain. Au grand dam de certains.
« C’est dur d’être loin de chez vous à ce moment de l’année, » raconte Bob Griese, le QB des Dolphins. « Tu n’est pas seulement loin de chez toi le jour de Noël, tu l’es aussi le lendemain. Tu te réveilles le matin de Noël et te dis : est-ce vraiment ce que je devrais être en train de faire aujourd’hui ? N’est-ce pas le pire jour pour joueur au football ? »
Peut-être bien, mais la NFL a décidé d’innover et de tenter le coup. À travers tout le pays, ils sont des millions à oublier le sapin de Noël quelques heures pour river leurs yeux vers l’écran de TV de la maison. Que le spectacle commence !
Les locaux frappent les premiers. En douceur. Un court field goal de Jan Stenerud pour enfin débloquer le tableau d’affichage. Puis le All-Pro Willie Lanier entre en scène. Auteur d’une saison MVP-esque – si seulement le Viking Alan Page n’avait pas eu la mauvaise idée de faire mieux encore, le middle linebacker intercepte Bob Griese et s’échappe jusqu’aux portes de la endzone. Len Dawson finit le travail et envoie Ed Podolak dans la peinture, 7 yards plus loin. Les joueurs du Missouri prennent le contrôle des opérations. Mais pas pour longtemps.
Bob Griese attaque l’opération repentance sur le drive suivant. Quelques passes ajustées et Larry Csonka et sa moustache plongent dans la endzone. Comme les Chiefs dans le premier quart, les Dolphins vont s’en remettre à leur défense pour recoller. Podolak enfile son costume de Père Noël et échappe le ballon dans son propre camp. Les homes de Don Shula se saisissent du cadeau, Garo Yepremian ouvre le paquet de 14 yards et les Floridiens égalisent. C’est la pause. 10-10.
That’s 70’s show
Au retour des vestiaires, les Chiefs monopolisent le cuir sur un drive interminable. 15 jeux, 75 yards, près de 10 minutes bouffées au chrono et au bout le colosse Jim Otis, pour un dernier yard tout en force. Du grand art. Les Dolphins répliquent rapidement là-aussi dans un flagrant délit de plagiat. À la conclusion, une course de un yard et un autre Jim, Kiick. Et une autre moustache 70’s qui plonge la tête la première dans la peinture ! 17-17. Les deux équipes ne se lâchent pas. La moindre erreur sera fatale. Ou pas.
Alors que la fin du match se profile gentiment à l’horizon, le linebacker Nick Buoniconti recouvre un fumble des Chiefs. Les Fins sont dans la redzone. C’est le moment ou jamais de saisir le momentum. Ils n’en auront pas le temps. Sur l’action suivante Bob Griese envoie le ballon dans les bras du safety Jim Lynch, à 9 petits yards de la Terre promise. Lawson orchestre la remontée du terrain. Une bombe de 63 yards dans les mains d’Elmo Wright et Podolak retrouve la endzone, 91 yards plus loin. Serein, pas stressé par les secondes qui s’égrainent, Griese distribue les passes à son tour jusque dans l’en-but, pour son tight end Marv Fleming. 24-24. Il reste une minute 25. Tic-tac, tic-tac. Décidé à en finir vite, Ed Podolak attrape le coup d’envoi, et remonte le cuir à toutes enjambées, 78 yards plus loin. Les Chiefs sont à deux doigts de la zone rouge. Le match leur tend les bras. Ils n’ont plus qu’à gérer le chrono. Mais Jan Stenerud se sent visiblement bien sur la pelouse du Municipal Stadium. Avec 35 secondes à jouer, le d’ordinaire extrêmement fiable kicker expédie sa tentative dans le parking. Direction les prolongations.
Et rebelote. Podolak cavale jusqu’à la ligne médiane sur l’engagement, mais la tentative de 42 yards de son kicker est bloquée. À se demander s’il ne le fait pas exprès. #JeSuisBlairWalsh. Dans une première période où les deux équipes jouent la peur au ventre, Yepremian se manque aussi de 52 yards. C’est parti pour une deuxième période de prolongation. Quand on aime, on ne compta pas paraît-il. Et quand le safety Jake Scott intercepte Lawson, les Dolphins sont incapables d’en profiter et doivent rendre le ballon. La tension grimpe. Puis la délivrance. Pas plus inspirés, les Chiefs sont contraints de punter. Miami appelle un Roll Right, Trap Left. Déterminé à en finir, Csonka enfonce la ligne dans sa finesse de fullback habituelle et s’échappe sur 29 yards. Parfaitement mis sur orbite, Yepremian le Chypriote gaucher, tout un concept dans la NFL, enfile son costume de héros et brise le rêve de 45 822 fans.
« QUand je suis entré sur le terrain, c’était comme si le stade était vide, » se souvient Yepremian. « Ça a été le moment le plus paisible de ma vie. »
Un silence de mort. Le temps semble s’être suspendu. Yepremian, s’élance, frappe le cuir, puis attend. Le Municipal Stadium est transformé en cathédrale. Le silence, puis la délivrance. Le kicker hurle de joie, les bras au ciel, pareil à un arbitre. 24-27. Plus de 7 minutes de jeu dans la deuxième prolongation. 82 minutes et 40 secondes record. Seulement 3h21 de temps réel. Au four et au moulin toute la journée, Ed Podolak aura englouti 350 yards. 110 en 8 réceptions, 85 en 17 courses, 154 sur retour de coup d’engagement et deux pour la forme sur retour de punt. Un record de playoffs qui tient toujours. Le quatrième plus gros total de l’histoire.
« Je ne crois pas qu’un seul joueur, dans un gros match, dans un immense match comme celui-ci, n’ait jamais réalisé performance pareille à celle d’Eddie Podolak, » commentera son coach, Hank Stram, après le match.
Pas en reste, le linebacker Nick Buoniconti achève la rencontre avec la bagatelle de 20 plaquages au compteur. Les Chiefs sont en vacances. Les Dolphins iront défier des Colts champions en titre. 22 jours plus tard, il s’inclineront face aux Cowboys dans le Super Bowl VI. Un coup raté, mais pas un coup pour rien. En un coup de pied gagnant, Yepremian vient de sceller le destin d’une dynastie. En 72, les hommes de Don Shula ne goûteront pas une fois au parfum aigre de la défaite. 17-0. Le Big Game VII à la clé. La saison parfaite. La seule dans l’histoire. Un an plus tard, ils signeront un doublé. Les Chiefs devront attendre 93 pour conquérir à nouveau le titre de division. Une éternité. Destins croisés. Malgré son un sur quatre, le héros malheureux de ce match, Jan Stenerud, premier Norvégien de la NFL, deviendra le premier kicker pur sang à entrer au Hall of Fame.
Le match le plus long de l’histoire vient de faire son entrée au panthéon des plus illustres rencontres jamais disputées. Un combat interminable qui demeure ancré dans la mémoire de milliers de spectateurs ou téléspectateurs.
« Où que j’aille aujourd’hui, on me parler encore de cette victoire, » raconte Bob Griese. « C’est comme si les gens se souvenaient davantage du match le plus long que du Super Bowl ou des World Series. Il y avait quelque chose de spécial entre le jour de Noël et la durée du match qui a fait que ce match est resté gravé dans les mémoires. »
Aujourd’hui, pareil marathon serait impossible. Pour une raison simple : les 15 minutes de la prolongation expirées, le match s’achève. Même si les deux équipes ne sont pas parvenues à se départager. Pas de deuxième prolongation. Du moins en saison régulière. Car en playoffs, c’est un combat jusqu’à la mort qui se joue. Mais ça n’est pas la seule raison expliquera l’ancien coach Sid Gillman.
« Aujourd’hui, Les meilleures attaques aériennes sont trop létales pour rester muettes aussi longtemps, » expliquait-il dans les années 80. « Si tu lances suffisamment bien pour aller en playoffs, tu as ce qu’il fait pour le faire en prolongation. »
D’une logique implacable. Un constat d’autant plus vrai aujourd’hui. En atteste le faible nombre de matchs nuls. Depuis 1980, la NFL n’en a connu que 20. En 1926, elle en avait connu 14. Dans les années 70, on pouvait gagner une partie en ne lançant que 7 ou 8 passes. N’est-ce pas Bobyy ? Une autre époque. Un autre football.