Evidemment, avec un diplômé de Harvard, tout est souvent question de chiffres, surtout lorsque le joueur en a obtenu un d’économie en 2005. Malgré ses limites au plus haut niveau, les 21472 yards en carrière et les 139 touchdowns lancés en 10 saisons sont là pour valider le fait que Ryan Fitzpatrick mérite vraiment sa place dans la confrérie des quarterbacks NFL. En dépassant les 137 unités, il est de toute façon déjà rentré dans l’histoire, devenant le quarterback le plus prolifique de l’histoire de la NFL issu de la prestigieuse université bostonienne, dépassant même le Hall-of-Famer Sid Luckman.
Le hasard tombe pile-poil
Pourtant, c’est bien loin de cette Ivy League de la Côte Est que commence l’histoire de Ryan Fitzpatrick. Avec ses trois frères, tous fondus de sport, c’est sous le soleil de l’Arizona, à quelques kilomètres du Sun Devil Stadium des Cardinals, que Ryan développe son talent… aquatique. Car c’est bien dans les bassins de Gilbert, à 30 mns au Sud-Est de Phoenix, qu’il évolue et qu’il entre d’ailleurs en compétition avec un talent du coin, un certain John Beck qui finira lui aussi en NFL et qui était « certainement le meilleur dossiste de l’Etat à son âge ». En grandissant, ce fils d’un « scientifique aérospatial » (bien que la profession de son père, réellement dans l’industrie de l’armement à destination de l’armée, ne soit connu que par ses déclarations et qu’il en ait certainement fait une blague avec le terme « rocket scientist » utilisé, habituellement réservé à une expression anglaise pour désigner quelque chose de peu compliqué) devient un excellent athlète en basket, football et athlétisme. Sur les terrains de basket, il joue d’ailleurs avec les fils d’un certain Danny Ainge, pas le plus mauvais pedigree dans ce sport… Il prend la suite de son frère au poste de quarterback des Highland High School Hawks mais, lors de son année junior, c’est sur un coup du destin que sa carrière va se decider.
« Il savait quelles étaient ses faiblesses et il s’est amélioré sur chacune d’entre-elles. Il était plus mature en première année de lycée que la plupart des premières années à l’université » Mike Reardon, coach de Ryan Fitzpatrick à Highland High School
Avec l’arrivée d’un nouveau quarterback Senior dans l’équipe, le coach Mike Reardon ne sait pas trop qui titulariser entre Ryan et ce nouveau venu, haut d’1m90. D’où le recours à un jet de pièce en l’air… « Face » tombe pile au poil pour Fitzpatrick qui gagne ainsi le droit de débuter le prochain match. Il y emmène son équipe à marquer 14 points. Le nouveau venu quitte l’équipe dès le lendemain du match, incapable d’avoir, lui, inscrit le moindre point lors de la deuxieme mi-temps et informé du choix du titulaire par Reardon. Son titre de MVP de la Fiesta Region en 2000, le titre de la conférence et un passe laser lancée en mouvement d’un côté du terrain à l’autre (« une vraie flèche, un lancer que peu de lycéens peuvent réussir ») lors d’un match démontre à tout le monde que Fitzpatrick a du talent. Seulement Arizona State, la grosse université du coin et celle pour laquelle il « aurait adoré jouer » ne le contacte même pas. D’ailleurs, seule la peu renommée Université d’Eastern Washington lui propose une bourse…
Malgré une carrière athlétique surement morte dans l’œuf, Fitzpatrick peut se réconforter avec ses résultats de SAT (Scholastic Assessment Test), ces examens d’entrée à l’université si redoutés des étudiants. Avec un score de 1580 sur 1600 points possibles (à l’époque car, depuis 2005, une épreuve écrite met le maximum atteignable à 2400pts), Fitzpatrick attire forcément les plus prestigieuses universités du pays, comme Harvard, mais pas forcément les meilleures au niveau sportif. Avant l’appel de Harvard, Fitzpatrick ne sait d’ailleurs même pas qu’elle possède une équipe de foot… L’attrait du lieu, terre d’études de Prix Nobel ou de Présidents américains, et la perspective de pouvoir tout de même continuer sa carrière de quarterback, même en Division I-AA, ne peuvent que séduire un jeune homme qui se destine alors à une carriere mettant plus en relief ses capacités intellectuelles que ses performances sportives.
Le cerveau comme défaut
Comme prévu, les deux premières saisons de Fitzpatrick à Harvard le voit arpenter la sideline, prêt à suppléer le titulaire, Neil Rose, à la moindre occasion. Hors du terrain, il trouve du temps pour se consacrer à son stage d’assistant du légendaire Red Auerbach avec les Boston Celtics, trouvé grâce à sa connexion avec Danny Ainge. Et puis il se trouve également « le meilleur job du monde » lorsqu’il est responsable de conduire les anciens alumni, comme Conan O’Brien, lors des réunions d’anciens élèves. Surtout, il y rencontre Liza, une star de l’équipe de soccer, élue All-American. Elle devient sa femme en juin 2006, après qu’il lui a demandé sa main…dans un McDonald’s de St Louis, faute de n’avoir pu trouver un autre endroit avant qu’ils ne rentrent chez eux et qu’elle ne découvre sur le relevé de compte en commun l’achat d’une bague en diamant. Son alliance en platine, Ryan Fitzpatrick ne la quitte d’ailleurs jamais, même sur le terrain, estimant qu’en la portant sur sa main gauche, elle ne gêne pas ses lancers et que « c’est une chose importante pour lui et sa femme ».
Dès qu’il peut rentrer sur le terrain, Fitzpatrick ne déçoit jamais. Dix touchdowns a la passe avec un taux de réussite de 63% et cinq à la course, tout en accumulant 523 yards en 115 tentatives sur ses deux premières saisons, le jeu de Fitzpatrick fait l’admiration de son coach, Tim Murphy, qui lui offre le poste de titulaire en 2003 pour sa saison Junior.
Son jeu complet (16 touchdowns à la passe et 5 à la course pour 8 interceptions en 7 matches) et son intelligence situationnelle sont une épiphanie pour Murphy avant même que Fitzpatrick ne le réalise lui-même : « Tu peux jouer en NFL ! ».
Certain de son fait, le coach implore Ryan de participer à la Peyton Manning Passing Academy pendant l’intersaison pour se prouver qu’il n’a rien à envier aux joueurs de sa génération et réaliser au cours de ces trois jours qu’il est « aussi bon que n’importe lequel d’entre-eux » . A son retour, malgré un laconique « bien » comme réponse à la question du coach de savoir comment le camp s’est passé, c’est un Ryan Fitzpatrick transformé de l’intérieur qui revêt le maillot cramoisi pour sa dernière saison universitaire, prêt à prouver qu’une carrière pro n’est pas une totale utopie.
« Quand vous avez un joueur qui est extraordinairement intelligent, il n’est probablement pas aussi agressif comme joueur qu’un autre avec un QI plus faible. Je n’en suis pas certain mais j’y crois » Gil Brandt, ancien Vice-Président en charge des joueurs des Dallas Cowboys
1200 yards dans les airs et 448 à la course (et plus de 1000 en carrière, le premier de l’histoire de l’université à le faire) lui valent de battre les records de l’école en carrière pour son année Senior. Ses 13 touchdowns (pour 6 interceptions) emmènent les Crimson au titre de l’Ivy League, avec un bilan immaculé de 10 victoires pour zero défaite, et lui procurent le titre de Joueur de l’Année dans cette Conférence. Un titre moins prestigieux que le Presidential Award for Excellence qu’il reçoit pour ses mérites académiques et sportifs mais qui le conforte dans l’idée qu’il a une vraie chance de passer à l’étage superieur. Ne reste plus qu’à convaincre les General Managers de la NFL à la Combine pour devenir le premier joueur de Harvard drafté depuis le linebacker Isaiah Kacyvenski, sélectionné par les Seahawks au 4e tour en 2000, le plus haut rang jamais atteint par un Crimson.
Du Derviche à l’Amish
Si sa carrure (1m87 pour 105 kilos) est moyenne pour le poste, son temps de 4’86 au 40-yard dash démontre à tous les capacités physiques entrevues sur les terrains universitaires, Fitzpatrick doit également passer le Wonderlic, ce fameux test d’intelligence avec lequel les équipes jugent l’ « intelligence » des joueurs. 50 questions auxquelles répondre en 12 minutes, ce test est un exercice s’apparentant au 2-minute drill de fin de match (et que vous pouvez essayer en ligne). Se sachant au-dessus du lot mais connaissant l’histoire de Pat McInally, le punter des Bengals issu de Harvard et qui avait chuté à la draft 1975 après avoir été le seul de l’histoire à obtenir un score parfait de 50, Fitzpatrick finit le test en seulement 9 minutes mais laisse une question non remplie pour ne pas obtenir le score maximum, surement le même modus operandi que pour ses SAT. Les scores officieux (car les résultats ne sont jamais dévoilés officiellement) le créditent d’un 48 mais toute l’intelligentsia de la NFL sait qu’il a obtenu 49 et qu’il a cherché à ne pas obtenir 50.
« J’ai choisi la seule profession où mon diplôme d’Harvard joue en ma défaveur. Cela est relié, en partie, au niveau de compétition auquel je me mesure. Mais il y a également le fait que certains coaches ne veulent jamais d’un gars qu’ils pensent trop intelligent. Comment vous pouvez être trop intelligent pour un poste, ça, je ne sais pas… » Ryan Fitzpatrick
Prévu pour le 4e tour, au mieux, ou, plus réalistiquement, pour le 5e ou 6e, il faudra attendre que les St Louis Rams le sélectionnent au 7e Tour de la draft 2005 en 250e position, seulement 6 places devant le Mr Irrelevant de cette année-là (Andy Stokes, New England). Non drafté, le joueur aurait tout de même eu des opportunités dans la ligue puisque onze équipes étaient prêtes à l’inviter à leur training camp. Plutôt que de devoir voguer d’une équipe à l’autre, Fitzpatrick pose ses valises dans le Midwest pour trois ans et a un impact sur la ligue dès son premier match, devenant l’un des seuls 11 quarterbacks (à l’époque) à lancer pour plus de 300 yards dans son premier match pro. Un match remporté en prolongation à Houston face aux Texans qu’il n’a pourtant joué que pendant les 3 derniers quart-temps, suite à la blessure du remplaçant de Marc Bulger, Jamie Martin.
Cependant, les trois rencontres suivantes montre que des progrès sont encore à accomplir, lançant 7 interceptions (dont 5 face à Minnesota) pour seulement un touchdown. Il ne rejouera plus un seul down significatif sous les couleurs des Rams. C’est alors le réel debut de la valse derviche qui voit Fitzpatrick signer avec les Bengals, les Bills, les Titans, les Texans pour finir, en 2015, avec les Jets.
Si, dans ces mouvements incessants, on peut y voir un joueur incapable de s’imposer, ce serait trop vite oublier les bonnes saisons individuelles qu’il poste sous le maillot des Bills, par exemple. A la tête d’une équipe où beaucoup de joueurs performants comme David Nelson, Steve Johnson, Scott Chandler ou Fred Jackson, n’étaient pas non plus forcément destinés à une carrière en NFL (trois d’entre-eux non draftés et Johnson choisi au 7e tour), il accumule 80 touchdowns et 64 interceptions en 4 saisons, poussant même certains fans à le surnommer FitzMagic et à lui dédier un clip sur Youtube.
Si son nom apparaît dans les médias depuis son départ de Buffalo, c’est cependant beaucoup plus pour parler de l’évolution de sa barbe, lui ayant fait gagner un nouveau surnom « The Amish Rifle » (« le fusil amish »), que pour ses performances. Cette semaine encore, c’est le rasage de la-dite barbe qui aura fait quelques gros titres… Pourtant, depuis 2009, ses évaluations n’avaient fait que s’améliorer passant de 69 à 95 l’année dernière à Houston (9e de la ligue). Propulsé titulaire des Jets suite à l’incident Smith/Enemkpali, son évaluation n’est, cette saison, pas aussi bonne malgré sa connivence et sa connaissance du système du coordinateur offensif Chan Gailey, son Head-coach à Buffalo. Mais avec leur bilan de 5 victoires et 5 défaites, ses Jets sont toujours en course pour les playoffs, qui seraient alors les premiers de la carrière de Ryan Fitzpatrick. Comme quoi, on peut toujours faire dire ce que l’on veut aux chiffres…